Skip to main content

Full text of "Histoire de la Ligue"

See other formats


Digitized  by  the  Internet  Archive 

in  2010  witii  funding  from 

University  of  Ottawa 


littp://www.arcliive.org/details/liistoiredelaliguOOmaim 


•»*'      Wma--. 


■i 


^     Z.LrJ\ef~ze  pi/1  x: 


BaxuletJciUp 


«.» 


HISTOIRE 


D  E 


LA    LIGUE 


FJ  R 


qMON  S  lEV  K   Ç:MAI  MBOV  RG. 


A     PARIS, 

Chez  Sebastien  Mabre-Cramoïsy,  Imprimeur 
du  Roy,  rue  Saint  Jacques,  aux  Cicognes. 

M.     D  C.     L  X  X  X  1 1  I. 

K^VEC    ArPROBATION    ET    PRIVILEGE, 


ËÎSLIOTHECA    ) 


A  U    R  O  Y 


V\  ',      >•  -  -t 


i        -  i    c    -  ' 


IRE, 


*.-       * 


.^  .•  j 


1  ^A  France j  qui  eftant  hien  nnte ^ 

xo-mme  an  la  voit  jous  U  glorieux 

a  uj 


Q> 


E  P  I  T  R  E. 

Règne  de  Vostre  Ma  j  es  t  e", 
pourro if  faire  la  loy  à  tout  le  refle  de 
la  terre ,  faillit  à  fe  détruire  elle  - 
mefme ,  far  la  divifion  que  deux  fu- 
nèfles  Ligues  de  Rebelles  y  mirent, 
lune  vers  le  milieu,  ù*  l'autre  fur 
la  fin  du  fiecle  pafle^. 

JUHenfie  forma  la  -première  contre 
la  vraye  Religion  :  V Ambition  tra- 
veflie  en  T^le  fit  naiflre  la  féconde, 
fous  prétexte  de  maintenir  ce  que  laU" 
tre  vouloit  ruiner:  ù*  toutes  deux , 
quoy  -  qu  ennemies  implacables  lune 
de  Vautre,  fe  font  néanmoins  accor- 
dées à  lever  chacune  de  fon  coflé'  en 
divers  temps  tetendart  de  la  Rebel- 
lion  contre  nos  Rois. 

J'ay  fait  voir  les  crimes  de  la  pre* 
mère  dans  IHifloire  du  QzlvinifmCs 


E  P  I  T  R  E. 

qui  fit  en  France  cette  Ligue  impie 
contre  le  Seigneur,  &  contre  Tes 
Oingts;  cb*/V  découvre  ceux  de  la  fé- 
conde en  cet  ouvrage  que  je  prefente 
à  VosTRE  Majesté'  comme 
le  fi'uit  de  mon  exa^e  ohéïjfance  aux 
ordres  dont  il  luy  a  plu  mhonorer. 
J'ay  tafcbe"  de  les  exécuter  avec  d'au* 
tant  plus  de  joye ,  que  fay  crû  qu'en 
lifant  cette  Hifloire ,  on  verroit  lafauf 
fête  de  certains  avantages  que  les  Li- 
gueurs ç^  les  Huguenots  fe  font  voulu 
attribuer  :  ceux-cy,  en  difam,  comme 
ils  font  encore  affe\fouvent,  qu'ils  ont 
porté  Henry  IV.  fur  le  trône  j  é^  ceux- 
là,  que  leur  Ligue  a  caufé  fa  con- 

verfîon.  '  ^  *' '"'    "  " 

J'efpere  qu  on  fera  hientofî  defahufc 
de  cette  erreur,  é^  q^on  verra  claire- 


E  P  I  T  R  E. 

ment  que  ce  font  les  C<^tholiques  du 
farti  Royal ,  dont  Dieu  sejl  voulu 
fervir  pour  produire  ces  deux  effets  fe 
avantageux  à  la  France.  Nom  fie  de- 
vons ni  Vun  ni  Vautre  à  ces  deux 
malheureufes  Ligues  :,  qui  font  les  deux 
ennemis  les  plus  dangereux  quon  ait 
jamau  eu  à  comhatre  en  ce  Koyaunu  ; 
(Ù:^  il  paroijl  manifeftement  aujour- 
d'huy  que  ceftoit  aux  Rois  de  l'Au- 
giifte  Branche  de  Bourbon  que  la  Pro- 
vidence  divine  avoit  referve  la  gloire 
den  triompher, 

Henry  IV.  vainquit  é^  reduifitla 
Ligue  des  Faux-T^le^^  par  la  force 
invincible  de  fes  armes  3  (ù^  par  les 
doux  (fp^  ?nerveilleux  attraits  de  fa 
démence.  Louis  le  Jufle  defarma  celle 

des  Calvinifies  par  la  prife  de  la  Ro- 

cheUe^ 


E  P  I  T  R  E. 

Mie  cb*  des  autres  -places  dont  ces 
HereJ^ques  Rebelles  seftoient  fait  tine 
fjpece  de  'Ké'pnhlîqtie  contre  leur  Sou- 
uerain  Monarque.  Et  Louis  le 
Grand,  fans  employer  d'autres  ar^ 
'mes  que  celles  de  fon  ardente  charité', 
4^  de  fon  7^ le  incomparable  pour  la 
converfion  des  Troteftans  accompagnf 
de  la  juftice  de  fes  Ordonnances  ^  la 
mife  en  un  eflat  qui  nom  fait  croire 
quon  en  verra  bientôt  la  fin  ^  par  la 
réduâion  de  ceux  qui  abufe\  ds^  rete- 
nus par  leurs  Alinifires  ,  font  encore 
dans  r  erreur,  plus  par  ignorance  que 
par  malice.  Et  ceft  ce  qui  furpajfera' 
toutes  les  merveilles  que  nom  voyons 
fous  ce  bienheureux  Règne ,  ^  .\;-.  1 
En  effet ,  Sire,  Voftre  Majefie 
a  fait  par  fes  Armes  viâorieufes,  par 


E  P  I  T  R  E. 

fa  genfreufe  bonté,  (f^  par  fa  magnifi- 
cence plus  qiie  loyale  toutes  ces  gran- 
des é^  héroïques  avions  qui  feront  tou- 
jours admirées  de  toute  la  terre,  ù* 
toujours  infiniment  au  deffus  de  tous 
les  éloges  que  tous  les  fiecles  à  venir 
luy  pourront  jamais  confacrer  à  l'e- 
xemple du  noftre.  Je  n  entreprendra} 
pas  de  les  louer:,  parce  qu'elles  ont  déjà 
épuife  toutes  les  louanges  qu'on  leur 
peut  donner,  (ù^  qui  pourtant  nont  pu 
encore  nous  former  cette  jufie  idée  que 
Von  en  devroit  concevoir.  Je  diray 
feulement  que  tout  ce  que  Vous  ave\ 
fait  avec  tant  de  jujlice,  de  force  cb* 
de  gloire ,  pour  étendre  la  Monarchie 
Françoife  jufques  à  fes  anciennes  borg- 
nes,  é^  pour  la  rendre ,  comme  elle  eft 
aujourdhuy ,  aufji  florijfante  (ù^  aufft 


Ë  P  I  T  R  B. 

refpe^fe  de  tout  le  inonde  quelle  lait 
jamais  efte"  fous  les  plus  grands  c^ 
d^  les  plus  reno772me\  de  nos  Monar- 
ques ,  nejl  pas  encore  fi  grand  de- 
vant Dieu  que  ce  que  V  o  s  T  r  e 
Majesté  fait  tous  les  jours  avec 
tant  de  pieté ,  de  T^le ,  é^  de  fuc- 
cù  j  pour  accroiftre  le  Royaume  de 
J  E  s  u  s-C  H  R  I  s  T  j  f«  procurant  par 
des  moyens  cb^  f  doux  é;^  ft  efficaces 
la  converfion  de  nos  Troteflans. 

Cefï-là,  S  iKE,  fans  doute  la  plus 
glorieufe  de  Vos  Q^nquefles  ,  <t^  qui 
tandis  que  Vous  joilïre\long- temps  fur 
la  terre  de  la  gloire  fi  légitime  que 
toutes  les  autres  Vous  ont  aquife , 
Vous  préparera  dans  le  Qel  un  Triom- 
phe éternel.  Voilà  ce  que  deriiande  à 

Dieu  continuellement ,  par  fis  plus  ar- 

é  ij 


E  P  I  T  R  E. 

dentés  prières ,  celuy  qui  eHant  comble 
des  grâces  àr*  des  faveurs  deY  ostke 
Majesté',  vit  aujourd'huy  fous 
une  fi  pui/fante  proteâion  le  plus  con- 
tent de  tous  les  hommes ,  é^  le  plus 
oblige  deftre  toute  fa  vie  avec  tout 
le  rejpe^  Ù^  tout  le  'ï^le  imagi- 
nable ^ 


^  7  R  Ê, 


DE   rOSTRE  JHÀJESTE 


Le  trcs- humble,  tres-obéïfTant, 
&:  trcs-fidclle  fujct  &  ferviteur, 
Louis    Maimboub-g. 


fi' 

qA  FE  RTJ  S  S  E  M  E  N  T.    ' 

CO  AI  M  E  il  y  aura  peut  -  eflrc  des' 
gens  qui  prendront  quelque  inte-. 
relt  à  cette  îiiftoire ,  parce  qu'ils  font  les 
petits -fils  de  ceux  dont  on  y  parle  :  je  les 
prie  de  conliderer  que  pour  écru'e  en  vé- 
ritable hiftorien ,  je  fuis  obligé  de  dire 
iincerement  le  bien  ou  le  mal  qu'ils  ont 
fait.  Ceft  à  ceux  qui  nous  ont  prefcrit  Ne  quid  veri 
les  loix  inviolables  de  l'Hiftoire  qu'il  faut  Nc'quid'tïa 
s'adreiTer,  pour  leur  faire  rendre  compte  cTnr!' 
de  leurs  ordonnances ,  fi  l'on  en  eft  peu 
fàtisfait,  de  non  pas  aux  hiftoriens  -qui 
doivent  indifpenfablement  leur  obéïr,  dc 
dont  toute  la  gloire  qu'ils  peuvent  ef- 
perer  conhile  à  bien  exécuter  leurs  or- 
dres. 

Ainfi,  comme  je  ne  prétens  pas  qu'on 
me  f^ache  gré  du  bien  que  je  dis  de  ceux 
pour  qui  l'on  s'interefTe  :  je  crois  aufli 
qu'on  ne  me  doit  point  vouloir  de  mal 
fi  je  reprefente  ce  qui  n'efl  pas  trop  à  leur 
avantacre.  Je  raconte  fidellemcnt  les  faits 
que  je  trouve  en  de  bons  auteurs ,  ou 
dans   des  Mémoires  particuliers  ,  que  je- 


^VEK'ïl  s  s  EMENT, 
tiens  pour  très-bons  après  les  avoir  bien 
examinez. 

Je  fais  plus.  Car  comme  on  n'eft  nulle- 
ment obligé  de  me  croire ,  quand  je  di-i 
r^y  en  général  que  j'ay  eu  de  bons  Ma- 
nufcrits ,  fur  la  foy  defquels  je  raconte  ce 
qu'on  ne  trouve  pas  ailleurs  :  je  marque 
fort  fmcerement  éc  en  particulier  quelles 
font  les  fources  d'où  je  l'ay  tiré.  Je  fuis 
mcfme  pcrfuadé  que  tout  hiftorien  qui 
prétend  mériter  quelque  créance  en  doit 
ufer  ainfî.  Car  s'il  ne  tient  qu'à  dire  que 
ce  qu'on  produit  d'extraordinaire  on  l'a 
trouvé  en  de  bons  Manufcrits,  fans  qu'on 
ait  foin  de  les  faire  connoiftre,  fous  pré- 
texte qu'on  n'en  a  eu  la  communication 
que  fous  le  fceau  d'un  inviolable  fecret  : 
il  n'y  a  point  de  fables  qu'on  ne  puiffe 
hardiment  débiter  pour  des  veritezj  & 
un  Ledeur  qui  n'eft  pas  trop  crédule  & 
trop  complaifant  fe  gardera  bien  d'en  rien 
croire.  Et  c'eft  pour  cela  que  je  me  fuis 
toujours  obligé  de  marquer  à  la  marge 
les  Livres ,  les  Relations  ÔC  les  Mémoi- 
res ,  fbit  imprimez ,  foit  manufcrits ,  où 
je  prends  les  faits  dont  je  rends  compte 
à  mon  Ledeur, 


ftA  VERTIS  SE  MENT. 

Un  de  ces  Ecrivains  donc  je  me  fuis  le 
plus  iervi,  eft  M.  Pierre  Vidor  Cayet 
dans  fa  Chronologie  Novennaire,  conte- 
nant l'HilTioire  des  guerres  de  Hemy  IV. 
parce  que  l'ayant  preique  toujours  fuivi 
depuis  qu'il  fut  mis  auprès  de  luy  avec 
le  lîcur  de  la  Gaucherie,  qui  fut  Préce- 
pteur de  ce  Prince ,  il  y  a  bien  de  l'appa- 
rence qu'il  eftoit  mieux  informé  de  ce 
qui  fe  pafToit  en  ce  temps  -  là  ôc  qu'il 
voyoit  fouvent  luy-mefme,  que  ceux  qui 
n'ont  pas  eu  cet  avantage.  ;•• 

C'eiloit  au  relie  un  des  plus  docles  &: 
des  plus  habiles  Miniilres  que  nos  Pro- 
teftans  ayent  jamais  eus ,  6c  il  fervit  en 
cette  qualité  Madame  Catherine  fœur  du 
Roy,  juiqu'à  ce  qu'environ  deux  ans  après 
la  converfion  de  ce  grand  Prince ,  il  ren- 
dit témoignage  à  la  vérité  qu'il  avoit 
connue,  &:  fit  fon  abjuration  folennelle- 
ment  à  Paris.  Il  publia  mefme  les  motifs 
de  fa  converfion  par  un  fçavant  écrit  qui 
fut  receû  avec  grand  applaudiflement  en 
France  bc  dans  les  païs  étrangers  3  &;  fon 
exemple  fouftenu  des  puiilances  raifons 
d'un  il  habile  homme ,  Sc  aufquelles  on 
ne  fit  point  de  folide  réponfe ,  fut  bien-- 


s       -.IR 
,1    .1   . 


.l*-î 


^  VE  R  TJS  S  £M  F N  T, 

toft  fuivi  de  la  converlion   d'un    grand 

nombre  d£-  Proteftans ,  qui  reconnurent 

après    luy  la  faufTeté   de  leur    Religion 

Prétendue"  Reformée. 

xctire  d-un         Cck  mit  cn  û  mauvaife  humeur  £cs  an- 

'^7n'fi"n'^ami'.  dens  Confrères  les  Miniilres ,  qu'ils  fe  dé- 

""''        -chairnerent  furieufement  contre  luy.  Ils  le 

chargèrent  d'une  infinité  d'injures,  &  tat 

cherent  de  le  .  noircir  par  mille  horribles 

calomnies ,  dont  ils  ont  rempli  entre  au- 

iitm.  de  la   ^^^^  Hbelles  celuy  qu'ils  ont   mis   parmi 

Ligue.t.e.  |g^  Mémoires  de  laLisiue^^ndillimulant, 

c«y«,  s.î.  :p^r  une  inii^ne  lafcheté  les.  réponies  fo- 

iides  &  convaincantes  qu  il  y  avoit  raites  : 

ce  qui   fuftit  pour  découvrir  la  faulTeté 

.'de  tout  ce  qu'ils  ont  écrit  pour  le  ditfa- 

aner  félon  le  génie  de  leur  Hérefîe. 

Car  de  tous  les  Hérétiques ,  il  n'en  eft 
point  qui  ayent  elle  plus  cruels  &  plus 
-médifans  que  les  Calvin illes ,  &:  qui  fe 
ifoient  vengez  de  leurs  pj:étend:us  enne- 
imis  plus  -barbarcment  par  les  armes  & 
par  les  voyes  de  fait  quand  ils  en  ont  eu 
le  pouvoir  ,  &:  plus  impudemment  par 
la  plume  &;  par  les  libelles  quand  ils 
n'ont  pu  faire  autre  chofe,  en  déchirant 
par  toutes  fortes  d'injures  6c  d'impoftu- 

res 


tAVERTI  s  s  EMENT. 
res  ceux  qui  fe  font  déclarez  contre  leur 
parti. 

En  efifct,  que  n'ont-ils  pas  dit  pour 
deshonorer  la  mémoire  des  fieurs  de  Spon- 
de  Lieutenant  General  à  la  Rochelle , 
Sallctte  Confeiller  du  Roy  de  Navarre, 
de  Morlas  Confeiller  d'Ellat  &C  Surinten- 
dant des  Magazins  de  France,  du  Fay, 
de  Clairville  ,  Rohan ,  6c  de  cent  autres 
de  leurs  plus  célèbres  Minillres ,  qui  après 
avoir  efté  parmi  eux  de  fort  honncfles 
gens, oc  les  premiers  de  leur  Conliltoire, 
font  par  une  étrange  métamorphofe  de- 
venus tout  -  à  -  coup  de  grands  icelerats  , 
ôc  les  derniers  de  tous  les  hommes  pour 
avoir  abjuré  le  Calvinifme  ?  Par  combien 
d'impoftures  èc  de  calomnies  n'ont-ils  pas 
entrepris  de  perdre  de  réputation  tous 
ceux  d'entre  les  CathoHques  qui  fe  font 
oppofez  le  plus  fortement  à  leurHérefîe? 
L'Hiftoire  nous  en  fournit  mille  preuves, 
ôc  l'on  n'en  a  que  trop  dans  les  Fragmens 
que  M.  le  Laboureur  nous  a  donnez  de  ^^'^'f-  *«* 
leurs  mlolentes  batyres,  ou  ils  n  épargnent  «'• 
rien  de  tout  ce  qu'il  y  a  de  plus  invio- 
lable fur  la  terre  j  non  pas  mefme  nos 
Rois. 


AVERTI  s  SE  ME  NT. 

Et  c'eft  pour  cela  que  cet  Ecrivain, 
dans  un  Chapitre  de  Ton  Livre   où  il  ne 
i,v  1. fÈ4/.i.  parle  que  d'une  petite  partie  de  ces   li- 
''^*^'       Celles,  après  avon-  dit  que  les  efprits  les 
plus  fatyriques  Ôcles  plus  libertins  eftoient 
dans  le  parti  Huguenot  j  ajoufte   cqs  pa- 
roles très -coniidérab les  :  J'aurois  eu  honte 
de  lire  tous  ces  libelles  pour  les  hlajphêmes, 
&  pour  les  énormitezj,  dont  ils  font  remplis , 
fi  cela  na'uoit  aidé  a  me  confirmer  dans  la 
créance   qu'il  j  avoit  plus  d'impiété  que 
d'erreur  &  d'aveuglement  dans  leur  do- 
Bnne  3  CjST*  que  leurs  mœurs  efioient  encore 
plus  corrompues  que  leurs  fintimens. 
Liv.t.(h»f.2.      Il  nous  aileûre  ailleurs,  que  ces  nou- 
^''^^'         njeaux  E'van gélifie  s  ont  fait  des  "volumes 
entiers  de  médifiance  dont  il  a  ^ueû  plus  de 
quarante  ]\danufirits  3  &  qu'il  ne  faudroit 
point  d'autres  pièces  pour  juger  le  différend 
de  la  Religion ,  &  pour  éluder  le  beau  pré- 
texte de  Kéformatton  de  ces  Novateurs. 
Ainfî  tout  ce  qu'ils  ont  écrit  avec  tant 
T«R  A       je  ne  diray  pas  d'emportement ,  mais  de 
,\;  .j  lU .,      fureur  contre  le  fîeur  Cayet,  auflitoft  après 
fa  converfion  ,  ne  luy  peut  faire  aucun 
préjudice,  non  plus  que  leur  ridicule  pré- 
did-ion,  par   laquelle  ils  afleûroient  qu'il 


AVERTI  s  s  E  MENT. 

ne  Icroit  bicntoll:  ni  Huçriienot  ni  Catho- 
Jique  ,  àC  qu'il  teroïc  un  tiers  parti  entre 
les  deux  Religions.  Car  il  vécut  toujours 
il  bien  parmi  les  Catholiques  ,  qu'après 
avoir  donné  en  toutes  les  occalions  de 
grandes  preuves  bc  de  fa  vertu  6c  de  fa 
dodrine ,  il  fut  trouvé  digne  de  recevoir 
l'Ordre  de  Prcftrife ,  ÔC  le  Bonnet  de  Do- 
deur  en  Théologie,  &;  fut  Lecteur  6c 
Profefl'eur  Royal  pour  les  Langues  Orien- 
tales, j  -  --: 
Or,  comme  en  Tannée  mil  fîx  cens 
cinq,  dix  ans  après  fa  converlion,  il  eût 
publié  fa  Chronologie  Septénaire  de  Ja 
Paix  qui  fe  fît  à  Vervins  en  l'année  mil 
cinq  cens  quatre  vingts -dix -huit,  quel- 
ques -  uns  des  plus  Grands  Seigneurs  de 
la  Cour  qui  connoiiloient  fon  mérite ,  ôC 
l'avoient  veû  auprès  du  Roy,  dont  il  avoir 
l'honneur  d'eftre  fort  connu  &:  conhderé, 
Tobligerent  d'ajoufter  à  fonHilloire  de  la 
Paix  celle  de  la  Guerre  que  ce  grand 
Prince  lit  pendant  neuf  ans  depuis  fon 
avènement  à  la  Couronne  en  mil  cinq 
cens  quatre-vingts-neuf  jufques  à  la  Paix 
de  Vervins.  C'eft  ce  qu'il  fît  dans  Its 
trois  Tomes  de  fa  Chronologie  Novea- 


^VEtri  s  SE  ME  NT.  ^ 

naire,  qui  fut  imprimée  à  Paris  en  l'année 
mil  fix  cens  huit,  &  dans  laquelle,  avant 
que  d'en  venir  au  Règne  de  Henry  I V. 
il  fait  un  abrégé  de  ce  qui  fe  fit  de  plus 
confiderable  pendant  la  Ligue  jufques  à 
la  mort  de  Henry  III.  Et  c'eft  en  partie 
de  cet  Auteur ,  6c  en  partie  de  ceux  qui 
ont  pu  voir  comme  luy  ce  qu'ils  ont 
écrit,  foit  en  des  Livres  imprimez,  foit 
en  des  Mémoires  particuliers ,  que  j'ay  ti- 
ré les  chofes  que  je  raconte  en  cette  HiC 
toire. 

Je  ne  fuis  donc  pas  le  témoin ,  ni  mef-^ 
me,  comme  hiftorien,  le  juge  du  mérite 
de  ces  faits ,  pour  décider  s'ils  font  dignes 
de  louange  ou  de  blafme  ;  je  n'en  fuis  que 
le  fimple  rapporteur  :  6c  quand  en  cette 
qualité  je  ne  prétends  pas  que  l'on  me 
croye  fur  ma  parole,  &c  que  je  cite  mes 
Auteurs  &;  mes  garands,  comme  j'ay  fait 
dans  toutes  mes  Hiftoires,je  ne  crois  pas 
qu'on  ait  rien  à  me  reprocher. 

Sur  cela  il  me  femble  qu'on  peut  dire 
fort  véritablement,  que  fi  au  lieu  d'exa- 
miner les  faits,  pour  fç avoir  s'ils  font  bien 
ou  mal  rapportez  j  conformément  aux 
pièces  qu'on  produit,  on  fe  jette  à  quar- 


f^VE^TI  s  SE  M  ENT, 

tier,ô<:  fur  la  queftion  de  droit,  pour  juf 
tifîer  ce  qui  s'ell  fait,  ou  pour  le  blaimer  : 
on  perd  le  temps  en  des  difcours  fort  inu- 
tiles, ôC  aufqucls  un  hiftorien  ne  doit 
prendre  nul  intereft.  Car  enfin  il  n'ell 
refponfable  que  des  faits  qu'il  rapporte 
fur  la  foy  de  ceux  dont  il  les  a  tirez,  en 
prenant  de  chacun  d'eux  quelque  par- 
ticularité qu'un  autre  ne  dit  pas ,  pour 
faire  de  toutes  enfemble  un  nouveau  corps 
d'Hiftoire  ,  qui  a  tout  un  autre  air  que 
dans  les  auteurs  qui  l'ont  précédé. 

Et  c'eft  en  quoy  confifte  une  grande 
partie  de  la  finefTe  &  de  la  beauté  de  ces 
ibrtes  d'ouvrages ,  ÔC  ce  qui  fait  qu'en 
demeurant  toujours  dans  les  termes  de 
l'exade  vérité,  on  peut  prétendre  légiti- 
mement à  la  gloire  de  l'invention,  ÔC 
qu'on  a  le  plailir  de  faire  paroiftre  une 
nouvelle  Hiftoire ,  quoy-qu'en  n'écrivant 
que  des  chofes  qui  font  d'un  autre  fiecle , 
on  ne  puifTe  prefque  rien  du*e  que  ce  que 
les  autres  ont  déjà  dit ,  foit  dans  les  Li- 
vres imprimez ,  (bit  dans  de  certains  Ma- 
nufcrits ,  qui  pour  eftre  particuliers  OC  peu 
connus,  ne  font  pas  néanmoins  l'ouvrage 
de  celuyqui  écrit  l'Hifloire,    .]    u:.-:  j-t-' 

/  tîf 


% 

( 


^VEUr  I  s  SE  MENTi  ^ 
Au  reflcj  il  ne  faut  pas  que  l'on  s'é-» 
tonne  de  ce  que  je  ne  donne  qu'un  vo- 
lume, quoy-que  le  fujec  que  je  traite  fbic 
d'une  très  -  valle  étendue.  Je  ne  prétends 
pas  dire  tout  ce  qui  s'eft  fait  à  l'occafion 
de  la  Ligue,  dans  toutes  les  Provinces ^ 
tous  les  lîeges,  toutes  les  prifes,  toutes 
les  furprifes  de  tant  de  places  qu'on  a 
veû  tenir  tantoil  pour  le  Roy,   tantofh 

pour  la  Licrue ,  &;  cette  infinité  de  petits 

,  ^ .  ■   '   r  •'  r       '         • 

combats  qui  ont  tire.  Il  j  oie  m  exprimer 

ainfî,  du  iang  de  toutes  les  veines  de  la 
France.  Tout  cela  doit  entrer  dans  l'Hif- 
toire  générale  de  ce  Royaume  fous  le 
Règne  des  deux  derniers  Henris,  laquelle 
on  peut  voir  en  plulîeurs  célèbres  Hillo- 
riens,  &  principalement  dans  le  dernier 
Tome  de  feu  M.  de  Mezeray ,  qui  s'efh 
HirpalTé  luy-mcfme  en  cette  partie  de  fon 
grand  Ouvrage.  o  ^37 

c  Je  me  renferme  dans  ce  qu'il  y  a  de 
plus  eifentiel  à  l'Hiftoire  particulière  de 
k  Ligue ,  &;  je  me  fuis  feulement  appli- 
qué à  la  recherche  de  fa  véritable  origi- 
ne, à  découvrir  fes  intrigues,  fes  artifi>-^ 
ces,  &:  les  motifs  les  plus  fecrets  qui  ont 
fait  agir  les  Chefs  de  cette  confpiration 


VU 


(^VERT I  s  s  E  ME  N  T. 

a  laquelle  on  a  donne  avec  cane  d'injullice 
le  magnifique  titre  de  Sainte  Union  j  &: 
en  fuite  à  décrire  exadement  les  princi- 
pales adionSjÔC  les  plus  grands  ÔC  figna- 
îez  évenemens  qui  ont  décidé  fouverai- 
nement  de  la  fortune  de  la  Licrue.  Voilà 
le  plan  de  mon  dellein. 

Pour  la  fin  que  je  me  fuis  propofée  en 
le  concevant,  &  en  l'exécutant,  je  puis 
dire  que  c'a  elle  de  faire  bien  compren- 
dre à  tous  ceux  qui  liront  cette  Hiiloire, 
que  toute  Union  que  l'on  forme  contre 
fon  Souverain  ,  particulièrement  quand 
on  tafche  de  la  couvrir  d'un  ipecieux 
prétexte  de  Religion  bc  de  pieté ,  comme 
firent  les  Huguenots  &:  les  Ligueurs ,  ell 
toujours  tres-criminelle  devant  Dieu ,  & 
ordinairement  très  -  malheureufe  &  tres- 
funelfe  à  ceux  qui  font  ou  les  auteurs 
ou  les  complices  de  ce  crime. 


^S* 


SOMMAIRE 


ïï  M  î  ^  ".r.  M  o  <? 

SOMMAIRE 

DES     LIVRES. 

LIVRE     PREMIER. 


T  E  Plan  général  de  U  Ligue.  Son  origine ,  fon  deffiin, 
J—J  &  le  J'iccés  quelle  eut  tout  contraire  à  U  fin  qu'elle 
s'efioit  proposée.  En  quoy  elle  fut  Jeniblable  à  U  Ligne  du 
Calvinijme.  Vefiat  oit  Je  trowvoit  U  France  au  retour  de 
Pologne  de  Henry  III.  Le  mauvais  confcil  qu'il  jiiivit 
d'abord  en  recommençant  la  guerre.  L'éloge ,  o-  le  portrait 
de  ce  Prince.  Le  changement  Jùr prenant  qui  Je  -vit  dans  fa 
conduite  &  dans  Jcs  mœurs.  La  jonction  des  Politiques  ou> 
Mecontens  avec  les  Huguenots.  Leur  puijfanie  armée  com- 
mandée par  le  Duc  d' Aknçcn.  La  faix  qui  fe  fit  p.tr  i'en- 
tremife  de  la  Reine  Mère ,  qui  fit  faire  l'Edit  de  May  tres- 
fivorable  aux  Huguenots,  cét  Edit  efi  C occafion  qui  fait 
naiftre  la  Ligue.  Elle  fut premitrtmcnt  conceué  par  le  Car- 
dinal de  Lorraine  au  Concile  de  Trente.  Il  en  Lnjfa  le  def- 
jêin  à  fon  neveu  le  Dite  de  Guife.  La  Conférence  &  le  "Trai- 
té fecret  de  ce  Duc  avec  Dom  'Jean  d'Autriche.  Comment 
Philippe  II.  le  découvrit,  c^  s'en  fervit  pour  engager  le 
Duc  4  prendre  les  armes.  L'éloge  de  ce  Prince ,  dr  fion  por- 
trait. Comment  ce  Prince  fe  fervit  du  Seigneur  de  Humie- 
res  pour  commencer  la  Ligue.  Son  projet.,  fe  s  Articles,  é" 
fon  progrés.  Le  Seigneur  Louis  de  la  Trifn ouille  s'en  dé- 
clare Chef  en  Poitou.  Les  premiers  Eflats  deBlois,ou  le  Roy, 
pour  ajfoihlir  ce  parti ,  s'en  déclare  Chef  par  le  confcil  df* 
fieur  de  Morvillt€r,L'éloge,0' le  portrait  de  ce  grand  hommt, 

0 


SOMMAIRE 

jO  vi-/  homme  eftoit  C Avocat  David.  Ses  mémoires  extra' 
l'ugans.  Jiifiijication  du.  Pape  Grégoire  XIII.  contre  U 
talomnie  des  Huguenots  qui  L'en  ont  voulu  faire  Autheur. 
L'Edit  de  M.iy  révoqué  dans  tes  Eftats.  La  guerre  contre 
les  Huguenots  Ju.vic  bentojt  après  de  la  paix  (^  de  L'Edit 
de  Poitiers  en  leur  fivcur  qui  aigrit  les  Ligueurs.  Reta- 
blijfenunt  de  l  Ordre  du  Saint  Ejprit  par  Henry  1 1 1.  pour 
fe  f.îirc  une  nouvelle  milice  contre  ces  mutins.  Le  Duc 
d' Alencon  en  Flandre ,  ou  il  ejl  déclaré  Duc  de  Brabant. 
Cela  fait  que  Philippe  II.  prejje  le  Duc  de  Guife  de  fe  dé- 
clarer. Il  le  fait  peu  après  la  mort  de  ce  Duc.  La  Confé- 
rence du  Duc  d'Ejpirn^on  avec  le  Rey  de  Navarre  luy  en 
fait  naifire  l  occujion.  il  fe  fert  pour  cela  du  vieux  Cardi' 
nal de  Bourbon,  du  nom  duquel  il  abufe.  Grande  foibleffc 
de  ce  Cardinal.  L'hifioire  de  L'origine ,  du  progrés ,  des  ar- 
tifices &  des  dffeins  de  la  Ligue  des  Seiz^e  de  Paris.  Traité 
du  Duc  de  Guife  avec  les  Députez,  du  Roy  d'Ejpagne.  il 
commence  la  guerre  par  la  fur prife  de  plufieurs  Villes.  La 
haine  qu'on  porte  aux  Favoris ,  c^  fur  tout  au  Duc  d'Ef- 
pernon ,  fiit  entrer  plufienrs  Grands  Seigneurs  dans  fo» 
parti.  Cette  première  guerre  de  la  Ligue  enipefche  la  réfi" 
nion  des  Pais  -Bits  a  la  Couronne ,  &  mefme  la  ruine  des 
Huguenots.  Marfeille  (^  Bordeaux  garantis  des  entreprifès 
de  la  Ligue.  La  généreufe  Déclaration  du  Rcy  de  Navarre 
fontre  les  Ligueurs, df  celle  du  Roy  efltrop  foible.  Conférence 
Ô"  Traité  de  Nemours ,  &  l'Edit  de  Juillet  en  faveur  des 
Ligueurs  contre  les  Huguenots.  Vnion  du  Roy  de  Navarre 
&  du  Prince  de  Condé  avec  le  Marefchal  de  Damville, 
Mort  de  Cngoire  XIII.  &  création  de  Sixte  V.  La  Bulle 
foudroyante  de  Ce  Pape  coi'ttre  le  Roy  de  Navarre  &  le 
Prince  de  Condé.  Difcours  &  écrits  contre  cette  Bnllt.  Pro- 
teftation  du  Roy  de  Navarre  afîchéi  dans  Rome.  Guerre  e» 
Poitou  qui  réiijfit  peu  au  Duc  de  Mayenne.  Les  Marefchaux 
de  Matignon  ^  de  Biron  luy  rompent  fous  main  f  s  mefu- 
res.  Hiftûire  de  la  malhcunufe  expédition  du  Prince  de 
Condé  fur  Angers;  U  dijjlpation  de  fin  armée.  Ordonnan- 
tes du  Roy  contre  Us  Huguenots.  Le  Forma Uirt  qu'on  Uur 


DES     LIVRES. 

fait  figner  quand  ils  fe  convertijjènt.  (^mbaffade  des  Trln^ 
ces  Protefliitis  d' Allemagne ,  qui  demandent  au  Rcy  U  révO' 
cation  de  fis  Edits.  Réfonfi  du  Roy  forte  &  génércufi.  L* 
Conférence  de  Saint  Brix.  Les  impojîures  des  Ligueurs, 
Origine  des  Confrairies  des  Penitens.  Le  Roy  en  établit  une 
dans  Paris  ou  il  s'enrolle.  L'infolcnce  des  Prédicateurs  de  la 
Ligue.  Emblème  fcandaleufe  qu'on  fit  contre  le  Roy.  L'im- 
fudence  du  Docteur  Poncet ,  e/"  fi"^  punition.  Le  Roy  fait 
inutilement  tout  ce  qu'il  peut  pour  avoir  U  paix ,  &  fi 
réfiout  enfin  a  la  guerre. 


LIVRE     SECOND. 

LE  Duc  de  G  ni  fie  fi  plaint  au  Roy  des  infiaélions  quil 
prétend  qu'on  a  faites  au  Traité  de  Nemours.  La  ré' 
fonfie  à  ces  plaintes  qu'on  trouvoit  fort  déraifinnables.  Le 
defietn  du  Roy  dans  la  guerre  qu'il  eft  contraint  de  faire 
malgré  luy.  La  fortune  &  l'élévation  du  Duc  de  Joyeufi. 
Ses  bonnes  (y  fis  mauvaifis  qualitcz,.  Il  commande  l  armée 
Royale  contre  le  B.cy  de  Navarre.  Ses  exploits  en  Poitou  ,  cr 
ceux  du  Roy  de  Navarre.  Bataille  de  Coutr*s.  Différence  des 
deux  armées.  Comment  eUes  furent  rangées.  Le  premier  choc 
Avantageux  au  Duc  ;  la  défaite  cnticre  de  fin  armée.  La 
victoire  complète  du  Roy  de  Navarre ^  fia  valeur  héroïque 
durant  le  combat,  d^  fin  adinirable  cUmence  après  la  vi- 
éloire.  Il  ne  fiait,  ou  ne  veut  pas  en  ufier,  &  pourquoy.  La 
reviue  de  l'armée  des  Reitres  dans  la  plaine  de  Strasbourg. 
La  naifjance  (y  les  qualitez,  du  Baron  de  Dona.  Le  Duc  de 
Guifie  entreprend  avec  très -peu  de  troupes  de  ruiner  cette 
grande  armée.  Les  ravages  quelle  fait  dans  la  Lorraine. 
Pourquoy  le  Duc  de  Lorraine  ne  voulut  p.ts  quon  s'oppofifi 
au  pajjage  de  cette  armée.  Defiription  de  la  belle  retraite  du 
Duc  de  Guife  au  Pont  Saint  rincent.  L'entrée  des  Reitres 
en  France.  Le  Duc  de  Guifi  les  harcelé  continuellement. 
L'Armée  Royale  a  Gien.  Le  Roy  la  va  commander  en  pet' 
fionne,  é"  s'oppofie  vigomenfiement  au  paffage  des  Reitres, 

0   tj 


\ 

\ 


.'S  O.  M  MAIRE' 

Liurcetifleriidtion  trouvant  tout  Le  contraire  de  ce  que  les 
Hugueacs  François  leur  avoient  promis  pour  les  appaijèr. 
On  les  mené  dans  la  Beauce.  Le  Duc  de  Guife  les  y  pour- 
fuit,  Defiïiption  de  l'attaque  &  du  combat  de  Vimory,  oU  il 
jUr prend  &  dé  fuit  une  partie  des  Reitres.  Belle  action  du 
Duc  de  Moyenne.  Retraite  à  Montargis.  Sédition  dans  l'ar- 
mée Etrangère  après  cette  l'icloire.  L'arrivée  du  Prince  de 
Conty  Lieutenant  Général  du  Roy  de  Navarre  y  remet  la. 
poye  (^  l'obéiiftncc.  Le  Duc  de  Guife  ne  s'e fiant  réfervé  que 
cinq  mille  hommes,  ne  laiffe  pAS  de  pourfuivre  les  Reitrej 
juffucs  à  Anneau.  La  fituation  de  ce  Bourg,  Le  Baron  de 
Dona  s'y  loge  avec  les  Reitres.  Le  Duc  de  Guife  fe  dijpofe  À 
les  y  attaquer,  il  gagne  le  Capitaine  du  Chufeeau  pour  avoir 
l'entrée  par  11  dans  le  Bourg.  La  difeofition  de  fon  armées 
l'ordre  de  l'attaque,  le  combat,  la  défaite  entière  des  Reitres 
Jans  aucune  perte  de  fin  cofec.  Le  Traité  du  Duc  d'Ejpernon 
Avec  le  refle  de  ces  Alknians.  Leur  déplorable  retour.  Le  Duc 
de  Guife  les  ponrfuit  jufju'aux  frontières  d'Allemagne,  il 
laife  ravager  le  Comté  de  Montheliard.  L'infelcnce  des  Li- 
gueurs après  cette  viéloire.  La  trop  grande  bonté  du  Roy,  de 
laquelle  les  feditieux  tirent  avantage.  L'horrible  emportement 
de  Prevojî  Curé  de  Saint  Scvtrin ,  df  de  Boucher  Curé  de 
Saint  Benoift.  La  fournée  de  Saint  Severin.  Le  Décret  fean- 
daleux  de  la  faélion  des  Docteurs  que  les  Seize  avaient  pour 
eux  dans  la  Sorbonne.  On  rcfufe  au  Duc  de  Guife  l'Admi- 
rauîé  qu'il  demande  pour  Brijfàc ,  ér  on  la  donne  au  Duc 
d'Ejpernon  fon  ennemi.  Le  caraÛere,^  le  portrait  de  ce  Duc, 
La  haine  qu'on  luy  porte.  Le  dépit  qu'eût  le  Duc  de  Guife 
du  refus  qu'on  luy  fit ,  &  de  l'élévation  de  fon  ennemi  le 
fait  refoudre  à  ne  plus  rien  ménager. 
.^^^•'  ■  ' 

LIVRE     T  R  O  I  S  I  E'  M  E. 

PLufeeurs  prcdigss  qui  préfagent  les  malheurs  qui  vont 
arriver.  Conférence  de  Nancy  de  toits  les  Princes  de  la, 
tJiUijon  de  Lçïmr,e.  LesArtielss  de  k  Requefe  qu'ils  pre^  _ 


DES     LIVRES. 

fcnttnt  au  Roy  contre  l'autorité  Royale.  Diffimnlttlon  du 
£tiy,  fe  voyant  prefc  dy  répondre  précisément.  La  mort  d» 
frtnce  de  Condé  ;  l'éloge  de  ce  Prince.  Le  Roy  prend  enfin  U 
réfolution  de  punir  les  Stiz,e.  Ses  préparatifs  pour  cela.  L'A" 
larme  que  les  Parifiens  en  prennent,  ils  implorent  le  fecours 
du  Bue  de  Gui f,  qui  le  leur  promet.  tJlf.  de  Belliévre  liiy  porte 
a  Soijfons  les  ordres  du  Roy,  qui  ne  'veut  pas  quil  vienne  À 
Paris.  La  réponfe  quil  fit  à  Belliévre  nonobjlant  cet  ordre.  H 
vient  à  Paris.  De/cri ption  de  l'entrée  qu'il  y  fit  avec  des  aC" 
(lamations  &  des  tranjports  de  joye  tout  extraordinaires  des 
Parifcns.  L'irréfolution  du  Roy  quand  il  le  vit  au  Louvre, 
Ce  qui  fe  pajfii  à  leur  entreveùe  &  au  jardin  de  la  Reine. 
Le  Roy  veut  faire  fer  tir  de  Paris  tous  les  Etrangers.  Les 
Ligueurs  s'y  oppofent.  Defcription  de  la  Journée  des  Barrica- 
des. Le  Comte  deBriffac  Les  lommence.  On  les  poujfe  infqu'a 
cinquante  pM  du  Louvre.  Le  Duc  de  Guife  arrefe  le  Bour- 
geois, c^  fait  conduire  au  Louvre  les  Soldats  du  Roy  dejar- 
rncz..  Le  véritable  dejjcin  de  ce  Bue  à  la  journée  des  Barri- 
cades. Ses  demandes  excejjlves.  Le  Roy  craignant  d'eflre  in- 
vefli  fert  de  Paris  en  un  pitoyable  équipage.  La  Reine  Mère 
ncgotie  t accommodement.  Le  Duc  de  Guife  la  fait  rentrer 
finement  dans  fis  interejls.  La  Rcquefle  qu'il  fait  prefcnter 
au  Roy,  contenant  des  Articles  très  préjudiciables  a  fan  au- 
torité. Bijjimulation  du  Roy.  L'éloignement  du  Bue  d' Efper- 
non.  Nouveau  Traité  du  Roy  avec  les  Seigneurs  de  la  Li- 
gue. L'Edit  de  Réunion  contre  les  Huguenots  en  faveur  de 
la  Ligue.  Les  marques  que  le  Roy  laijfe  échaper  de  fon  in- 
dignation qu'il  vouloit  cacher.  Les  Efiats  de  Blois-  La  Ha- 
rangue du  Roy  de  laquelle  les  Ligueurs  font  choquez,  Le 
Duc  de  Guife  y  ejl  le  Maiflre ,  &  y  fait  prendre  des  ré- 
folutions  contre  l'autorité  du  Roy  df  contre  le  Roy  de  Na- 
varre, que  les  Efiats  déclarent  incapable  de  ficceder  à  la 
Couronne,  a  quoy  le  Roy  ne  veut  p.ts  confentir.  il  prend 
enfin  la,  réfolution  de  Je  défaire  du  Duc  de  Guife.  Le  Conjtil 
fecret  qu'il  tient  la  -  deffus.  Les  avis  que  le  Duc  en  reçoit. 
Le  Conjèil  qu'on  luy  donne ,  c^  qu'il  ne  fuit  pas.  L'bifloire 
de  fa  mort  tragique.  L  ' emprifiunement  des  principaux  Li- 

0     tij 


y  • 


SOMMAIRE 

fufurs.  Davila  man^fificment  convaincu  de  faujjeté  daitt 
le  r.iffûrt  qu'il  fut  de  Lt  Conférence  du  Roy  &  du  Légat. 
Biliit  du  Roy  au  Cardinal  Morofini.La  Confrence  qu'ilent 
Mvec  ce  Cardinal  fur  la  mort  des  Guifs.  Le  rejfèntiment 
aue  le  Pâte  Sixte  en  témoigna.  Les  fortes  remontrances 
^ue  luy  fil  le  Cardinal  de  'joyetife.  Le  fentiment  de  ce  Pafe 
contre  la  Ligue  &  contre  les  Guifs.  llfujpend  l'expédition 
de  toutes  les  Bulles  jufqu'a  ce  que  le  Roy  luy  ait  envoyé  de~ 
mander  l'ahfolution.  Ce  que  le  Cardinal  de  ^oyeufe  luy  re- 
montra la  -diffus.  Les  Déclarations  inutiles  que  Le  Roy  fait 
tour  lufificr  fin  action  au  lieu  de  monter  a  cheval.  Le  Duc 
de  Mayenne  fe  fauve  de  Lyon  en  Bourgogne  ou  il  efl  le 
Maijlre.  Le  jouUvement  de  Paru  a  la  nouvelle  de  la  mort 
des  Guifes.  Les  furicufes  déclamations  des  Prédicateurs  de 
la  Ligue  L'horrible  impudence  de  Guinceflrc  Curé  d-  Saint 
Gervais,  qui  en  prefchant  à  Saint  Barthélémy,  fait  lever  la 
main  a  fes  Auditeurs ,  &  mefme  au  Premier  Préfdent. 
L'horrible  empcrtem:nt  du  Curé  Pigenat  dans  lOraifon  Fu- 
fiébre  qu'il  fit  du  Duc  de  Guifc.  Le  fcandaleux  Décret  de  la 
Scrbonnc ,  par  lequel  on  déclare  que  les  Franco U  font  deli- 
Hvre7du  ferment  de  fidélité  qu'on  a  fait  au  Roy.  Les  fu- 
rieux excès  de  la  rage  des  Ligueurs  en  fuite  de  ce  Décret 
contre  ce  Prince  auquel  ils  font  toutes  fortes  d'outrages.  La 
mort  de  la  Reine  Catherine  de  Medicis  j  fin  éloge ,  é-  fit* 
portrait.  Le  Roy  envoyé  la  Ducheffe  de  Nemours  à  Paris  pour 
tn  app.ufcr  les  troubles.  L'extravagance  du  petit  Feuillant. 
Buffy  le  clerc  îtiene  le  Parlement  prifinnier  a  la  Baflille. 
Eloge  du  Premier  Préjident  Achille  de  Harlay.  Le  nom  des 
PreJ.'dens  d"  des  Confeillers  qui  lefuivircnt.Le  Préftdent  Brifi 
fin  à  la  tefle  du  nouveau  Parlement  de  la  Ltguc,  qui  fait  un 
ferment  folennel  de  venger  la  mort  des  Gui  fes.  Les  Ligueurs 
employent  les  enchantemens  contre  le  Roy^en  mefme  temps 
que  Guinée flre  l'accufe  defircelerie  en  plein  Sermon,  ^^r ri- 
vée du  Duc  de  Mayenne  ;  fin  Eloge,  ô'  fin  Portrait.  Le  Roy 
luy  fait  en  vain  de  grandes  offres.  Ses  heureux  commence- 
mens.La  multitude  des  Villes  qui  fe  jettent  dans  fon  parti. 
Son  entrée  dans  Paru,  il  affaiblit  le  Confiil  des  Sei':{e  en 


DES     L  I  V  R  E  1 

^.iu^cniant.  Il  Je  fiit  déclarer  Lieutenant  Général  dtl'Ef- 
tat&  Couronne  de  France.  Le  Roy  prend,  ma  à  trop  tard, 
ies  voyes  de  la  force  ô"  de  la  rigueur.  Les  raifons  qui  l'o- 
Uigent  à  s'unir  avec  le  Roy  de  Navarre.  Le  Traité  de  cette 
mnion.  offres  très  -  avantageufis  du  Roy  aux  Princes  Lor- 
rains qui  les  rcfufent.  Confirence  du  Cardinal  Morofini 
avec  le  Duc  de  Mayenne  /ans  Jruit.  Exécution  du  Traite 
des  deux  Rois.  Leurs  Déclarations'  Leur  entreveûé  à  Tours. 
Exploits  du  D'tc  de  Mayenne.  Il  attaque  é'  emporte  le 
Fauxbourg  de  Tours.  Son  rerour  fans  faire  autre  chofc  Le 
fiege  dr  la  bataille  de  Senlis ,  ou  les  Parifiens  font  défaits^ 
La  défaite  des  troupes  du  fieur  de  Saveufe  par  Chajlillon. 
Les  exploits  du  Roy ,  &  fa  marche  vers  Paru.  Il  reçoit  a 
Eflampes  la  nouvelle  du  foudroyant  Monitoire  du  Pape 
Sixte  contre  luy.  il  prend  J on  quartier  a  Saint  cIju.  L'e- 
xécrable parricide  commis  en  fa  perfonne.  Sa  mort  tres- 
chrefiienne  (^  très  -faint<. 


LIVRE     QJJATRIE'ME. 

TTEnry  I  V .  efl  reconnu  R  ,y  de  France  par  les  Catholi- 
Jj.  ques  de  fon  armée ,  &  a  quelles  conditions.  Le  Du£ 
d'Efjcrnon  l'abtndonne ,  &  le  fieur  de  Vitry  fè  jette  dans 
le  parti  de  la  Ligue.  Le  Roy  partage  fon  armée  en  trois 
Corps ,  df  en  mené  un  en  Normandie.  Le  Duc  de  Mayenne 
fait  déclarer  Roy  par  le  Conftil  de  l'Vnion  le  Cardinal  de 
Bourbon  fous  le  nom  de  Charles  X .  Ecrits  pour  le  droit  de 
l'oncle  contre  le  neveu,  d"  du  neveu  contre  l'oncle.  Le  Duc 
de  Mayenne  fe  met  en  campagne  avec  une  puijfinte  armée, 
d!'  fuit  le  Roy  en  Normandie.  La  bataille  ou  Us  grands  com- 
bats d'Arqués.  La  victoire  du  RoyyÇ^  la  retraite  dit  Duc  de 
Mayenne.  L'attaqué  ér  la  prif  des  Fauxbourgs  de  Paris 
par  le  Roy.  L'intelligence  du  Prcftdent  de  Blanc- Mefuil  avec 
le  Roy.  Eloge  de  ce  Préfident.  Exploits  du  Roy  dans  les 
Provinces.  Propofiiions  du  Légat  Caïetan  ô"  des  Ej'pagnols 
*«  Confeil  de  L'Vnion.  Le  fieur  de  Ville  -  B.ay  en  déi,»Hvre 


SOMMAIRE 

taftlfce  ait  Dhc  de  Mayenne,  qui  fe  réfout  de  s'y  opfojèr. 
Eloge  de  ce  grand  Minière  iEftat.  Nouveau  Décret  de  lit 
Sorbonne  contre  Henry  IV.  Nouveau  ferment  que  le  Légat 
fait  faire  aux  Ligueurs.  Le  Roy  met  le  fiege  devant  Dreux, 
Le  Dite  de  Mayenne  marche  au  fecours  des  ajjîegez,  ce  qui 
donne  lieu  a  la  bataille  d'Ivry.  Defcription  de  cette  bataille. 
L'ordre  des  deux  armées.  La  viifoire  entière  du  Roy.  Ses 
exploits  après  fa  viéioire.  il  eft  repouf  é  devant  Sens  par 
le  fteur  de  chanvdlon ,  c^  va  mettre  le  ficgs  devant  Pa- 
ris. L'efiat  ou  fe  trouvoit  la  Ville  en  ce  temps -la.  L'ordre 
que  le  jeune  Duc  de  Notnours y  mit  pour  foufienir  le  fiege. 
i^ttaque  du  Fauxhourg  Saint  Martin  par  la  Noué  qui  en 
fut  repouf  é.  Pourquoy  le  Roy  ne  veut  pas  employer  la  for- 
ce. Horrible  famine  dans  Paris.  Les  chofes  qui  contribuè- 
rent a  faire  réfoudre  les  Parifens  à  tout  foujfnr  plùtoft 
qite  de  fe  rendre.  La  montre  bizarre  que  firent  les  Eccle- 
Jtafiques  &  les  Moines  pour  encourager  le  peuple.  Le  Lé- 
gat Caïctan  qui  la  regardoit  faillit  à  y  eflrc  tué.  L'arri- 
vée du  Duc  de  Parme  qui  f  court  Paris.  Deux  entreprifes 
fur  Paris  pour  le  furprendre ,  l'une  par  efcaUde,  &  l'autre 
par  un  flratageme  ,  n'ont  point  de  fuccés.  La  retraite  du 
Duc  de  Parme.  Le  fiege  ^  la  prife  de  Chartres  par  l'adreffe 
de  chaflillon.  La  mort  de  ce  Comte,  &  fon  éloge.  Le  Duc 
de  Parme  rend  fu(f  cet  le  Duc  de  Mayenne  au  Roy  d'Eff>a- 
gne  qui  fouflient  les  SeiT^  contre  luy.  Le  Pape  Sixte  fe  defii- 
bufie  en  faveur  du  Roy.  Grégoire  X  I  V.  fe  déclare  pour  la. 
Ligue  contre  le  Roy  qu'il  excommunie.  Sa  Bulle  cfi  condam- 
née-, éf  ne  fait  aucun  effet.  Conférence  des  Princes  Lorrains 
à  Reims.  Le  Préfident  fannin  va  pour  eux  en  Pfiagnci 
fin  éloge,  &  fa  negotiation  adroite.  Le  Roy  Philippe  déclare 
imprudemment  qu'il  a  defcin  de  faire  élire  Reine  de  France 
l' Infante  fa  fille.  lM.  de  Mayenne  rompt  avec  les  Effa- 
gnols.  La  divifion  entre  les  Princes  Lorrains.  Le  jeune  Duc 
de  Guife  receit  des  Ligueurs  qui  le  portent  contre  fon  oncle. 
L'horrible  violence  des  Seize ,  qui  font  pendre  le  Préfident 
Briffon  dr  deux  Confeillers.  La  jufle  vengeance  que  le  Duc 
de  Mayenne  en  prend.  Leur  faction  entièrement  abbatuè 

p.ir 


DES     LIVRES. 

fâr  ce  'Duc  &  piy  les  bons  Bourgeon.  Le  fiege  de  Rouen. 
Le  Duc  de  Parme  inent  au  fccours.  Le  comb.it  d'Aum.ilc. 
Lit  belle  fortie  de  VilLirs  Gouverneur  de  Rouen.  Le  Roy 
levé  le  fege ,  ô"  peu  de  jours  après  ^JJiege  l'armée  du  Duc 
de  P.imie.  L'Admirable  retraite  de  ce  Duc  Conférence  de 
du  Flefjls  -Uorn.iy  &  de  Ville-  Roy  pour  la  pai.x.  Ce  qui 
en  rijiilte  pour  la  converjion  du  Roy.  Les  Papes  Innocent 
IX.  &  Clément  FI II.  pour  la  Ligue.  Mort  du  Duc  de 
Parme.  Ulf.  de  Mayenne  ajfemble  enfin  les  Eftats  Généraux 
de  la  Ligue  a  Paru.  Lhijîoire  de  ces  prétendus  Ejlats. 
.Uiî.  de  Mayenne  y  fait  accepter  la  Conférence  de  Surefne 
malgré  le  Légat.  Les  Harangues  des  Archevefques  de  Bour- 
ges 0"  de  Lyon  y  &  l'hijloire  de  cette  Conférence.  Olî.  de 
Mayenne  empefcbe  adroitement  dans  les  Ejl.its  qii on  ne  fajfe 
l'élection  d'un  Roy.  Hifioirc  de  la  Converjion  de  Henry  I V. 
L'Abfolution  qu'il  demande ,  qu'on  luy  donne  enfin  à  Ro^ 
me.  Réduction  de  pluficurs  Seigneurs  ^  Villes  de  la  Ligue 
AU  fervice  du  F.oy.  Son  entrée  dans  Parts.  Le  comb.it  de 
Fontaine  -  Françoife.  Traité  du  Duc  de  Mayenne,  &  l'Edit 
que  le  Roy  fait  en  fa  faveur.  Traité  du  Duc  de  Joyeufe , 
(j-  fa  féconde  entrée  dans  l'Ordre  des  Capucins.  Traité  di* 
Duc  de  Mer  cœur,  &  l^  fft  de  la  Ligue. 


Vage   zç-f..  l.  -f.  du  Mayne  ,  lifea,  de   Mayne.  Fage  S07.  l.  }.  AtocM 
en  Parlement,  lifez,  au  Parlement. 

Dans  l'Hifioire  du  Calvinifme ,  p.  ^rr.  du  grand  volume ,  Q'  nf.  ist 
S.  terne  du  fetit  vol.  durant  la  petite  paix  ,  «/«^petite. 


ZL/iiU  i  c:IH 


HISTOIRE 


I 


HISTOIRE 

D  E  .        .- 

LA    LIGUE. 


LIVRE     PREMIER. 

UoY-QUE  cet  Ouvrage  que 
j'entreprends  foit  une  fuite  na- 
turelle de  l'Hirtoire  du  Calvi- 
nifinc  :  il  eft  pourtant  certain 
que  le  fujet  que  j'y  traite  n'a 
point  du  tout  de  rapport  à  cette  Hérefîe.  Car 
ce  ne  fut  pas  le  dclir  de  conferver  en  France 
la  Foy  Catholique,  ni  un  vray  motif  de  Re- 
ligion qui  fit  naiftre  la  Ligue,  comme  le  peu* 

A 


1        Histoire    de    la    Ligue. 
pie  qui  n  a  jamais  fceû  pénétrer  dans  le  fecret 
de  cette  funefte  cabale  le  l'eft  toujours  per- 
fuadé.    Ceft  aux  deux  pafTions  qui  ont  pro- 
duit de  tout  temps  les  effets  les  plus  tragiques 
dans  le  monde,  je  veux  dire  à  Tambition  6c  à 
la  haine,  que  l'on  doit  rapporter  Ton  origi- 
ne. Il  eft  vray  que  les  Peuples  ,  ÔC   lur  tout 
les   Ecclefiaftiques ,   qui   croyoient  avoir   lieu 
de  craindre    pour  la  Religion  ,   fi   celuy  que 
la  Loy  fondamentale  du  Royaume  appelloit 
à  la   Couronne    montoit    fur  le  Trône,   fu- 
rent  réduits  par   cette   belle    apparence  d'un 
véritable  zèle,  qui  Icmbloir  cftre  l'ame  de  la 
Ligue.     Mais  il  ne  fera    pas  fort  malaifé   de 
découvrir  ,  dans   la   fuite   de'  cette  Hilloire , 
que  ceux  qui  ont  efté   les   Auteurs  de    cette 
Confpiration  fe  font  fervis  d'un  prétexte  aufli 
fpecieux   que  celuy  de  la  Religion,   pour  a- 
bufer  de  la  crédulité,  &c  mcfme  de  la  pieté 
des  Peuples,  &c  pour  les  rendre  impies,  fans 
qu'ils  s'en  apperceuffent,  en  les  animant,  &c 
les  armant  contre  leurs  Rois,  pour  arracher, 
s'ils  reuffent  pu,  le  dernier  rejetton  de  l'au- 
o-ufte   tige   de  la   Maifon    Royale  ,    &c  pour 
établir  lur  fcs  ruines  la  domination  d'un  Ef- 
iranger. 

Et  comme  l'on  ne  peut  exécuter  une  injuftc 
cntrepnfe  que  par  des  moyens  aulTi  pernicieux 
&  déteftabks  que  la  fin  qu'on  s'eil:  propofée  : 
aulTi  verrait-on  dans  la  fuite,  6c  dans  le  pro- 


Livre  L  t?i:-î  ^ 
grés  de  la  Ligue  plus  de  defordres  encore  6c 
plus  de  maux  que  n'en  produifit  jamais  le  CaU 
Vinifme ,  contre  lequel  il  fembloit  qu  elle  fuft 
uniquement  armée  :  en  cela  pourtant  très- 
femblable  à  ce  formidable  parti  formé  con- 
tre l'Eglife  Catholique,  que  n'ayant  pas  de 
fon  colté ,  non  plus  que  cette  Hérefîe,  le  Diea 
des  armées  ,  elle  fut  toujours  malheureufe 
dans  toutes  les  batailles  qu'elle  donna,  pour 
accabler  cette  puiflance  légitime,  qui  renverfa 
fur  elle  toutes  les  machines  qu'elle  avoic  élo- 
vées  pour  la  détruire. 

En  effet,  on  fera  furpris  de  trouver  dans 
la  fin  6c  dans  les  fuites  de  la  Ligue,  par  un 
merveilleux  coup  de   la  Providence   divine, 
des  révolutions  toutes  contraires  à  celles  qu'on 
en  attendoir.    D'une   part,  la   très  -  Auguftc 
Maifon  de  Bourbon,  que  l'on  prétendoit  abif- 
mer ,  glorieufement  élevée  à  ce  fuprême  degrc 
de  puiifance  &  de  gloire  où  nous    la  voyons 
aujourd'huy  avec   l'admiration    de    toute  la 
terre.    Et  de  l'autre  ,  de  ces  deux  puiffantes 
Maifons  qui  s'eftoient  unies  pour  s'élever  en 
la  ruinant,  l'une  extrêmement   abbaiflee,  Sc 
l'autre  prefque  anéantie.   Tant  les  delfeins  de 
Dieu  font  differens  de  ceux  des  hommes,  &c 
tant  il  y  a  peu  de  fondement  à  faire  fur  U 
fagelTe  &  la  politique  humaine,  quand  elle  n'a 
pour  fe  conduire  que  la  pafi^ion  déguifée  fous 
une  vaine  apparence  de  pieté  ôc  de  Religion, 

A  i; 


4  Histoire  de  laLigue. 
C'eft  ce  que  je  veux  faire  voir  en  dévelopant 
les  fecrets  &  les  myfteres  cachez  de  la  Ligue, 
çin  exporant  fes  entreprifes  criminelles  &  mal 
concertées,  &c  prefque  toujours  malheureufes , 
&  en  montrant  dans  fa  fin  le  fuccés  qu'elle 
eût  entièrement  contraire  à  fes  defleins ,  par 
la  haute  élévation  de  ceux  qu'elle  vouloit  op- 
primer. Mais  il  eft  necclTairc  que  nous  voyions 
auparavant  quel  eftoit  l'eftat  de  la  France 
quand  ce  dangereux  parti  s'y  forma  contre 
l'autorité  fuprême  de  nos  Rois.  : 

'  La  fureur  des  guerres   civiles,  qui  avoient 

^nn.     ^q[q\^    fout  le    Royaume   fous    le  règne  de 
^j'74-    Charles  IX.  paroilfoit  eftre  prefque  entiere-- 
ment  éteinte  depuis  le  quatrième  Edit  de  Pa- 
cification qui  s'elloit  fait  au  fiege  de  la  Ro- 
chelle 5  ôc  Cl  l'Eftat  n'eftoit  pas  encore  tout- 
à-fait  tranquille,  on  n'eftoit  pas   du  moins 
dans  l'agitation  d'une  violente  tempefte  :  lors 
qu'après  la  mort  de  ce  Roy,  ion  frère  Henry 
Roy  de    Pologne   fe   rendit  en  France ,   où 
il  prit  pofTefiion    de   la   Couronne   qui   luy 
cftoit  aquife  par  le  droit  de  fa  naiifance.  C'cf- 
toit  un  Prince,  qui  à  l'ige  de  vingt -trois  à 
vingt-quatre  ans,  où  il  eftoit  alors,  avoir  tou- 
tes les  qualitez  &  les  perfections  capables  de 
le  rendre  un  des  plus  grands  &c  des  plus  ac-' 
complis  Monarques  du  monde.  Car  outre  qu'il 
eftoit  fort  bien  fait,  de  belle  taille,  d'un  port 
cjctrémemenc  majeftueux,  ayant  le  ion  de  la. 


'% 


Livre!.  ^ 

voix,  les  yeux,  ôc  tous  les  traits  du  vifage  fort    ^  J  7  4- 
doux,  le  jugement  folidc,  la  mémoire  heurcu- 
/è,  beaucoup  de  lumière  &  de  netteté   dans 
J'el'prit ,  &c  dans  les  manières  tout  ce  qu'un 
Prince  doit  avoir  pour  s'attirer  l'afFcdtion  & 
le  rerpedl  de  les  lujets;  il  cÙ.  certain  qu'on  ne 
peut  eftre  plus  libéral ,  plus  magnifique ,  plus 
vaillant,  plus  humain,  plus  attaché  à  la  Reli- 
gion, ni  plus  éloquent  qu'il  l'eitoit  naturelle- 
ment &c  fans  art.  Enfin  rien  ne  luy  euft  man- 
qué de  ce  qu'il  luy  falloit  pour  fe  rendre  heu- 
reux, en  faifant  le  bonheur  de  toute  la  France, 
s'il  euft  luivi  les  bons  conleils  qu'on  luy  don- 
na d'abord,  &  s'il  euft  pu  avoir  cette  noble 
ambition  d'eftre  du  moins  toujours  tel  qu'il 
cftoit  fous  le  glorieux  nom  de  Duc  d'Anjou, 
qu'il  avoir  rendu  fi  célèbre  par  mille    belles 
adions,  6c  par  les  fameufes  victoires  de  Jarnac 
&  de  Montcontour.  ■  -      • 

Tout  le  monde  rempli  de  la  haute  idée 
qu'on  avoit  conceûe  de  ion  rare  mérite,  atten- 
doit  de  luy  le  rétablifTement  de  la  Monarchie 
dans  fon  ancienne  fplendeur  ;  &  rien  ne  pou- 
voir afFoiblir  cette  efperance,  que  le  cruel  maf- 
facre  de  la  Saint  Barthélémy,  dont  il  avoit  cfté 
l'un  des  principaux  Auteurs^  &  qui  l'avoit  ren- 
du tres-odieux  aux  Proteftans.C'cft  pourquoy 
comme  il  retournoit  de  Pologne,  l'Empereur 
Maximilien  II.  Prince  qui  gouvernoit  l'Empi- 
re dans  une  grande  paix,nonobftant  la  diver- 

A  iij 


I 6        Histoire  de  la   Ligue. 

1574.  fité  de  créance  qui  le  partageoic  entre  les  Ca-»i 
tholiques&  les  Luthériens  j  le  Doge  de  Venifc, 
&  les  plus  habiles  de  cet  augufte  Sénat,  qu'on 
f(jait  eftre  d'une  prudence  confommée  \  &c 
quand  il  fut  en  France  ,  les  Préfidens  de 
Thou  de  de  Harlay,  les  deux  Avocats  Géné- 
raux Pibrac  &c  du  Mefnil,  ôc  tous  ceux  qui 
eftoient  les  plus  pafTionnez  pour  fa  grandeur 
&  pour  le  bien  de  fon  Eftat ,  luy  confeillerent 
de  donner  la  paix  à  fes  fujets  de  la  Religion 
Prétendue  Réformée ,  pour  guérir  ôc  confoli- 
der  une  playe  qui  avoir  jette  tant  de  fang  à 
cette  funefte  Journée  de  Saint  Barthélémy , 
&  pour  ne  pas  replonger  fon  Royaume  dans 
cet  abifme  de  miieres  où  il  avoit  penfé  pé- 
rir. 

Mais  le  Chancelier  de  Birague ,  le  Cardinal 
de  Lorraine,  &  Ion  neveu  le  Duc  de  Guife, 
qui  avoit  alors  bonne  part  dans  l'honneur  des 
Donnes  grâces  de  fon  Maiftre,  &  fur  tout  la 
Reine  Catherine  qui  s'eftoit  emparée  de  fon 
efprit,  ôc  qui  depuis  la  Saint  Barthélémy  n'o- 
foit  plus  fe  fier  aux  Huguenots ,  l'engagèrent 
à  commencer  fon  Règne  par  la  guerre  qu'il 
leur  fît,  ôc  qui  luy  fut  très  -  defavantageufc. 
De  forte  qu'après  qu'il  eût  efté  honteufement 
repoulTé  de  devant  une  petite  place  du  Dau- 
phiné ,  ils  reprirent  par  tout  les  armes ,  plus 
fiers  ôc  plus  infolens  que  jamais,  ôc  firent  de 
fort  grands  progrés  dans  cette  Pçoviuce,  danj 


Livre     I.  ■  ^        7 

la   Provence,   dans   le   Languedoc,    dans  la     1574. 
Guyenne,  &c  dans  le  Poitou. 

Ce  qui  les  rendit  encore  plus  puifTans  qu'ils 
ne  l'avoient  jamais  cfté,  fut  le  parti  des  Ca- 
tholiques   mécontens  que   l'on   appelloit  Po-     =  - 
litiques^  parce  que  fans  toucher  à  la  Religion, 
ils  protcftoient  qu'ils  ne  prenoient  les  armes 

3ue  pour  le  bien  public,  pour  le  loulagement 
u  peuple ,  &  pour  réformer  les  abus  &c  les  •  '^  - 
defordrcs  qu'on  voyoit  dans  l'Eftat  :  ce  qui  a 
toujours  fervi  de  prétexte  à  la  Rébellion  de 
ceux  qui  fe  font  élevez  contre  leurs  Mailtres 
&  leurs  Rois,  aufquels  Dieu  nous  commande 
de  nous  foumettre,  quoy-qu'ils  abulent  quel- 
quefois de  ce  pouvoir  ibuverain  qu'il  leur  a 
donné,  non  pas  pour  détruire  ôc  pour  démo- 
lir,  comme  il  parle  dans  l'Ecriture  Sainte, 
rnais  pour  édifier,  c'eft  à  dire,  pour  procurer 
le  bien,  &  pour  établir  le  bonheur  de  leurs 
Sujets.  Ces  Politiques  donc  fe  joignirent  aux 
Huguenots ,  félon  la  réfolution  qui  en  fut 
priie  dans  l'AlTemblée  que  tint  à  Montpellier 
au  mois  de  Novembre  de  cette  année  mil  cinq 
cens  foixante  3c  quatorze  Henry  de  Montmo- 
rency Marefchal  de  DamviUe ,  èc  Gouverneur 
de  Languedoc ,  qui  pour  fe  maintenir  dans  ce 
beau  Gouvernement  dont  on  le  vouloit  dé- 
pouiller, forma  ce  parti  Politique,  où.  il  atti- 
ra grand  nombre  de  Noblefle  ,  les  parcifans 
ôc  fes  amis,  &c  principalement  les  Seigneurs  de 


-•s*        Histoire  de  la  Ligué/ 


1J74.  Thorè  &c  de  Meru  Montmorency  fes  frères, 
le  Comte  de  Vantadour  fon  beaufrere ,  &  le 
fameux  Henry  de  la  Tour  d'Auvergne,  Vi- 
comte de  Turenne  fon  neveu ,  qui  fut  depuis 

»  5  9  '•    Marefchal  de  France,  Duc  de  Bouillon,  Prince 

Souverain  de  Sedan,  ôcle  plus  grand  appuydes 

Huguenots. 

~  Mais  ce  qui  acheva  enfin  de  rendre  formi- 

^^'     dable  leur  puifTance ,  fut  que  Monfîeur  &  le 

^^7  5-  Roy  de  Navarre  qu'on  aetenoit,  &c  qu'on  trai- 
roit  affez  mal  à  la  Cour,  s'eftant  évadez,  le 
premier,  auquel,  outre  ceux  qui  l'avoient  fui- 
vi,  accourut  une  bonne  partie  des  troupes  de 
Damville ,  fe  mit  à  la  teftc  de  l'armée  Protef- 
tante,  qui  fut  en  mefme  temps  fortifiée  par 
la  jondlion  du  grand  fecours  de  Reitres  &  de 
Lanfquenets  que  le  Prince  de  Condé  avoir 
amené  d'Allemagne  fous  la  conduite  du  Duc 
Jean  Cafimir,  fécond  fils  de  Frideric  Eledieur 
Palatin.  De  forte  que  dans  la  reveûë  qui  s'en 
fit  prés  de  Moulins  en  Bourbonnois,  elle  fè 
trouva  forte  de  plus  de  trente-cinq  mille  hom- 
mes bien  aguerris,  aulquels  afleûrément  le  Roy 
n'avoit  pas  dequoy  réfifter  dans  le  pitoyable 
cftat  où  il  s'eftoit  mis  luy-mclmc,  par  le  pro- 
digieux changement  qui  fe  fit  dans  fa  con»- 
duite  &c  dans  fes  mœurs  aullitort  qu'il  fut  Roy 
de  France. 

Ce  n'eftoit  plus  ce  vidorieux  Duc  d'Anjou 
qui  s'cftoit  aquis  dans  le  monde  une  fi  haute 

réputation 


Livre    Ï.  <  5>  i- 

rcputation  par  tant  de  belles  adions  qu'il  i;-';. 
avoir  faites,  en  commandant  les  Armées  du 
Roy  fon  frère  en  qualité  de  fon  Lieutenant 
Général  dans  tout  le  Royaume.  Mais  comme 
/î  en  prenant  la  Couronne  de  la  première  & 
de  la  plus  auo;uftc  Monarchie  de  la  Chreftien- 
té,  il  ie  fuft  dépouillé  tout  à  coup,  par  quel- 
que fatal  enchantement,  de  Tes  petfections 
Royales,  il  le  plongea  dans  les  délices  d'une 
honteule  oiiiveté  avq^  fes  favoris  de  Tes  Adi- 
znons,  qui  furent  les  langlues,  &  les  harpies ,  &: 
Te  fcandale  de  toute  la  France,  qu'il  fcmbloit 
leur  avoir  donnée  au  pillage  par  fon  immenfe 
prodigalité.  Il  le  rendit  en  luite  également 
odieux  àc  méprilable  à  les  Sujets  de  l'une  & 
de  l'autre  Religion,  par  une  conduite  bizarre 
^  inconftante.  Car  il  alloit  tantoft  de  débau- 
che en  dévotion,  par  fes  procédons  6i  les  exer- 
cices de  pénitence  qu'on  prenoit  pourhypocri- 
fîe  ;  &  puis  de  dévotion  en  débauche ,  en  cer- 
tains ridicules  amulemens ,  6^  en  mille  occu- 
pations frivoles  tout-à-fait  indignes,  je  ne  di- 
ray  pas  d'un  Roy,  mais  d'un  homme  de  fens 
ralïis,  &:  que  l'Hiftorien  d'Avila,qui  veut  fai- 
re myîtere  de  tout  aux  dépens  de  la  vérité^ 
nous  a  voulu  faire  palTer,  par  une  alTez  plai- 
lante  vifion  ,  pour  autant  d'effets  d'une  tine^ 
&:  déhcate  politique.  Au  reite  ,  pour  fe  dé- 
charger du  fardeau  de  la  Royauté  qui  luy  t;l- 
toit  devenu  tout- à-fait  inllipportable  dans» 


ro        Histoire    de    la   Ligue. 

I  j  y  j.  cette  vie  molle  ôc  efféminée,  il  abandonna 
tout  le  foin  du  Gouvernement  à  la  Reine  la 
mère, qui  pour  l'entretenir  dans  cette  humeur, 
ôc  pour  le  rendre  en  luite  Maiftrefle  ablolue 
des  affaires,  ce  qui  fut  toujours  la  palTion  do- 
minante, ne  manquoit  pas  de  luy  fournir  de 
temps  en  temps  de  nouvelles  amorces  de  plai- 
fir  éc  de  volupté,  &  tout  ce  qui  pouvoit  fer- 
vir  d'écueïl  au  peu  qui  reftoit  de  vertu  ôc 
d'honneur  dans  la  Cour  la  plus  corrompue 
qui  eull  encore  efté  en  France. 

Or  comme  elle  avoir  voulu  que  l'on  fift  la 
guerre  aux  Huguenots,  pour  empcfcher,  en 
les  affoibliffant  autant  qu'il  luy  feroit  polïï- 
ble  ,  qu'ils  n'entreprilîcnt  de  la  troubler  en 
fon  gouvernement  :  aufli ,  quand  elle  les  vit 
avec  une  ii  puilfante  armée  ,  &  le  Duc  Ion 
fils  à  leur  telle,  elle  commença  à  craindre  qu'Us 
ne  fe  rendifl'ent  enfin  les  Maiftres,  de  ne  la  dé- 
pouïllaiTent  du  pouvoir  ôc  de  l'autorité  qu'elle 
vouloir  toujours  retenir  par  quelque  moyen 
que  ce  fuft;  &c  en  luite  elle  fe  réfolut  à  faire 
la  paix ,  par  la  mcfme  raifon  qui  luy  avoir  fait 
entreprendre  la  guerre.  Et  comme  elle  eftoit 
lans  contredit  la  plus  habile  femme  de  ion 
temps,  qu'elle  avoir  un  grand  afcendant  fui 
l'ciprit  de  fes  enfans  qui  n'avoient  pas  la  for- 
ce de  tenir  contre  elle,  ni  de  fe  défendre  de 
fcs  artifices,  &:  qu'elle  n'épargnoit  jamais  rien 
pour  venir  à  fes  fins  :  elle  ménagea  fi  bien  les 


Livre    T.        •  n 

cfprirs  des  Princes  &  des  principaux  Chefs  de  1/75. 
cette  armée,  en  leur  accordant,  fans  peine,  des 
chofcs  tout-à-fait  extraordinaires,  au  delà  mcC- 
me  de  leur  efperance ,  qu'elle  conjura  cette 
tempcfte  qui  s'alloit  décharger  iur  -fa  tefte,  & 
fe  mit  à  couvert  aux  dépens  de  la  Religion, 
parle  cinquième  Edit  de  Pacification,  le  plus 


avantageux  qu'euflcnt  pu  louhaiter  les  Hu^ue-  ^nn. 
nots ,  aulquels  entre  autres  chofes  on  laifTa  i  j  7  <î' 
libre  l'exercice  de  leur  prétendue  Religion  dans 
toutes  les  villes  du  Royaume ,  &c  par  tout  ail- 
leurs, excepté  à  la  Cour  &  à  Paris,  ëc  à  deux 
lieues  aux  environs.  Or  ce  fut  cette  paix  ex- 
trêmement defagréable  aux  Catholiques  qui 
fervit  de  prétexte,  de  fit  naillre  l'occafion  très- 
favorable  d'accomplir  un  defTein  loncr-temps 
auparavant  prémédite,  a  celuy  qui  rut  le  pre- 
mier Auteur  de  la  Ligue  dont  je  parle,  &  qui 
commença  d'en  jetter  les  fondemens  précife- 
ment  en  ce  temps-cy,  de  la  manière  que  nous 
Talions  voir.  --    •  -.      > 

Il  eft  certain  que  les  premiers  qui  fe  font 
liguez,  fous  prétexte  de  Religion,  contre  nos 
Rois,  ont  efté  lesProteftans,  lors  que  le  Prin- 
ce de  Condé  fe  fit  premièrement  leur  Chef 
muet  à  la  Conjuration  d' Amboiic ,  de  puis  fe 
déclara  tout  ouvertement ,  en  commençant  les 
premiers  troubles  par  la  lurprile  d'Orléans. 
Cette  Ligue,  qui  s'eit  toujours  maintenue  par 
la  Yoye  des  armes,  par  les  places  de  feûrctc 

Bij 


—  li        Histoire  de  la  Ligue. 

ij7(j.  que  l'on  fut  contraint  d'accorder  aux  Hugue- 
nots, ôc  par  leurs  intelligences  très  -  criminel- 
les avec  les  Ellxangers ,  julques  à  ce  qu'elle  fut 
entièrement  éteinte  par  la  prile  de  la  Rochel- 
le, &  de  toutes  leurs  autres  villes  &c  places 
fortes ,  fous  le  Règne  du  feu  Roy  de  glorieufe 
mémoire ,  obligea  iouvent  quelques  Catnoli- 
ques  à  fe  liguer ,  fans  la  participation  du  Roy, 
en  certaines  Provinces ,  particulièrement  en 
Languedoc ,  en  Guyenne ,  &c  en  Poitou ,  non 
leulement  pour  fe  défendre  des  iniultes  des 
Huguenots,  mais  aufïl  pom'  les  attaquer,  &  les 
exterminer,  s'ils  euflent  pii,  de  tous  les  lieux 
defquels  ils  s'eftoient  emparez  dans  ces  Pro- 
vinces. Mais  celuy  qui  porta  le  plus  loin  fes 
penfées  à  cet  égard ,  de  qui  fut  le  premier  à 
concevoir  le  deiïein  d'une  Ligue  générale  des 
Catholiques  fous  un  autre  Chef  que  le  Roy , 
fut  le  Cardinal  de  Lorraine,  lors  qu'il  eftoit 
au  Concile  de  Trente. 

Ce  Prince,  dont  le  nom  eft  Ci  célèbre  dans 
l'Hifloire,  ôc  qui  avoit  l'efprit  extrêmement 
vif  ôc  pénétrant ,  le  naturel  ardent ,  impétueux 
&c  violent  ,  une  rare  éloquence  naturelle  , 
beaucoup  plus  de  doctrine  qu'on  n'en  doit 
attendre  des  perfonnes  de  fa  qualité,  6c  que 
ion  éloquence  faifoit  paroiftre  bien  plus  gran- 
de encore  qu'elle  n'eftoit  en  effet,  eftoit  le  plus 
hardi  de  tous  les  hommes  dans  le  cabinet  à 
miaginer-  6c  à  vouloir  entreprendre  de  gran- 


L  I  V  R    E      I,  15  

des  cliofes  Se  de  vaftcs  dcflcins  ;  mais  au/ïi  le  i  î  7  <^- 
plus  timide  &c  le  plus  foiblc ,  quand  il  s'agif- 
ibit  d'en  venir  à  l'exécution,  ôc  qu'il  y  voyoit 
du  péril  :  &  iur  tout,  on  ne  peut  nier  qu'il  n'ait 
eu  toute  fa  vie  une  palTion  demefurée  pour 
TagrandiiTcment  de  fa  Maifon.  Or  comme  il 
vit  le  grand  Duc  de  Guife  Ion  frère  au  plus 
haut  point  de  fa  gloire,  après  la  bataille  de 
Dreux,  où  l'on  peut  dire  qu'il  fauva  la  Reli^ 
gion,  qui  dépendoit  du  fuccés  de  cette  batail- 
le ,  &c  que  tout  le  Concile  retentifToit  des  louan- 
ges de  ce  Héros,  pour  cette  célèbre  vi6toirc 
qu'il  avoir  remportée  prefque  luy  ieul,  après 
la  défaite  ôc  la  prife  du  Conneftablc  :  il  crut 
avoir  trouvé  l'occaiion  favorable  qu'il  atten^ 
doit  de  fatisfaire  pleinement  fon  ambition,  en 
élevant  fon  frère  à  un  rang  où  il  euft  une  au- 
torité fuprême  6c  indépendante  qui  l'égalaft 
aux  plus  grands  Rois.  ;  ^-  '  h 

Pour  cet  effet  il  ne  manqua  pas  de  reprefen-  Le  LAhtureu* 
ter  aux  Principaux  de  l'Affemblée,  &  par  eux  Mem.  dJ'cof' 
au  Pape ,  que  pour  maintenir  la  Religion  à  "'"•  '•  '- 
qui  l'hérefie  faifoit  une  lî  cruelle  guerre ,  par- 
ticulièrement en  France,  il  n'y  avoit  pas  de         "^    ' 
meilleur  moyen  que  de  faire  une  Ligue  où,  .  ... 

l'on  fift  entrer  tout  ce  qu'on  pourroit  de  Prin- 
ces &c  de  grands  Seigneurs,  &c  iur  tout  le  Roy 
d'Efpagnc  lî  puilTant  &  fi  zélé  pour  la  Foy 
Catholique.  Il  ajoufta  qu'il  falloit  que  le  Pape, 
qui  s'en  déclarcroitle  Prote^^eur,  choififl:  dans 

B  uj 


is 


!4        Histoire  de  la  Ligue. 


3j7^.  le  Royaume  un  Chef,  lur  la  pieté,  la  pru- 
dence, la  valeur  &  l'expérience  duquel  on  pull 
fe  repofer,  &:  à  qui  tous  les  Catholiques  fuC- 
fent  obligez  d'obéir,  jufques  à  ce  qu'on  euft 
entièrement  exterminé  les  Hérétiques.  Cette 
propofition  fut  receûë  avec  grand  applaudif- 
lement  j  de  comme  les  efprits  eftoient  alors 
tout  remplis  d'une  haute  idée  de  la  fage  con- 
duite, du  bonheur,  de  des  vertus  héroïques 
du  victorieux  Duc  de  Guife,  on  ne  balança 
pas  à  conclure  que  c'eftoit  luy  qui  devoit  c[- 
tre  uniquement  le  Chef  d'une  fî  glorieule  en- 
treprife.  Mais  la  trifte  nouvelle  de  la  mort  ar- 
rivée fur  ces  entrefaites,  fit  évanouir  tout  ce 
grand  deffein,  que  le  Cardmal,  qui  n'en  per- 
dit jamais  l'idée,  ni  l'efperance  de  la  faire  un 
jour  réiifïir,  ne  put  reprendre  que  dix  ou  on- 
ze ans  après,  qu'il  trouva  que  le  jeune  Duc 
de  Guile  Henri  de  Lorraine  Ion  neveu  elloit 

;r,  en   âge  6c  en  difpofition  de  l'exécuter.   Car 

,  alors  il  propofa  la  mefme  chofe  avec  chaleur 

-  ■       &:  au  Pape  &  au  Roy  d'Efpagne,  qui  entrè- 
rent tous  deux  fans  peine  dans  fes  fcntimens, 

l'a-'é^ru'  *i"^y-4>^e  P^r  clés  motifs  bien  differens  :  le  Pa- 
îr,je  des  jT.  pe ,  par  le  grand  defir  qu'il  avoir  de  voir  l'hé- 
refie  tout -à -fait  exterminée  de  ce  Royaume 
Très  -  Chrcllien  •■>  de  l'Efpagnol ,  par  l'envie 
qu'il  avoit  de  profiter  de  nos  divifions  &  des 
grands  defordres  qu'il  prévoyoit  que  la  Ligue 
fercit  en  France. 


ï-f, 

T 


L  I  V  R  E      î.  i; 

Le  Duc  auflî  de  Ion  coftc ,  qui  avoit  beau-  1^76. 
coup  plus  d'ambition ,  &  bien  moins  de  vertu. 
ëc  d'affcdion  pour  le  bien  de  l'Eftat  que  le 
feu  Duc  Ion  père,  embrafla  de  tout  Ion  cœur 
une  fi  belle  occafion  de  s'élever  d'abord  à  uu 
(î  haut  point  de  pouvoir  &  d'autorité,  en  de- 
venant Chef  d'un  parti  qui  apparemment  dé- 
voie ruiner  tous  les  autres,  ôc  faire  la  loy  à 
tout  le  refte  de  la  France.  Mais  la  mort  de 
fon  oncle  le  Cardinal,  laquelle  furvint  en  ce 
mefme  temps,  rompit  encore  cet  ambitieux: 
deflein,  qu'il  n'abandonna  néanmoins  jamais, 
rélolu  de  l'exécuter  à  la  première  occafion 
qu'il  en  auroit.  Il  ne  la  trouva  que  deux  an,<; 
après,  lors  que  Dom  Joan  d'Auftriche  pafla 
par  la  France  pour  aller  prendre  pofTellion  de 
l'on  Gouvernement  des  Païs-Bas,  Ce  Prince 
qui  pafloit  incognito  ^  ÔC  qui  avoit  déjà  pris  de  ii'U. 
fecretes  liaifons  avec  ce  Duc,  le  vit  à  Join- 
ville  ,  où  après  quelques  conférences  qu'ils 
eurent  enlemble  ,  lans  autre  témoin  que 
Jean  d'Eicovedo  Secrétaire  de  Dom  Joan,  ils 
firent  un  Traité  d'alliance  offenfîve  &:  dé- 
fenfive  pour  s'entr'aider  l'un  l'autre  de  tout 
ce  qu'ils  pourroient  jamais  avoir  d'amis,  de 
moyens  &c  de  forces ,  pour  fe  rendre  Maiflres 
ablblus,  le  premier  dans  fon  Gouvernement 
des  Païs-Bas ,  de  le  lecond,  dans  le  parti  qu'il 
eiperoit  toujours  de  former  en  France  ,  félon 
ks  idées  de  fon  oncle,  tous  prétexte  de  main- 


Addit.  aum 
Mon. 


id       Histoire   de   la   Ligue. 

jjyé.    tenir  la  Religion  Catholique  contre  les  Hu- 


guenot?. 


Quoy-que  les  Hiftoriens  ne  parlent  point 
de  ce  Traité ,  je  croy  pourtant  que  l'on  n'en 
peut  douter,  après  ce  que  le  feu  lieur  de  Pei- 
iii<i.  refc,  fi  connu  de  tous  les  Içavans,  en  a  laifïe 

par  écrit  dans  Tes  Mémoires ,  lur  ce  qu'il  en 
avoir  appris  de  Monfieur  duVair,  qui  le  tenoic 
d'Antonio  Ferez.  Car  ce  fameux  confident 
des  amours  de  Philippe  I  I,  6c  de  la  belle  Prin- 
cefTe  d'Eboh,  avoua  franchement  à  cet  illuftre 
Préfident,  que  pour  le  venger  du  pauvre  Ef- 
covedo,  qui  eftant  retourné  en  Efpagne,  l'a- 
voir voulu  perdre  dans  l'elprit  du  Roy,  il  fit 
fi  bien  comprendre  à  ce  Prince ,  que  ce  Secré- 
taire de  Dom  Joan  fc^avoit  tous  les  delTcins  les 
plus  cachez  contre  l'Eftat,  &  qu'ayant  décou- 
vert la  paflion  du  Roy  Ion  maiftrc  il  traver- 
ioit  fcs  amours,  pour  lervir  le  Prince d'Eboli, 
auquel  il  s'elloit  attaché:  que  Philippes  qui  le 
défaifoit  aifément  de  ceux  dont  il  fe  défioit, 
n'ayant  pas  mefme  épargné  le  Prince  Dom 
Carlos  Ton  fils,  le  fit  aflalliner.  Apres  quoy 
s'eftant  laifi  de  les  papiers,  il  y  U'ouva  ce  Trai- 
té iccrer,  de  les  mémoires  ôc  les  inftruclions 
qui  contcnoient  tout  le  détail  de  ce  projet,  &: 
les  moyens  que  le  Duc  de  Guife  vouloir  em- 
ployer pour  faire  réùflirlon  entreprife,  &dont 
ce  Roy  qui  profitoit  de  tout,  le  lervit  adroi- 
icment  long- temps   après,  pour  engager   fi 

bien 


L  ï  V  R    E      I.  x-j . 

bien  le  Duc ,  qu'il  ne  s'en  pufl:  clcdire,  comme  i  j  7  <î. 
on  le  verra.  Mais  cependant  cette  paix  fi  avan- 
tagcufe  aux  Proteftans  s'eftant  faite  de  la  ma- 
nière que  nous  l'avons  dit ,  ce  Duc  crut  que 
c'cftoit-là  une  fort  belle  occafion  de  commen- 
cer _,  enfe  fervant  du  mécontentement  des  Ca- 
tholiques, a  former  cette  Ligue  ,  de  laquelle 
il  prétendoit  quelque  temps  après  fe  déclarer 
le  Chef.  Voicy  comme  la  chofe  fe  pafia. 

Entre  les  articles  lecrets  de  cette  paix  fi  fa- 
vorable aux  Huguenots,  il  y  en  avoit  un  par 
lequel  on  laiflbit  au  Prince  de  Condé  la  pleine 
joûïCince  du  Gouvernement  de  Picardie,  & 
de  plus,  pour  fa  feûreté ,  la  ville  importante  de 
Peronne ,  où  il  auroit  une  garnifon  qui  fcroit 
entretenue  âux  dépens  du  Roy.  Celuy  qui  ef- 
toit  alors  Gouverneur  de  Peronne ,  elloit  Jac- 
ques Seigneur  de  Humieres, d'Encre,  de  Bray, 
éj  de  plufieurs  autres  lieux ,  qui  avec  tous  les 
grands  biens  qu'il  pofTedoit  d'ailleurs,  &  les 
Gouvernemens  de  Roye  &  de  Mondidier  qu'il 
avoit  encore  avec  celuy  de  Peronne ,  le  ren- 
doient  le  plus  confiderable,  le  plus  riche,  & 
le  plus  puilfant  Seigneur  de  la  Picardie.  Outre 
qu'eftant  d'une  tres-illuilre  nailTance,  &  fils 
du  fage  &:  vaillant  Chevalier  Jean  de  Humie- 
res ,  qui  avoit  elle  Lieutenant  de  Roy  en  Pié- 
mont ,  &  Gouverneur  dj  Roy  Henry  1 1.  A 
cftoit  reipedlé,  aimé  ^  obéi  dans  la  Province^ 
où  il  pouYoïc  tour  par  ion  crédit,  5c  par  la. 

C 


___  i8       Histoire    de    la   Ligue. 

1576.  i^iande  autorité  que  ion  propre  mérite  joint  à 
AJdit.  aux  celuy  de  Ton  père  iuy  avoit  aquife.  Or  corn- 
Mtm.  j^^  jj  avoit  elle  autrefois  allez  maltraité  des 

Seigneurs  de  Montmorency,  qui  l'avoient  em- 
pefché ,  par  la  faveur  qu'ils  pofifcdoient  alors , 
de  recueillir  une  grande  fucceilion  qu'il  croyoit 
Iuy  appartenir,  èc  que  l'un  d'eux  Iuy  dilpu- 
toit  :  il  s'eftoit  donné  au  grand  Duc  de  Guife, 
ennemi  déclaré  des  Huguenots,  Et  ce  Prince, 
pour  attacher  fortement  aux  interefts  &  de  la 
Religion  &c  de  (a  maifon  un  homme  de  cet- 
te importance  qui  Iuy  pourroit  rendre  de 
grands  iervices,  le  fit  créer  Chevalier  de  l'Or- 
dre dans  la  célèbre  promotion  que  François  lî. 
en  fit  à  la  Saint  Michel  de  l'année  mil  cinq 
cens  foixante.  De  iorte  que  le  jeune  Duc  ne 
douta  point  que  l'intereft  que  ce  Seigneur  a- 
voit  de  fe  maintenir  dans  Peronnc,  eftant  joint 
dans  la  prefente  conjonâiure  au  zèle  véritable 
ou  apparent  de  la  Religion,  &  à  l'attachement 
qu'il  avoit  à  laMailon  deGuiie,  il  ne  pull  ab- 
folument  difpofer  de  Iuy  pour  l'exécution  de 
cette  haute  entreprife  à  laquelle  il  eiloit  tour 
dilpofé  ,  Iuy  iemblant  qu'il  n'auroit  jamais 
une  plus  belle  occafion,  &  que  tout  confpi- 
roit  en  la  faveur. 

En  effet,  rien  ne  Iuy  manquoit  de  tout  ce 
qui  pouvoit  concourir,  foit  de  bien ,  foit  de 
mal  ,  pour  fiire  réuffir  ce  qu'il  avoit  forte- 
ment rélolu,particulieiement  depuis  deux  ans. 


L   I  V  R   E      I.  ip 

l^  qui  dans  la  iuitc  le  pouvoir  porter  à  un.    i;7<». 
plus  haut  point  d'élcvation  qu'il  ne  penfoit 
peut-eflre  encore  alors  ,    quelque  haute  idée 
que  l'ambition  luy  eull  fait  concevoir  du  fu- 
blime  decrré  de  gloire  de  de  grandeur  auquel 
il  alpiroit,  C'eftoit  un  Prince,  qui  dans  la  fleur 
&  dans  la  force  de  fon  â2;e  d'environ  trente 
ans,  où  il  eftoit  alors,  avoir  toutes  les  belles 
qualitcz,  ôc  toutes  les  perfections  du  corps  ôc 
de  l'elprit   les    plus  capables  de   charmer  les 
cœurs ,  (3c  d'aquerir  lans  peine  à  celuy  qui  les 
pofl'ede  un  empire  ablolu  fur  l'efprit  des  Peu- 
ples, qui  en  furent  comme  enchantez  ,  Se  en 
devinrent  idolâtres.   Car  il  eftoit  d'une  haute 
ftature  admirablement  proportionnée  ,  toute 
lemblable  à  celle  que  l'on  attribue  aux  Hé- 
ros, ayant  tous  les  traits  du  viiage  parfaite- 
ment beaux,  les  yeux  perçans,  de  pleins  d'un 
certain  feu  également  doux,  aâ:if,  ôc  péné- 
trant, le  front  large,  uni,  de  toujours  ieiainy 
accompagné  d'un  agréable  lourire  à  la  bou- 
che, qui  charmoit  encore  plus  que  les  paro- 
les obligeantes  qu'il  diioit  à  tous  ceux  qui  s'em- 
prefifoient  de  l'approcher,   le  teint  vif,   fort 
blanc,  ôe  vermeil.  Se  que  cette  honorable  ci- 
catrice de  la  blcilure   qu'il  avoir  receûe  à  la 
joûë  gauche  d'un  coup  de  piftolet,  quand  il 
défit  une  partie  des  Reitres  de   Cafimir  que 
Guillaume  de  Montmorency  iieur  de  Thorc 
menoïc  à  Monlieur^  rehaulloit  plus  avanta- 

C  ij 


lo  Histoire  de  la  Ligue. 
j^y  6.  geuiement  que  tout  ce  que  l'artifice  de  la  va- 
nité des  Dames  a  jamais  inventé  pour  don- 
ner plus  d'éclat  à  leur  beauté.  Sa  démarche 
efloit  grave  &c  hautaine,  fans  qu'il  y  paruflni 
orgueil  ni  alïe6lation  ;  &  dans  toutes  (es  ma- 
nières il  avoit  un  certain  air  inexprimable  de 
grandeur  héroïque ,  ou  il  entroit  de  la  dou- 
ceur, de  l'audace  ,  &  de  la  fierté,  fans  avoir 
rien  de  rebutant:  ce  qui  infpiroit  tout  enfem- 
ble  de  l'amour,  de  la  crainte,  &  du  refped 
à  tous  ceux  aufquels  il  parloir. 

Cet  admirable  extérieur  eftoit  animé  d'un 
intérieur  encore  plus  merveilleux  par  les  belles 
qualitez  qu'il  polTedoit  d'une  ame  véritable- 
ment grande,  eftant  libéral,  magnifique  en 
tour,  n'épargnant  rien  pour  fe  faire  des  créa- 
tures, &  pour  gagner  des  perfonnes  de  toutes 
fortes  de  conditions,  fur  tout  la  NoblefTe,  &c 
les  gens  de  guerre,  civil,  obhgeant,  populaire, 
toujours  prell  à  faire  du  bien  à  tous  ceux  qui 
s'adreffoient  à  luy,  généreux ,  magnanime  ,  in- 
capable de  nuire ,  mefme  à  fes  plus  grands  en- 
nemis, autrement  que  par  les  voyes  d'honneur, 
extrêmement  perfuafif,  dilïimulé  fous  l'appa- 
rence d'une  grande  franchife ,  fage  &  prudent 
dans  les  confeils,  hardi,  prompt  &:  vaillant  dans 
T'exécution ,  fouffrant  gayement  toutes  les  in- 
commoditez  de  la  guerre  comme  le  moindre 
des  foldats,  s'expofant  à  tout ,  &  méprifanc 
tous  les  plus  grands  périls  pour  venir  a  bout 


Livre     I.  -  .     "        n 

de  ce  qu'il  avoir  une  fois  entrepris.  Et  ce  qui  ij7<j. 
donnoit  encore  plus  d'éclat  a  tant  de  belles 
qualitez  ,  eftoient  les  défauts  contraires  du 
Roy ,  qui  par  fa  mauvaife  conduite,  beaucoup 
plus  que  par  fon  malheur,  avoir  perdu  l'affe- 
Ction  de  la  plufpart  des  Fran<^ois,  fur  tout  des 
Pariiîens ,  laquelle,  par  le  plus  grand  defordre 
qui  pouvoir  élire  dans  î'Eftat  ,  eftoit  déjà 
comme  palTée  dans  celuy,  qui  de  fon  lujec 
commenqoit  à  eftre  tout  ouvertement  Ion  ri^ 
val,  dans  la  chofe  du  monde  dont  les  Rois 
font  le  plus  jaloux. 

Mais  comme  il  n'y  a  point  de  mine  d'or 
où  ce  précieux  métal  fe  trouve  tout  pur  &c 
ians  mélange  de  beaucoup  de  terre:  aufTi  ces 
grandes  vertus  naturelles  du  Duc  de  Guife 
cftoient  corrompues  par  le  mélange  de  beau- 
coup de  défauts  ôc  de  vices ,  dont  le  principal 
ciloit  ce  defîr  infatiable  de  grandeur  &  de 
gloire,  &c  cette  vafte  ambition  à  laquelle  il 
fit  rout  ferviii  eftant  au  refte  téméraire,  pré- 
fomptueux,  ne  fuivant  que  fon  propre  lens, 
&  méprifant  celuy  des  autres,  Ians  toutefois 
qu'il  y  paruft,  couvert,  fin,  peu  iincere,  &c 
peu  véritable  ami ,  ne  fongeant  qu'a  luy-mef- 
me  ,  quoy-qu'il  fuft  le  plus  carefiant  &  le  plus 
officieux  de  tous  les  hommes ,  tout  le  bien 
qu'il  faifoit  aux  autres  n'eilant  que  pour  aller 
par  là  plus  facilement  à  fes  fins ,  &  couvrant 
toujours  fes  valies  deflem.s  ^u.  prétexte  Ipe- 

G  iij 


11        Histoire  de  la  Ligue. 

iSjC.  cieux  du  bien  public,  &  de  la  confervation 
de  la  véritable  Religion  ,  fe  fiant  trop  à  Ion 
bonheur,  fe  perdant  &  s'aveuglant  luy-mef- 
me  dans  la  profperité  qui  luy  faifoit  gouf- 
ter  avec  tant  de  plaifir  le  bien  prêtent,  qu'il 
ne  Tongeoit  pas  à  prendre  Tes  précautions  pour 
l'avenir  ;  enfin  donnant  trop  à  l'amour  des 
Dames  ,  delquellcs  néanmoins ,  {ans  qu'elles 
le  détournaient  du  foin  qu'il  prenoit  de  fa 
principale  affiire,  il  fe  fervoit  adroitement  pour 
avancer  par  leurs  intrigues  fon  grand  delfein 
lans  qu'elles  s'en  apperceuflent.  Cependant, 
malgré  tous  ces  vices  ,  comme  ils  eitoient 
extrêmement  fubtils  ou  cachez  fous  de  fort 
belles  apparences  &  fous  le  voile  d'une  pro- 
fonde dilfimulation,  èc  que  les  vertus  eiloient 
éclatantes  &  connues  de  toute  la  terre  :  il  eiloit 
univerlellement  aimé  6c  adoré  ,  particulière- 
ment des  Parifiensi  &:  ceux  melmes,  qui  pour 
avoir  mieux  connu  que  les  autres  le  fond  de 
ion  cœur ,  ne  l'aimoient  pas  ,  ne  pouvoient 
pourtant  s'empeicher  de  l'admirer  ■■,  ce  qui  eft 
lans  doute  très-rare,  qu'un  homme  puiife  mé- 
riter tout  enfemble  l'aiïection  des  peuples  &: 
l'admiration  des  perionnes  les  plus  éclairées 
qui  ont  découvert  fes  défauts. 

Voilà  quel  fut  le  fameux  Duc  de  Guife  ^ 
que  cette  belle  marque  du  coup  de  piilolet 
qu'il  avoir  receû  au  viiao;e  dans  un  combat 
oii  il  défit  quelques  troupes  de  Calvinilles  6c 


2-3 


Livre  I. 
ck  Rebelles,  fir  luniommcr  le  Balafré,  &  qui  157  (î. 
cil  ce  temps  dont  je  parle  trouva  toutes  cho- 
ies bien  dilpoiées  pour  commencer  Tcxécu- 
tion  de  Ton  entreprile.Car  il  trouva  lesCatho-^ 
liques  irritez  des  avantages  qu'on  venoit  d'ac- 
corder aux  Huguenots;  les  peuples  lalfez  du 
gouvernement,  ôc  ne  pouvant  loufFrir  que  le 
Royaume  fuft  donné  en  proye  aux  Favoris , 
que  l'on  appelloit  les  Mignons;  la  Reine  Ca- 
therine ,  félon  fon  génie ,  bien-aife  que  les 
chofes  le  troublalfent,  &  mefme  procurant  le 
mal,  pour  le  rendre  neceifaire ,  afin  qu'on  euft 
recours  à  elle  pour  y  apporter  du  remède  ;  les 
Princes  du  Sang  devenus  fufpedts  de  odieux 
à  tous  les  Ordres  du  Royaume,  loit  pour  avoir 
favoriié  les  Huguenots,  foit  pour  s'eftre  pu- 
bliquement déclarez  Calviniftes,  en  renonçant 
à  la  Foy  Cathohque ,  comme  le  Roy  de  Na- 
varre éc  le  Prince  de  Condé  avoient  fait;  le 
Roy  tombé  dans  le  mépris ,  après  avoir  perdu 
l'affeâiion  de  fes  fujets:  luy  au  contraire  eftant 
aimé  ôc  adoré  des  peuples ,  idolâtré  des  Pari- 
iîens,  fuivi  de  la  NoblefTe,  chéri  des  loldats, 
ayant  pour  foy  tous  les  Princes  de  fa  mailon 
puiflans  en  Charges  6c  en  Gouvernemens  ,  ce 
grand  nombre  de  créatures  que  les  bienfaits 
ou  ceux  du  feu  Duc  fon  père  luy  avoient  aqui- 
fes,  la  faveur  du  Pape  ,  le  (ecours  d'Eipagne 
tout  preft  à  l'appuyer,  ôc  fur  tout  la  julBcG 
apparente  de  fa  caufe,  qu'il  prcnoit  grand  loin 


. 14      Histoire   de   là   Ligue, 

ïjyC,  de  faire  connoiftre  à  tout  le  monde  eftre  uni- 
quement celle  de  la  Religion  ,  dont  il  eftoic 
dans  la  créance  univerfelle  le  prote6teur  & 
le  fouftien,  de  pour  k  confervation  de  laquelle 
on  croyoit  qu'il  fe  fuft  dévoué  contre  les  Hu- 
guenots qui  avoient  entrepris  de  l'abolir  en 
ce  Royaume.  Mais  ce  qui  acheva  enfin  de  le 
déterminer,  fut  le  dépit  extrême  qu'il  conceût 
de  ce  que  le  Roy,  duquel  il  elloit  auparavant 
l'un  des  principaux  confid^ns ,  l'avoir  aban- 
donné, en  changeant  tout-à-coup  de  conduite, 
pour  fe  donner  entièrement  à  fes  Mignons, 
^ui  ne  perdoient  aucune  occaiion  de  mal- 
traiter ce  Duc.  Car  le  dépit,  qui  eft  capable  de 
porter  aux  dernières  extrémitez  les  âmes  les 
plus  grandes  Si  les  plus  fenfibles  au  point 
d'honneur,  fît  fucceder  à  fes  premières  incli-> 
nations  la  haine  contre  celuy  qu'il  méprifoit 
déjà  bien  fort  ;  de  cette  haine  ôc  ce  mépris 
cftant  joints  à  l'ambition  qui  le  follicitoit  lans 
cefTe  de  fe  faire  Chef  d'un  aulTi  puifTant  parti 
que  celuy  d'une  Ligue  qui  pafToit  pour  fainte 
dans  l'efprit  des  peuples,  il  ne  balança  plus 
à  fe  prévaloir  d'une  fi  belle  occafion  de  le 
former. 
ohiet.t.i.  Pour  cet  effet,  il  en  fit  dreffer  d'abord  un 
^'^t.  1.  ^'  projet ,  par  une  Formule  que  fes  Emilîaires  de- 
^^"■big.  voient  fecretement  faire  courir  dans  le  Royau- 
me  parmi  les  Catholiques  qui  paroifloicnt  les 
plus  zelez  S^  les  plus  lîmples,  &  parmi  ceux 

qu'on 


L   I  V   R  E       ï,  ij 

qu'on  ftjavoic  cftre  les  plus  attachez  à  la  Mai-  1 5  7  <*. 
Ion  tle  Guilc.  Dans  cette  Formule,  à  laquelle 
on  efloit  obligé  de  foutcrire,  on  promcttoit, 
avec  lerment,,  d'obéïr  à  celuy  qui  feroit  éleu 
chef  de  cette  (ainte  Confédération,  qui  Ce 
failoit  pour  maintenir  la  Religion  Catholi- 
que, pour  faire  rendre  au  Roy  6c  a  fes  fuc- 
celTeurs  l'obéïflance  qu'on  leur  doit,  fans  tou- 
tefois que  Ton  pull  rien  faire  au  préjudice  de 
ce  qui  leroit  ordonné  par  les  Ellats,  ôc  pour 
rétablir  le  Royaume  dans  fes  premières  libér- 
iez dont  il  joûïlloit  ious  le  Règne  de  Clovis, 
Il  fe  trouva  d'abord  allez  peu  de  perfon- 
nes  de  condition ,  &  de  bons  bourgeois  dans 
Paris  qui  olaflent  loulcrire  a  cette  Lio;ue,  par- 
ce que  l'on  ne  fcavoit  pas  encore  bien  précis 
fément  qui  oleroit  s'en  déclarer  le  Chef  j  ou- 
tre que  par  les  ioins  du  Premier  Préiident 
Chriltophle  de  Thou  on  découvrit,  &  en- 
fuite  on  rompit  ôc  l'on  diihpa  fans  peine  les 
AlTemblées  lecretes  qu'on  tenoit  déjà  en  plu- 
fieurs  quartiers  de  la  Ville,  pour  faire  entrer 
dans  cette  Ligue  naiilante  tous  ceux  que  leur 
malice,  ou  leur  faux  zèle,  ou  leur  fimplicitc 
y  pouvoient  engager.  Mais  Monfieur  de  Gui- 
fe  ayant  envoyé  l'on  projet  au  iieur  de  Humieres 
duquel  il  le  tenoit  tort  affeûré,  ce  Seieneur,. 
qui  outre  Ion  attachement  a  la  Maiibn  de 
Guife,  avoit  un.  intereft  particulier,,  <Sc  aufli 
grand  que  celuy  de  lenivimcenir  dans  fonGou- 

•      D 


26       Histoire   de   la  Ligue. 

TfjT.  vcrncmcnc  de  Peronne,  qu'on  luy  olloit  par 
l'Edit  de  May,  pour  donner  cette  importante 
Place  au  Prince  de  Condé,  fît  fi  bien  par  le 
grand  crédit  qu'il  s'cftoit  aquis  dans  toute  la 
Province ,  que  comme  d'ailleurs  les  Picards  ont 
toujours  efté  fort  zelez  pour  l'ancienne  Reli- 
gion, il  obligea  preique  toutes  les  Villes  ôc 
toute  la  NoblefTe  de  Picardie  à  déclarer  hau- 
tement qu'on  ne  vouloit  point  du  Prince  de 
Condc,  parce  que,  diloit-on  dans  le  Ma- 
nifcile  que  Ton  publia  pour  juftifier  ce  refus, 
l'on  fçavoit  de  toute  certitude  que  ce  Prince 
avoir  rcfolu  d'abolir  la  Foy  Catholique,  &c 
d'établir  univeriellement  le  Calvinilme  dans 
la  Picardie. 

En  effet,  on  ne  voulut  jamais  le  recevoir 
ni  dans  Peronne,  ni  dans  le  refte  du  Gouver- 
nement j  &  pour  fc  maintenir  contre  tous  ceux 
qui  voudroient  entreprendre  de  faire  oblerver 
par  force  cet  article  de  la  Paix  qu'on  ne  vou- 
loit pas  accepter,  les  Picards  furent  les  pre- 
miers à  recevoir,  d'un  commun  accord,  de  à 
publier  dans  Peronne  le  Traité  de  la  Ligue  en 
douze  articles ,  où  les  plus  fa^es  mefme  d'en- 
tre les  Catholiques ,  après  l'illullre  Préfident 
'  Chriilophle  de  Thou ,  remarquoient  beaucoup 
de  choies  qui  choquoient  directement  les  plus 
iaintes  Loix  divines  &  humaines. 

Car  dans  le  premier  on  voit  que  les  Prin- 
ces, les  Seigneurs  ôc  les  Gentilshommes  Carho- 


Livre      Ï. 


^7 


liqucs,  en  invoquant  le  nom  de  la  Tres-Sainte 
Trinité,  font  une  aflbciation  &:  une  ligue  of- 
fcn/ïve  ôc  défenfîve  entre  eux  fans  la  permil- 
fîon  &  le  conlentcment  de  leur  Roy,  &  de  leur 
Roy  qui  eftoit  Catholique  aufli-bicn  qu'eux; 
ce  qui  eft  contraue  à  la  Loy  de  Dieu,  qui  or- 
donne que  les  fuiets  foient  tournis  &  unis  à 
leur  Souverain  ,  comme  les  membres  à  leur 
Chef,  quand  melme  il  leroit  déréglé  &  mé- 
chant, pourveû  qu'ils  le  loient  en  des  chofes  od 
il  n'y  ait  point  de  péché  manifell:e. 

Dans  le  tecond,  l'on  ne  veut  pas  qu'on  ren- 
de obéïflance  au  Roy,  que  conformément  aux 
articles  qui  luy  leront  prelenrez  par  les  Eftats, 
au  préjudice  delquels  il  ne  pourra  rien  faire. 
Il  ell  évident  que  cela  rcnverle  l'Eftat  Monar- 
chique ,  pour  établir  en  la  place  une  efpccc 
d'Arillocratie,  contre  une  de  nos  Loix  fonda- 
mentales, qui  veut  que  les  Eltats  n'ayent  que 
voix déliberative  pour  drefler  leurs  Cahiers,  & 
les  preienter  en  toute  hum.ihté  au  Roy  qui  Ics^ 
examine  dans  ion  Conleil,  pour  ordonner  en 
fuite  ce  qu'il  trouvera  jufte  &c  raiionnable.  Ils 
ne  font  pas  la  loy  au  Prince,  qui  eft  &c  leur 
Chef  &c  leur  Maiftre ,  comme  les  Electeurs  de 
l'Empire,  par  certaines  Capitulations,  la  fonr 
aux  Empereurs  d'Allemagne  ,  qui  lont  les- 
Chefs  &  non  pas  les  Maiftres  de  l'Empire  :  mais- 
au  contraire  ,  ils  la  reçoivent  de  leur  Roy;, 
auquel  ils  tont  kulement  de  crçs-humbles  Re- 

D  i| 


1 57  <j. 


iS       Histoire  de    la    Ligue. 

i/7(?.    niontrances  par  les  Cahiers  qu'ils  luy  prefen- 
tent. 

Dans  le  troifiéme,  les  Afiociez  fe  veulent  ren- 
dre maiftres  de  l'Ellat,  quand,  fous  prétexte 
de  le  réformer,  ils  entreprennent  ridiculement 
d'abolir  les  Loix  obfervées  par  nos  Anceftres 
dans  la  troifiéme  &  la  féconde  race,  ^  veu- 
lent rétablir  les  ulages  &  les  couftumes  que 
l'on  pratiquoit  du  temps  du  Roy  Clovis.    Et 
c'eft  là  juilement  ce  qu'ont  voulu  faire  autrefois 
dans  l'Eglife  certains  viiionnaires,  qui ,  fous  les 
beaux  mots  de  Réforme  &  de  Primitive  Egli- 
fe  ,  vouloient  faire  revivre  quelques  anciens 
Canons  qu'il  y  a  plufieurs  iiecles  qu'on  n'obfer- 
ve  plus,  &  fe  donnoient  la  liberté  de  condam- 
■    lier  de  relalchement  èz  d'abus  les  pratiques  ôc 
les  ufages  autorifez  de  l'Eglife,  à  laquelle  il 
appartient,  lelon  la  diverfité  des  temps  &  des 
occafions,  de  faire  de  nouveaux  réglemenspour 
la  police  &  pour  la  dilcipline ,   {ans  toucher 
aux  points  capitaux  qui  regardent  l'eflentiel  de 
la  Religion. 

Enfin,  depuis  le  quatrième  jufqu' au  douziè- 
me ,  on  voit  toutes  les  marques  &  toutes  les 
cntreprifes  les  plus  criminelles  d'une  rébellion 
toute  formée  contre  fon  Prince,  particulière- 
ment en  ce  qu'on  y  promet  une  obéi  llance  exadie 
en  toutes  chofes  au  Chef  qu'on  élira  ;  que  l'on 
cmployera  les  biens  6^  la  vie  pour  fon  fervicej 
que  l'on  fera  dans  toutes  les  Provmces  des  le- 


L    I  V  R   E      î.  '         ip  

vccs  de  deniers  Se  de  foldacs  pour  le  maintien  1 5  7  <î. 
de  la  caufc  commune  y  oc  que  tous  ceux  qui 
fe  déclareront  contre  la  Ligue  feront  vivement 
pourfuivis  par  les  AfTocicz,  pour  s'en  venger 
fans  acception  de  pcrlonne  :  ce  qui  dans  la  vé- 
rité n'eiloit  autre  chofe  que  faire  un  lecond 
Roy  en  France  pour  i'oppoler  au  premier,  con- 
tre lequel  on  s'engaCTcoit  par  ces  terribles  mots, 
fans  acception  de  perfonne,  a  prendre  les  armes, 
s'il  vouloir  empelcher  une  ufurpation  fi  cri-. 
minelle  de  l'autorité  Royale. 

Or  comme  les  grands  maux  font  ordinaire- 
ment contagieux ,  &  qu'une  dangereufe  conf- 
piration  elt  lemblablc  au  venin,  qui  d'une  pe- 
tite partie,  ii  Ton  n'y  applique  promptement 
le  fer  &c  le  feu,  ou  quelque  autre  remède  vio- 
lent, &c  (i  l'on  n'écraie  le  Icorpion  fur  la  playc 
qu'il  a  Laite ,  fe  répand  en  très  -  peu  de  temps 
par  tout  le  corps  :  aulTi  l'exemple  des  Picards, 
faute  d'avoir  agi  d'abord  avec  beaucoup   de 
force  de  de  vigueur  contre  l'Auteur  de  cette 
efpece   de  rébellion,  fut  bientoft  luivi  dans 
toutes  les  Provinces  du  Royaume ,  de  plulieurs 
perfonnes  de  toutes  les  conditions ,  qui ,  fous 
le  beau  prétexte  de  Religion,  s'enrôUerent  fous 
main  dans  cette  Ligue.  Mais  celuy  qui  fe  dé- 
clara le  plus  hautement  pour  ce  parti,  fut  le 
Seigneur  Loûïs  de  la  TrimouïUe ,  qui  fut  de- 
puis Gouverneur  de  Poitou  ôc  du  Pais  d'Au- 
ms.   Car  comme  il  ei^oii;  cxcrimement  ixrité 

Dii; 


— — 30        HïSTôiRè  DE  LA  Ligue. 

aj  7<î.  contre  les  Hus;uenots,  qui,  parce  qu'il  ne  leur 
eftoit  pas  favorable ,  ne  perdoient  point  d'oc- 
cafion  de  luy  faire  infulte,  de  avoient  fouvent 
fait  de  grands  ravages  fur  fes  terres  ,  Ôc  que 
tl'ailleurs  il  eftoit  fort  brouillé  avec  le  Comte 
du  Lude  Gouverneur  de  la  Province,  grand  1er- 
viteur  du  Roy,  il  ne  manqua  pas  de  le  pré- 
valoir de  l'occafion  qui  le  prefenta  de  fe  faire 
Chef  d'un  puifTant  parti  contre  eux,  &  de  fe 
déclarer  pour  la  Ligue,  dans  laquelle  il  fit  en- 
trer une  grande  partie  des  Villes  &  de  la  No- 
blefTe  de  la  Touiaine  de  du  Poitou. 

Ainfila  Li2:ue  fe  forma,  ôc  devint  en  fort 
peu  de  temps  tres-puiflante,  lans  que  le  Roy, 
qui  n'en  pouvoir  ignorer  les  deffeins ,  les  me- 
nées, &  les  dangereules  conlequences,  ou  ofaft,, 
ou  vouluft  s'y  oppoler,  ioit  a  caule  de  ce  fa- 
tal afToupiflement  où  il  eftoit  plonge  dans  les 
délices,  &  rina«5tion  d'une  vie  molle  ennemie 
du  travail  &  de  l'application  aux  affaires;  foiç 
parce  que  la  Reine,  qui  n'eftoit  encore  alors 
de  cette  cabale  avec  les  Guifes  que  par  la  hai- 
ne qu'elle  portoit  aux  Huguenots  qui  avoienr 
entrepris  de  la  ruiner,  luy  fift  accroire  qu'il  fc 
devoir  (ervir  de  cette  Ligue  pour  les  afïoiblir 
de  les  abbaiiTer,  en  leur  oftant  par  là  tous  ces 
grands  avantages  qu'ils  n'avoient  obtenus  que 
par  force  dans  la  dernière  paix  £  odieule  &  fi 
mfupportable  aux  Catholiques. 

Ei  c'eft  ce  qui  fe  fit  aux  premiers  Lftats  de 


L  I  V  R  E     I.  5r 

Bloi'î,  qui  commencèrent  au  mois  de  Novembre  1^7^- 
de  cette  melme  année.  Les  Protcftans  les  avoient 
demandez  très  -  mftamment  quand  on  fit  ce 
dernier  .Traité,  ne  doutant  pomt  que,  comme 
ils  eftoient  jomts  aux  Politiques ,  ils  n'y  ful'- 
fcnt  les  plus  forts,  &c  qu'enfuite  ils  n'y  fifTent 
confirmer  l'Edit  de  May  qui  leur  eftoit  fi  favo- 
rable. Mais  ils  furent  trompez  dans  leur  at- 
tente. Car  il  fe  trouva  que  par  les  pratiques  de 
Ja  Reine  Mère  ôc  des  Guifes,  &  par  l'argent 
qui  fut  diifribué  dans  les  AlTemblées  particu- 
lières des  Provinces,  non  ieulement  prelque 
tous  les  Députez  eftoient  Catholiques ,  mais 
aulli  que  la  plulpart  d'entre  eux  eftoient  de  la 
Li2;ue.  De  iorte  que  lans  avoir  égard  aux  pro- 
teftations  du  Roy  de  Navarre  6c  du  Prince  de 

Condé  contre  les  Eftats,  &  après  le  refus  que — 

ces  deux  Princes  &c  le  Marefchal  de  Damville  y^nn. 
Chef  des  Politiques  firent  d'y  afilfter  ,  com-  i  J  7  7- 
me  ils  en  furent  vivement  lollicitez  par  une 
iolennelle  dépuration,  l'on  révoqua  l'Edit  de 
May  i  l'on  défendit  tout  exercice  de  la  Pré- 
tendue Réforme  j  &c  tous  les  Miniftres  &  les 
iurveillans  furent  bannis  du  Royaume  par 
un  nouvel  Edit,  jufques  à  ce  qu'ils  fulfent  con- 
vertis. Voilà  comme  les  Proteftans  trouvèrent 
que  la  Ligue  qu'ils  n'apprchendoient  pas  en-> 
core,  cftoit  déjà  beaucoup  plus  forte  qu'eux, 
dans  les  Eftats ,  commue  le  Roy  l'avoïc  ef- 
pcré. 


— — 32-  Histoire  de  la  Ligue. 
^Sll'  Mais  d'autre  part  aufli  ce  Prince  s'apperceûc 
bientoft  qu'elle  n'agiflbit  pas  avec  moins  de 
vigueur  &  d'artifice  pour  affoiblir  ion  auto- 
rité, que  pour  abbatre  le  parti  des  Huguenots. 
Car  on  eût  l'audace  de  luy  demander  que  les 
articles  qui  ieroient  approuvez  du  confcnte- 
ment  des  trois  Ordres  paiTairent  pour  des  Loix 
inviolables  fans  que  l'on  y  puft  rien  changer  ; 
&:  que  pour  les  autres  iur  leiquels  on  ne  ie- 
roit  pas  demeuré  d'accord,  SaMajefté  en  pull: 
ordonner  conformément  à  ce  qui  ieroit  trou- 
vé jufte  &  raiionnable  de  l'avis  des  Princes 
&  de  douze  Députez  des  Eftats:  ce  qui  eftoit, 
à  proprement  parler,  ravir  au  Roy  le  fouvc- 
rain  pouvoir  de  faire  des  Loix  &  des  Ordon- 
nances, &:  le  tranfporcer  aux  Elfats  félon  le 
projet  de  la  Ligue.  Cela  fans  doute  le  iurprit: 
mais  il  fut  encore  bien  plus  étonné,  quand  on 
,  -  luy  fit  voir  en  ce  mefme  temps  les  mémoires  de 

l'Avocat  David,  qui  contenoienr  certaines  pro- 
pofitions  les  plus  horribles  &  les  plus  détefta- 
bles  qu'on  puiffe  jamais  concevoir. 

Car  là  cet  homme ,  qui  n'eftoit  qu'un  mife- 
rable  Avocat  de  cauies  perdues,  poie  d'abord 

c»'itt.  t.  !.    comme  un  principe  indubitable ,  Que  la  bmcdi- 

Mem.  de  la         ri-  f  r,  r  r^ ri  r    ^ 

Ligue,  é'c-  <:tion  que  les  Papes :,  cJr  Jur  tout  tjhenne  II.  ont 
donnée  a  la  feule  race  de  Charlemame ,  ne  s'cfl  poini 
(tendue  fur  celle  de  Hugues  C^pet^  ujurpateur  de  la 
Couronne;  (jr  qu'au  contr'aire,  il  a  par  cette  ujurpatlon 
Attiré  fur  fe s  defcencLms  les  mdedicîions  dont  on  a  veâ 

Us 


Livret.  33 

les  fùnejies  effets  en  tant  d'herefes  ,  (^  fur  tout  1577. 
en  celle  des  Caivinifles  ^  qui  ont  dejolé  le  Rojaumc 
par  les  Guerres  Cinjiles ,  lesquelles  après  les  victoires 
tnjrHèlueufes  qu'on  a  gagnées  fur  eux ,  ont  ejîéjui'vies 
d'une  paix  très  -  avantageuje  à  ces  Hérétiques.  Que 
Dieu  néanmoins  j  dont  le  propre  ejl  de  tirer  le  bien  du 
mal.  Je  veut  fervir  de  l'extrême  horreur  que  tous  les 
bons  Catholiques  ont  conceùë  de  cette  malheureufe  paix, 
pour  rétablir  dans  leurs  droits  les  Princes  Lorrains , 
quiJoHtj  comme  cet  Avocat  le  prétend,  &  com- 
me on.  le  faifoit  accroire  au  peuple,  la  vraye 
tojlerité  de  Charlemagne.  Il  en  fait  en  fuite  un 
fort  grand  éloge ,  les  élevant  infiniment  par- 
delTus  les  Princes  du  Sang  Royal,  dont  il  fait 
une  horrible  fatyre.  Après  quoy  il  propofc 
les  moyens  qu'il  faut  employer  pour  foule- 
ver  les  Peuples  contre  eux,  ôc  pour  les  op- 
primer dans  les  Eftats  auffi  -  bien  que  les  Hu- 
guenots ,  voulant  qu'on  oblige  le  Roy  à 
leur  déclarer  la  guerre  ,  &c  à  donner  le  com- 
mandement des  armées  au  Duc  de  Guile.  PuiSj, 
ajoufte-t-il,  quand  ce  Prince^ qui  aura  bientofi  ex^ 
terminé  les  Huguenots,  Je  Jera  rendu  maijlre  des  prin- 
cipales villes  du  Rojaume ,  ^  que  tout  pliera  fous  la. 
puijjknce  de  la  Ligue,  il  Jèra  faire  le  procès  a  Aion- 
fieur,  comme  a  un  fauteur  mamfejle  des  Hérétiques  ;  cjt 
Après  avoir  rafé  ^  confiné  le  K,oj  dans  un  Couvent, 
il  recevra ,  avec  la  benediéîion  du  Pape ,  la  Couronne, 
fera  recevoir  le  Concile  de  Trente ,  foumettra  les  Fran- 
pis ,  fans  aucune  refri^ion ,  à  l'ohé'ijfance  du  Samt 


_— -  54       Histoire  de  la   Ligue. 

j  ^  -,  -,^     Sieae,  &  abolira  toutes  les  prétendîmes  liberté:^  de  l'E' 
zlife  Gdlicane. 

Il  faut  reconnoiftre  de  bonne  foy  qu'on  ne 
peut  pas  dire,  comme  quelques-uns  fe  le  font 
imao-iné,  que  les  Huguenots  ayent  luppolé  ces 
terribles  Mémoires  qu'ils  firent  imprimer,  pour 
rendre  la  Ligue  odieufe  &c  exécrable  à  tous  les 
bons  Franc^ois.  Car  il  ell:  certain  que  cet  Avo- 
cat, qui  haïiroit  mortellement  les  Huguenots, 
defquels  il  avoit  efté  maltraité ,  6c  qui  en  fuite 
s'eftoit  entièrement  dévoué  à  la  Ligue  ,  en- 
treprit luy-meime  tout  exprés   le  voyage  de 
Rome ,  pour  y  porter  ces  Mémoires,  &  les  pre- 
fenter  au  Pape,  afin  de  l'engager  dans  ce  par- 
ti ^  &  qu'ayant  efté  tué,  par  je  ne  fçay  quelle 
aventure  fur  les  chemins,  on  les  trouva  dans 
fa  valife.   Outre  que  le  Seigneur  Jean  de  Vi- 
vonne  AmbalTadeur  du  Roy  en  Elpaane  luy 
en  envoya  une  copie,  l'afleûrant  qu'on  les  avoit 
fait  Voir  au  Roy  Philippes,  Mais,  pour  en  di* 
re  nettement  la  vérité,  il  y  a  très -grande  ap- 
parence que  ces  Mémoires  ne  iortirent  jamais 
que  de  la  tefte  creufe ,  &  de  l'imagination  bief- 
fée  de  ce  fou  d'Avocat,  qui  troublé  de  fa  paf- 
fîon,  jetta  fur  le  papier  toutes  fes  furieufes  rê- 
veries ÔJ  fes  fonges  chimériques,  pour  en  for- 
mer ce  ridicule  projet,  que  l'on  ne  peut  lire 
fans  y  découvrir  auftitoft  toutes  les  marques 
d'un  efprit  pitoyablement  égaré.     Le  Duc  de 
Guife,  quelque  ambition  qu'il  cuft,  n'eftoit  pas 


Livre     I. 


3; 


fi  foible  que  de  donner  dans  ccç  cxtravagan-  i  $-}•], 
ces  i  &:  s'il  eût  l'audace  de  porter  fes  penlces 
jufcju'au  Trône  ,  ce  ne  fut  que  long  -  temps 
après ,  &  lors  qu'il  vit  que  Monfieur  eftant 
mort,  &  le  Roy  fans  apparence  qu'il  deuft  ja- 
mais avoir  d'entans,  la  fuccelTion  rc^ardoit  le 
Roy  de  Navarre,  que  ce  Duc,  fous  prétexte 
que  ce  Prince  eftoit  retombé  dans  l'iiérefie, 
crut  qu'il  pourroit  ailément  faire  exclure  de  la 
Couronne,  pour  s'emparer  luy-melme  du  Trô- 
ne Royal  en  la  place. 

Ce  qu'il  y  a  de  bien  certain,  c'eft  qu'il 
n'y  eût  jamais  de  malice  ni  plus  noire  ni  Mem.  de  u 
plus  groiliere  que  celle  de  cet  Ecrivain  Pro-  '^" 
reliant ,  qui  a  compilé  les  Mémoires  de  la  Li- 
2;ue,&:  qui  veut  que  ces  articles, qui  iont con- 
tenus dans  ce  milerable  écrit  de  l'Avocat  Da- 
vid, ne  loient  qu'un  extrait  d'un  conicil  le- 
cret  tenu  à  Rome  dans  le  Confiftoire  par  le 
Pape  Grégoire  XIII.  pour  exterminer  la  race 
Royale,  &  pour  mettre  les  Princes  Lorrains  lur 
le  Trône.  Car  il  eft  d  faux  que  ce  Pape,  qui 
cftoit  extrêmement  iage  àc  modéré,  ait  jamais 
rien  fait  de  pareil,  qu'au  contraire,  il  refufa  M.dt-^everr-, 

^  1^1  1       T  •  Traité  di  la 

toujours  conitammcnt  d'approuver  la  L\<^\iz ,  fr.fc  des  A.r. 
quelque  inllance  qu'on  luy  en  fift  ;  àc  quoy-  ^^^lâ.t.i.p.u 
qu'on  luy  promiil,  pour  l'y  engager  par  Ion 
intercft,  de  commencer  l'exécution  de  ce  ^rand 
projet  par  chafl'cr  tous  les  Huguenots  du  Com- 
tac  d'Avignon  de  du  Dauphiné,  afin  de  kut 

E  1) 


—  3'        Hisforke  ©E  LA  Ligue. 

/^  7  7.  ofter  tout  moyen  de  troubler  l'Eftat  de  l'Egli- 
fe,  &  de  pafTer  en  Italie:  répondant  au  refte 
toujours  à  ceux  qui  luy  propofoient  fans  ceflc 
le  bien  &  la  feûreté  de  la  Religion  pour  faire 
valoir  cette  Ligue,  que  cela,  félon  luy,  n'ef- 
toit  qu'un  prétexte ,  èc  que  ceux  qui  i'avoient 
faite  avoient  d'autres  deffeins  cachez,  qu'ils n'a- 
voient  eu  garde  de  faire  paroiftre  parmi  les 
articles  de  leur  alTociation. 

Cependant  ces  pernicieux  Mémoires  joints 
aux  proportions  extrêmement  audacieufes  des 
Ligueurs,  firent  que  le  Roy  commenta  d'ap- 
préhender bien  fort  que  cette  Ligue  ne  fuft 
contre  luy  plus  encore  que  contre  les  Hugue- 
nots pour  le  dépouiller  de  fon  autorité.  Et 
comme  il  n'avoit  pas  le  cœur  de  prendre  une 
réfolution  forte  Se  généreufe  d'opprimer  un  fi 
dangereux  parti  dans  fa  naiflance,  ainfî  qu'il 
l'eult  pu  faire  :  il  prit,  pour  fe  délivrer  d'un  (î 
grand  danger,  une  voye  détournée,  ôc  peu  di- 
gne d'un  Roy ,  fuivant  le  confeil  trop  timide 
que  luy  donna  le  fîeur  de  Morvillier.  Ce  fa- 
meux Jean  deMorviUier  qui  fut  Evefque  d'Or- 
léans ,  &  puis  Garde  des  Sceaux  de  France 
après  la  difgrace  &  la  retraite  du  Chancelier 
de  l'Hofpital ,  eftoit  fans  contredit  un  des 
plus  grands  hommes  de  ces  temps-là ,  &  celuy 
qui  avoit  alors  le  plus  de  créance  &  d'autori- 
té dans  les  confeils ,  ellimé  &  chcri  de  tout  le 
monde  pour  fes  belles  ^  aimables  qualitez,  ^ 


IVRE      I. 


37 


(lir  tout  pour  la  douceur  de  Ton  crpric ,  Se  pour  i  J  7  7.. 
i'a  rare  modération  jointe  à  une  prudence  con- 
fomméc,  6c  à  une  très -grande  capacité,  non 
iculement  dans  le  manîment  des  affaires ,  mais 
aufli  dans  toutes  fortes  de  fciences  propres  d'un 
homme  de  la  profellion,  Ôc  meime  dans  les 
belles  Lettres,  la  Poëfîe  &c  l'Eloquence. 

C'cft  ce  qu'il  fit  paroiftre  affez  fouvent  en  ces 
excellentes  harangues  qu'il  compofa  pour  nos 
Rois,  de  principalement  en  celle  que  Henry  III.  Le  labeur, 
prononça  avec  tant  d'applaudiffement  dans  ces  H^'m"^,  i^ 
premiers  Ellats  deBlois.  Cela  fit  qu'on  le  pref-  c«/W/m«. 
la  fort  d'écrire  l'Hiftoire  de  fon  temps,  parce 
qu'on  efloit  bien  perfuadé  qu'il  n'y  avoir  per- 
fonne  qui  puft  s'aquiter  d'un  fii  noble  employ, 
avec  autant  d'éloquence ,  de  jugement  &  de 
politeffe  que  luy.  Mais  comme  le  fujet  n'eftoit 
pas  trop  favorable  pour  la  réputation  des  deux 
derniers  Rois  Charles  &  Henry  fous  lefquels 
il  a  vefcu  \  que  d'une  part  il  eftoit  trop  géné- 
reux &  trop  reconnoilfant  pour  vouloir  rien 
écrire  qui  puft  flétrir  ôc  deshonorer  la  mé- 
moire de  ces  deux  Princes  fes  bienfaicleurs  ; 
&  que  de  l'autre  il  eftoit  trop  fîncere,  Si  trop 
homme  de  bien  pour  trahir  he  pour  fupprimer 
la  vérité  par  une  honteufe  lalcheté,  ou  pour 
l'altérer  h.  la  corrompre  par  de  baffes  ftateries 
tout-à-fait  indignes  de  la  majefté  &  de  la  no- 
ble liberté  de  l'Hiftoire:  il  ditoit  agréable- 
ment à  fes  aiïùs  pour  s'en  défendre ,  qu'il  cftoijs 

£  lij 


t — ■■ — 3?        Histoire  de  la  Ligue. 

1^77.  trop  ferviteur  des  Rois  Tes  bons  maiftres ,  pour 
entreprendre  d'écrire  leur  Hiftoire.  Belle  pa- 
role, qui  eftant  bien  examinée  pour  en  tuer 
le  véritable  fens ,  doit  obliger  les  grands  Rois 
à  faire  de  grandes  chofes,  pour  fournir  à  un 
fîncere  Hiftorien  de  quoy  rendre  leur  mémoire 
immortelle,  &c  remplir  tout  le  monde  de  la 
gloire  de  leur  nom.  Mais  aufli  d'autre  part, 
elle  doit  faire  entendre  à  un  Hiftorien ,  que 
quand  il  eft  oblicré  4' écrire  l'Hiftoire,  il  n^  a 
ni  crainte,  ni  efpcrance,  ni  menaces,  ni  récom- 
penfe ,  ni  haine ,  ni  affection ,  ni  faveur ,  ni  co  - 
1ère  de  qui  que  ce  foit,  qui  le  doive  détourner 
d'un  feul  pas  de  la  vérité  dont  il  eft  redevable  à 
fon  ledeur,  s'il  ne  le  veut  attirer  l'indignation 
&  le  mépris  de  la  pofterité,  qui  ne  manquera 
jamais  de  le  condamner  comme  un  impofteur 
ôc  un  empoilonncur  public. 

Voilà  quel  eftoit  le  génie  dc  le  caractère  de 
ce  grand  homme,  à  qui  l'on  ne  peut  rien  re- 
procher, finon  qu'il  eftoit  un  peu  trop  timide, 
&c  qu'il  n'avoit  pas  autant  de  rélolution  &c  de 
fermeté  qu'il  en  faut  avoir  pour  donner  de  gé- 
néreux conleils  dans  les  occafions  preflantes, 
afin  de  couper  tout  à  coup  racine  aux  grands 
maux  qui  menacent  l'Eftat.  C  eft  pourquoy  , 
comme  il  vit  que  le  Roy,  qui  eftoit  encore 
plus  timide  que  luy,  eftoit  fort  étonné  de  l'au- 
dace de  ces  Ligueurs  j  comme  il  ne  croyoit  pas 
aufti  que  ce  Prince,  quand  il  euft  voulu  agir 


L  I  V  R  E     T.  3<,  

fortement, les puil:  opprimer-,  cjuil  connut  fort  i ; 7 7* 
bien  que  la  Renie,  à  laquelle  il  clloit  fort  at- 
taché, ôc  qui  fouftenoit  la  Ligue  fous  main, 
ne  vouloit  pas  qu'on  entrcprilt  de  la  ruiner; 
ôc  que  d'ailleurs  il  vouloir  tirer  le  Roy  de  ce 
mauvais  pas  :  il  prit  entre  deux  un  tempérament 
par  lequel  il  crut  pouvoir  conierver  l'autorité 
Royale  fans  détruire  la  Ligue.  Pour  cet  effet, 
ne  doutant  point  que  fi  l'on  ne  la  prévenoit, 
elle  ne  fe  choilill  un  Chef  qui  en  euft  difpofc 
comme  il  euft  voulu  contre  le  Roy  mefme ,  il 
luy  conteiUa  de  déclarer  à  l'Affcmbléeque  bien 
loin  de  s'oppofer  a  la  Ligue  des  Catholiques 
contre  les  Huguenots ,  il  en  vouloit  eftre  le 
Chef,  ce  que  l'on  n'euft  olé  luy  refuier,  6c  que 
par  là  il  en  feroit  le  maiftre ,  &  empefcheroit 
qu'elle  n'entreprift  rien  contre  luy. 

A  la  venté  ce  n'eftoit  pas  là  un  trop  mau- 
vais expédient ,  pour  arrefter  quelque  temps 
l'exécution  des  grands  defleins  des  Auteurs  de 
la  Ligue.    Mais  il  faut  aulïi  avouer  qu'en  la  fî-  '     ': 

gnant,  &c  la  failant  figner  aux  autres,  comme 
il  fit  quand  il  s'en  déclara  le  Chef,  il  en  au- 
toriioit  tous  les  articles  qui  choquoient  tout 
ouvertement  ion  autorité  ;  il  la  mettoit  en  cC^  '    -- 
tat,  &c  mefme  en  droit,  félon  ce  Traité  qu'il 
approuvoit,  d'agir  contre  luy-melme,  s'il  fe 
brouilloit&;  rompoit  jamais  avec  elle,  comme       ;     ...' 
jl  eftoit  impollible  que  cela  n'arrivaft  dans  quel-    •    -  "''  "' 
(jue  temps  3  il  yioioïc  la  paix  qu'il  avoit  don-. 


';7  7- 


40  HlSTOIÎlE     DE     LA     L  I G  U  E. 

née  à  fes  fujets  par  l'Edit  de  Pacification  qu'il 
venoit  d'accorder  aux  Huguenots;  &c  préci- 
pitoit  la  France  dans  cet  abifmc  d'une  infi- 
nité de  malheurs  qui  font  inféparables  de  la 
guerre  civile  qu'il  renouvella ,  Ôc  qui  ne  luy 
fut  pas  trop  avantageufe. 

Je  n'en  veux  pas  décrire  les  particularitcz 
qui  appartiennent  à  l'Hiftoire  de  France  ôi  point 
du  tout  à  celle  de  la  Ligue,  qui  en  cette  oc- 
cafion  n'agit  pas  de  fon  chef  contre  l'autorité 
du  Roy,  par  les  ordres  duquel  deux  Armées, 
dont  l'une  ertoit  commandée  par  Monfieur_, 
ôc  l'autre  par  le  Duc  de  Mayenne ,  attaquèrent 
les  Huguenots ,  fur  lefquels  on  prit  la  Charité, 
IfToire,  Broûage,  ôc  quelques  autres  places  de 
moindre  importance  que  celles -cy.  Je  diray 
feulement  que  le  Roy  s'ennuyant  bientoll  des 
foucis  de  la  guerre  dont  il  ne  fe  pouvoit  ac- 
commoder, aimant  comme  il  faifoit  palTion- 
nément  le  repos  &c  les  plaifirs,  on  donna  de 
nouveau  la  paix  fur  la  fin  de  Septembre  de 
cette  mefme  année  aux  Huguenots  par  l'Edit 
de  Poitiers,  tres-peu  différent  de  celuy  de  May, 
à  la  réfervc  qu'on  y  rcftreignoir  l'exercice  du 
Calvinifme  aux  limites  des  Pacifications  pré- 
cédentes, &  qu'on  le  défendoit  dans  le  Mar- 
quifat  de  Saluiïes  ôc  dans  le  Comtat  d'Avignon. 
Ce  fut  au  refte  durant  cette  paix  qui  dé- 
Ututnryju.  plaifolt  fott  aux  Ligueurs,  que  le  Roy,  pour 
îe  fortifier  contre  la  Ligue,,  en  fe  faifant  des 

créatures 


Cayet, 
iitvtn,  t.  t 


Jturn/il 


L   I  V  R   E      I.  41  — _. 

créatures  qui  s'attacha (Tenc  inviolablemcnt  à  Ann. 
Ion  fervice  par  le  nœud  d'un  ferment  plus  par-  i  j  7  p. 
ticulier  àc  plus  folcnncl  que  celuy  qui  obli- 
treoit  univerlcllcment  tous  Tes  fujets  à  le  fer- 
vir,  établit  &:  folennila  Ion  nouvel  Ordre  du 
Saint  Efprit,  qui  eft  encore  aujourd'huy,  après 
la  révolution  de  tout  un  fîccle,  une  des  plus 
illuftres  marques  d'honneur  dont  nos  Rois  ont 
couftume  de  récompenfer  le  mérite  &  les  fer- 
vices  des  Princes  &  des  plus  fignalez  de  la  No- 
bleffe.  On  a  cru  long  -  temps  que  Henry  III, 
en  eftoit  l'Inftituteur  &  le  Fondateur,  6c  luy- 
mefme  a  fait  ce  qu'il  a  pu  pour  établir  cette 
créance  dans  le  monde.  Mais  on  s'eft  enfin 
pleinement  éclairci  de  la  vérité ,  qui ,  quelque 
effort  qu'on  faffe  pour  la  fupprimer,  ne  man- 
que gueres  de  le  produire  toit  ou  tard ,  pour 
rendre  enfin  à  la  perfonne,  ou  du  moins  à  la 
mémoire  d'un  chacun,  le  blafme  ou  la  louan- 
ge qu'il  mérite.  Car  on  a  trouvé,  par  une  voye 
qui  ne  peut  eftre  nullement  fufpedie,  6:  qui 
ne  laiffe  plus  aucun  doute  fur  ce  lujet,que  l'o- 
rigine de  cet  Ordre  fe  doit  rapporter  à  un  au- 
tre Prince  de  l' Augufte  Sang  de  France,  je  veux 
dire  à  Loûïs  d'An)OU,  dit  de  Tarente,  Roy  de 
Jerufalem  &c  de  Sicile,  qui  en  l'année  mil  trois 
cens  cinquante  deux, le  jour  meiine  de  la  Pen- 
tecofte ,  inftitua  dans  le  Chafteau  de  l'Oeuf  à. 
Naples,  l'Ordre  des  Chevaliers  du  Saint  Efprir,, 
par  une  Conltitution  contenant  vingt -cinq 

F 


42.       Histoire   de   la    Ligue. 

ij-75).    Chapitres,  &:  qui  commence  ainfî  dans  le  ftylc 
„  .  de  ce  temps-là. 

Nous  Loys  fur  U  ^ace  de  Dieu  Roy  de  Jcmfa- 
lem  (^  de  Secille  y  Allonmur  du  SMnt  Eifrit,  lequel 
jour  bar  la  ^ace  nous  fufmes  couronne':^  de  nos  Royau- 
mes j  en  ejjkucement  de  Chevalerie ,  &  accroijjement 
d'honneur,  avons  ordennê  de  faire  une  Compagnie  de 
Chevaliers  y  qui  feront  appelles  les  Chevaliers  du  Saint 
Ef^rit  du  droit  defir,  ^  lefdits  Chevaliers  feront  au 
nombre  de  trois  cens,  defquels  nous  comme  Trouveur 
0*  Fondeur  de  cette  Compagnie ,  ferons  Princeps ,  (^ 
aujji  doivent  ejlre  tous  nosfucceffeurs  Rois  de  Jerufa- 
lem  cir  de  Secille. 

Mais  comme  il  mourut  fans  enfans  de  la 
Reine  Jeanne  I.  la  femme,  &  qu'il  y  eût  après 
fa  mort  d'étranges  révolutions  dans  ce  Royau- 
me-là, cet  Ordre  périt  tellement  avec  luy,  qu'il 
n'en  feroit  pas  meime  reflé  la  mémoire,  (î  l'O- 
riojinal  de  la  Conllitution  du  Roy  Louis  ne 
fuil  tombé,  je  ne  fcay  par  quelle  aventure,  au 
pouvoir  de  la  République  de  Venife,  qui  en 
fit  preient  à  Henry  I  H.  à  fon  retour  de  Po- 
logne, comme  d'une  pièce  très -rare,  ^  qui 
venant  d'un  Prince  du  Sang  de  nos  Rois,  me- 
ntoit  bien  d'eftre  gardée  dans  les  Archives  de 
France  :  &:  c'eft  ce  que  Henry  ne  vouloir  pas. 

Car  trouvant  cet  Ordre  très-beau,  &  de  plus 
qu'il  luy  convenoit  parfaitement  bien,  parce 
qu'elLint  né  le  jour  de  la  Pentecol^e,  il  avoit 
efté  couronné  le  meime  jour,  premièrement 


L  r  V  n  E    T. 


45 


Roy  de  Pologne ,  &  puis  Roy  de  France ,  com-  ijjp. 
mcLoûïs  de  Tarence  avoit  receû  fcs  deux  Cou- 
ronnes de  Jcrufalem  &c  de  Sicile  à  pareil  jour: 
il  luy  prit  envie  de  le  renouveller  quatre  ans 
après.  Mais  comme  il  vouloir  aufli  que  l'on 
cruil  qu'il  en  eftoit  l'Auteur,  il  en  chanc^ea  le 
Collier,  où  il  mit  certains  Chiftres  aufquels  on 
a  depuis  lublHtué  des  armes  en  forme  de  tro- 
phées qu'on  y  voit  encore  aujourd'hoy  ;  &  après 
avoir  pris  ce  qu'il  voulut  des  Statuts  de  cet 
Ordre,  il  commanda  au  fîeur  de  Chiverny  de 
brufler  cet  Original  pour  en  abolir  la  mémoire. 
Mais  ce  Miniftre,  quoy  -  que  tres-fidelle  à  Con 
Maiftre,  n'ayant  pas  cru  eftre  obligé  d'exécuter 
cet  ordre,  une  fi  rare  pièce  écheût  à  l'Evefque 
de  Chartres  Ion  fils,  d'où  par  fiaccefiion  de 
temps  elle  tomba  entre  les  mains  de  feu  M.  le 
Préfident  de  Mailons,  à  ce  que  nous  appre- 
nons de  M.  le  Laboureur,  qui  nous  en  a  donné 
la  copie  tout  au  loncr  au  iecond  Tome  de 
fes  Additions  aux  Mémoires  du  fieur  de  Caf- 
telnau.  C'efl  ainfi  que  ce  fameux  Ordre  fut 
plûtoft  rétabli  qu'infiitué  par  le  Roy  Henry 
III.  pour  avoir  cette  nouvelle  milice  de  Che- 
valiers qu'il  puft  oppoier  aux  Ligueurs,  fort 
mal  iatisfaits  de  la  paix  qu'il  avoit  faite  avec 
les  Huguenots. 

Cette  paix  toutefois  ne  fut  pas  fi  bien  ob-  cajet,t.i. 
Tervée  qu'ils  n'excitafTent  de  temps  en  temps 
de  nouveaux  troubles,  qui  deux  ou  trois  ans 

F  ij 


—44        Histoire  de  la  Ligue. 

JJ75?,  après  allumèrent  une  ieptiéme  guerre,  par  le 
refus  qu'ils  firent  de  rendre  les  places  de  feû- 
reté  qu'on  leur  avoir  accordées  pour  un  cer- 
tain temps  qui  eftoit  écoulé ,  &  par  la  furprife 
de  quelques  autres.  Mais  elle  fut  terminée  dans 

la  féconde  année  après  les  Conférences  de  Ne- 

j4m.  rac  &  de  Fleix ,  par  une  paix  qui  dura  quatre 
ïj8i.  ou  cinq  ans,  jufqu'à  ce  que  la  Ligue,  laquelle 
depuis  que  le  Roy  s'en  eftoit  fait  Chef,  n'avoit 
ofé  rien  entreprendre,  fe  déclara  tout  à  coup 
contre  luy  fous  un  autre  Chef,  à  cette  occafion 
que  je  vais  dire. 

Auflîtoll:  que  la  paix  fut  faite ,  les  Catholi- 
ques &  les  Huguenots,  que  la  guerre  civile 
avoir  armez  les  uns  contre  les  autres ,  fe  réii- 
nirent  pour  fervir  dans  l'armée  de  Monfîeur, 
qui  ayant  efté  déclaré  par  les  Eftats  des  Païs- 
Bas  Duc  de  Brabant,  eftoit  entré  comme  en 
triomphe  dans  Cambray,  quand  il  en  eût  fait 
lever  le  fiege  que  le  Duc  de  Parme  y  avoit 
mis.  Et  après  avoir  efté  proclamé  Prince  Sou- 
verain dans  Anvers,  &  qu'on  l'eût  receû  dans 
•  BruCTcs  &c  dans  Gand  en  cette  qualité ,  il  conti- 
nuoit  la  euerre ,  alTifté  fous  main  du  fecours 
de  France,  &  de  la  Reine  d'Angleterre  tout 
ouvertement  ,  pour  chafTcr  les  Elpagnols  de 
tous  les  Païs-Bas.  D'autre  part,  la  Reine  Ca- 
.  .  therine  qui  avoit  fes  prétentions  fur  le  Portu- 
gal, avoit  aufti  envoyé  dans  les  Ifles  Terceres 
«ne  belle  flote  fous  la  conduite  de  Philippes 


ieven. 


Livre    I.  4;  — -, 

Strofli  Ton  parent,  &  protcgcoic  ouvertement  i;8i. 
Dom  Antoine,  qui  après  avoir  perdu  la  ba- 
taille devant  Lilbonne ,  s'eftoit  réfugié  en 
France,  &  ne  laifloit  pas  de  dilputer  encore  la 
Couronne  au  Roy  Philippes.  C'eft  pourquoy 
ce  Prince,  qui  d'ailleurs  marchant  fur  les  tra- 
ces de  ion  père  ôc  du  Roy  Ferdinand  fon  bi- 
fayeul  maternel,  ne  longeoit  qu'à  s'agrandir  à 
nos  dépens,  s'appliqua  de  toute  la  force  à  nous 
divifer  de  nouveau,  pour  nous  empelcher  de 
le  troubler  dans  fes  Eilats.  •  ■-■■■'  V-,Vi'.::" 

Pour  cet  effet,  il  fit  tous  Tes  efforts,  Se  em-  cayet,  Trêf. 
ploya  tous  les  artifices,  pour  obliger  le  Roy  de  ^Z'^""''''* 
Navarre  &  Damville,qui  après  la  mort  de  fon 
frère  aifné  eftoit  devenu  Duc  de  Montmo- 
rency ,  à  rompre  la  paix ,  &  à  renouveller  la 
guerre  en  faveur  des  Huguenots ,  ne  faifant 
point  du  tout  de  fcrupule  d'agir  en  cette  oc- 
cafion  contre  les  véritables  interefts  de  la  Re- 
ligion ,  en  mefme  temps  qu'il  reprochoit  la 
melme  chofe  à  ceux ,  qui  dans  la  venté  ne  fai- 
foient  la  guerre  en  Flandre  que  pour  la  juftc 
défenfe  des  peuples  opprimez ,  dont  melme  la 
plufpart  eftoient  Catholiques.  Mais  comme  il 
vit  que  ce  deffein  ne  luy  pouvoit  pas  réiilîîr, 
pour  des  raifons  qui  ne  font  pas  de  cette  Hif- 
toire ,  il  tourna  toutes  fes  penlées  vers  le  Duc 
de  Guife,  &  donna  ordre  à  Ion  Ambalîadeur 
Mendoze  de  ne  rien  omettre  pour  l'obliger  à 
faire  au  plûtoft  prendre  les  armes  à  la  Ligue 


Aid'it.  4UX 


— ^6         HiSTOIÏlE     DE     LA     LiGUE. 

ij8i.  qui  efloit  déjà  tres-puifTante ,  &  de  laquelle  il 
pouvoit  dilpofer  comme  en  eftant  l'ame  &  le 
principal  Auteur. 

Ce  Duc ,  qui  eftoit  courageux  &  hardi  juf- 
ques  à  la  témérité ,  quand  il  avoir  pris  une  fois 
fon  parti,  ne  laifToitpas  pourtant  d'eftre  fort 
adroit,  clairvoyant,  circonfpedt,  &:  prudent 
pour  prendre  de  juftes  mefures,&  pour  ne  pas 
s'engager  dans  une  entreprife  qu'il  ne  fuft  af- 
feûré ,  autant  qu'on  le  peut  eflre ,  d'avoir  des 
moyens  de  la  faire  réiilTir.  Delà  vient  qu'il  fut 

-  ■-  •  aflcz  long-temps  fans  fe  vouloir  rendre  ni  aux 
offres  des  grandes  fommes  qu'on  luy  prefentoit, 
ni  aux  menaces  que  l'Ambafladeur  luy  faifoit 
de  découvrir  fon  Traité  fecret  avec  Dom  Jean 
d'Autriche,  dont  le  Roy  d'Efpagne  avoit  l'O- 
riginal, ni  aux  prcffantes  foUicitations  de  fes 
frères  &i  des  autres  Princes  de  fa  maifon,  qui 
plus  impatiens,  &  moins  habiles  &  éclairez  que 
luy,  vouloient  qu'il  ne  tardaft  plus  à  fe  décla- 
rer. Mais  enfin  le  moment  fatal  arriva,  auquel, 
après  avoir  bien  examiné  toutes  chofes,  il  crut 
que  tout  concouroit  non  feulement  à  favori- 
fer  le  deflein  qu'il  avoit  toujours  eu  de  fe  faire 
Chef  de  la  Ligue  Catholique,  mais  aufTi  de 
porter  fes  efperances  beaucoup  plus  loin  que 
ion  ambition,  quelque  grande  qu'elle  fuft,  ne 
Juy  avoit  tait  d'abord  concevoir. 

En  effet,  d'une  part  le  Roy  elfoit  réduit  dans 
Wû  eltat  plus  pitoyable  que  jamais.  Ses  inmien- 


Livre     t.  o-  :- 1:'       ^-j 

fcs  profuflons  en  mille  chofcs  tout  -  à  -  fliit  in-  Ann. 
dignes  de  la  Majcftc  Royale,  &:  de  nul  profit  rjSi. 
à  l'Eftatj  l'orgueil,  le  fallc,  &  l'infolcnce  ni-  i  j8j. 
fupportable  de  Tes  favoris  ;  fa  bizarre  conduite 
.qui  le  failoit  aller  fans  ccflc  d'une  extrémité  à 
l'autre,  de  la  retraite  &  de  la  folitude  dans  la 
vie  bourgeoiie,  de  la  débauche  dans  la  dévo- 
tion, &  dans  une  dévotion  qui  pafToit  dans 
l'elprit  du  Peuple  pour  une  pure  mommerie,en 
ces  ProcefTions  de  Penitens  couverts  de  facs  de 
plufieurs  fortes  de  couleurs  où  il  alloit  luy- 
mefme  avec  le  foilët  à  la  ceinture ,  contre  le 
génie  de  la  nation  qui  aime  à  fervir  Dieu  en 
elprit&:  en  vérité;  &:cent  autres  pareilles  cho- 
fes  toutes  contraires  à  nos  mœurs ,  &:  aux  ma- 
nières de  fes  Prédcceffeurs,  luy  avoient  fî  fore 
attiré  la  haine  &:  le  mépris  de  la  plufpart  de 
fes  fujets,  que,  contre  l'ordinaire  des  Franc^ois 
qui  adorent  leurs  Rois,  on  donnoit  tout  pu- 
bliquement des  marques,  principalement  dans 
Pans ,  de  l'averfion  qu'on  avoir  pour  luy. 

D'autre  part,  tout  confpiroit  en  faveur  du 
Duc  de  Guife,  pour  le  porter  à  ce  haut  point 
de  puiffance  &  d'autorité  qui  fembloit  l'égaler 
au  Roy  mefme,  qui  en  effet  le  regardoit  déjà 
&  le  haïffoit  comme  fon  rival,  (ans  néanmoiiii; 
ofer  encore  rien  entreprendre  contre  luy,  pour 
le  prévenir, &  fe  mettre  à  couvert  du  mal  qu'il 
en  appréhendoit.  Le  Peuple  s'attachoit  à  ce 
Duc  conuïie  à  fon  Protecteur^  ^  au  foufticii 


4^        Histoire  ce  la  Ligue. 

JJ83.  de  la  Religion.  La  plufpart  des  Grands  de  la 
Cour,  mécontens  du  gouvernement,  s'eftoient 
jettez  dans  fon  parti.  Les  Dames,  à  qui  les 
Mignons  difoient  tout,  luy  découvroient  tous 
les  fecrets  du  cabinet,  pour  fe  venger  du  Roy 
qu'elles  haïlToient  pour  certaines  raifons  qu'on 
ne  dit  pas.  Il  eftoit  alTeûré  d'avoir  pour  Iby  le 
Duc  de  Lorraine ,  &c  le  Duc  de  Savoye ,  qui 
prétendoient  tirer  de  grands  avantages  de  cette 
Ligue  5  ôc  principalement  un  auffi  puillant  Prin- 
ce que  le  Roy  d'Efpagne,  qui  luy  olfroit  deux 
cens  mille  livres  de  peniion,  outre  l'argent  qu'il 
luy  devoit  fournir  pour  lever  des  troupes. 

C'elloient  là  fans  doute  de  grands  fujets 
de  tentation  pour  un  Prince  de  fon  humeur, 
de  qui  eftoit  capable  de  donner  à  tout.  Mais 

— ce  qui  acheva  enfin  de  le  déterminer ,  fut  la 

^nn.     mort  de  Monfieur,  qui  après  fa  malheureufe 

.1784.  cntreprifc  d'Anvers,  ayant  efté  contraint  de 
retourner  en  France  fins  honneur,  mourut  à 
Chafteau  -  Thierry ,  foit  de  mélancolie,  ioit 
de  fcs  anciennes  débauches ,  ou ,  comme  le 
bruit  en  courut ,  de  poilon.  Car  ce  fut  pour 
lors  que  comme  il  croyoit  que  le  Roy  n'au- 
roit  point  d'enfans  ,  &c  qu'on  feroit  facile- 
ment exclure  de  la  iuccellion  à  la  Couronne 
le  Roy  de  Navarre,  pour  plus  d'une  railon 
qu'il  eiperoit  faire  valoir  par  la  force  des  ar- 
mes plus  encore  que  par  les  difcours  &  par  les 
écrits  des  Do(^eurs  de   la  fadion  j  6c  que  la. 

Reme 


L    I  V   R   1      I.  4^ 

Reine  Catherine,  qui  haïfloit  ce  Roy  Ton  gcn-  is^  ^ 
dre,  avoit  la  mclmc  envie  de  l'exclure,  pour 
faire  régner  en  C\  place  le  Prince  de  Lorrain, 
ne  Ton  petit -fils  :  il  conceût  des  penfées  plus 
hautes  que  celles  que  Ion  ambition  luy  avoic 
d'abord  inipirécs,  quand  le  Cardinal  fon  on- 
cle luy  tra^a  le  plan  d'une  Ligue  de  Catholi- 
ques dont  il  poiirroit  cftre  le  Chef.  Et  là-def- 
fus  il  fe  réfolut,  lans  plus  balancer,  de  pren- 
dre les  armes  ,  &:  de  faire  la  guerre  au  Roy, 
Mais  pour  rendre  plauiible  une  û  criminelle 
entreprife ,  il  falloir  du  moins  un  prétexte  qui 
la  juftifiaften  quelque  manière  devant  les  hom- 
mes. Et  c'eil:  ce  que  la  fortune  luy  prefcnra  le 
plus  avantageufement  pour  luy  qu'il  l'eull:  pu 
iouhaiter ,  prefque  au  melme  temps  qu'il  pre- 
noit  une  fi  étrange  rélolution. 

Comme  il  eftoit  impoflible  qu'une  fi  gran- 
de confpiration  le  tramait  fi  iecretement  que 
le  Roy  n'en  fuft  averti,  ainfi  qu'il  le  fut  ef- 
fectivement de  plus  d'un  endroit  :  ce  Prince , 
qui  s'eftant  lailTe  amollir  le  courage  dans  l'oi- 
fiveté  d'une  vie  voluptueule  &  retirée,  eftoic 
devenu  fort  timide,  &:  ne  pouvoit  de  luy-mef- 
me  fe  réfoudre  à  étouffer ,  par  une  action  £^é- 
néreufe,  de  par  un  coup  de  maii-lre,  un  fi  hor- 
rible mal  dans  fa  nailfance,  avoir  crrande  envie 
d'avoir  auprès  de  loy  fon  beaufrere  Henry 
Roy  de  Navarre,  qu'il  reconnoilToit,  félon  la 
Loy  Salique,  comme  l'Iientier  préfomptif  dck 

G 


jo        Histoire  de  la  Ligue. 


î  r  8  4.  Couronne ,  ôc  le  plus  capable  de  rompre  toutes 
lesmefures  du  Duc  de  Guile.  Mais  voyant  bien 
quil  falloit  pour  cela  que  ce  Roy^  qui  cftoit 
chef  des  Huguenots,  renonc^aft  à  fon  hérefîe, 
&  rentraft  dans  l'Eglilc  Catholique,  il  luy  en- 
voya le  Duc  d'Elpernon  en  Guyenne,  pour 
luy  perfuader  une  choie  iî  neceflaire  a  l'établii- 
fement  de  fa  fortune ,  &  de  fon  véritable  in- 
tercft  fpirituel  5c  temporel.  Comme  ce  Prince 
avoir  toujours  protefté  fort  fincerement  qu'il 
n'cftoit  nullement  opiniaftre  ,  &  qu  il  eftoit 
tout  preft  de  fc  rendre  a  la  vérité,  aufïitoft 
£aye:.  Qu'on  la  luv  auroit  fait  connoiftre ,  il  receût 

Thuan.  /.  Sa.     i ,       .       ,   ,        '  1      T-^  1-11 

admirablement  le  Duc ,  auquel  il  donna  une 
audiance  fecrete  dans  fon  Cabinet,  en  prefen- 
ce  du  Seigneur  de  Roquciaure  Ion  confident, 
d'un  Minière  de  fa  Rclio-ion,  &  du  Préfident 
Ferrier  ion  Chancelier ,  qui  avoit  toujours  pen- 
.ché  du  cofté  du  Huguenotilmc,  duquel  il  fit 
enfin  profefïion  en  fon  extrême  vieilleffe  un 
peu  avant  fa  mort. 

A  la  vérité  cette  Conférence  ne  fe  fit  pas 
trop  régulièrement,  ni  mefme  d'alTez  bonne 
foy.  Car  d'Efpcrnon  &  Roquelaure,  qui  n'ef- 
toient  pas  fort  grands  docteurs,  ne  luy  propo- 
foient  pour  le  convertir  que  des  railons  hu- 
maines, &  point  de  plus  fort  argument  que 
celuy  qu'ils  tiroient  de  la  Couronne  de  Fran- 
ce, qu'ils  luy  faiioient  valoir  incomparable- 
inent  plus  que  les  Plcaumes  de  Marot,  que  la 


^-> 


Livre!.  p 

Cefic ,  Se  que  tous  les  Prcfchcs  de  fcs  Miniftres.  1584. 
Mais  au  contraire,  le  Muiil>rc  &  le  Pré/îdcnc 
qui  en  f(^avoient  beaucoup  plus  que  ces  deux 
courtilans,  n  allcguoicnt ,  pour  détruire  cette 
foible  railon  de  l'interefl:,  que  des  motifs  qu'ils 
difoiem  cftre  Ipiritucls  &c  tout  divins,  &  la  pa- 
role de  Dieu  qu'ils  interprctoient  à  leur  mode, 
fans  que  ces  bons  Seigneurs,  qui  n'y  enten- 
doient  rien  du  tout,  enflent  de  quoy  leur  re- 
partir. De  forte  que  le  Roy  de  Navarre  qui  fc 
piquoit  extrêmement  de  générofité ,  fc  faifanc 
honneur  du  mépris  qu'il  paroifToit  faire  d'une 
fî  augufte  Couronne,  pour  lauver  fa  confcien- 
ce ,  éc  pour  conferver  (a  Religion ,  le  Duc  fut 
contraint  de  s'en  retourner,  fans  avoir  rien  fait 
de  ce  que  le  Roy  prétcndoit.  Mais  ce  qu'il  y 
eût  encore  de  plus  falcheux ,  c'eit  que  le  fieur 
du  Pleflis  Mornay ,  Gentilhomme  d'une  ancien- 
ne &  illuftre  maiibn,  de  beaucoup  d'efprir, 
d'un  f^avoir  au  defl.'us  d'un  homme  de  fa  qua- 
lité, fe  fervant  au  refte  aufli-bien  de  la  plume 
que  de  l'épée,  &  fur  tout  fort  zélé  Protêt- 
tant,  fît  un  écrit  de  cette  Conférence,  dans 
lequel  ayant  expofc  tout  ce  qui  s'eftoit  die 
de  part  &  d'autre,  il  prétend  montrer  l'avan- 
tage que  la  Religion  avoit  remporté  fur  U 
Catholique,  de  que  le  Roy  de  Navarre  ayant 
clairement  reconnu  le  foible  de  celle -cy,  a- 
voit  elle  plus  que  jamais  confirmé   dans  M 

iienne,  .    ■.  ;. 

Ç  i^ 


1.* 


.^ 


j-z       Histoire  DE    la    Ligue. 
IJ84.  Cela  fut  caufe  que  les  faôlicux,  &  les  Catho- 

liques faulTement  zclez,  commencèrent  à  s'em- 
porter terriblement  contre  le  Roy,  qu'ils  char- 
gèrent de  mille  horribles  calomnies,  publiant 
par  tout  qu'il  s'entendoit  avec  le  Roy  de  Na- 
varre, auquel  il  avoit  envoyé  d'Eipernon,  non 
pas  pour  le  convertir  ,  mais  plûtoft  pour  le 
confirmer  dans  fes  erreurs  ;  comme  il  paroiflbit 
aflez  par  les  A(5tes  de  cette  Conférence ,  où  rien 
ne  s'elloit  dit  à  l'avantage  de  la  Relieion ,  mais 
au  contraire ,  tout  eftoit  pour  le  Hugucnotif- 
tne.  Et  comme  prefque  en  mefme  temps  le  Roy, 
pour  empelcher  que  les  Huguenots,  irritez  des 
mfultes  que  leur  taifoient  impunément  les  Li- 
gueurs, ne  reprifïent  les  armes,  fe  crut  obligé 
de  leur  accorder  la  prolongation  que  le  Roy 
de  Navarre  demandoit  du  terme  qui  leur  eftoic 
prelcrit  pour  rendre  les  places  de  leûreté  qu'ils 
avoient  eues  par  le  dernier  Edit  de  paix  :  ces 
factieux  ne  tardèrent  plus  de  mefures.   Ils  di- 
rent  tout  ouvertement,  en  toutes  Icsoccalions, 
Se  mefme  les  Prédicateurs  dans  leurs  chaires, 
les  Curez  dans  leurs  profnes,  les  Confefleurs 
dans  leurs  tribunaux ,  les  ProfelTeurs  dans  leurs 
leçons,  &  les  Docteurs  dans  les  rélolutions  qu'ils 
donnoient ,  qu'on  eftoit  obligé  de  s'oppofer 
fortement  au  Roy,  qui  portoit  le  Navarrois, 
èc  vouloir  que  tout  hérétique  opmiaftrc  qu'il 
cftoit,  il  fuccedafl  à  la  Couronne  i  ce  que  ion 
Ije  deyoït  jamais  Ibuiïiir,  eilanc  aifeviré  que  ce 


1   I  V  R  ï      ï.  55 

Prince,  s'il  moncoit  jamais  fur  le  Trône,  abo-    i^S^, 
liroit  en  France  la  Religion  Catholique. 

Ce  fut-la  la  grande  machine  dont  on  Ce  fer- 
vit  pour  remuer  les  Peuples,  lur  leiquels  il  n'y 
a  rien  qui  ait  tant  de  pouvoir  que  le  motif  de 
la  Relio;ion,  quand  ils  le  font  perfuadcz  qu'on 
la  leur  veut  ravir  par  force  j  Ôc  pour  les  atta- 
cher indiflolublement  aux  interells  ôc  au  parti 
du   Duc   de  Guile  ,  qu'ils    croyoient   n'avoir 
point  d'autre  but  en  tout  ce  qu'il  entreprenoic 
oue  de  la  fouftenir  &:  de  la  défendre  contre  les 
Hérétiques  de  les  fauteurs  de  l'Hérefie.    Mais 
parce  que  ce  Prince  fort  adroit  ne  vouloir  pas 
qu'on  s'apperceuft  qu'il  agiflbit  fous  un  fî  beau 
prétexte  pour  luy-mefme,  outre  qu'il  ne  croyoic 
point  qu'on  puit  encore  tenter  leûrement  d'ex- 
clure de  la  fucceflion  les  autres  Princes  du  Sang; 
^ui  eftoient  bons  Catholiques  :  il  entreprit  de 
mettre  finement  de  fon  cofté  le  bon  homme 
Charles  Cardinal  de  Bourbon.  Et  de  fait,  après 
avoir  gagné  par  fes  grandes  liberalitez  le  ueur 
de  Rubempré  qui  le  gouvernoit  ablolument,  il 
luy  perfuada,  îans  beaucoup  de  peine,  qu'ef- 
tant  plus  proche  parent  du  Roy  d'un  degré  que 
le  Roy  de  Navarre  (on  neveu,  c'eftoit  à  luy 
que  le  Royaume  appartcnoit,  au  cas  que  le  Roy 
mourult  fans  enfans ,  ôc  que  toute  la  Ligue 
Catholique  foulliendroit  de  toutes  les  forces 
ce  droit  qui  luy  elloit  li  legitemement  aquis  par 
fk  naiilance,  ne  tull-ce  que  pour  empefclier 


_f4       Histoire   de   la   Liguk. 


Bdrbonius 


1J84.    qu'un  Prince  Huguenot  ne  iuccedaft  à  la  Cou- 
ronne. 

Il  n'en  falloit  pas  tant  pour  ébranler  une  amt 
aufli  foible  que  celle  de  ce  Cardinal,  qui,  tout 
dévot  qu'il  eftoit,  fe  laifTa  facilement  leduire 
par  une  Ci  vaine  efperance  de  régner.  Il  fut 
tellement  ébloûï  de  ce  faux  éclat  d'une  Cou- 
ronne imaginaire  ,  que  fans  confîderer  qu'il 
Rcgnifiiccef-  en  portoit  une  de  Preftre,  qu'il  approchoit  de 

ions     nomen    /'•^  ,.  „  1t-.> 

afFcdat.fert-  loixaiitc  -  dix  ans ,  de  que  le  Roy  nen  avoïc 
fl^pSni  P^s  encore  trente -cinq,  il  quitta  ion  habit  de 
fiatris  fîiiura.  Cardinal  ,  de  parut  en  public  veftu  en  Gé- 
iia-redem  ,u-  ncral  d  atmcc  ;  ce  qui  donna  lieu  de  croire 
quc"Làdnô  que  Ton  grand  âge  luy  avoit  bien  afFoibli  l'eiZ. 
habuTlibr  prit,  s'il  ne  l'avoir  entièrement  perdu.  Cela 
piacet  m  fa-  pourtant  n'empelctia  pas  que  fe  diiant  héritier 
bufdam  ddi-  préiomptif  de  la  Couronne,  il  ne  le  déclaraft 

rare  yideatur  z^l      C   J      1       t  •  r 

ficran-  ^out  ouvertemcnt  Cliet  de  la  Ligue  contre  Ion 

ra"donis*^ca'ut  ^^^eu  Ic  Roy  de  Navarre ,  principalement  quand 

fe  infert,  &  il  yic  que  cc  parti,  fur  lequel  il  le  croyoït  dé- 
primas  de-      .  -^  ,   .  ■'•  /        1       •  I 

pofcit.  ja  très-  bien  appuyé,  devint  encore  beaucoup 
s»jifq.Tj,.4ç.  pjj^„  puiffant  ôc  plus  formidable  qu'auparavant 
par  la  jondlion  de  la  Ligue  particulière  des  Pa- 
rifiens,  qui  a  fait  de  iî  furieux  defordres,  fous 
le  fameux  nom  des  Seî:(^e,ôc  qui  le  forma  dans 
Paris  en  ce  temps -cy  de  la  manière  qu'il  faut 
maintenant  que  je  raconte. 

Depuis  que  par  les  foins  du  Premier  Prési- 
dent Chriftophle  de  Thou,  ôc  de  quelques  au- 
tres Maçiftrats  oji  eût  d'abord  arrelté  dans 


L    I    V    R    E        I.  j^ 

Paris  le  cours  de  la  Li£:;uc  qui  con-smcnçoic  à  ^  j'^'4' 
s'y  former  lors  qu'elle  fut  fignce  parles  Picards, 
on  y  velcut  aflcz  paifiblemcnt,  Se  lans  qu'on 
V  ofali  tenir  aucune  afTcmblce  (ecrece  contre 
l'Eltat,  juiques  a  ce  qu'à  l'occafion  de  la  Con- 
férence que  le  Duc  d'Elpcrnon  eût  en  Guyen- 
ne avec  le  Roy  de  Navarre ,  on  fit  malicieufe- 
mcnt  courir  le  bruit  que  le  Roy  protegeoit  les 
Huguenots,  qui  aufTitoft  que  leur  Chef  feroic 
lur  le  Trône,  comme  il  le  prétendoit,  ne  man- 
queroient  pas  d'abolir  en  France  la  Religion 
Catholique.  Car  alors  un  fîmplc  bour^reois  de 
Paris  nommé  la  Roche  -  Blond ,  homme  plus 

foiblc  (Se plus  idiot  que  méchant,  prévenu  par  C".)"'-  '• 
1  I        ^  •  I       r    ->  ■  11-  ^       vnilo^.  dît 

les  calomnies  que  les  ractieux  publioient  con-  Man»»t  ^ 
tre  le  Roy,  le  mit  dans  l'eiprit,  par  un  fliux  '^" '"'''"'"-'■ 
zelc  de  Religion ,  qu'il  pourroit  faire  en  forte 
que  les  bons  Catholiques  de  Paris  s'unilfent  en- 
femble  pour  s'oppoler  de  toute  leur  force  aux 
defleins  du  Roy,  qui,  à  ce  qu'il  s'eftoit  imagi- 
né ,  favoriïoit  les  Huguenots ,  de  pour  empel- 
cher  que  le  Roy  de  Navarre  ne  luccedall:  à  la 
Couronne.   Pour  cet  effet,  il  s'adrelfe  d'abord 
à  un  certain  Maiftre  Mathieu  de  Launoy,  qui  t^et.furh 
de  Preftre  avoir  cftéMiniftre  de  Sedan,  d'où  il  ï''d°Kever:. 
s'eftoit  lauvé  pour  avoir  efté  iurpris  en  adul-  '^l'^r^'/^l 
tere ,  &:  s'eftant  de  nouveau  rendu  Catholique 
cftoit  devenu  Chanoine  de  SoilTonSjôc  prefchoïc 
alors  à  Paris.  Il  communique  encore  ion  def- 
fem  à  deux  célèbres  Dodeurs  à<.  Curez,  l'ua 


de  L:t 


;5       Histoire   de   la   Ligue. 


3/84.    de  Saint  Severin  nommé  Jean  Prevoft,  &c  l'au- 
tre de  Saint  Benoift,  qui  eftoit  le  fameux  M. 
Jean  Boucher,  l'un  des  plus  renommez  Prédi- 
cateurs de  Paris,  mais  dont  le  talent  confif- 
toit  particulièrement  en  une  extrême  hardiefïc 
qui  alloit  jufqu'à  l'impudence,  homme  cnfuite 
beaucoup  plus  propre   à  exciter  une   grande 
iedition  par  fes  violentes  èc  furieufcs  déclama- 
tions, qu'à  prefcher  l'Evangile  de  Jeius-Chrift, 
qui  n'infpire  que  l'humilité,  l'obéiflance  &c  la 
foumifïlon  aux  puifTances  qui  nous  gouvernent. 
Ceux-cy  s'eiLant  trouvez  tous  quatre  unis 
dans  une  mefme  penfée ,  que  l'efprit  de  divi- 
iion  ôc  de  révolte  déguiié  lous  une  belle  ap- 
parence de  zèle  leur  mfpira  ,  le   nommèrent 
les  uns  aux  autres  tous  ceux  qu'ils  connoifToient 
dans  Paris  les  plus  propres  à  entrer  avec  eux 
en  focieté,  &:  à  jetter  les  fondemcns  de  lafain- 
te  union  des  Catholiques  de  cette  grande  vil- 
le, qu'ils  conclurent,  ians  balancer,  eftre  abfo- 
lument  neceflaire,  pour  conferver  en  France  la 
Religion,  ôc  pour  y  éteindre  la  tyrannie  ;  car 
c'ell  ainfî  que  ces  dévots  factieux  fe  donnoient 
la  liberté  d'appeller  le  Gouvernement.  Mais  de 
peur  d'eftre  trop  toft  découverts  par  la  multi- 
tude, comme  on  l'avoit  eilé  quand  on  fit  cou- 
rir dans  Paris  le  projet  de  la  première  Ligue, 
ils  s'accordèrent  à  nommer  chacun  deux  afTo- 
ciez,  entre  ceux  dont  ils  fe  pouvoient  le  plus 
alTeûrerj  ôc  aufqucls  ilscommuniqueroient  tour 

le 


L  t  V  R  E      ï.  ;7 

le  Tecret  de  l'cntreprife.  Sur  quoy  la  Roche-  1J84. 
blond  choifit  le  fieur  Loûïs  d'Orléans  fameux 
Avocat,  &le  ficurAcarieMaiftre  des  Comptes, 
qu'on  appella  depuis  par  ironie  le  Laquais  de  n»«. /«r/« 
là  Li^ue  j  parce  qu  citant  boiteux,  il  eitoitun  de 
ceux  qui  alloient&  venoient,  &  agifloient  avec 
le  plus  d'emprcflcment  pour  les  interefts  du 
parti  :  c'ell  celuy-là  mefme  qui  fut  mari  de 
laBienheureufc  Marie  de  l'Incarnation,  des  bons 
exemples  de  laquelle  il  profita  mal.  Le  Curé 
de  Saint  Benoill  nomma  Mignager  Avocat,  & 
Crucé  Procureur  au  Parlement.  Celuy  de  Saint 
Sevenn  donna  fa  voix  au  fieur  de  Caumont 
Avocat,  &  a  un  Marchand  appelle  Compan. 
Matthieu  de  Launoy,  qui  ne  fçavoit  pas  encore 
il  bien  qu'eux  la  Carte  de  Pans,  n'en  put  nom- 
mer qu'un,  qui  fut  le  fieur  de  Manœuvre,  Tre- 
forier  de  France,  de  la  Maifon  des  Hemiequins, 
Mais  pour  remplir  le  nombre  de  huit,  on  luy 
affocia  le  lieur  d'Effiat,  Gentilhomme  d'Auver- 
gne ,  lequel  cftoit  fort  connu  du  Curé  de  Saint 
Severin ,  qui  en  répondit. 

Ce  furent  là  comme  les  douze  faux  Apof- 
très,  &  les  fondateurs  de  la  Ligue  de  Paris,  qui 
Gontrefaifant  admirablement  les  zelez  pour  le 
bien  public,  &:  ne  parlant  en  particulier  à  leurs 
amis  que  de  l'oppreflion  du  Peuple,  de  l'ava- 
rice, &  de  l'inioknce  des  favoris,  de  l'intelli- 
gence du  Roy  avec  le  Chef  des  Huguenots,  & 
du  danger  évident  ou  l'on  fe  trouvoit  de  pcr- 

H 


___„=«.  ^S        Histoire  de  la  Ligue. 

584.  dre  la  Rcliçrion,  eurent  bientoft  fait  de  nou- 
veaux AlTociez,  gens  d'E^j;lile,  de  Palais,  ou  de 
boutique,  comme  Jean  Pelletier  Curé  de  Samt 

'"■  Jacques  delà  Boucherie,  Guincellre  Curé  de 

Saint  Gervais,  la  Morliere  Notaire,  l'Ekû  Ro- 
land ,  le  Commillaire  Louchard ,  les  Procureurs 
Emonot,  la  Chapelle,  &  Bulfy  le  Clerc,  le  plus 
factieux  de  tous  les  Ligueurs,  &  plufieurs  au- 
tres dont  il  importe  fort  peu  qu'on  fc^ache  les 
noms,  qui  d'ailleurs  ne  feroicnt  pas  beaucoup 
d'honneur  à  ceux  qui  les  portent  encore  au- 
jourd'huy. 

Au  rclte,  pour  garder  quelque  ordre  en  un 
iî  furieux  delordre  qui  alloit  troubler  tout  l'Ef- 
tat,  5c  pour  empelcher  qu'on  ne  découvnft  ce 
qu'on  trameroit  en  cette  cabale,  on  établit  un 
conlcil  compolé  d'abord  de  dix  perfonnes, 
qu'on  choiiit  entre  ce  grand  nombre,  qui  s'al- 
fembloient  tantoft  chez  run,tantoll:  chez  l'au- 
tre fort  fecretement,  mais  le  plus  fouvent  chez 
le  plus  déterminé  de  tous,  &  qui  entrailnoic 
la  plufpart  du  temps  tous  les  autres  dans  Ion 
fentiment,  à  fçavoir,  le  Curé  de  Saint  Benoift, 
en  fa  chambre,  au  Collège  de  Sorbonne,  &puis 
au  Collège  de  Forteret  où  il  fe  retira,  &c  qui 
fut  depuis  appelle  pour  cela  le  Berceau  de  la 
Ligue.  Entre  ceux-cy  l'on  en  choifit  lix,  qui 
furent  la  Roche-Blond,  Compan,  Crucé,Lou- 
chart,  la  Chapelle,  &:  Bulfy,  aufquels  on  dif> 
rribua  les  leize  quartiers  de  Pans,  pour  y  ob- 


I   V   R  E       I.  j^ 


fcrvcr  ce  qui  fe  feroit  qui  leur  puft  ou  nuire  i;8  4. 
ou  lervir,  pour  y  rcniarqucr  ceux  qu'on  pour- 
roic  ailément  faire  entrer  dans  leur  faclion,  ôc 
pour  y  faire  exécuter  par  leurs  partifans  tout 
ce  qu'on  auroit  réfolu  dans  leur  conleil,  qui 
fut  peu  de  temps  après  de  quarante  des  plus 
connderables  du  parti.  Et  c'elt  pour  cela  que 
l'on  appella  cette  première  union  des  Parifîens 
Les  Sei-^e ,  du  nombre,  non  pas  des  perionnes^ 
mais  des  quartiers,    .  . 

Or  comme  il  n'y  a  rien  qui  fe  répande  plus 
facilement  ô^  plûtoft,  particulièrement  parmi 
le  peuple ,  que  le  mal  qui  le  prend  par  conta- 
o|ion  ;  aufli  par  la  communication  que  ces  gens 
infeclez  de  l'eiprit  de  rébellion  eurent  par  eux- 
mefmcs  ÔJ  par  leurs  émiflaircs  avec  les  faux 
zelcz,  les  iimples,  les  mécontens,  les  factieux, 
&  la  plulpart  de  la  populace  &  de  la  petite 
bouriieoilie ,  ce  mal  extrêmement  contaeieux 
fe  multiplia  aifément ,  &  le  répandit  bientoft 
dans  tous  les  quartiers  de  Paris.  Et  il  s'accrut 
fi  fort,  que  ces  mutins,  qui  au  commencement 
n'ofoient  paroillre ,  bi  ne  faiioient  que  fort  fe- 
cretcmeiit  leurs  aflemblées  de  peur  qu'on  ne 
les  découvrit,  le  crurent  devenus  ii  puiiîans 
&  il  redoutables  par  leur  grand  nombre,  qu'on, 
n  eull:  oie  les  attaquer, 

lis  eurent  meûiie  la  tiardiefl^  d'envoyer  leurs  '^j'^'i-/* 
Députez  dans  toutes  les  Provinces,  pour  faire  M^kct. 
entrer  dans  leur  nouvelle  Ligue  ceux  qui  b'el-   ''"  ' 


'60       Histoire  de  la  Ligue. 

1/84.  toient  déclarez  pour  celle  de  Pcronne,  &c  qui 
fîgncrenc  à  ce  coup  une  formule  plus  pernicieu- 
(e  encore  que  la  première.  Car  au  lieu  que  dans 
celle -cy  ils  promettoient  par  le  fécond  article 
d'employer  leurs  biens  &  leur  vie  pour  con- 
ferver  le  Roy  Henry  HI.  dans  fon  autorité, 
&  pour  luy  faire  rendre  l'obéilTance  qui  luy 
eft  deûë,  ils  jurent  dans  l'autre  qu'ils  entrent 
dans  cette  union  avec  les  Pariiîens ,  non  feu- 
lement pour  exterminer  les  Hérétiques,  mais 
auflî  pour  détruire  rhypocrilie  àc  la  tyrannie, 
c'eft  à  dire,  comme  ils  l'entendoient  de  la  ma- 
nière du  monde  la  plus  criminelle ,  pour  ab- 
batre  l'autorité  du  Roy  Henry  I  H.  qu'ils  ac- 
cufoienc  de  ces  deux  crimes  par  la  plus  gran- 
de injuflice  qui  fut  jamais.  Voilà  ce  qu'on  ap- 
pelloit  la  Ligue  des  Seize ,  laquelle ,  après  que 
la  première  s'y  fut  jointe  par  fes  Agens  qu'elle 
cntretenoit  auprès  d'elle  à  Paris ,  reconnut  en 
effet  le  Duc  de  Guife  pour  fon  Chef,  &  le  Car- 
dinal de  Bourbon  feulement  en  apparence. 

Cependant  ce  Duc  voyant  qu'il  cftoit  ap- 
puyé il  puifTamment,  &  que  toutes  chofes  fc 
trouvoient  aulli-bien  difpolées  pour  fon  entre- 
prile  qu'il  i'eull  pij  louhaiter,  réfolut  enfin  de 
l'exécuter.  Pour  cet  effet,  s'cllant  retiré  de  la 
Cour  en  fon  Gouvernement  de  Champagne, 
fous  prétexte  de  quelque  mécontentement,  il 
s'alla  rendre  à  Joinville,  où,  félon  qu'ils  avoient 
concerté ,  fe  trouvèrent  ea  niefme  temps  les 


L    I  V  R   E       L  tfi  

Envoyez  du  Roy  d'Elpagne  &c  ceux  du  Car-  i;8  4. 
dinal  de  Bourbon,  qui  avoit  pris  la  qualité  de 
premier  Prince  du  Sang,  héritier  préfomptif 
de  la  Couronne.  Et  là  le  Duc  agifTant  pour 
foy-mcimc  ôc  pour  les  Princes  fes  Confcde- 
rez ,  ils  conclurent  une  Ligue  offcnfivc  ôc  dé- 
fenlive  à  perpétuité  pour  eux,  pour  leurs  al- 
liez, &:  pour  leurs  delcendans,  par  laquelle  il 
fut  arrefté ,  ^e  pour  conferver  en  France  la.  Reli- 
gion Catholique  j  le  Cardinal  de  Bourbon  y  au  cas  que 
le  Roj  décedajljans  enfanSy  luji  Juccederoit,  comme  le 
plus  proche  héritier  de  la  Couronne,  de  laquelle  Jlroient 
exclus  pour  toujours  tous  les  Princes  Hérétiques ,  ou 
fauteurs  des  Hérétiques ,  &'  fur  tout  les  relaps ,  fans 
qu'aucun  de  ceux  qui  auroient  jamais  fait  profrjjion  de 
l'HéreJiey  ou  mefme  qui  l' auroient  tolérée, pu jl  ejhe  jugé 
capable  de  régner.  Que  le  Cardinal  ejlant  Roy,  ban- 
niroit  du  Rojaume  tous  les  Hérétiques  ,j  f  mit  obfer- 
^ver  tous  les  Décrets  du  Concile  de  Trente,  ^  renon- 
ceroit  folennellement  a  l'alliance  qu'on  a'voit  faite  avec 
le  Turc;  ^  que  le  Roy  d'Ef^agne  fourniroit  tous  les 
mois  cinquante  mille  pifloles  pour  les  fais  de  la  guerre 
qu'on  feroit  obligé  de  faire  aux  Huguenots ,  ^'  au 
Roy  mefme ,  s'il  ne  les  leur  abandonnoit.  ^h4c  récipro- 
quement aujji  le  Cardinal  (y  les  autres  Princes  liguc':^, 
aideraient  de  toutes  leurs  forces  Sa  Aîajejié  Catho- 
lique a  réduire  jous  fon  obéijjance  fes  Sujets  rebelles 
des  Païs-Bas,  ft)  feroient  obferver  exaélenient  le  Trai^ 
té  de  Cambray. 

Après  cela  le  Duc  ayant  touché  fur  le  champ 


€2.        Histoire  de  la  Ligue. 


j  5  8  4.  une  partie  de  l'argent  promis  pour  fa  penfion, 
£t  faire  quelques  levées  de  SuifTes  &  de  Rei- 
tres  par  les  Colonnels  Phiffcr  &  Chriftophlc 
de  BafTompierre  qui  eftoicnt  tout  à  fa  dévo- 
tion. Mais  avant  qu'il  les  puft  avoir,  comme  les 
Députez  des  Eftats  des  Païs-Bas  eftoient  venus 
en  ce  mefme  temps  ie  donner  au  Roy,  &c  qu'ils 
le  preffoicnt  extrêmement  de  la  part  de  leurs 
Supérieurs  d'accepter  la  Souverameté  de  leurs 
Provinces  :  les  Ei'pagnols ,  qui  pour  détourner 
M-ih.  aux    ce  coup  fatal  a  leur  ruine,  &  pour  empefcher 

Mtm.  de  CaJ.  ,  ,  n  ■  rr^ 

,,/„  qu  on  n  envoyait  contre  eux  une  puiliante  ar- 

mée en  Flandre,  vouloient  une  diverfion  pre- 
fente,  obligèrent  ce  Duc,  qui  dans  l'engage- 
ment où  il  eiloit  ne  leur  pouvoir  rien  refufer^ 
à  commencer  enfin  la  guerre. 

, C'eft  ce  qu'il  fit  par  la  furpriie  de  Toul  & 

jinn.  ^^  Verdun,  àc  en  s'emparant  luy- mefme  de 
ij-Sf.  Chaalons  &  de  Mezieres  ;  de  la  plufpart  des 
places  de  la  Picardie  par  (on  coufin  le  Duc 
d'Aumalcj  de  Dijon,  ic  de  la  plus  grande  par- 
tie de  la  Bourgogne ,  par  le  Duc  de  Mayenne 
Ion  frère i  d'Orléans,  parle  fieur  d'Entragucsy 
de  plufieurs  autres  places,  par  fes  créatures  ■■>  ôc. 
de  Lyon  mefme ,  par  les  foldats  du  Capitaine 
le  Paffagc,  que  le  Duc  d'Efpernon  y  avoit  mis,, 
&  qui  ellant  corrompus  par  les  Emiflaires  des 
Guilcs,  en  chafferent  leur  Commendanr,  qui  te- 
.  ,  noit  la  Citadelle  qu'eux  -  mefmes  démolirent ,. 
3.i.s.c.s.    ôcic  déclarèrent  hautement  pour  la  Ligue.  Et 


B'Aul 

t. 


L   I  V  R   E      î.  (fj  

pour  sVxcufer  ils  diloicnt  malicieurement,  ce  1585 
qu'ils  avoicnr  appris  des  Ligueurs,  qu'ils  ne  vou- 
loicnt  pas  eftre  damnez  pour  un  fauteur  d'hc- 
rcciques  en  fervant  le  Roy,  ajoullanc  a  cela 
fciufToment,  que  les  Jeluites  qu'on  avoir  con- 
fuirez  U-dcirus  les  avoicnr  ablous  du  ferment 
qu'ils  luy  avoient  fait. 

Or  comme  prelque  tous  les  favoris,  &  fur 
tout  d'Efpernon,  eftoient  autant  haïs  que  le 
Duc  de  Guile  eftoit  aimé,  ces  deux  paillons, 
outre  l'efperance  de  s'avancer  à  la  faveur  des 
troubles,  engagèrent  dans  ce  parti  un  grand 
nombre  des  piusconiiderables,  &  des  plus  bra- 
ves de  la  Cour,  &  entre  autres  Charles  de  Cof- 
fc,  Comte  &puis  Duc  de  Briflac,  fiJs  du  grand 
Marelchal  de  BrifTac  Vice-Roy  de  Piémont,  de 
frère  du  brave  Timoleon  Colonel  de  l'Infan- 
terie Fran(^oifej  Claude  de  la  Chaftre,  Bailly 
de  Berrij  Franc^ois  d'Efpinay  de  Saint  Luc;  le 
Comte  de  Randan;  les  Marquis  de  Bois-Dau- 
phin de  de  Rane  ;  Claude  de  BaufFremont  Ba- 
ron de  Senecey,  qui  y  fît  entrer  Antoine  de 
Bnchanteau  Beauvais-Naneis  ion  beaufrere, 
fils  de  ce  vaillant  Marquis  de  Nangis  Nicolas  ^-  ''^»^»i*f- 
de  Brichanteau  chevalier  de  l'Ordre,  qui  mou-  Memctrhis. 
rut  des  bleileûres  qu'il  receût  à  la  bataille  de  ^^ 
Dreux,  en  combatant  pour  la  Religion  &:  pour 
fon  Roy. 

Ce  généreux  fils ,  qui  marchant  fur  les  tra- 
ces d'un  fi  brave  perc ,  avoir  rendu  de  fîgna-.. 


de    lit  Maife» 


64      Histoire   ï3ê   la  Ligue. 

I  j8j-.  lez  fcrvices  en  Pologne  &  en  France  au  Roy 
qui  l'eftimoit  beaucoup ,  &  luy  donnoit  gran- 
de part  dans  fa  confidence, s'eftoir  retiré  de  la 
Cour^  parce  que  le  Duc  d'Efpernon,  après  luy 
avoir  enlevé  la  Charge  de  Colonel  de  l'Infan- 
terie Franc^oife  que  le  Roy  luy  avoir  promife , 
luy  avoir  encore  fait  ofter  celle  de  Meftre  de 
Camp  du  Régiment  des  Gardes,  Dans  le  jufte 
reflfentiment qu'il  eût  de  cette  injure,  il  ne  put 
réfîfter  aux  prefTantes  follicitations  de  ces  deux: 
Seigneurs  de  Rane  &  de  Senecey,  qui  pour 
l'cntrailner  avec  eux  dans  le  parti  du  Duc  de 
Guife ,  luy  promirent  de  fa  part  ce  qju'on  ne 
îuy  tint  pasi  fc^avoir,  qu'on  ne  feroit  jamais 
.  de  paix  qu'à  condition  que  d'Efpernon  Ion 
ennemi  fortiroit  de  la  Cour,  &  que  fa  Charge 
de  Colonel  de  l'Infanterie  Fran(^oife  luy  feroit 
remile,  l'alTcûrant  au  refle  que  cependant  il  exer- 
ceroit  cette  Charge  dans  l'armée  de  la  Li^ue. 
.  Voilà  ce  que  l'humeur  altiere  de  malfai- 
fànte  de  ce  favori  valut  au  Duc  de  Guife. 
Aufïi,  comme  un  de  fes  Capitaines  qui  luy 
avoit  oûï  faire  de  grandes  plaintes  du  Duc 
d'Efpernon ,   fc  fuft  offert  à  le  tuer  en  galant 

Mem.  Ms.  homme ,  lors  qu'il  paUeroit  par  Chaalons  à  fon 
retour  de  Metz:  Uardez-'voui  en  bien,  luy  dit-il  ;. 
je  ferois  bien  marri  qu'il  j-uji  mort,  car  il  nous  don- 
ne force  branjes  hommes ,  qui  n  entrevoient  pas  dans 
nope  parti,  /t  le  defir  de  Je  'venger  des  infultes  ^  des 
ajpvnts  que  ce  petit  Cadtt  de  Cafcome  fait  tous  les 

jours 


Livre    I.       .  "  !         cj  — — 

jours  aux  plus  honnejles  gens  de  la  Cour,  ne  les  y  at-    158  5. 

C'eft  ainfî  que  le  Duc  de  Guife  fe  rendoit 
tous  les  jours  plus  puiflant  &par  l'amour  qu'on 
Juy  portoïc,  6c  par  la  haine  qu'on  avoir  pour 
les  Favoris.  De  tbrre  que  le  Roy  voyant  un  fi 
furieux  parti  armé  contre  luy,  fut  contramt 
de  répondre,  la  larme  à  l'ocil,  aux  Députez  des 
Provmccs-Unics,  qu'en  l'eftat  ou  il  le  trouvoit 
il  ne  pouvoir  accepter  leurs  oftVes,  comme  il 
feroit  aireùrément  dans  une  meilleure  occa- 
iion  qui  ne  fe  prefenta  jamais.  Voila  quel  fut 
le  premier  exploit  de  la  Ligue  i  &:  quand  elle 
n'auroit  jamais  fait  d'autre  mal  que  d'cmpef- 
cher  ainfî  que  l'on  ne  réiinift  à  la  Couronne 
les  Païs-Bas,  qui  font  la  première  conquefte, 
&  le  plus  ancien  patrimoine  de  nos  Rois,  il 
elt  certain  qu'elle  meriteroit  d'cflre  détel^ée  de 
tous  les  bons  Franc^ois. 

Mais  ce  qui  la  doit  rendre  encore  plus  odieu-  -  ■  ' 
fe,  c'clt  qu'en  prenant  les  armes,  par  une  ma- 
nifefte  rébellion  contre  fon  Roy,  elle  le  fie 
tellement  a  contre -temps,  que  bien  loin  d'ex-» 
terminer  les  Huguenots,  comme  elle  faifoit 
femblant  de  le  prétendre,  elle  cmpefcha  par 
cette  guerre  la  ruine  du  Huguenotilme ,  qui 
s'alloit  intenfîblement  détruire  par  la  paix.  Et  CAyn,  préf. 
certes  ,  tout  y  elloit  tellement  difpofé  ,  que  n"  v»»''"' 
pour  peu  que  l'on  demeuraft  encore  en  cet 
cftat  paifible  où  l'on  Yivoit^^on  ne  pouvoit 

i 


d» 


(^d        HisTOïiîË  CE  LA  Ligue. 


I  j  8  j.  prcfque  douter  qu'on  ne  vift  bientoft  cette  hc- 
reiie,  qui  s'afFoiblifloit  tous  les  jours,  entière- 
ment anéantie.  En  effet,  le  Roy,  qui  haïiToic 
mortellement  les  Huguenots ,  comme  il  n' avoir 
que  trop  paru  par  le  mafl'acre  de  la  Saint  Bar- 
tlielemy ,  ôc  qui  n'avoit  pu  les  détruire  par  l'a 
force,  avoir  fi  bien  pris  les  mefures  en  chan-i 
géant  de  manière,  quil  y  a  grande  apparence 
qu'il  en  full  venu  à  bout  par  la  paix,  lî  elle 
curt  un  peu  plus  duré. 

Car  lors  que  le  Duc  de  Guife ,  qui  fut  long 
temps  à  fe  déterminer,  fe  réiolut  enfin  à  pren- 
dre les  armes,  fous  prétexte  de  vouloir  abolir 
l'Héreiîe  en  France,  il  n'y  avoir  pas  plus  de 
vingt  Minières  dans  toutes  les  Provinces  qui 
font  au-de(jà  de  la  Loire.  Aucun  d'eux  n'écrivoic 
contre  la  Religion  Catholique  ;  ôc  il  n'y  avoit 
plus  de  Huguenots  dans  les  Charges  ôc  les  Of- 
fices. Le  Roy  de  Navarre ,  qui  elloit  Chef  de 
ce  parti,  ne  defiroit  alors  rien  tant  que  de  ren- 
trer dans  les  bonnes  grâces  du  Roy;  &c  pour 
mériter  cet  honneur,  il  l'avoir  peu  auparavant 
averti  que  ce  meime  Philippe  Roy  d'Efpagne, 
qui  afïcdoit  de  paroiftre  avec  tant  d'éclat  le 
grand  défenfeur  de  la  Foy  Catholique  contre 
les  Proteftans,  luy  avoit  offert  de  très-grandes 
fommcs,  ôc  luy  promettoit  de  l'aider  à  fe  ren- 
dre maiitre  de  la  Guyenne,  pourveû  que  vio- 
lant la  paix  que  le  Roy  avoit  donnée  aux  Hu- 
guenots, il  leur  fiil  reprendre  les  armes,  ce  qu'il 


L  I  V  R.   E     T.  '  '(î7 ^ 

ne  voulut  jamais  faire.  Auflî  le  Roy,  qui  fc  ijSy, 
tenoic  déjà  comme  tout  afleûrc  de  luy,  ne 
manqua  pas  de  l'avertir  qu'il  falloir  qu'il  prift 
garde  aux  lecretes  menées  des  Huguenots,  qui 
commenqoient  à  fe  défier  un  peu  de  fa  con- 
duite, &  qu'il  ne  iouffrill  pas  qu'un  autre  fc 
Ei\  Chef  de  Protecteur  des  Proteftans.  Ainii 
l'on  pouvoit  cfperer  qu'à  la  faveur  de  cette 
paix,  qui  avoit  defarmé  les  Huguenots,  on  les 
cull  inlcnfiblement  réduits,  û  les  Ligueurs,  en 
prenant  les  armes,  pour  contraindre  le  Roy, 
comme  ils  firent ,  de  rompre  la  paix  qu'il  leur 
avoit  donnée,  ne  les  euifent  obligez  à  recom- 
mencer la  guerre,  qui  dans  la  fuite  leur  fut 
favorable. 

Cependant,  parmi  tant  de  bonnes  fortunes  lettre  de  m, 
que  la  Ligue  eût  d'abord,  elle  eût  aufTi  le  dé-  ^^f.l'tj^^ 
plaifîr  d'avoir  manqué  à  s'emparer  de  deux  vil-  ''^  c*^/'^"»' 

î  I  >  r  1  I   1  1       î^  2i.  Avril  ii$i, 

les  des  plus  conliderables  du  Royaume,  &  qui  uttr, du  Roy 
l'eufTent  rendue  maiitrefTe  de  la  Provence  &  de  ^'^  ''"Luù» 

la  Guyenne.  L'une  fut  Marfeille,  que  le  fécond 
Conful  feignant  avoir  receil  ordre  du  Roy  de 
courir  fus  aux  Huguenots,  avoit  fait  foulever, 
tout  preft  de  la  livrer  aux  partifans  du  Duc  de 
Guife,lors  que  s'eftant  laiffé  furprendre  luy- 
mefme  par  quelques  bons  bourgeois  qui  avaient 
découvert  la  trahifon,  il  fut  aufTitoft  pendu, 
&  appaifa  par  la  mort  la  fcdition  qu'il  vcnoic 
d'y  exciter  pour  les  trahir.  On  accula  Ludovic 
<ie.Goiizaguc,  Duc  de Nevers,  d'avoir efté  l'Au- 


,  .gS  HiSTOIRErDE     LA'LiGUE. 

I  j  8  5.    tcur  de  cette  cntrepriie,  pour  s'emparerdu  Gou- 
vernement de  Provence:  mais  il  le  ma  toujours 
-fortement.    Et  comme  en  mefme  temps  il  eût 
renoncé  à  la  Ligue,  le  Duc  deGuife  fon  bcau- 
frere  luy  reprocha  qu'il  ne  l'avoit  fait  que  par 
Ja  honte  &  par  le  dépit  qu'il  avoit  eu  d'avoir 
manqué  un  fi  beau  coup.    Luy  au  contraire, 
protelloit  qu'il  n'avoit  changé  de  parti  que 
pour  fatisfaire  à  fa  confcience  qui  l'y  oblicreoit. 
Sur  quoy,  pour  juftifier  fa  conduite,  il  difoic 
qu'il  n'y  elloit  entré  que  parce  qu'on  l'avoit 
affeûré  que  le  Pape  le  trouvoit  julle,  &  l'ap- 
prouvoitj  mais  qu'ayant  cû  grand  fujet  d'en 
douter,  il  avoit  envoyé  jufques  à  trois  fois  au 
Pape  Gréaoïre  XI IL   pour  s'en  éclaircir,  le 
Père  Claude  Mathieu  Jeluite ,  qu'on  appelloic 
le  Courrier  de  la  Ligue ,  parce  qu'il  alloit  ÔC 
venoit  éternellement  en  polie  de  Paris  à  Rome, 
&  de  Rome  à  Paris,  pour  les  affaires  de  la  fain- 
te  union,  dont  il  eiloit  comme  le  Promoteur 
'"'"■''""■  le  plus  ardent  qui  fut  jamais:  &  ce  Duc  affeû- 
rr»ttFTu  ^^^^  qu'après  tout ,  il  n'avoit  jamais  pu  tirer 
frif,  dis  Ar.  aucune  approbation,  non  pas  mefme  par  la 
moindre  bonne  parole,  beaucoup  moins  par 
écrit,  du  Saint  Père,  qui  difoit  toujours  que 
ne  voyant  pas  clair  en  cette  affaire ,  il  ne  vou» 
loit  pas  s'y  engager. 

L'autre  ville  qu'on  manqua  de  furprendre, 
fut  Bordeaux,  où  les  plus  zclcz  Catholiques 
fort  échaufez  contre  les  Huguenots,  s'en  vou* 


.vi 


Livre    ,I.       ^  ■         <?5?  — • 

Litit  rendre  mailbcs  pour  la  Ligue,  âvoîent  de-  i;8j. 
ia  poufTe  leurs  barricades  jufqu'au  logis  duMa- 
rdchal  de  Matignon  leur.  Gouverneur,  grand 
ierviteur  du  Roy,  ^ennemi  déclaré  des.  GuU 
iès[  Mais  ce  Seigneur  é<ialemenc  la2:e ,  vaillant 
&  rélolu  iceiit  fi- bien,  par  adrefTe,  ménager 
les  elprits  de  ces  bourgeois,  que  s'ellant  fait 
pafTage  au -travers  des  barricades,  fans  autres 
armes  que  l'épée  au  cofté  6c  une  baguette  à 
la  main,  il  (e  faifit  d.'unc  porte,  par  où  ayant 
fait  entrer  quelques  troupes  qui  n'eftoient  pas 
loin  de  là,  non  leulement  il  s'afTeiira  de  la  vil- 
le, mais  il  s'empara  mefme  duChafteau  Trom- 
pette, après  s'ellrc  laifi  du  Gouverneiu:  quiluy 
eftoic  fufped,  &c  qui  fut  fî  peu  fin  que  de 
fortir  de  ia  place ,  pour  le  trouver  à  un  feftin 
où  le  Marefchal  Tavoit  invité  avec  les  premiers 
de  la  ville.  '•   . 

Au  refte ,  au  mefme  temps  que  la  Ligue  pre- 
noit  les  armes,  Se  commençoit  la  guerre,  en  fur- 
prenant  par  artifice,  ou  prenant  par  force  tant 
de  villes  au  Roy,  elle  publia  fon  Manifeile 
fous  le  nom  du  Cardinal  de  Bourbon,  qui  par 
la  plus  bizarre  foiblefle  du  monde  s'eftoit  laïC 
fé  mettre  dans  l'efprit,  à  l'âge  de  foixante  ÔC 
tant  d'années,  qu'il  pourroit  fucceder  à  un  Roy 
qui  eftoit  encore  alors  dans  la  fleur  de  fon  âge. 
Ce  Cardinal,  après  avoir  dit  contre  luy  dans  cet 
Ecrit,  &  contre  le  Roy  de  Navarre,  ce  que  les  ^,',',^{fjj^ 
fadicux  publioient  ordinairement  contre  ces 


-  7ô        Histoire  de  la  Ligue. 


3j8j.  deux  Princes,  pour  les  rendre  odieux  aupeuplc, 
conclut  qu'on  ne  s'eft  armé  que  pour  la  ieûreté 
de  la  Religion,  pour  exterminer  l'Hérefie ,  pour 
chafler  de  la  Cour  ceux  qui  abufoient  de  l'au- 
torité Royale,  Ôc  pour  rétablir  tous  les  Ordres 
du  Royaume  dans  leur  premier  eftat. 

Le  Manifefte  d'un  Roy  contre  Tes  Sujets  re- 
belles ne  dcvroit  jamais  eftrc  qu'une  bonne 
armée,  qu'il  peut  avoir  bien  plûtoft  qu'eux, 
pour  les  réduire  a  la  raifon,  avant  qu'ils  ayent 
le  temps  &  les  moyens  d'amalTer  autant  de  for- 
ces qu'il  leur  en  faudroit  pour  les  oppofer  à 
celles  de  leur  Maiftre.  C'eft  ce  que  conleil- 
loicnt  au  Roy  fes  bons  ferviteurs ,  ôc  fur  tout 
Je  Seigneur  Jean  d'Aumont,  Comte  de  Chaf- 
teau-Roux ,  &  Mareichal  de  France  5  celuy  que 
fa  fidélité  inviolable  au  fcrvice  des  Rois  fes 
Maiftres,  &c  fa  valeur  extraordinaire  éprouvée 
en  cent  belles  occafions,  jointe  à  une  parfaite 
connoiflance  de  tout  ce  qui  doit  faire  la  fcicn- 
ce  d'un  grand  Capitaine ,  ont  rendu  un  des 
plus  illuflres  hommes  de  fon  fiecle.  Or  ce  iî- 
dellc  ferviteur  ne  pouvant  fouffrir  ni  l'info- 
îcnce  des  Rebelles,  ni  la  trop  grande  bonté  de 
fon  Maiilre,  vouloir  abiolument  qu'avec  les 
Gardes  &  les  vieux  Régimens  que  le  Roy  pou- 
voir mettre  dans  peu  de  jours  en  corps  d'ar- 
mée, il  allajft  fondre  en  Champagne  fur  lesLi- 

\b         gueurs,qui  n'cftojent  pas  encore  alors  en  cilat 


L  ï  V  R  E    T.  yi 

£c  certes,  il  ne  parut  que  trop  que  c'cftoit    ij8;. 
là  le  confcil  que  l'on  devoit  iuivre.  Car  au  com- 
mencement de  cette  première  guerre  de  la  Li-  C'fyt-  f-  '- 
eue ,  le  Duc  de  Guilc ,  à  qui  les  Elpaanols ,  ^""-  *'^- 
après  de  li  ma^nihques  promelles  de  tant  de 
milliers  de  piftolcs,  n'en  avoient  pas  fait  en-      '    /  „ 
cote  toucher  une  leulc,  outre  la  penlîon,  n'a- 
voit  p'î  faite ,  avec  toute  Ton  adrefTe  &  tout 
fon  crédit,  que  quatre  à  cinq  mille  hommes, 
la  plulpart  des   troupes  Lorraines  qui  le  ve-        '  ••"  • 
noient  joindre  a  la  file,  &  que  le  Roy,  s'il  euft 
cû  encore  une  feule  étincelle  de  ce  beau  feu 
qui  l'animoit,  &  le  faiioit  agir  d'une  manière 
i\  héroïque  quand  il  n'eftoit  que  Duc  d'An- 
jou, euft  pu  aifément  dilîiper,  en  montant  à 
cheval  avec  faMaifon  &  ce  qu'il  avoit  deNo- 
blefTe,  qui  euft  efté  bientoft  fuivie  de  tous  les 
braves  du  Royaume,  li  on  l'euft  veû  en  cet  eftat. 
Auili  Beauvais-Nangis ,  qui  fut  extrême- 
ment furpris  de  trouver  à  Chaalons  le  Duc  de 
Guilc  avec  iî  peu  de  troupes ,  luy  ayant  de- 
mandé ce  qu'il  prétendoit  faire  fî  le  Roy  le  ve- 
noit  attaquer  avant  qu'il  euft  aflemblé  de  plus  a^^w-  m^.       ^- 
grandes  forces,   il  luy  répondit  froidement, '^'^'"^"' 
qu'alors  il  n'y  auroit  point  d'autre  parti  à  pren-  > 

dre  que  de  fe  retirer  bien  vifte  en  Allemagne.  -' 

Mais  la  Reine  fa  mère ,  qui  s'entendoit  alors 
avec  les  Guifes,  &:  cet  amour  fatal  de  la  vie 
douce  &  du  repos  qu'il  ne  pouvoir  quitter  qu'a- 
vec une  furieule  répugnance  qui  le  replongeoit 


T rince:  de  la 


«i— — — 71        Hi5T0îft.E  î>E  LA  Ligue. 

i^^l.  aufll tbft  après  dans  fon  délicieux  fommeiî  ou 
il  fembloit  cftre  enchanté,  rendirent  inutile 

'  ^  -  un  fi  lalutaire  confeil.  De  forte  qu'il  fe  con- 
DUiar  du     tenta  de  faire  une  foible  &c  molle  Déclaration, 

Roy  centre  **,,,,  /  ,  ' 

iManif  des  dans  laquelle ,  en  répondant  aux  Conjurez 
d'une  manière  prcfque  refpe6tueufe ,  comme 
s'il  eull  craint  qu'ils  ne  s'en  offençairent,  il  fem- 
bloit  [lûtoll  fc  juftifier  devant  fes  Juches,  que 
condamner  comme  Roy  fes  Sujets  rebelles;  de 
■Mer».  Ms.  Cependant,  le  Duc  de  Guile  eût  le  loifir  de  fai- 
'  '  ''"^"  re  un  corps  de:  dix  ou  douze  mille  hommes  de 
pied,  &  d'environ  douze  cens  chevaux. 

Le  Roy  de  Navarre,  à  qui  les  Ligueurs  en 
vouloient  particuherement,  fit  aulTi  a  la  vérité 
Déclarât,  é-  fa  Déclaration ,  qu'il  adrclTa  au  Roy,  &  à  tous 
ji-cydeNav^r.  Ics  Ptinces  &  Potcncats  de  laChrcitiente:  mais 
z/^r^.r /!*  ii  ^^  fie  d'une  manière  digne  de  la  grandeur  de 
fon  courage,  par  la  plume  éloquente  6c  forte 
de  du  Pleflîs-Mornay,  qui  f(^avoit  parfaitement 
bien  fervir  fon  Maiiire  lelon  fon  génie.  Car  là,, 
après  avoir  réfuté  noblement  les  calomnies  dont 
les  factieux  le  chargeoient,  il  protelle  qu'il  n'eft 
nullement  ennemi  des  Catholiques,  ni  de  leur 
Religion,  laquelle  il  eftoit  tout  prell  d'cmbraf. 
fer,  quand  on  l'auroit  inftruit  d'une  autre  ma- 
nière qu'on  n'avoir  fait  après  la  Saint  Barthé- 
lémy ,  en  luy  tenant  le  poignard  fur  la  gorge. 
Puis  il  déclare  que  tous  ceux  qui  avoient  eii  la 
malice  èc  l'effronterie  de  dire  qu'il  eiloit  en- 
iiemi  de  l'Ellat  àL de  la  Relisiion,  6c  qu'il  la  vou- 

Loit 


iS»tet ,  t.  X. 


L    I   V    R    E      ï.  73 . 

îoit  opprimer  par  une  Ligue  imaginaire,  qu'on  i  ;  S  j. 
ruppoloic  avoir  efté  faite  pour  ce  fujec  à  Mac;- 
debourg,  lauf  Thonneur  du  Roy,  en  avoient 
menti,  &  lur  tous  les  autres  le  Duc  de  Guifci 
&c  il  fuppiic  très -humblement  Sa  Majcfté  do 
luy  permettre ,  lans  avoir  égard  à  la  qua- 
lité de  premier  Prince  du  Sang,  de  s'égaler 
pour  ce  coup  à  ce  Duc,  afin  de  vuider  leur 
difterend  par  les  armes  entre  eux  deux  leuls, 
ou  par  un  combat  de  deux  à  deux,  de  dix  à 
dix,  ou  de  vinsjt  contre  vingt,  pour  épargner 
le  lans;  de  tant  de  milliers  de  Franc^ois,  qu'une 
guerre  civile ,  qu'on  ne  pouvoir  autrement  évi- 
ter, feroit  indubitablement  périr. 

Mais  quoy  que  ce  Prince  pufl  faire  pour 
exciter  le  Roy  à  prendre  une  généreule  réio- 
lution  de  s'armer  contre  ces  Rebelles  ;  quoy- 
qu'il  luy  offrirt  pour  les  aller  combatre,  ôz  la 
perionne ,  &c  toutes  les  forces  de  fon  parti  qui 
le  joindroient  aux  Catholiques  ennemis  de  la. 
Ligue  j  &  qu'il  l'afleuralt  d'un  puiiTant  lecours 
d'Angleterre  6c  d'Allemagne  qu'on  luy  avoit 
promis  :  il  ne  put  jamais  rien  produire  dans 
cet  eiprit  irréiolu  que  quelques  légers  mouve- 
mens  d'une  colère  laiche  &  impuiflante,  que  la 
crainte  6c  la  m  oie  fie  refroidmoient  bientofty 
femblabies  à  ces  foibles  eliorts  qu'un  homme 
encore  demi-endormi  iemble  faire  pour  le  le- 
ver, 6c  qui  cèdent  aulTicotl  après  à  cette  force 
imperieuie  du  lommeil^  auq^uel  il  le  rend  oc  le: 

K 


74        Histoire  dS  la  Iiguë. 

1J85.    laifTe  aller  par  fa  larcheté,&  qui  en  un  inftant 
le  fait  retomber  dans  fon  lir. 

En  effet,  il  fit  desEd.ts  contre  eux,  leur  or-» 
donnant  de  mettre  bas  les  armes,  &c  comman- 
dant à  tous  fes  Sujets  de  fonner  le  tocfin  fur 
eux,  de  de  les  tailler  en  pièces  s'ils  n'obéiffoient. 
Il  manda  fa  Noblelfc,  &c  les  Princes  du  Sang, 
qui  fc  rendirent  auprès  de  luy.  Il  donna  des 
commifTions  &  des  ordres  pour  faire  une  gran- 
de levée  de  Reitres  ôc  de  Suifles,  &  fit  tenir 
preftes  fes  Compagnies  d'Ordonnances  &  fes 
Gardes ,  pour  marcher  au  rendez-vous  qui  fe- 
roit  afligné.  Mais  après  tout  cette  paflion  qu'il 
avoit  pour  le  repos  &  les  plaifirs  du  cabinet, 
&  la  crainte  que  la  Reine  fa  Mère ,  qui  eftoit 
d'intelligence  avec  le  Duc  de  Guife ,  luy  don- 
noit  de  la  Ligue,  qu'elle  luy  figuroit  incom- 

f)arablement  plus  puiflante  qu'elle  n'eftoit,  ô.: 
es  avis  de  quelques-uns  de  fon  conleil,  qui 
aimoient  mieux  qu'on  fiit  la  guerre  au  Roy  de 
Navarre,  fidelle  au  Roy,  qu'à  des  Catholiques, 
quoy-que  Rebelles,  firent  enfin  qu'il  (e  relaf^ 
cha  plus  que  jamais,  &c  remit  tout  entre  les 
mains  de  la  Reine,  à  laquelle  il  donna  plein 
pouvoir  de  traiter  avec  les  Princes  liguez,  la 
priant  mcfme  de  conclure  au  plûtoft  avec  eux, 
a  toutes  les  conditions  qu'il  luy  plairoit. 
Tr-«Vrf«N«-  Ainfi,  après  une  Conférence  qui  fut  com- 
^;uu!hid.  mcncée  à  Epernay ,  &  puis  terminée  à  Nemours 
k  feptiéiïie  de  Juillet ,  on  fit  la  paix  avec  les 


Htm 


L  I  V  R    E      r  7;  — 

Liguez,  en  leur  accordant  tout  ce  qu'ils  pou-    158  j. 
voient  demander  pour    la  Religion   &  pour  ^"•'''^  " 

i  .01  ftril.  au   », 

cux-meimes.  Car  pour  ce  qui  regarde  la  Rcli-  d»  Roy.^^ 
gion,  on  fie  un  Edic,  par  lequel  on  révoqua  c«/«,Vr. 
tous  ceux  qu'on  avoit  jamais  faits  en  faveur 
des  Huguenots:  on  défendit  tout  exercice  de 
la  Prétendue  Réformée  :  on  fit  commandement 
a  tous  les  Miniilres  de  vuidcr  le  Royaume  un 
mois  après  que  l'Edit  feroit  publié,  6c  à  tous 
les  Sujets  du  Roy  de  faire  profcflîon  publique 
dp  la  Foy  Catholique  dans  fix  mois,  fur  peine 
de  banniflement.  Et  pour  l'intcreft  des  Princes 
Confederez,  qui  affectoient  fur  tout  de  faire 
croire  que  leur  principal  but  cftoit  la  confcr- 
vation  de  la  Foy  Catholique,  on  avoûoit  tout 
ce  qu'ils  avoient  fait,  comme  n'ayant  efté  en- 
trepris que  pour  maintenir  la  Religion,  &pour 
le  feivice  du  Roy,  èc  de  plus,  on  leur  pro- 
mettoit  le  commandement  des  armées  pour  exé- 
cuter cet  Edit ,  5c  pour  faire  la  ojuerre  aux  Ï-Iu- 
guenots,  s'ils  refuloient  de  s'y  foumettre.  Et 
pour  places  de  feûreté,  on  leur  accordoit  ou- 
tre Toul  &c  Verdun ,  dont  ils  s'eftoient  empa- 
rez d'abord,  trois  villes  en  Champagne,  Reims, 
Chaalons,  &  Saint  Dizietj  Rue  en  Picardie, 
outre  celles  ou  ils  eftoient  déjà  les  maiftres  dans 
cette  Province,  qui  le  déclara  la  première  pour 
la  Ligue;  Soiflon?, en  rifle  de  France;  en  Bre- 
tagne, Dinan&  Concarneau,  &  Dijon  &  Beau- 
ne  en  Bourgogne.   De  plus ,  on  leur  donna  de 

K   ii 


— 7<5       Histoire   t)E   la   Ligue. 

jSj.  quoy  payer  les  loldats  qu'ils  avoienc  levez ,  ÔC 
au  Cardinal  de  Bourbon,  au  Duc  de  Guile,  à 
fes  deux  frères,  &  à  leurs  coufins  les  Ducs  de 
Mercœur,  d'Aumale  &  d'Elbœuf,  a  chacun 
une  Compagnie  entretenue  d'Argoulets  ou 
d'Arquebufiers  à  cheval  pour  leur  garde,  com- 
me fi  l'on  euft  voulu,  par  une  marque  d'hon- 
neur fi  éclatante,  qu'ils  triomphaflent  de  l'au- 
torité Royale,  iur  laquelle  ilsvenoient  de  rem- 
porter une  fi  grande  victoire  fans  combat, 
f)ar  la  feule  terreur  qu'ils  luy  donnèrent  de 
eur  entreprife,  &c  qui,  contre  l'ordre  de  la 
nature,  de  Maiflre  &c  de  Souverain,  le  rendit 
Miniftre  ôc  exécuteur  des  volontez  de  fes  Su- 
jets. 

Voilà  quel  fut  cet  Edit  de  Juillet,  que  l'on 
tira  par  force  de  la  foibleffe  du  Roy,  qui  s'ap- 
pcrceût  bientoil,  qu'au  lieu  d'affeûrer  la  Reli- 
gion &  fon  propre  repos,  en  accordant  tout  à 
la  Ligue ,  comme  on  le  luy  faifoit  accroire ,  il 
s'engageoit  dans  une  furieuic  guerre,quipour- 
roit  extrêmement  nuire  à  la  Relio-ion ,  iî  les 
Huguenots  y  avoient  une  fois  l'avantage  fur 
les  Catholiques.  C'eft  ce  qu'il  fît  affez  connoil- 
trc,  lors  que  parmi  les  acclamations  &c  les  cris 
de  Ftve  le  Roy  qu'on  cntendoit  de  toutes  parts, 
quand  il  alla  luy  -  mefme  faire  enregiftrer  l'E- 
dit  au  Parlement,  il  ne  fe  put  tenir  de  dire  à 
quelques-uns ,  en  gémiffant  :  J'ay  bien  peur  qu'en 
voulant  perdre  le  Prefche,  nofn  ne  hai^ardions  fort  U 


^  "        "   L     I    V   R    E    "^  î     '^  "  ■  •  ^  ■  '  ^y  >-      ••  " 

Aleffc;  ce  que  depuis  il  répéta  plus  d'une  fois    l's^'r- 
en  diverfes  occaiions." -"^" '•   '."■"'' ^    ■  '~:  '        ':> 

Et  certes,  on  ne  manqua  pas,  au fTicoll:  après 
cette  publication,  de  voir  la  guerre  allumée  par 
toute  la  France.  Car  comme  le  Roy  de  Navar-i 
re  eût  appris  que  l'on  avoit  vérifié  cet  Edit, 
qui  eiloit  effectivement  une  folennelle  Décla- 
ration de  guerre  contre  luy ,  il  s'unit  plus  étroi-- 
tement  que  jamais  avec  le  Prince  dcCondé,& 
tout  le  parti  Huguenot,  dans  une  Aflemblée 
qui  fut  tenue  pour  cet  effet  à  Bergerac.  Et  ces 
deux  Princes  ellant  allez  de  Guyenne  en  Lan-  '  . 
guedoc,  firent  fi-bicn  comprendre  au  Maref-  "  \ 
chai  Duc  de  Montmorency ,  Gouverneur  de 
cette  Province ,  qu'il  y  alloit  non  feulement  de 
ion  intereft  particulier  de  s'oppoier  aux  Gui- 
fes,  qui  ne  l'aimoient  pas,  mais  auiïi  du  fervi- 
ce  du  Roy,  dont  on  vouloit  anéantir  l'autori- 
té, &  de  la  coniervation  de  la  Monarchie,  de 
laquelle  ces  Ligueurs  fappoient  les  fondemens, 
en  attaquant  directement  la  Loy  Salique,  qu'ils 
le  firent  entrer  dans  leur  Confédération  avec 
tout  le  parti  des  Politiques  dont  il  avoit  tou- 
jours cité  le  Chef. 

Ainfi,  au  lieu  que  ious  les  Règnes  précedens 
tous  les  Catholiques  cftoient  unis  contre  les 
Huguenots,  Ious  ceux  de  Henry  H  L  6^  de  fon 
Succeffeur  ils  furent  divifez  en  deux  partis, 
dont  l'un  fut  des  Ligueurs ,  &  l'autre  des  Poli- 
tiques,  qui  furent  auffi  appeliez  Royaliiles.  Et 

k  11^ 


7§       Histoire   de   la   Ligue. 


I  j8j.  ce  fut  pour  lors  qu'on  put  voir  manifeftement 
que  cette  guerre  n'eftoit  point  du  tout  une 
guerre  de  Religion  ,  comme  les  Ligueurs  le 
prétendoient  ;  mais  une  guerre  purement  d'Ef- 
tat,  puis  que  le  Duc  de  Montmorency,  Chef 
des  Catholiques  unis  avec  les  Huguenots  pour 
maintenir  l'autorité  du  Roy  &c  la  Maifon  Roya- 
le ,  comme  ils  le  difent  dans  leur  Manifefte  du 
dixième  d'Aouft,  fe  montra  toujours  tres-zelé 
défenfeur  de  la  Religion,  fuivant  l'exemple 
de  fon  père  le  Grand  Conneftable. 
tetahonreur.       £n  cffct ,  il  la  proteo;ea  fi  -  bien  dans  Ton 

adait    aux  C  r  ■ 

MeTT,  de  c»f-  Gouvernement,  que  ce  ne  tut  pas  lans  pemc 
'^Znt0f^>,'e .  cjue  le  Roy  de  Navarre  put  obtenir  des  Hu- 
clSJ/k  guenots  qu'ils  priiTcnt  confiance  en  luy ,  parce 
qu'il  s'efloit  toujours  oppofé  aux  progrés  qu'ils 
y  vouloient  faire.  Il  étendit  mclme  fon  zèle 
jufques  dans  le  Comtat  avec  tant  de  fuccésy 
pour  empefcher  qu'on  n'y  établifl.  l'Hérefie,  que 
Grégoire  XHL  te  crut  obligé  de  luy  en  faire 
de  grands  rcmercîmcns  par  plufîeurs  Brefs.  Ce 
ne  fut  donc  nullement  pour  ruiner  la  Religion 
que  le  Roy  de  Navarre  Chef  des  Huguenots, 
unis  avec  une  partie  des  Catholiques  fît  la 
guerre, mais  pour  lauver  l'Eltat  &  le  Roy  que 
iaLic;uc  vouloit  opprimer,  comme  le  Roy  mef. 
me  le  reconnut  quelque  temps  après,  avouant 
qu'il  n'avoit  point  eu  de  meilleur  ferviteur  que 
le  Marelchai  de  Montmorency.  Aufît  dcmeu- 
ra-t-il  toujours  ii  attaché  au  iervicede  ce  Pria- 


L   I  V  R  s      ï.  '  ^         75>  — 

ce  Se  àc  Ton  fuccclfeur  le  Roy  de  Navarre,  que  i  j8  j. 
ccluy-cy  qui  l'honoroit  comme  Ion  père,  ainfi 
qu'il  l'appcUoit  alors,  eftant  depuis  devenu  Roy 
de  France,  le  ficConncllable,  pour  récomp°n- 
fer  Ton  rare  mérite ,  &  les  grandi  icrvices  qu'il 
avoir  rendus  à  l'Ellatj  &c  depuis  ce  tcmps-la, 
pour  le  traiter  de  la  mefme  manière  que  Henry 
II.  traitoit  le  Conneftablc  Anne  de  Montmo- 
rency père  de  ce  Duc ,  il  ne  l'appelloit  plus  que 
fon  Compère.  Ainfi,  par  la  jondtion  des  forces 
d'un  11  grand  homme,  qui  eitoit  fuivi  d'une 
partie  des  Catholiques,  avec  celles  du  Roy  de 
Navarre,  ce  généreux  Prince  fe  trouvadumoins 
en  eftat  de  ie  défendre  contre  les  Ligueurs .  ■ 
qui  outre  qu'ils  avoient  pour  eux  l'autorité  du 
Roy  qu'on  avoïc  cntrailhé  comme  par  force 
en  cette  guerre,  tirèrent  encore  grand  avanta- 
ge des  foudres  que  le  Pape  lançi  cette  mefme 
année  contre  le  Roy  de  Navarre  &c  le  Prince 
de  Condé. 

Les  Ligueurs  avoient  déjà  fait  plus  d'une 
fois  de  grands  efforts  auprès  du  Pape  Grégoi-^ 
re  XIII.  pour  obtenir  de  luy  ce  qu'ils  défi- 
roient  pafTionnément,  qu'il  approuvait  le  Trai- 
té de  leur  Ligue.  Et  comme  ils  furent  fur  le 
point  de  fe  déclarer  plus  ouvertement  qu'ils 
n'avoient  encore  fait,  &c  de  prendre  les  armes 
après  la  mort  du  Duc  d'Alenc^on,  ils  recom- 
mencèrent à  preffer  ce  Pontife  plus  fort  qu'au- 
paravaiic,  pour  obtenir  de  l.uy  ceccc  Déclara- 


8a        Histoire  de  la  Ligue. 


j  jSj.  '  tion  qu'ils  luy  demandoient,  afin  de  s'autorî- 
fer  davantage  dans  l'eipric  des  Peuples  qui  o- 
béïfifent  au  Saint  Siecre.    Pour  cet  effet,  ils  dé- 
pclcherent  de  nouveau  a  Rome  le  Perc  Claude 
Mathieu,  qui,  félon  la  couftumc,  ne  manqua 
pas  de  s'adrelTer  Se  de  (c  joindre  au  Cardmal 
de  Pellevé,  le  plus  opiniallre  parcifm  que  la  Li- 
gue ait  jamais  eu,  &  le  loliiciteur  éternel  des 
affaires  de  ce  parti  en  Cour  de  Rome. 
srartiejmt .         Ce  Cardinal  eftoit  d'une  ancienne  &  illuftre 
éicgede  par.  ]sAàiCon  dc  Normandic,  c'efl  ainii  qu'en  parle 
j.virq.deva.  le  lieur  de  Brantotme,  ^  de  Liquelle  font  lor- 
'7r .  tis  les  Marquis  de  Boury    &   les  Comtes  dc 

jiaiiittons  i  ri  T      •       • 

nux  Mem.  di  Fkrs  :  ce  qui  doit  conrondre  ces  Ecrivains  pai- 
H.ftlile  de^'  fionnez ,  qui ,  en  haine  de  la  Ligue,  l'ont  traité 
card.d'Auic  J-J-^omme  de  tres-bafle  naiffincc,  qui  de  marmi- 
ton de  Collège  avoir  ei^é  valet  d'école  du  Car- 
dmal de  Lorraine.  Il  eil:  vray  que  parce  qu'il 
ne  pouvoir  pas  avoir  beaucoup  de  biens  d'une 
i'uccefTion  qu'il  falloir  partager  enti-c  huit  frè- 
res ,  il  ie  mit  au  fervice  de  ce  Cardinal  qui  le 
fit  Intendant  dc  la  maiton.  Mais  on  n'a  pas  pu. 
inférer  de  là,  comme  on  a  fait  malicieuiement, 
qu'il  fulf  de  baffe  extraction;  de  de  plus,  l'on 
ne  peut  nier  qu'il  n'ait  eu  beaucoup  de  bon- 
nes, qualitez,  qui  eilant  iouilenuës  du  crédit 
de  la  Maifon  de  Guiie,  à  laquelle  il  s'ciloit  en- 
Eieremcnt  dévoué ,  luy  aquirent  l'eilime  dc  Hen- 
ry 1 1.  qui  le  fit  Maiif  re  des  Requeites ,  &  luy 
donna  i'Evelché  d'Amiens,  d'où  il  paffa  quel- 
que 


L  I  V  R  E      I.  8i     

que  temps  après  à  rArchcvcfché  de  Sens,  par  158  j. 
la  faveur  de  Loûïs  Cardinal  de  Guiie,  qui  îuy 
procura  mefmc  le  Chapeau.  Tant  de  bienfaits 
rcceûs  de  cette  puilTante  Mailon  l'atracherenc 
fi  fortement  &:  avec  tant  d'aveugle  pafTion  aux 
interdis  des  Guiles,  qu'il  fit  tout  ce  qu'il  pue 
pour  faire  réùffir  en  leur  faveur  les  encrepriies 
de  la  Ligue  contre  Henry  I V.  mefme  après  fa 
converlion,  juiqu'à  ce  que  voyant  à  Paris,  où 
il  eftoit  alors,  que  ce  Prince  vid:orieux  y  ef- 
toit  entré  avec  une  incroyable  joye  des  Pari- 
fîens,  il  en  mourut  de  déplaifir. 

Or  ce  Cardinal  &  le  Perc  Mathieu  clpe- 
roient  que  le  Pape  voyant  la  Ligue  devenue  fî 
puifTante  qu'elle  fe  trouvoit  en  eftat  de  faire 
la  guerre,  fe  déclareroit  à  ce  coup  pour  elle. 
Sur  cette  elperance  ils  renouvellerent  avec  beau- 
coup de  chaleur  les  inftances  qu'ils  Iuy  en 
a  voient  fou  vent  faites,  &  les  continuèrent  avec 
la  mefme  pallion  jufqu'à  la  mort,  qui  arriva 
cette  mefme  année,  fins  qu'ils  eulTent  rien  ob- 
tenu de  ce  qu'ils  prétendoient.  Il  eût  pour  luc- 
ceffeur  le  fameux  Cordeher  Félix  Peretti  Car- 
dinal de  Montalte,  appelle,  quand  il  fut  créé 
Pape,  Sixte  V.  celuy  qui  de  la  plus  miierable  vit  di  srm 
des  conditions,  où  par  l'extrême  baflelTe  de  ià 
naiflance  il  elloit  redmt  en  la  jeuneiîe  à  gar- 
der les  pourceaux,  monta  de  degré  en  degré^ 
par  fon  mérite  &  par  ion  adrefle,  jufques  au 
Souverain  Pontificat,  qu'il  porta  plus  haut  en 

L 


■^ El       Histoire   ce   la    Ligtte. 

I  çSj.  cinq  ans  qu'il  régna,  que  Tes  PrédecefTeurs  n'a- 
voient  fait  en  pluiïeurs  iiecles.  Comme  il  avoit 
cfté  grand  Inquifiteur,  5c  l'un  des  plus  feveres 
qu'on  eull  jamais  veûs  dans  cette  Charge  :  ces 
Âgens  de  la  Ligue  s'eltant  joints  aux  Eipa- 
gnols, crurent  qu'ils  obtiendroient  de  luy  faci- 
lement qu'il  l'approuvaft,  6c  qu'il  joignift  aux 
armes  qu'elle  avoit  déjà  prifes,  celles  de  l'Egli- 
fe,  en  frapaiit  d'Anathême  le  Roy  de  Navarre. 
-  ■  Mais  ils  ne  fçavoient  pas  encore  à  quel  Pa- 

Îyc  ils  avoient  affaire  :  car  comme  il  eftoit  d'une 
lumeur  extrêmement  fiere,  hautaine,  imperieu- 
fe,  &  inflexible,  6s:  qu'il  vouloir  faire  connoif- 
tre  à  tout  le  monde  qu'il  n'agiffoit  point  du 
tout  par  les  mouvemens  de  qui  que  ce  fuft,  Se 
beaucoup  moins  des  Efpagnols  qu'il  n'aimoit 
pas,  il  leur  parla  d'abord  d'un  certain  air  de 
majerté  qui  leur  fit  bien  fcntir  qu'il  ne  le  lail- 
foit  pas  tromper  par  les  apparences,  &  qu'il  ef- 
toit  maiftre  aufTi  éclairé  qu'ablolu.  En  effet, 
ces  gens  bien  iurpris  deiefpcrerent  de  pouvoir 
jamais  rien  gagner  fur  un  ciprit  qu'ils  connoif- 
foient  alors  cltre  tout  autre  que  celuy  qui  leur 
paroiffoit  fi  modéré,  fi  humble,  fi  doux,  &  fi 
complaiiant,  lors  qu'cftant  Cardinal  il  marchoit 
la  telle  baiffée,  en  cherchant  finement  par  là. 
Vie  ^e  sixte  commc  on  aflcûrc  qu'il  le  dît  luy-mefme,  le 
Pontificat  qu'il  avoit  enfin  trouvé. 

Cependant,  comme  d'autre  parc  il  crut  avoir 
une  belle  occafion  de  £iirc  hautement  éclater 


L    I   V    R    E       î.  §3 


la  fuprcmc  puiflance  du  Pontificat  qu'il  vou-    i;8j-. 
loit  rendre  formidable  à  toute   la   terre  par 
un  coup  extraordinaire  ,  il  fit  peu  de  temps 
après,  de  luy-mcrmc,  ôc  lors  qu'on  ne  l'en 
preflbit  pas,  la  plus  foudroyante  de  toutes  Ici;       '  '  ■     - 
Bulles  contre  le  Roy  de  Navarre  &  le  Prince  T^nUeduv^ts 

d/-«     _   1  /        /"'     _  '  '  \         '    ■      r     ■  Sh:!!  contre  It 

e  Conde.    Car,  après  avoir  eieve  inhniment  R^y  dt  n-i-^; 

la  puilTancc  5c  l'autorité  Pontificale  pardeflus  t!^^'"'"^' 
tous  les  Rois  de  la  terre,  julqu'a  dire  qu'elle  '^""-  ^' ^* 
les  peut  rcnverier  de  leur  Trône  par  des  Juge-  c'«;'«,  t. .-. 
mens  &:  des  Arrefts  irrévocables  quand  ils  man- 
quent à  leur  devoir,  &  les  terrafl'er  comme  mi- 
nillres  de  Satan  \  &  après  avoir  expofé  fort  au 
long  tout  ce  qui  le  peut  dire  de  faicheux  &  de 
rude  contre  ces  deux  Princes,  en  des  termes  qu'on 
ne  peut  nier  qui  ne  toient  extrêmement  inju- 
rieux :  il  les  prive  de  tous  les  Eftats  &  Domai- 
nes qu'Us  pofTcdent,  èc  les  déclare  incapables, 
eux  &  toute  leur  polterité,  à  perpétuité,  de  fuc» 
céder  à  quelque  Eîtat  6c  Principauté  que  ce  foit, 
&  particulièrement  au  Royaume  de   France  ;i 
abfout  du  lermcnt  de   fidélité  tous  leurs  vaf- 
iaux  &c  leurs  lujets  ,  auiquels  il  défend  trés-^ 
étroitement  de  leur  obéir  j  &  avertit  le  Roy 
de  France  de  tenir  la  main  à  l'exécution  de  ce 
Décret. 

Autant  que  cette  Bulle,  qui  fut  fignée  de 
vingt-cinq  Cardmaux ,  &  envoyée  par  le  Pape 
en  France,  réjouit  les  Ligueurs  qui  la  publiè- 
rent: autant  affligea  - 1  -  ciie  cous  les  Catholi- 

L  ijt 


Histoire   de   la   Ligue. 


ij8j.    ques  &  les  bons  Franc^ois  oppofez  à  cette  fa- 

dtion.  Ils  ne  pouvoient  fouffrir  que  les  Papes, 

qui  cftoient  autrefois  fournis  aux  Empereurs  &: 

aux  Rois,  aufquels  ils  fe  croyoient  obligez  d'o- 

J  /;  ;/j  *^  béïr,  comme  Saint  Grégoire  le  Grand  le  protefte 

j»ft.io.t.9.  ^  l'Empereur  Maurice,  6c  les  Papes  Lcon  IV. 

c*n.  it.  r  '  1    1  1   !  r  r 

T'''g  £f.  si  &c  Pelage  aux  Rois  Lothaire  &  Childebert,  oial- 

'  '        fent  entreprendre  de  les  dépofcr,  &  de  difpen- 
'•  fer  leurs  fujetsdu  ferment  de  fidélité,  contre  la 

.  .i  Loy  toute  manifefte  de  Dieu,  qui  leur  comman- 

de de  leur  obéir  en  tant  d'endroits  de  l'Ecritu- 
re, quand  mcfme  ils  manqueroicnt  à  leur  devoir. 
Dieu,  difoient  -  ils ,  a  tellement  partagé  les 
deux  puiffances,  la  temporelle  &  la  fpirituelle, 
entre  les  Rois  ôc  les  autres  Princes  d'une  part, 
ôc  de  l'autre  le  Pape  Se  les  Evefques  qui  font 
les  Princes  de  l'Eglifc:  que  comme  il  n'eft  pas 
permis  à  ceux-là  de  rien  entreprendre  furie 
fpirituel,  ni  de  mettre  la  main  a  l'encenfoir, 
il  n'eft  aufTi  nullement  loifible  à  ceux-cy  d'at- 
tenter fur  le  temporel,  en  abufant  de  cette 
puiflance  fpirituelle  qui  ne  leur  a  cfté  donnée 
de  Jefus-Chrift  que  pour  l'exercer  fur  des 
chofes  qui  font  entièrement  détachées  du  tem- 
porel ,  fur  quoy  ils  ne  peuvent  rien  ni  dire- 
dément,  ni  indire(5lement  j  beaucoup  moins 
peuvent-ils  dépofer  les  Rois,  &  empefcher  par 
les  Cenfures  &c  par  les  foudres  de  î'Ef^life  que 
leurs  Sujets  ne  leur  rendent  ce  qu'ils  leur  doi- 
vent.  Ils  ajoulloicnt  que  la  do(^rinc  contraire 


L    î  V   R    E      ï.  '  8;  

fouftcnuc  par  quelques  Ecrivains  de  delà  les  ij8j. 
Monts,  pour  flater  la  Cour  de  Rome,  avoir  tou- 
jours efté  condamnée  par  les  Décifîons  de  l'E- 
glife  Gallicane,  par  les  Arrefts  du  Parlement, 
&  par  les  Protertations  que  nos  Rois  ont  faites 
alTez  fouvent  contre  cette  cntreprife  inouïe  en 
l'Eglifc  de  Dieu  pendant  plus  d'onze  fiecles^  de 
qu'on  n'a  jamais  pu  fouffriren  France. 

Et  tandis  que  j'écris  cette  partie  de  mon  Hif- 
toirc,  le  vingt-troifiéme  jour  du  mois  de  Mars, 
j'apprcns  qu'on  enregiftrc  au  Parlement  l'Edit 
perpétuel  &  irrévocable,  par  lequel  Louis  le 
Grand,  qui  fçait  maintenir  avec  tant  de  force 
les  droits  de  fa  Couronne,  ôc  avec  tant  de  pie- 
té ceux  de  l'Eglife,  ordonne  que  l'indépendan- 
ce abfoluë  des  Rois,  pour  le  temporel,  fans 
que  quelque  puiffance  que  ce  foit  y  puifle  don- 
ner atteinte  ni  dirc6lement,  ni  indirectement, 
fous  quelque  prétexte  que  ce  puifle  élire,  foie 
fouftenuë  &c  enfeignée  dans  fon  Royaume  par 
les  ProfelTeurs  en  Théologie,  Séculiers  &  Ré- 
guliers, conformément  à  ce  que  i'Afl'emblée 
générale  du  Clergé,  reprefentant  TEglile  Galli- 
cane, en  a  folcnnellemcnt  déclaré,  en  expli- 
quant le  fentiment  qu'elle  a  &:  que  l'on  doit 
avoir  avec  elle  fur  ce  fujet. 

Au  relie ,  cette  Bulle  de  Sixte  ne  parut  pas 
plûtoft  en  France,  par  le  foin  que  les  Ligueurs 
en  prirent,  qu'on  fit  courir  une  infinité  d'E- 
crits,  dans  icf^ucls  ceux  de  l'une  6c  de  l'autre 


8(î       Histoire  DE    la    Ligue. 


ij8j|.  Religion,  qui  conviennent  dans  la  mefmc  do- 
urine  de  l'indépendance  des  Rois  de  toute 
autre  puilTance  que  de  Dieu,  à  l'égard  de  leur 
Couronne,  en  montroient  les  nullitez-,  les  uns 
aflez  paiiiblcment,  fe  contentant  de  la  force  de 
la  raiibn,  lans  y  meller  l'aigreur  &  l'emporte- 
ment de  la  pafGoni  &  les  autres  en  ftyle  de 
déclamatcur  &c  de  latyrique ,  avec  de  furieufes 
inventives.  Le  plus  alpre  &  le  plus  injurieux 
de  ces  Ecrivains  paffionnez,  mais  qui  n'eft  pas 
pourtant  le  moins  fort  &c  le  moins  Içavant, 
eft  l'Auteur  de  l'Ecrit,  intitulé  Xrutum  Fulmcn , 
que  quelques-uns  ont  attribué  au  Jurifconfulte 
François  Hotman.  Mais  cet  Ecrivain,  quel  qu'il 
foit,  euil  beaucoup  mieux  ibuRenu  les  droits 
des  Souverains,  s'il  eull  écrit  avec  un  zèle  plus 
réglé,  &  avec  plus  de  modération,  lans  ic  dé- 
chailner,  comme  il  fait,  contre  les  Papes ,  auf- 
quels ,  quand  meime  l'on  prétend  qu'ils  ayent 
manqué  en  quelque  chofe ,  il  n'cft  pourtant  ja- 
mais permis  de  manquer  de  refped:. 
-s.t»>t7>trance  ^^  Parlement,  qui  s'eft  toujours  vigoureufe- 
«HR-yf-^r  u  ment  oppofé  à  de  pareilles  entreprifes,  ncman- 

Ccur  de  Pari.  /^  ^  - 

'  qua  pas  de  faire  au  Roy  iur  ce  iujet  de  tres- 

humbles  remontrances,  dignes  de  la  faeefTe  dc 

de  la  fermeté  que  cette  Augufte  Compagnie 

fait  éclater  en  toutes  les  occaiions  où  il  s'a- 

3éciar.  jst     gjj.  jg  maintenir  les   Droits  de  la  Couronne 

Roy  de  \a~j       CI 

comte  la  Eid.  &  Ics  libertcz  du  Royaume,    Le  Roy  de  Na- 

Mem.  de  la  ■      ■         ■       \         r  ^       1    T  i" 

iig:it.  v.arre  y  joignit  les  iicnnes,  ou  il  rait  connoiir- 


Livre     Ï.  87 


ri'C  au  Roy  qu'il  avoit  encore  plus  d'intcrcft  que     i  ;  8  j. 
luy  à  ne  pas  loufFrir  une  il  hardie  6»:  fi  infoul- 
tenable  entreprile  de  Sixte.  Et  comme  il  crut 
qu'il  devoit  icpoufTer,  par  un  coup  d'une  force 
<3c d'une  hauteur  extraordinaire, l'injure  atroce 
qu'il  avoit  receiië  dans  une  Bulle  où  il  croyoit 
cllre  traité  de  la  manière  du  monde  la  plus  in- 
digne :  il  eût  le  courage ,  &  trouva  le  moyen 
de  faire  afficher  dans  Rome  mefme,  juiqu'aux 
portes  du  Vatican,  la  Proteftation  iolennelle 
qu'il  fit  contre  cette  Bulle,  6c   par   laquelle, 
après  en  avoir  appelle  comme  d'abus  à  la  Cour  opfoftionf^u 
des  Pairs,  &  au  Concile  comme  au  Supérieur  du  de  k^iv.  con. 
Pape,  il  protefte  de  nullité  de  tout  le  procédé  de  "^c.affickl'eà 
Sixte;  d:  il  aiouile  que  Ci  les  Princes  &  les  Rois  Ces  ^'""'  '',  '^\ 
Predecejjeurs  ont  bien  jceu  réprimer  les  Papes  lors  au  ils 
[^  font  oublie':^,  ^  au  ils  ont  paj^é  au-delà  des  bornes 
de  leurnjocation^en  confondant  le  temporel  avec  le  fhiri- 
tuel,  il  ef^ere  cme  Dieu  luy  fera  la  grâce  de  venger  fur 
Sixte  l'injure  qui  ejl  faite  enjaperfonne  à  toute  la  Aïai- 
Jon  de  France,  implorant  pour  cela  le  fecours  de  tous 
les  Rois,  de  tous  les  Princes,  &  de  toutes  les  Républi- 
ques de  la  Chrejlienté  qu'on  attaque  aujfi-bien  que  luy 
par  cette  Bulle.  Quoy-que  le  Pape  Sixte,  luivanc 
ion  naturel  &  fon  génie  impérieux  5c  inflexi- 
ble, ne  révoqua  point  pour  cela  ia  Bulle*,  néan- 
moins, comme  il  avoit  l'amc  tout- à-fait  crran^ 
de,  il  ne  laiffa  pas  de  trouver  cette  a6tion  fort 
généreufe  ,  &  ne  put  s'empefcher   de  dire  à     ' 
i'Ambafradeur  de  France,  qu'il  fouhaiteroitquc 


- — " — S8  Histoire  ce  la  Ligue. 
I  j8  j.  le  Roy  fon  Maiftrc  euffc  autant  de  cœur  &  de 
réfolution  contre  les  véritables  ennemis,  que 
le  Navarrois  en  avoit  témoigné  contre  ceux 
qui  haïlToient  fon  hérefie ,  &c  non  pas  fa  per- 
fonnc. 

Mais  ce  fouhait  eftoit  fort  inutile.  Car  ce 
pauvre  Prince  avoit  tant  de  peur  de  la  Ligue, 
que  quelques  remontrances  qu'on  luy  fîil,  ôc 
quoy-qu'on  luy  propofaft  l'exemple  du  feu  Roy 
fon  frère,  qui  agît  avec  beaucoup  de  force  en 
une  pareille  occasion,  au  fujet  de  la  Reine  de 
Navarre  qu'on  vouloit  dépoter  à  Rome ,  il  n'o- 
fa  jamais  permettre  que  l'on  procedaft  contre 
cette  Bulle.  De  forte  qu'il  fe  contenta  qu'elle 
ne  fuil  point  publiée  en  France  par  Arrefti  fans 
mefme  demander  au  Pape  qu'il  la  révoquaft, 
comme  avoit  fait  Charles  I  X.  qui  obligea,  par 
une  forte  proteftation,  le  Pape  Pie  IV.  à  révo- 
<juer  la  Bulle  qu'il  avoit  faite  contre  la  Reine 
Jeanne  d'Albret.  Ce  fut-là  l'eifet  de  la  crainte 
peu  digne  d'un  Roy,  que  Henry  HL  conceût 
de  la  Ligue ,  laquelle  tirant  avantage  de  fa  foi- 
blefle,  en  devint  plus  fiere,  &  plus  hardie,  pour 
l'obliger,  comme  elle  fit,  malgré  toute  fa  ré- 
pugnance, à  rompre  la  paix  qu'il  avoit  don- 
née à  la  France ,  &  à  faire  la  guerre  au  Roy  de 
Navarre  qui  luy  avoit  toujours  ponctuellement 
Zfttre,fu^ey  obéï ,  lors  mefmc  qu'il  luy  défendit  de  pren- 
*«  n>y  de  dre  les  armes  pour  marcher  a  ion  lecours  con- 
fTlftiTarm.  tre  la  Ligue.  Touç  ce  qu'il  put  obtenir  des  Li- 
gueurs ^ 


L    I  V   R   E      T.  '  Sp 


crucurs,  pour  différer  du  moins  autant  qu'il  pour-     1585'. 
roit  d'en  venir  à  cette  extrémité,  dont  il  pré- 
voyoit  aflez  les  dangerculcs  coniequences,  fut 
d'envoyer  à  ce 'Prince  MefTne  Philippes  de  Le- 
noncour,   qui  fut  depuis  Cardinal,  &  le  Pré- 
fidcnt  Brulart,  avec  quelques  DoiLlcurs  de  Sor- 
bonne,  pour  luy  perluader  de  rentrer  dans  la  ^f'^'J'"'/" 
Communion  de  l'Egliic  Catholique,  &;de  iul-  ^ir  tr,v,j,i 
pendre  l'exercice  du  Calvinilme,  du  moins  pour  "i^^vlrrs! 
iîx  mois,  pendant  lelquels  on  trouveroit   les 
voycs  d'accommoder  toutes  choies  à  l'amiable. 
On  ne  pouvoit  mieux  choifir  pour  traiter 
d'une  affaire  de  cette  importance  que  ce  célè- 
bre Nicolas  Brulart,  Marquis  de  Sillery,  dont 
la  fidélité  toujours  conftantc  au  fervice  de  nos 
Rois ,  &:  la  lageile  &  l'habileté   confommée 
dans  le  manîment  des  affaires  furent  enfin  ré- 
compenlécs  par  Henry  IV-  de  la  première  di- 
gnité de  la  Robe,  où  il  a  fini  eloneuiement  fes 
jours  lous  le  Règne  du  rcu  Roy.    Et  c'eft  ce 
qui  diftingue  avec  grand  honneur  cette  illuftre 
Mailon,  qui  a  l'avantage  de  pouvoir  compter 
parmi  les  grands  hommes  qui  en  font  fortis ,, 
deux  Chambelans  de  nos  Rois,  un  Maiftredes  wji.  "'dV 
Engins  ôt  des  Machines,  un  Commandant  de  ''^'""""'• 
Cavalerie  tué  à  la  bataille  d'Azincour,  en  com-  cLUeucUr.^ 
bâtant  pour  fa  patrie,  un  Procureur  Général,^''"' 
&:  trois  Prélidcns  au  Parlement  de  Paris ,  deux  de  L'/u^^^'h! 
Premiers  Préhdens  au  Parlement  de  Bouro-Qc^ne,  ^^'>^'<:'"<n  dti. 

c     r       1  ^1  1  i     T-  ^    V*     9  Prejîdais  »>^ 

ùc  lur  le  tout  un  Chanceiicr  çk  France,  Cela  s  ap-  Mm, 

H 


i>o        Histoire  de  la  Ligue. 

1585.  pelle  ce  qui  fait  la  vraye  grandeur  d'une  Mai- 
fon,  &  l'un  des  plus  beaux  titres  de  NoblefTe 
que  rEpée&:  la  Robe  puifl'cnt  fournir. 

Or  ce  fut  cet  excellent  homme  qu'on  joignit 
au  fîeur  de  Lenoncour  pour  cette  importante 
nécrotiation,  parce  qu'on  elpera  que  par  fon 

y-  adrelTe,  &:  par  fa  manière  d'agir  également 

douce,  infinuante  ôc  efficace  il  pourroit  por- 
ter plus  facilement  que  tout  autre  le  Roy  de 
Navarre  à  donner  au  Roy  la  fatisfadion  qu'il 
defiroit  de  luy,  pour  ne  ie  voir  pas  obligé  à 
luy  faire  la  guerre  malgré  qu'il  en  cuft.  Mais 
comme  cet  heureux  moment  n'eftoit  pas  en- 
core venu ,  &  que  c'eft  un  mauvais  moyen  de 
procurer  la  converfion  d'un  homme,  &:  fur 
tout  d'un  grand  Prince  qui  a  de  quoy  le  bien 
défendre  quand  on  l'attaquera,  que  de  l'y  por^ 
ter  en  le  menaçant ,  &:  en  luy  montrant  les  ar- 
mes qu'on  tient  toutes  preftes  pour  l'y  con- 
traindre :  il  ne  répondit  autre  choie,  finon  qu'il 
avoir  toujours  eilé  diipofé,  comme  il  l'eltoit 
encore,  à  recevoir  l'inifruôlion  qu'on  luy  vou- 
droit  donner,  félon  les  décifîons  d'un  Conci- 
le libre,  &  non  pas  le  poignard  iur  la  gorge, 
comme  on  avoit  fait  après  la  Saint  Barthé- 
lémy. 

C'eft  pourquoy  il  fallut  enfin  qu'on  envinft 
^  la  guerre ,  ainfi  que  la  Ligue  le  fouhaitoit , 
croyant  qu'elle  accableroit  tout- à- coup  ce 
Prince  &c  Ion  parti ,  avant  qu'il  puft  recevoir 


Livre     T.       •'  ''^^        5,1 

les  forces  des  Eftrangcrs.  Mais  elle  fe  trouva  1585. 
bien  rronipcc  dans  fon  attente.  Car  des  deux 
armées  que  le  Roy  fut  obligé,  félon  le  Traité 
de  Nemours,  de  donner  aux  deux  Princes  Lor^ 
rains ,  l'une  au  Duc  de  Guile  pour  s'oppofer 
aux  Allemans ,  s'ils  entreprenoicnt  d'entrer  en 
France,  comme  les  Huguenots  les  en  iollici- 
toient,  l'autre  au  Duc  de  Mayenne  pour  aller 
en  Guyenne  contre  le  Roy  de  Navarre,  dont 
les  Lij^ucurs  tenoient  la  défaite  ôc  la  ruine  pour 
indubitable,  celle-cy,  après  environ  dix  mois 
de  campapie,  ians  avoir  fait  autre  chofe  que 
prendre  quelques  petites  places  de  peu  d'im- 
portance ,  qui  furent  ailément  repriics ,  le 
trouva  prefque  entièrement  ruinée  &  dilTipée 
faute  d'argent,  de  vivres,  de  munitions,  d'é- 
quipage d'artillerie,  &  d'autres  lecours  qu'on 
luy  promettoit  tous  les  jours,  ôc  qu'on  ne  luy 
envoyoit  jamais,  de  lur  tout  par  la  mauvaiie 
intelligence  qui  eftoit  entre  le  Duc  de  Mayen- 
ne ôc  les  Marelchaux  de  Matignon  Gouverneur 
de  Guyenne,  ôc  de  Biron  commandant  une  pe- 
tite armée  en  Poitou  pour  iouil:enir  ce  Duc. 

Car  ces  deux  fidèles  ferviteurs  du  Roy  Içachant 
le  fecret  de  leur  Maiftre,  qui  ne  vouloir  pas  la 
perte  du  Roy  de  Navarre ,  de  peur  de  fe  voir 
avec  toute  la  Maiion  Royale  à  la  diicretion 
de  la  Ligue  qui  n'avoit  pas  envie  de  l'épar- 
gner, rompirent  adroitement  toutes  les  mciu- 
res  de  M.  de  Mayeime  :  de  ipitc  qu'il  fe  vit 

M  i) 


9t        Histoire   de   la    Ligue. 

ij8;.  contraint  de  s'en  retourner  auprès  du  Roy, 
fans  luy  emmener  captif  le  Roy  de  Navarre , 
comme  il  le  luy  avoir  promis,  &  fans  avoir 
rien  fait  de  ce  que  les  Ligueurs  attendoienr  de 
fon  zclc  pour  le  parti.  Pour  le  Duc  de  Guife, 
comme  il  ne  trouva  point  fur  la  frontière  de 
Champagne  d'Allemans  à  combatre,  &c  qu'il 
n'avoit  que  peu  de  troupes ,  toute  ton  expédi- 
tion fe  termina  a  prendre  Douzy  ôc  Raucour, 
deux  petites  villes  du  Duc  de  Bouillon  auquel 
le  Duc  de  Lorraine  faifoit  la  guerre ,  de  laquel- 
le je  ne  diray  rien,  parce  qu'elle  n'eft  point  de 
l'Hiltoire  de  la  Ligue. 

D'autre  cofté,  les  Huguenots  ne  faifoient 
pas  mieux  leurs  affaires.  Il  eft  vray  que  le  fieur 

de  Lefditruieres  ciît  de  l'avantage  fur  des  Li- 
er) o 

gueurs  en  Dauphiné,  où  il  leur  enleva  quel- 
ques places,  &c  entre  autres  Montelimar  &  fon 
Chafteau,  qu'il  prit  par  un  fîege  réglé,  ôc  Am- 
-  brun  qu'il  lurprit,  &  où  les  riches  ornemens 
de  l'Eglife  Métropolitaine  furent  pillez  par  fes 
foldats,  félon  la  couftume  des  Huguenots,  a 
laquelle,  quoy-qu'il  fuft  homme  d'ordre  &:fort 
modéré,  il  ne  put  s'oppofer.  Mais  outre  qu'ils 
furent  affez  malmenez  dans  les  autres  Provin- 
ces, &:  que  tout  ce  que  put  faire  le  Roy  de 
Navarre,  qui  n'avoit  pas  encore  alfcmblé  tou- 
tes les  troupes  qu'il  attendoit,  fut  de  le  tenir 
fur  la  défenfive  :  ils  receûrent  un  grand  échec, 
par  la  mémorable  déroute  de  f  armée  de  Mon- 


Livre      Ï-ct.uH        p3 ■• 

ficur  le  Prince,  qui  pcnfa  périr  dans"  îa  mal-  iJ^J- 
lieureuic  cntrcprile  qu'il  fit  lur  le  Chalteau 
d'Angers.  Ce  Prince,  qui  avoir  fait  un  petit 
corps  d'armée  aux  environs  de  Saint  Jean  d'An- 
gely  qu'il  tenoit  au  lieu  de  Peronne ,  avoir  lieu- 
reukmenc  commencé  la  campagne  dans  lePoi-  ^''y"- 

I       n''     1  T\  1       T->.  I      ly'  Auhigné. 

tou,  ayant  chaiie  de  cette  Province  le  Duc  de  «-/««n  du 
Mercœur,  qui  de  ion  Gouvernement  de  Brc- ^,  Ifwœw  "" 
tagne  y  eftoit  venu  au  Tecours  des  Litiueurs.  t^'"'-  '^'  '" 
Et  comme  après  cette  belle  aôtion  il  eût  ren- 
forcé Ion  armée  des  troupes  qui  accouroient 
à  luy    des  Provinces  voifines  au  bruit  de  la 
victoire  ,  il  entreprit  le  fiege  de  Broûage  en 
faveur  des  Rochelois,  qui  le  lecoururent  d'ar-^ 
gent  &  de  munitions. 

Il  avoit  avec  luy  quantité  de  brave  Noblef- 
-fc  &:  de  Seigneurs  de  grande  qualité ,  &  entre 
autres  René  Vicomte  de  Rohan,  François  Com- 
te  de  la  Rochefoucault ,  Mont-guyon  Lieute- 
nant du  Prince ,  Georo-c  de  Clermont  d'Am- 
boile,  Loûïs  de  Saint  Gelais,  &  Claude  de  la 
Trimouïlle,  qui  fut  depuis  Duc  de  Thoûars, 
&  dont  il  recherchoit  la  lœur  qu'il  époula  peu 
de  temps  après  i  &:  il  y  a  de  l'apparence  que  ce 
fut  plûtoft  pour  cela  que  par  un  motif  de 
confcience  &  de  Religion,  que  ce  jeune  Sei- 
gneur, bien  loin  de  luivre  l'exemple  de  fon 
père  qui  le  déclara  Chef  de  Li  Ligue  en  Poitou, 
donna  dans  l'autre  extrémité ,  &:  te  fit  Hugue-  '^ 

ftot  auJOTi  -  bien  que  fa  fœur  Charlotte  Catlie- 

M  li^ 


54       Histoire   de   la  Ligue. 

ijHj.  rine  de  la  TrimouïUe,  pour  avoir  l'honneur 
d'cpoufer  le  Prince  de  Condé.  Grand  pouvoir 
de  Tambition  lur  les  efprits  qu'elle  éblouît  de 
l'éclat  trompeur  des  grandeurs  du  monde,  d'a- 
voir pli  obliger  le  frère  &  la  fœur  nez  de  Loûïs 
de  la  TrimouïUe ,  &  de  Jeanne  de  Montmo- 
rency fille  du  Grand  Connétable,  tous  deux 
trcs-Catholiqucs  aufli  -  bien  que  tous  leurs  il- 
lullrcs  Ancenres,  a  fe  faire  Calvinilles,  l'un 
pour  devenir  beaufrere  d'un  Prince  du  Sang, 
ôc  l'autre  pour  cftre  ia  femme. 

C'eft  de  ce  mariage  que  naquit  le  premier 
de  Septembre  de  l'année  mil  cmq  cens  quatre- 
vingts -huit,  le  feu  Prince  de  Condé  Henry 
de  Bourbon,  qui  par  un  bienheureux  fort  op- 
polé  directement  à  celuy  de  cette  Prmcefl'e, 
eftant  lorti  d'un  père  &  d'une  mcre  très -atta- 
chez au  Calvmiime,  a  cfté  l'un  des  Princes  les 
plus  zelez  pour  la  Foy  Catholique  que  la  France 
ait  jamais  eus ,  Ôc  ccluy  qui  s'eft  le  plus  hau- 
tement déclaré  l'ennemi  de  l'hérelie  des  Cal- 
vinilles. AufTi  a-t-il  laifTé  à  la  poflerité  une 
très  -  glorieufe  mémoire  de  fon  nom  ,  qui  ne 
périra  jamais  dans  celle  de  tous  les  bons  Fran- 
çois ,  pour  avoir  toujours  défendu  la  Reli- 
gion de  toute  fa  force,  employant  à  ce  faine 
éc  divin -employ  fon  bras,  6c  fon  efprit  qu'il 
avoit  excellent,  comme  il  l'a  fait  paroiilre  en 
toutes  les  occalions,  &  principalement  dans  le 
ponfcil,  dont  U  eftoit  le  Chef,  quand  il  mou- 


Livre     T. 


5>; 


fut;  d'une  mort  que  les  adcs  de  toutes  les  ver-  i  j8j, 
tus  les  plus  ioUdcs  dont  elle  fut  accompagnée 
renducnt  précicule  devant  Dieu.  J'ay  crû  que 
j'eftois  oblige,  par  reconnoiiïance,  à  rendre  juf- 
ticc  dans  ce  petit  éloge  au  grand  mente  de  ce  ' 
Prince,  qui  m'a  fait  autrefois  l'honneur  de  me 
donner  en  plus  d'une  rencontre  quelques  mar- 
ques aflez  particulières  de  fon  eftime  &  de  Ton  / 
affedtion  ;  &  j'efpere  que  ceux  qui  prendront 
la  peine  de  lire  mon  Ouvrage,  ne  trouveront 
pas  mauvais  que  j'ayc  fait  pour  luy  cette  cour- 
te digrelTion,  à  l'occafion  du  Prince  fon  père, 
auquel  il  faut  maintenant  revenir. 

Ces  Seigneurs  qui  s'eftoient  rendus  auprès  de 
luy  pour  le  fervir  à  cet  important  fiege  de 
Broûage,  y  avoient  amené  une  belle  fuite  de 
Gentilshommes  Huguenots,  ôcmelme  de  quel- 
ques Catholiques  ennemis  de  la  Ligue.  Et  avec 
ce  fecours  il  avoit  enfin  réduit  la  place  aux 
termes  d'eftre  bientoll  prife ,  lors  que  par  un  p-^^^,^/. 
trait,  qui  affeûrémcnt  n'eftoit  pas  d'un  Capi-  ^'"y"-  \  '■ 

'■        ,-  /         1  •        I  1  t  MtflJ.  de  î» 

tainc  coniomme,  il  prit  le  change  aime  ma-  i»x»«.©.c 
niere  qui  luy  fit  perdre  tout  le  fruit  de  fes  tra- 
vaux paffez ,  (Se  le  mit  en  un  extrême  danger 
de  périr,  (ans  avoir  rien  fait  de  ce  qu'il  pré- 
tendoit.  Comme  il  eût  appris  que  le  Capitaine  ^'oy"ll\uîu 
Roche -morte,  l'un  de  les  meilleurs  Officiers,  ^-  '^'  ^""f 

dr  y  -  tnrreprtr    à 

avoir  iurpris  le  Chafteau  d'Anc^ers  en  l'ablen-  Angers.  é"it 
u  Comte  de  Briflac,  qui  en  ayant  eu  du  Arm. 
Roy  le  Çouvernement  après  la  mort  du  Duc  u^t^^l!* 


t>c       Histoire    de   la   Ligue. 


3j8j,  d'Alençon,  s'cftoit  déclaré  pour  la  Ligue:  iî 
laiiTa  devant  Broiiage  le  iieur  de  la  Roche- 
Baucour  Sainte -Mefme  avecl'Infanterie  pour 
en  continuer  le  ficcre,  àc  s'en  alla  luy-meimc 
avec  toute  fa  Cavalerie  ^  Gonfîftant  en  deux 
mille  chevaux,  pour  fecourir  ce  Capitaine^  qui 
avec  dix-fept  ou  dix-huit  loldats  leulement  te- 
noit  contre  les  Bourgeois  d'Angers  qui  l'aflie- 
^eoient  dans  le  Challeau.  Mais  ayant  un  peu- 
trop  tardé  à  fe  mettre  en  marche,  &  confumé 
encore  trop  de  temps  à  faire  cette  cavalcade 
dont  le  bon  fuccés  dépendoit  uniquement  de 
la  célérité ,  il  n'eût  pas  plûtoft  paflé  la  rivière 
de  Loire  iur  des  batteaux  entre  Saumur  5>:  An- 
gers au  bourg  de  Gènes  &  aux  Roiiers,  qu'il 
eût  avis  que  Roche- morte  ayant  elle  tué  d'une 
arque bufade  comme  il  regardoit  par  une  fe- 
neltre,  il  y  avoit  deux  jours  que  le  Chafteau 
s'elloit  rendu, 

Nonobllant  ce  malheur,  que  la  plufpart 
des  liens  ne  vouloient  pas  croire,  comme  il 
eût  joint  quinze  cens  hommes  que  Clermont 
d'Amboile,un  peu  avant  qu'on  allall  inveilir 
Broûage,  eiloit  venu  lever  pour  luy  en  Anjou,, 
il  ne  laiifa  pas  d'attaquer  les  faux  bourgs.  Mais, 
il  en  fut  vigoureuiement  rcpoulfé  par  de  bon- 
nes troupes  que  le  Roy  y  avoit  envoyées, pour 
fouftenir  les  Bourgeois  qui  s'eiloient  retranchez 
contre  le  Challeau  qu'ils  alliegeoicnt.  Après 
quoy,  comme  il  penia  repaflcr  ia  nvierc,  il  trou- 
va 


L    I   V    R    E"     T.  «jy 

va  non  feulement  que  tous  les  pafTaores eftoienc  ij^j. 
gardez,  mais  auili  qu'il  alloit  cftrc  cnvelopé 
parles  troupes  du  Roy  (Se  de  la  Ligue,  qui  ac- 
couroient  de  tous  coftez  de  delà  6c  de  de(jà  la 
Loire  pour  l'enfermer.  De  forte  que  ne  pou- 
vant plus  ni  avancer  ni  reculer  fans  eftrc  pris 
ou  taillé  en  pièces  avec  tous  fes  gens,  ils  fu- 
rent enfin  contraints  de  le  débander,  fe  fcpa- 
rantles  uns  des  autres  en  petites  troupes  de  fepc 
ou  huit,  de  dix  ou  douze,  pour  fe  fauver,  cha- 
cun comme  il  pourroit,  ne  marchant  que  de 
nuit  par  des  lieux  fort  écartez  des  grands  che- 
mins. Se  par  les  bois,  de  peur  de  rencontrer 
les  foidats  ou  les  païians  qui  en  tuoient  tout 
autant  qu'ils  en  pouvoient  trouver,  &  leur  don- 
noient  la  chafle  ,  comme  on  fait  aux  Loups 
quand  ils  s'enfuyent,  après  qu'on  les  a  décou- 
verts fur  le  point  qu'ils  eftoicnt  d'entrer  dans 
une  berojerie.  Le  Prince  fur  tout  eût  bien  de  la 
peine  à  le  lauver  luy  dixième,  &c  travefti,  dans 
la  Balfc  Normandie,  d'où  il  paffa  iur  quelque 
barque  de  pcicheur,  entre  Avranche  &  Saint 
Malo,  dans  i'Ifle  de  Grenczay,  de  de  là  iur  un 
vaifleau  Angiois  en  Angleterre ,  où  il  fut  très- 
bien  reccû  de  la  Reine  Elizabeth,  qui  le  fit 
repafTcr  l'année  d'après  à  la  Rochelle  avec  un. 
fecours  alfez  confiderable. 

Cependant  Sainte  Mefme,  qui  durant  cette 
malheureuie  expédition  du  Prince  continuoic 
le  fîege  de  Broùage,  fe  tiouyant  trop  foible 

N 


î?§  HiSTQÎRÉ    DE    LA    llGUÈ. 


158  j.  pour  réfifter  au  MareichaJ  de  Matignon,  qui 
par  ordre  du  Roy  s'avanxjoic  avec  des  troupes 
aguerries  pour  donner  tefte  baifTée  dans  fes  re- 
tranchemens,  plia  bagage,  &  fe  retira  bien  vifte, 
avec  tant  d'épouvante  &  de  delordre,  qu'il  per- 
dit une  bonne  partie  de  les  gens  dans  fa  mar- 
che précipitée,  &c  fîngulierement  au  pafTagcde 
la  Charante  ,  où  Saint  Luc  Gouverneur  de 
Broûage,qui  le  montra  toujours  aufïi  brave  à 
la  guerre  qu'il  efloit  agréable  courtilan  du- 
rant la  paix ,  l'ayant  chargé  en  queue,  luy  tail- 
la en  pièces  fon  arriercgarde.  Ainfi  la  Ligue 
&c  le  Calvinifme  perdirent  en  cette  occafion, 
l'une  le  Chafteau  d'Angers,  où  le  Roy  mit 
LejîfHrju  un  Gouvcmcur,  fiir  la  fidélité  duquel  il  s'af- 
Bou(h«s'-  leûroit;  &  l'autre  prefque  toutes  les  forces, 
qui  après  cet  échec  n'ofoicnt  plus  paroiftrc  en 
campagne. 

Cela  fit  que  le  Roy  prenant  fon  temps  pu- 
blia de  nouvelles  Ordonnances ,  par  lelquelles 
il  commandoit  qu'on  iaifift  les  biens  des  Re- 
belles ,  ôc  particulièrement  de  ceux  qui  avoient 
fuivi  le  Prince  de  Condé,  promettant  de  les 
rétablir  s'ils  rentroient  dans  l'Eghfe  Catholi- 
que ,  &c  donnoient  bonne  caution  d'y  pcrfifler, 
ordonnant  au  refte  qu'en  exécution  de  l'Edit  de 
Juillet  on  fift  iortir  du  Royaume  tous  ceux  qui 
refuferoient  de  faire  entre  les  mains  des  Evef- 
ques  abjuration  du  Calviniimc  ;  de  l'on  vou- 
lut qu'ils  la  fiffent  fclon  le  Formulaire  qui  en 


L    I    V    R     E       I.  '  ■  r)c,  

fut  lircflc  par  Guillaume  Ruzc  Evcfque  d'An-  1585. 
2;crs.  L'on  en  u(a  de  la  forte,  parce  qu'on  avoit 
obfcrvé  que  la  pluipart  des  Huguenots  s'ef- 
toient  imaginé  que  pour  ne  pas  perdre  leurs 
biens  &:  lortu"  du  Royaume ,  il  leur  eftoit  per- 
mis de  s'accommoder  au  temps,  &  de  trom- 
per les  hommes  en  failant  une  faulTc  profef- 
fion  de  Foy ,  Iculement  pour  garder  la  police, 
&  obéir  à  l'extérieur  aux  Edits  ;  ce  qu'ils  ex- 
primoicnt  par  ces  paroles ,  fu'u  qu'il  pLijî  au  Rcy, 
qu'ils  ne  manquoient  jamais  de  dire,  quand  ils 


ribles  profanations  des  Sacremcns  que  ces  faux  L>iue.f.  44?. 
Convertis  ne  faitoient  point  de  icrupule  de  re- 
cevoir, en  trahiflant  par  cette  damnable  im- 
pofturc  l'une  &:  l'autre  Religion  :  il  n'en  vou- 
lut recevoir  aucun  à  la  Communion  de  l'Eo-li- 
fe  qu'il  n'euft  fait  fa  profefTion  de  Foy  félon  ion 
Formulaire  ailcz  femblable  à  celuy  du  Pape 
Pie  IV.  que  l'on  preicnte  à  iigner  depuis  ce 
temps-là  à  tous  ceux  qui  abjurent  l'Hércfic. 

A  la  vérité  ces  Edits  joints  a  l'extrême  foi- 
blefleoù  le  trouvoicnt  alors  les  Huguenots,  fi- 
rent en  peu  de  tem-ps  beaucoup  plus  de  con- 
verfions,  véritables  ou  feintes,  que  n'en  avoic 
fait  le  maflacrc  de  la  Saint  Barthélémy.  Mais 
auili  d'autre  part,  ils  firent  que  les  Protcftans 
d'Allemagne,  que  le  Roy  de  Navarre  n'avoir 

N  i) 


BlBLlOTHtCA 


— — ■  lOO  HiSTOÏRE   DE    LA    LlGUE. 

I  j  8  j.  pu  encore  attirer  a  Ton  parti  contre  les  Ligueurs, 
commencèrent  à  s'ébranler  en  fa  faveur.  Il  y 
avoit  prés  de  deux  ans  que  ce  Roy,  qui  fc 
vouloir  mettre  à  couvert  de  la  Conlpiration 
que  la  Ligue  avoit  faite  principalement  con- 
tre luy,  afin  de  l'exclure  de  la  lucceflion  de  la 
Couronne  contre  la  Loy  fondamentale  du 
Royaume ,  follicitoit  ces  Princes  par  les  ficurs 
de  Segur-Pardaillan  &  de  Clervant  de  lever 
une  armée  pour  fon  fecours  ;  &  d'ailleurs,  il  preC 
foit  par  ceux  de  Genève  les  Cantons  Proteftans 
des  SuilTes  de  faire  pour  le  mefmc  effet  une 
contre -ligue  avec  les  Allemans.  La  Reine  Eli- 
zabeth,  qui  outre  l'intereÛ:  de  fa  Religion  Pro- 
reliante  avoit  une  eftime  &c  une  affe^Stion  tou- 
te particulière  pour  ce  Prince,  le  Duc  de  Bouil- 
lon ennemi  déclaré  des  Princes  Lorrains,  &c  le 
Comte  dcMontbeliard  Frideric  deVirtemberg 
fort  zélé  Calvinifte,  faifoient  tous  leurs  efforts 
auprès  de  ces  Proteftans  pour  les  émouvoir. 
Ceux-cy  néanmoins  avoient  grand'  peine  a  fe 
réfoudre  à  la  guerre  contre  un  Roy  de  France 
leur  allié,  diiant  toujours  qu'ils  ne  s'y  enga- 
geroient  jamais  qu'on  ne  leur  fift  voir  claire- 
ment que  la  guerre  qu'on  falloir  aux  Hugue- 
nots n  eftoit  pas  une  guerre  d'Eftat  contre  des 
Rebelles,  &  que  c'eftoit  uniquement  à  la  Re- 
ligion Protellantc  qu'on  en  vouloit.  M.iis  quand 
on  leur  eût  fait  voir  ces  Edits  &  ces  Ordon- 
uances  du  Roy ,  qui  ne  vouloir  abfolumcnt  plus 


Livre     I.  " 


lor 


fouffrii"  d'autre  Religion  que  la  Catholique  en   i  j8;. 
ion  Royaume,  &:  qu'on  leur  eût  donné  d'ail- 
leurs toutes  les  (curetez  qu'ils  pouvoicnt  fou- 
haiter  pour  le  payement  de  leur  armée  ;   alors 
ils  réiolurent  d'en  lever  une  bonne  pourlccou-        . 
rir  puifTammcnt  le  Roy  de  Navarre,  après  qu'ils 
auroicnt  envoyé  une  Ambafl'ade  lolennelle  au      ^ 
Roy,  pour  luy  demander  la  révocation  de  les 
Edits,6«:  une  entière  liberté  de conlcience pour 
les  Proteftans, 

Le  Roy  de  Danncmarc,  les  Electeurs  de  Harj»gutdeî 
Saxe  de  de  Brandebourg,  le  Prince  Palatin  Jean  f^„'!'s^pr)t/: 
Cafîmir,  les  Ducs  de  Saxe,  de  Pomeranie,  &:  l^''"/','* 
deBrunfvic,  le  Lantgrave  de  HelTc,  de  JcanFri- 
deric  Adminirtrateur  de  Macrdebouro;  furent 
les  Princes  qui  s'aflocierent  avec  les  villes  de 
Francfort,  Ulmes,  Nuremberg  &:  Stralboure, 
pour  envoyer  cette  Ambaflade  au  Roy,  qui  ne 
r<jachant  que  leur  répondre,  de  peur  d'irriter 
la  Ligue, en  leur  accordant,  ou  de  s'attirer  fur 
les  bras  les  forces  de  prefque  tous  les  Protef- 
tans d'Allemagne,  en  leur  refufantce  qu'ils  dc- 
mandoient,  fit ,  pour  gagner  du  temps,  un  voya- 
ge jufqu'à  Lyon,  tandis  que  les  Députez  de  ces 
Princes  ertoienc  à  Paris  j  ce  qui  obligea  le 
Comte  de  Montbeliard  &  le  Comte  d'ifem- 
bourg  Chefs  de  l'AmbalTade  a  s'en  retour- 
ner. Il  n'en  fut  pas  de  mefmc  des  autres,  qui 
s'obifinerent  à  attendre  le  retour  du  Roy,  qui 
fut  contraint,  vaincu  par  une  û  longue  paticn- 
-,  N  iij 


— ICI         Histoire  de  la  Ligue. 

ijS6,    ce  quil  avoit  cru  pouvoir  lafler,  de  leur  don- 
ner enfin  l'audiance  qu'ils  demandoient.  Celuy 
qui  portoit  la  parole  perdant  le  reipe6t,  parla 
d'une  manière  extrêmement  hautaine  &  teme- 
'"""   xaire,  en  luy  reprochant,  en  certains  termes  qui 

^^'^''"  ji'eftoient  que  trop  intelligibles,  que  contre  fa 
*''  "  ^  confcience  de  Ion  honneur  il  avoit  violé  la 
foy  fi  fialcnnellement  donnée  à  les  fidelles  Su- 
jets de  la  RclicTion  Réformée ,  de  leur  en  laif.- 
1er  l'exercice  libre,  en  demeurant,  comme  ils 
l'avoient  fait,  dans  les  termes  de  robéïiî'ance 
qu'on  doit  à  (on  Roy. 
-  Ce  Prince,  qui  n'eftoit  d'ailleurs  que  trop 

patient,  ou  plûtoft  trop  foible  &  trop  timide, 
le  trouva  fi  fort  ofïenié  de  cette  brutale  info- 
lence,  qu'il  ne  put  s'empetchcr  de  faire  haute- 
ment éclater  la  colère  en  cette  occafion.  Car 
il  leur  répondit  d'abord  de  cet  air  également 
lier  &c  majeftucux  qu'il  fcjavoit  fort  bien  pren- 
dre quand  il  le  vouloir,  que  comme  on  avoit 
laifle  leurs  Maiftres  en  liberté  de  gouverner 
leurs  Eftats  ainfi  qu'ils  l'entendoient,  en  y  chan- 
geant ce  qu'ils  avoient  voulu  dans  la  Police  de 
la  Religion,  il  prétendoit  aufii  de  fon  collé 
qu'ils  ne  trouvallent  pas  à  redire  aux  change- 
mcns  qu'il  trouvoit  à  propos  de  faire  dans  fes 
Edits,  lelon  la  diverlité  des  temps  &  des  oc- 
cafions  pour  le  bien  de  les  Peuples,  qui  dépen- 
doit  principalement  de  la  vraye  Religion  Ca- 
tholique oc  Romaine,  que  les  Rois  Tres-Chref- 


L    I  V  R   E      î  Î03  

ciciw  Tes  PrcdcccfTcurs  avoiem  toujours  main-  i;8  6. 
tenue  en  France  à  l'exclufion  de  toute  autre. 
Puis  s'eftant  retiré  dans  ion  cabinet,  où  après 
avoir  repafTé  dans  ion  clprit  tout  ce  qui  s'clloit 
dit  de  paît  &  d'autre,  il  ne  trouva  pas  que  cette 
réponie  fuil  encore  afTez  forte,  il  leur  envoya 
par  un  Secrétaire  d'Eilat  un  billet  écrit  de  i'a 
propre  main  qu'on  leur  leût,  &c  par  lequel  il 
donnoit  en  termes  formels  le  démenti  a  tous 
ceux  qui  diioient  qu'il  avoir  fait  contre  Ibn 
honneur  &  violé  fa  foy,  en  révoquant  l'Edit 
de  May  par  l'Edit  de  Juillet:  fur  quoy  on  leur 
dit  de  t'a  part,  qu'ils  n'avoient  qu'à  i'e  retirer, 
fans  plus  attendre  d'audiance. 

C'cftoit-la  ians  doute  une  réponfe  digne  d'un 
grand  Roy ,  s'il  l'euft  iouftcnue  par  fes  adtions 
aulTi-bicn  que  par  les  paroles,  &:  s'il  n'eull:  pas 
un  peu  trop  témoigné  par  ia  conduite  la  crain- 
te qu'il  avoit  de  l'irruption  de  ces  Allemans. 
Car  pour  l'empefcher,  il  voulut  bien  en  quel- 
que manière  deiccndrc  de  cette  haute  ëc  iuprê- 
me  élévation  de  laMajefté  Royale,  en  traitant 
prelque  d'égal  à  égal  avec  le  Duc  de  Guilé, 
&  luy  ojfFrant,  outre  tous  les  grands  avantages 
qu'il  euft  pu  iouhaiter  en  honneurs  &:  en  pen- 
fions,  plusieurs  villes  de  leûreté  qui  luy  eui- 
fent  fait  dans  le  Royaume  une  eipece  d'Eftat 
indépendant,  pourveCi  ieulement  qu'il  vouluit 
s'accommoder  avec  le  Roy  de  Navarre,  &  le 
laifTer  vivre  en  repos,  comme  fi  c'euil  elle  à       \^  ^[. 


I04       Histoire    de   la    Ligue. 


2;8(;.     ce  Duc,  &  non  pas  au  Roy,  de  luy  donner  la 
paix. 

Quoy-que  des  conditions  fi  avantagcufes 
fuflent  aflcz  capables  de  tenter  l'ambition  du 
Duc,  il  ne  voulut  pas  toutefois  les  accepter, 
parce  qu'il  elperoit  la  fatisfaire  beaucoup  mieux 
en  continuant  la  guerre  à  laquelle  il  avoir  en- 
gagé le  Roy,  qui  ne  s'en  pouvoit  plus  dédire: 
outre  qu'il  ne  vouloir  pas  détrmre  l'opinion 
que  les  Peuples  avoient  qu'il  n'agifToit  nulle- 
ment pour  ion  inrercft ,  mais  feulement  pour 
la  Religion.  Ce  moyen  donc  d'avoir  la  paix 
ayant  manqué  au  Roy,  qui  la  fouhaitoit  ar- 
demment, il  en  prit  un  autre,  qui  fut  de  prier 
;  la  Reine  fa  Mère  de  conférer  avec  le  Roy  de 

Navarre  Ion  gendre,  pour  tafchcr,  avec  fon 
adrclTe  ordinaire,  de  le  réduire  à  quelque  ac- 
commodement qui  puft  contenter  la  Ligue,  & 
arreftcrlcs  Allcmans,  du  lecours  dcfqucls  après 
cela  il  n'auroit  plus  befoin.    Cette  PrincelTc 
qui  dcfiroit  alors  la  paix  du  moins  autant  que 
luy ,  parce  qu'elle  craignoit  de  demeurer  à  la 
difcretîon  de  l'un  ou  de  l'autre  des  deux  partis 
dont  elle  efloit  également  haïe ,  accepta  tres- 
volonticrs  cette  commiffion  ,  elperant  beau- 
coup de  fes  artifices  qui  luy  avoient  fi  louvent 
,  .     ,     réiilfi  en  fcmblablcs  occafions. 
voy«gtieU        S'eitant  donc  avancée  julqua  Champigny, 
jJ7^»  nIv."  belle  maifon  du  Duc  de  Montpcnfier ,  elle  fit 

u^'t  î  '"   ^^  '^^^^^  j  P''^^  l'entremile  de  ce  Prince  qui  fut 

trouver 


L"  I   V   R   E       î.  lOjr 

trouver  de  fa  parc  le  Roy  de  Navarre,  qu'on  de-  ijS6. 
meura  d'accord  que  la  Conférence,  après  bien 
des  difliculccz  qu'on  y  oppoloïc,  &c  qu'on  eût 
bien  de  la  peine  à  rcloudre ,  ie  feroit  à  Saint 
Brix  ,  Challcau  prés  de  Cognac  appartenant 
au  iieur  de  Fors  qui  elloit  du  parti  de  ce  Roy. 
Elle  s'y  rendit  accompacinée  des  Ducs  de  Mont- 
peniîer  &c  de  Nevers,  du  Marelchal  de  Biron, 
ôc  de  quelques  autres  Seigneurs  qui  n'ciloicnt 
point  amis  des  Guiics  ni  des  Lif^ucurs ,  afin  que 
la  Conférence  en  fufl  plus  paiiiblc.  Le  Roy  de 
Navarre  s'y  rendit  auili  avec  le  Prince  de  Con- 
dé,  le  Vicomte  de  Turenne,  ôc  les  principaux 
Chefs  de  leur  parti. 

Il  parut  bien  à  ce  coup  que  la  Reine  n'avoir 
plus  cette  grande  autorité  qu'elle  s'eftoit  don- 
née dans  les  autres  Conférences,  où  elle  ame- 
noit  preique  toujours  leschofes  au  point  qu'el- 
le vouloit  par  ce  merveilleux  alccndant  qu'elle 
avoit  pris  lur  les  efprits  ■■,  &  elle  ne  reconnut 
que  trop  d'abord  qu'elle  avoit  affaire  à  des  gens 
qui  fe  défîoient  de  Tes  artifices,  &  qui  ne  fe 
laifTeroientpas  aifémentfurprendre  comme  a  la 
Saint  Barthélémy  dont  ils  le  iouvenoient  tou- 
jours. Car  ils  ne  voulurent  jamais  entrer  tous 
trois  eniemblc  dans  li  chambre  de  la  Confé- 
rence. Lors  que  le  Roy  de  Navarre  y  eftoit,  le 
Prince  &  le  Vicomte  bien  accompagnez  fai- 
foient  la  garde  à  la  porte  ;  Se  quand  l'un  des- 
deux y  cntroit,  le  Roy  de  Navarre  &c  l'aune 

O 


— îo(J       Histoire  de  la  LjIgue. 

158 (î.  en  faifoienc  autant,  pour  ne  fc  pas  mettre  im- 
prudemment entre  les  mains  de  celle  à  la  pa- 
role de  laquelle  ils  croyoïent  avoir  tout  lujet 
de  ne  fe  pas  fier ,  &  qui  n'euft  olé  en  faire  ar- 
reftcr  un  fcui^  les  deux  autres  eftant  libres  ÔC 
en  eilat  de  s'en  faire  raifon  li  on  l'entrepre- 
noit. 

Ainii,  comme  les  efprits  eftoient  trop  dé- 
fians  Se  trop  aigris  pour  pouvoir  a^ir  raifonna- 
blement  en  cette  Conférence,  tout  fc  palfa  dans 
les  trois  entreveûës  qui  s'y  firent  en  paroles 
allez  fafclieufes.  Se  en  reproches  réciproques 
fans  rien  conclure  quitendlll  à  un  bon  accord. 
Le  Prince  de  Condé,  félon  Ion  limncur  altiere 
Se  fevere,  parla  toujours  plus  durement  que  les 
deux  autres ,  en  rejettant  toute  voye  d'accom- 
modement ,  Se  difant  d'un  au  extrêmement  fier, 
qu'on  ne  le  pouvoir  nullement  fier  à  ceux  qui 
avoient  fi  vilainement  faulTé  leur  foy,  en  vio- 
lant les  Edits  du  Roy  pour  iatisfaire  des  Sédi- 
tieux Se  des  Rebelles.  Le  Roy  de  Navarre,  d'un 
naturel  beaucoup  plus  doux  Se  complaifant, 
quoy-que,  comme  il  eftoit  aufli  fort  généreux, 
il  ne  manquait  pas  de  faire  lentir  à  la  Reine 
qu'il  n'avoit  pas  iujet  de  fe  louer  de  fa  con- 
duite, ne  perdit  néanmoins  jamais  le  refpeét 
qui  luy  eftoit  dcû.  Et  fur  ce  qu'elle  luy  re- 
montroit  que  la  paix  de  la  France  dépcndoitdc 
fa  convcrfion,puis  que  la  leule  crainte  de  tom- 
ber fous  la  domination  d'un  Prince  Husuenoc 


Livre     I.  ^        :  i        107 

avoir  fait  &  armé  la  Ligue  qui  n'en  vouloir  c]u'a  ijS6. 
Ton  Hércjie  (îk  nullement  a  la  perionne  :  il  ne 
répondit  autre  choie  ,  finon  que  la  Rclicrion 
n'eiloit  qu'un  prétexte  que  les  Auteurs  ic  la 
Ligue  avoicnt  pris  pour  couvrir  leur  ambition, 
qui  alloit  tout  droit  à  la  ruine  entière  de  la 
Mailon  Royale  ■■>  &  quant  à  la  convcriîon ,  qu'il 
y  clloit  tout  diipptc,pourvcù  qu'il  fuli  inlhuit 
de  la  vérité  par  un  Concile  libre  qu'il  avoit 
fouvcnt  demandé,  &  au  jugement  duquel  luy 
ôc  tous  ceux  de  fon  parti  le  loumettroient.  Il 
conlentit  mefme  à  une  trêve  de  douze  jours, 
durant  Iclquels  on  envoyeroit  au  Roy  pour  luy 
propoier  cette  condition  qu'on  i^avoit  bien 
qu'il  n'accorderoit  jamais.  Et  cependant  le  Vi- 
comte de  Turenne  eftant  allé  trouver  la  Rei- 
ne qui  s'eftoit  retirée  à  Fontenay  ,  on  y  re- 
prit la  Conférence, mais  ce  fut  pour  la  deniere 
rois. 

Car  après  que  l'on  eût  exagéré  de  parc  ôc 
d'autre  les  forces  qu'on  avoir,  &  les  avantacres 
que  l'on  croyoït  avoir,  ce  qui  ne  le  put  rairc 
fans  aigreur,  àc  meime  ians  menaces,  la  Reine 
perdant  patience ,  &  reprenant  cet  air  de  hau- 
teur &  de  ma)efté  qu'elle  avoit*  fouvent  pris 
en  de  pareilles  Conférences  ious  les  Règnes  pré- 
cedens  &  an  commencement  de  ccluy-cy,  dit 
d'un  ton  fort  impérieux,  qu'il  n'y  avoit  plus 
à  délibérer,  <Sc  que  le  Roy,  qui  vouloir  ellrc 
ablolument  le  Maiftre  dans  Ton  Royaume,  von- 


l 


io8       Histoire  de  la  Ligue. 

i)S6.  loit  aufTi  réfolumenr  qu'il  n'y  euft  plus  qu'une 
Teule  Religion  en  France.  Et  bien  ^  Aîadame ,  re- 
parc iur  le  champ  le  Vicomte  avec  un  certain 
fourire  fier  &  méprifant,  nom  le  'voulons  bien  aujft, 
mais  pourveû  que  ce  foit  la  ncjlre ^  autrement  nom  nous 
battrons  bien.  Sur  quoy ,  (ans  attendre  de  repar- 
tie, il  fait  une  profonde  révérence,  &  fe  retire. 
Ainfî  finit  la  Conférence  au  grand  regret  du 
Roy,  qui  pour  fe  mettre  à  couvert  de  cette  tem- 
pcile  d'Allemans  qu'il  voyoit  bien  qui  vien- 
droient  bientoft  fondre  fur  la  France,  defiroic 
afiionnément  la  paix,  qu'il  ne  put  avoir  ni  avec 
e  Roy  de  Navarre ,  ni  mcfme  avec  la  Ligue , 
pour  laquelle  il  s'elloic  obligé  de  faire  la  guer- 
re à  ce  Roy. 

Car  les  Ligueurs,  dont  le  nombre  s'eftoit 
merveilleufemcnt  accru,  fur  tout  dans  Paris, 
ayant  pris  jaloufie  de  ce  qu'on  traitoic  fi  fou- 
vent  avec  le  Roy  de  Navarre,  fe  déchaifnerent 
plus  brutalement  que  jamais  contre  le  Roy,  com- 
me s'il  le  fuil  entendu  fecretemcnt  avec  les  FIu- 
guenots,  en  mcfme  temps  qu'il  joûoit  la  Ligue, 
en  faiianc  femblant  de  les  vouloir  exterminer. 
Il  y  en  a  melme  qui  difent  qu'ils  firent  en  ce 
temps-là  une  effroyable  confpiration,  dans  la- 
quelle ils  engagèrent  le  Duc  de  Mayenne ,  qui 
fe  fit  leur  Chef  en  l'ablence  de  fon  frcre,  & 
que  les  Conjurez  avoicnt  réiolu  de  faire  main- 
baffe  iur  les  Gardes  du  Roy ,  de  fe  faifir  de  la 
perfpone  pour  le  confiner  dans  un  Monallere, 


Livre!.  "      ro? 

ou  l'enfermer  dans  une  tour  j  de  couper  la  aor-  i  j8^, 
<rc  au  Chancelier  -ciu  Premier  Prelident,  &  aux 
principaux  Ofhciers  pour  en  mettre  d'autres  eu 
leur  place ,  &c  former  un  nouveau  Conieil  qui 
full  tout  de  gens  de  leur  fatlion  ;  de  le  iaiiîr  de 
la  BaftiUc,  de  l'Arfcnal,  des  Challclcts,  du  Pa- 
lais, ôc  du  Temple;  de  fliirc  entrer  en  France 
par  Boulogne  les  Eipagnols  de  la  grande  ar- 
mée Navale  qu'on  avoit  drell'ce  contre  l'Angle- 
terre; ôiicent  autres  particularitez  de  cette  Con- 
juration, que  le  Préiident  de  Thou  à  cru  de-  H'At>'«4»» 
voir  mettre  dans  fon  Hiftoirc,  fur  la  foy  du 
nommé  Nicolas  Poulain  Lieutenant  en  la  Prc- 
volté  de  rifle  de  France,  qui  ayant  efté  du 
Conieil  de  la  Ligue,  en  révéla,  à  ce  qu'il  dit, 
tout  le  fecrct  au  Chancelier  de  Chiverny,  à  M. 
de  Villcroy  Secrétaire  d'Eftat,  &  au  Roy  mei- 
me.  Mais,  outre  qu'on  ne  doit  donner  aucune 
créance  à  un  homme  double  qui  a  trahi  les 
deux  partis,  ôc  qui  pour  le  remettre  bien  avec 
celuy  qu'il  a  quitté,  peut  dire  contre  l'autre 
mille  choies  qu'il  ne  peut  prouver,  ce  qui  a 
fouvent  attiré  au  délateur  la  punition  de  la 
corde  :  on  ne  voit  rien  de  tout  cela  dans  les 
écrits  qui  fe  firent  en  ce  temps-là  pour  ôc  con- 
tre la  Ligue,  lur  tout  dans  ceux  des  Huguenots, 
qui  fans  doute  n'auroient  eu  garde  d'épargner 
La  Ligue  dans  une  occafion  qui  leur  auroit  elle 
fi  favorable,  ni  dans  les  Mémoires  du  Chan- 
celier de  ChiYcrny,  ù  de  M.  de  Ville roy ,  qui 

O  ii;  ' 


IIO 


Histoire    de   la    Ligue. 


ij2  6.  apparemment  n'eufTent  pas  omis  une  chofc  de 
cette  importance,  s'ils  l'euiTent  appnie  de  la 
bouche  meimc  du  délatcm',  ou  s'ils  l'culTent 
cru  véritable. 

Et  certes ,  il  y  a  tant  de  chofes  fî  peu  vray- 
iemblablcs  dans  le  Procès  verbal  de  ce  Nicolas 
Poulain  que  j'ay  leû  fort  exadbementi  il  y  en  a 
mcime  de  Ci  mamfeftement  fauiles,&:fi  oppo- 
fées  au  génie  &c  à.  l'humeur  du  Duc  de  Mayen- 
ne, qu'on  a  fujet  de  s'étonner  que  M.  de  Thou 

"**•'"  ait  bien  voulu  prendre  la  peine  de  le  tranicnre 
piefque  mot  à  mot  dans  une  Hiftoire  auili 
élégante  &c  aulIi  terieule  que  la  fienne.  Cela 
doit  avertir  ceux  qui  entreprennent  d'écrire 
l'Hiiloire  de  ne  fe  pas  fier  à  toute  iorte  d'Ecri- 
vains, &  ne  fe  pas  trop  cmpreflcr  de  grollir  leur 
ouvrage  de  tout  ce  qu'ils  trouvent  en  certains 
Mémoires  peu  authentiques  fans  fe  donner  le 
loifir  d'en  examiner  le  mente  &:  la  qualité.  Ce 
qu'il  y  a  de  vray ,  c'ell  que  les  Ligueurs  de  Pa- 
ns interprétant  malignement  ces  negotiations 
&  ces  Conférences  qu'on  failoitavec  le  Roy  de 
Navarre,  ne  manquoicnt  pas  de  faire  entendre 
au  Peuple  que  le  Roy  s'entendoit  avec  luy ,  ôc 
protcgeoit  les  Huguenots.  Ce  fut  auffi  pour 
tlétruirc  cette  créance  de  cette  faullc  opinion, 
laquelle  on  faiioit  concevoir  au  Peuple  à  Ion 
deiavantao;e  ,  qu'il  recommença,  avec  plus  de 
ferveur  apparente  èc  d'appareil ,  les  dévotions 
extraordinaires  qu'il  pratiqupit  de   temps   en 


•    •   "LlVR   E    -lii  ^;TRiI-I  '      III  

temps,  &:  fur  toiit  les  Proccirions  de  Pcnitcns,    i;8(J. 
qui  Dien  loin  de  Icrvir  a  Ion  dclllin,  le  rendis 
rcnt  encore  &:  plus  méprHable&iplus  odieux. 

Comme  le  mal,  par  l'abus  qu'on  peut  faire 
des  choies  les  meilleures  6:  les  plus  Ciinccs,  vient 
aflfez  louvcnt  du  bien  qui  dégénère  infcniible- 
ment  en  corruption  :  il  arrive  aulli  quelquefois 
que  le  bien  naift  par  occafion  du  mal  qu'on 
rectifie ,  en  oftant  ce  qu'il  y  avoit  de  mauvais 
dans  une  pratique  de  dévotion ,  pour  n'en  re- 
tenir que  le  bon.  C'eil  ce  qui  s'elt  veû  au  iu- 
jet  des  Confréries  des  Penitens.  Il  y  a  plus  de 
quatre  cens  ans  qu'un  bon  Hermite  le  fcn-  i  ^  <?  o- 
tant  fortement  inipiré  de  Dieu  de  prefcher 
dans  une  ville  d'Italie ,  comme  Jonas  avoit 
fait  à  Ninive,  fe  mit  à  menacer  les  ha bi tans 
d'eftre  bientoft  enlevclis  fous  les  ruines  de  leurs 
mailons  qui  le  renverieroicnt  lur  eux,  s'ils  n'ap- 
paifoient  l'ire  de  Dieu  par  une  prompte  &c  ri- 
gourcufe  pénitence  publique.  Ses  Auditeurs ,  à 
l'exemple  desNimvites,  touchez  d'une  ii  forte 
prédication,  &  craignant  de  lentir  l'effet  d'une 
ïî  terrible  menace, le  reveftirent  de  fac,&:s'ar- 
mant  de  fouets  ôc  de  difciplines,  allèrent  en 
proceiïion  par  les  rues,  le  irappant  rudement 
lut  les  épaules ,  pour  expier  leurs  crimes  par 
leurs  larmes  &  par  leur  lang.  Cette  clpcce  de 
pénitence,  qui  partant  d'un  bon  principe  6c 
d'un  grand  defir  de  fatisfaire  à  la  Jultice  divi- 
ne peut  ertrc  très -bonne,  fut  depuis  pratiquée 


.o  ^  z 


m      Histoire    de   la    Ligue. 

8  $.  en  quelques  autres  païs ,  &:  fingulicremcnt  en 
Hongrie,  durant  une  furieufc  pefte  qui  rava-^ 
geoit  tout  ce  pauvre  Royaume.  Mais  peu  de 
temps  après  elle  dégénéra  dans  la  dangercufe 
fcdte  des  Flagellans ,  qui  parcourant  à  grofTes 
troupes,  nuds  jufqu'à  la  ceinture,  la  plufpart 
des  provinces  de  l'Europe,  le  mcctoicnt  tout  en 
fang  à  force  de  coups  de  fouet,  dilant,  par 
une  horrible  impieté,  que  ce  nouveau  bapteime 

de  fans  avoit  encore  plus  de  force  que  celuv  de 

V  ^  '1  1         "^    u  '' 

1  eau,  en  ce  qu  il  exploit  tous  les  péchez  qu  us 

pouvoient  après  cela  commettre  impunément. 
On  eût  bien  de  la  pcme  à  abolir  un  li  per- 
nicieux abus-,  &  pour  ramener  doucement  ces 
efprits  égarez  dans  les  termes  d'une  pénitence 
réglée,  on  leur  permit  de  retenir  ce  qui  pou- 
voit  eftre  de  bon  dans  une  pratique  fi  aullerc. 
Et  de  là  font  venues  les  Confréries  des  Peni- 
tcns  de  différentes  couleurs  qu'on  voit  encore 
en  Italie,  fur  les  terres  du  Pape,  au  Comtat, 
ÔC  en  Languedoc,  qui  ont  leurs  Chapelles  où 
ils  s'alfcmblent  pour  y  pratiquer  leurs  exer- 
cices de  dévotion,  &  qui  font  leurs  Procef- 
lîons  où  ils  vont  particulièrement  le  Jcudy  Saint 
reveftus  de  leur  fac  avec  le  fouet  à  la  ceintu  • 
re,  duquel  pourtant  ils  ne  fc  fervent  gueres 
que  par  une  pieufe  cérémonie,  pour  marquer 
la  profellion  publique  qu'ils  font  de  leur  citât 
dePenitcns,&  l'amour  qu'Us  ont  pour  la  péni- 
tence. Chi-ellicnnc, 

Or 


Livret.  115 

Or  comme  le  Roy,  qui,  outre  qu'il  cftoit  na- 
turellement porté  à  la  dévotion,  vouloir  d'a- 
bord à  ion.  retour  de  Pologne  faire  connoi(^ 
trc  qu'il  cftoit  fort  zclé  Catholique,  eût  vcû 
la  dévote  Proceilion  des  Penitens  blancs  d'A- 
vignon, il  voulut  eftre  enrôUé  dans  leur  Con- 
frérie, &  fept  ou  huit  ans  après  il  en  établit 
une  lemblable  à  Paris  dans  l'Ealife  des  Auo-ul- 
tins,  fous  le  titre  de  l'Annonciation  de  Noftre- 
Dame.  La  plufpart  des  Princes,  des  Grands  de 
la  Cour,  de  des  principaux  Officiers  en  eftoienr, 
ôc  tous  fes  Favoris,  qui  ne  manquoient  pas  d'af- 
fifter  avec  luy  à  ces  Proceflions  ou  il  alloit 
fans  Gardes  6c  fans  aucune  marque  qui  le  dil- 
tinguaft  des  autres,  veftu  d'un  long  habit  blanc 
de  toile  de  hollande,  en  forme  de  fac,  allant  juf- 
ques  lur  les  pieds,  afTez  laro;e,  avec  deux  lon- 
gues manches  de  un  capuchon  fort  pointu^ 
ayant  deux  grands  trous  à  l'endroit  des  yeux, 
couiu  par  derrière  iur  le  collet,  ôe  deicendanc 
par  le  devant  en  pointe  julqu'à  demi-pied  au 
deflous  de  la  ceinture  tiiîuë  d'un  fil  délicat  de 
fin  lin,  avec  de  petits  nœuds  allans  julques  au 
deflous  du  genou,  6c  de  laquelle  pendoit  une 
jolic  diicipline  de  mefme  fil,  qui  n  eiloit  gueres 
propre  à  faire  bien  du  mal  au  pénitent  ^  ôc  fur 
l'épaule  gauche,  il  y  avoit  une  Croix  de  fatm 
blanc,  fur  un  fond  de  velours  tanné  prefque 
tout  rond. 

Il  faifoit  au  refte  profellion  de  garder  fort 

P 


i;8(î. 


114       Histoire   de    la    Ligue. 


I  ;  8  6.  cxadlemcnt  les  refiles  &  les  ilatuts  de  cette  Con- 
frérie, que  le  Père  Emond  Auger  célèbre  Je- 
fuite,  qui  cftoit  alors  ion  Confefl'eur  &  ion  Pré- 
dicateur, avoit  faits  par  fon  ordre.  Ce  bon  Père 
l'entretenoit  avec  grand  ioin  dans  ces  fortes  de 
dévotions,  quoy- qu'elles  ne  ioient  gueres  à 
l'uiage  d'un  Roy  auquel  il  en  faut  d'autres 
beaucoup  plus  iblidcs,  &  dont  la  principale 
doit  eilre  une  forte  application  au  gouverne- 
ment que  Dieu,  qui  luy  en  fera  rendre  compte, 
luy  a  confié  comme  à  fon  Minill:ie  &:  ion  Lieu- 
tenant. 

Auffi  dit -on,  comme  rAmbaifadcur  Bufbc- 

quius  l'écrivit  de  Pans  à  l'Empereur  Rodolphe 

ionMaiftre,  que  la  Reine  Mère  voyant  le  tort 

que  cette  bizarre  conduite  faifoit  à  la  réputa- 

ccrtcRctrina  ^^ï^n  du  Roy  fon  fils,  ôv:  il  l'Eftat  dont  il  aban- 

fcnior  pertï-  (jonnoit  le  loin,  pour  prendre  uniquement  ce- 
la ncgiectam  i:-.  i  .  i  /  • 

muitarum  re-  luy  dc  ces  Pioceilions  ôc  de  ces  dévotions  ex- 
munens  Rc-  traordinaiics  qui  peuvent  eitre  bonnes  pour 
Imunlura  Je"-  ^^^  Cloiftrc ,  ôc  point  du  tout  pout  un  grand 
luitamquem-  PriRce ,  s'cn  prit  à  ce  Teluite,  luy  reprochant 

dam,  quem  '11  ■      C  11 

Rcïautorem,  avcc  aigrcur,  quii  diricreoit  tort  mai  celuyqui 
rc°quuuî"Tn-  s'eftoit  mis  ious  fa  conduite ,  ëc  que  d'un  Roy 
ctcpuifle  du  jçj  q^ç  DicQ  l'avoit  fait  il  en  failoit  un  Moi- 

citur ,  quod  H  i         '        j-  i  i 

fîbi  fiiium  ex  ne,  au  o-rand  préjudice  de  tout  le  Royaume.  Et 

Rcge    penè  >     n  l  r  1  o       1' 

Monachum  C  cit  pout  ccU  meimc  que  le  temps  ôc  1  expc- 
magnt'^cum  ^^ïencc  ayant  fait  voir  qu'il  s'eftoit  glilTé  beau- 
Regni  tonus  coup  dc  delordi'e  dans  ces  alTociations  de  Pe- 
Bujiej.  Ef. 20.  niZQns  blancs  auiîi-bien  que  parmi  les  bleus 


L  I  V  R  E     I.  n^ 

&:  les  noirs,  &c  que  lous  prétexte  d'y  pratiquer     i  j8  6. 
de  laints   exercices  de  pieté  on  y   fliifoit  de 
dangereux  complots  contre  l'Eftat,  elles  furent 
entièrement  abolies  à  Paris  dix  ou  douze  ans 
après. 

Ce  fut  donc  principalement  cette  année  que 
le  Roy  voulant  faire  paroiftre  qu'il  avoit  plus 
de  zèle  que  jamais  pour  la  Foy  Catholique, 
renouvella  avec  plus  de  ferveur  qu'auparavant 
ces  dévotions  éclatantes  de  fa  Confrérie,  juf- 
ques-là  que  n'eftant  pas  encore  content  des 
Procédions  ordinaires  qu'il  faifoit  en  habit  de 
Pénitent  par  les  rues  de  Paris,  il  en  fit  une  ex-  pimai  dt 
traordinaire ,  allant  à  pied  en  ce  mefme  habit  '"'"^ 
avec  ce  qu'il  put  amalTer  de  fcs  plus  dévots  &: 
fervens  Confrères,  depuis  les  Chartreux  jufqu'à 
Noftre-Dame  de  Chartres,  d'où  il  revint  au 
mefme  eftat  en  deux  jours  à  Paris.  A  la  vérité 
l'on  peut  croire  que  cela  venoit  d'un  crrand 
fonds  de  piété,  que  ce  Prince,  dont  le  naturel 
eftoit  fort  beau,  s'il  ne  l'cult  laiffé  corrom- 
pre par  les  voluptez,  avoir  dans  l'ame.  Mais 
comme  les  Ligueurs  n'eftoient  pas  bien  perfua- 
dcz  de  cette  vérité,  &  que  par  la  haine  qu'ils 
luy  portoient,  ils  interpretoient  en  mal  toutes 
fes  meilleures  actions,  ils  décrièrent  hautement 
celle -cy,  dilant  que  ce  n'eftoit-la  qu'une  pu- 
re hypocrilic,  &  une  ridicule  mafcarade  qu'il 
avoir  inventée  pour  femoquer  de  Dieu,  &  pour 
tromper  les  hommes,  en  couvrant  (es  vices 

P  ij, 


u6       Histoire  de  la  Ligue. 


i^Sc.     &c  Ion  peu  de   Religion   fous  ce  maique   de 
piété. 

Ce  n'cftoit  pas  toutefois  feulement  ceux  de 
la  Ligue  qui  trouvoient  à  redire  à  ces  nouvel- 
les fortes  de  Proceffions  qui  ne  font  gueres  du 
goull;  des  Fran(^ois  :  elles  eltoient  prefque  uni- 
verfcllement  blafmées  de  tout  le  monde  ;  6c 
ceux  qui  en  difoient  le  moins  de  mal,  s'en  mo- 
quoient  tout  ouvertement.  Ce  qu'il  y  eût  de 
plus  ridicule  en  cecy,  de  qu'on  peut  dire  qui 
fit  une  elpece  de  tragicomedie  où  il  y  eût  de 
quoy  rire  ^  de  quoy  pleurer,  fut  que  les  la- 
quais des   Courtifans  qui  pour  plaire  au  Roy 

'  s'eftoient  enrôliez  en  cette  Confrérie  de  Peni- 

tens,  eurent  l'infolence  de  la  contrefaire,  en  dé- 
rifîon  de  leurs  Maiftres,  jufques  dans  la  cour 
du  Louvre,  faifant  Icmblant  de  fe  fraper  bien 
fort,  comme  s'ils  eulTcnt  eilé  de  véritables  Fla- 

rfptiS    gellans,    Mais  le  Roy  l'ayant  (ccû.,  avant  que 

ocioginta  la  farce  fuft  achevée ,  en  fit  prendre  iuiques  à 
atque  ibidem  quatre-vinc;ts  qu'on  entrailna  dans  la  cour  des 

flas^ris  ad  fa-  p  '^\       ^      C  r      }    ■  C    ^  >I 

tieutem  ex-  cuiliiics ,  OU  ils  tureut  II- bien  rouetez,  qu  ils 
a'um^filuu-  ^^  trouvèrent  en  cftat  de  bien  reprefenter  l'ef- 
crum  riagei-  tat  OU  les  anciciis  Flaçellans  le  mettoient  par 

latorum   &       ,  ^  ,  .  o  l 

Pcrnitentium  kut  lauglante  pénitence. 

B«/fj.£;.is.  Cela  pourtant  nempeicha  pas  quon  ne  hit 
encore  quelque  chofe  de  bien  plus  criminel 
que  ce  qu'avoient  fait  ces  pauvres  laquais.  Car 
il  le  trouva  de  médians  elprits,  qui  eurent 
l'audace  d'expofcr  publiquement  une  peinture 


abre 
ad 
in  coq 


Livre     T,  uy 

ou  l'on  voyoit  le  Roy  vcftu  de  (on  habit  de    i^S6. 
Pénitent  qui  tuoit  le  miel  6c  la  cire  d'une  ru-  chrooi. 

1  1  • /*  1  >  ■  r  Novennirt 

chc ,  allant  ces  paroles  qu  on  avoit  miles  au  ^,  c»ytt. 
haut  du  tableau,  comme  l'ame  de  cet  Emblè- 
me :  Sic  eomm  aculeos  cvito  ;  C'ejl  ainfi  que  je  me 
garantis  de  leurs  pianeures.  Comme  fi  on  eull  vou- 
lu faire  entendre  par  cette  ingenieuie  ,  mais 
extrêmement  maligne  cxpreffion,  qu'un  hom- 
me qui  veut  dépouiller  une  ruche,  doit  fe  cou- 
vrir le  vilage  &  les  mains  pour  éviter  les  aiguil- 
lons des  abeilles  qui  font  toutes  réunies  con- 
tre leur  voleur  -,  qu'ainfi ,  luy  qui  vouloit  tirer 
tout  le  fuc  de  la  France,  pour  le  donner  par 
fes  immenfes  prodigahtez  à  les  Mignons,  &c 
qui  avoit  entrepris  de  ruiner  la  Religion  par 
l'intelligence  lecrete  qu'il  avoit  avec  le  Roy  de 
Navarre  &  les  Huguenots,  fe  couvroit  de  ce 
fac  de  Pénitent,  pour  fe  mettre,  en  trompant 
la  Lieue ,  à  couvert  de  la  lulte  indienation  des 
Catholiques  unis  contre  luy.  Mais  ceux  qui 
failoient  plus  de  bruit  que  tous  les  autres,  ei- 
toient  certains  Prédicateurs  de  la  Ligue,  qui 
profanant  le  ficré  miniftcre  de  la  Prédication 
de  l'Evangile  par  leur  langue  feditieuie,  &:  dé- 
bitant mille  impoftures  dans  la  Chaire  de  véri- 
té, qu'ils  changeoient  en  un  infâme  bureau  de 
menloncre,  déclamoient  Icandaleufement  con- 
tre  l'Oincrt  du  Seigneur,  dont  ils  blalmoienc 
toutes  les  a£tions,julqu'a  celles  qui  reflentoient 
le  plus  la  pieté. 

■    P  iij 


n8      Histoire   de   là   Ligue. 

îj8^.  Celuy  de  tous  ces  Satyriques  qui  parloit  le 
plus  infolemment  de  ces  dévotions  du  Roy, 
'.i-v^  »i  eftoit  le  Docteur  Poncet  Curé  de  Saint  Pierre 
des  Arfis,  qui  avoir  couftume  de  raconter  ctour- 
diment  dans  les  Sermons  toutes  les  lotifes  qu'il 
avoit  oûï  dire  aux  plus  paflîonnez  Ligueurs,  ôi 
les  prefclioit  hardiment  à  fes  Auditeurs ,  com- 
me fi  c'euit  efté  la  vérité  mefme  de  l'Evangi- 
le. Ce  n  eft  pas  qu'il  n'euft  de  i'eiprit ,  comme 
il  le  fît  affez  paroiftre  un  jour  que  le  Duc  de 

Srantofmt.  Joyeufc  Favori  du  Roy.  luy  ayant  dit,  en  lé 
raillant,  qu'il  eftoit  bien- aile  de  connoiftre  un 
homme  qui  avoit  un  iî  beau  talent  de  divertir 
&  faire  rire  le  Peuple  en  les  Sermons,  il  luy 
répondit  froidement  :  //  ejl  bien  jufle  que  je  le 
fajje  me ,  puis  Que  'vous  le  Jkites  tant  pleurer,  à  cau- 
fe  des  fuhjides  extraordinaires  dont  on  la,  chargé,  pour 
auoir  de  quoj  fournir  aux  excejjtves  dépenfes  qu'on  a 
faites  a  ^vos  belles  nopces  ;  car  le  bruit  couroit  que 
le  Roy  n'en  feroit  pas  quitte  en  tout  pour 
douze  cens  mille  écus. 

Or  ce  Prédicateur  ieditieux  dit  tant  de  cho- 
fes  contre  ces  ProcefTions,  &c  tant  de  faufTetez 

dyet,  t.  T.  Icandalcufes  du  Roy  meime  &c  de  fa  Confré- 
rie de  Penitens  qu'il  appelloit  la  Confrérie  des 
Hypocrites  6c  des  Atheiftes ,  que  le  Roy  le  fie 
mettre  en  prilon  durant  quelques  jours  :  après 
quoy  il  le  renvoya,  croyant  que  ce  léger  chaf- 
timent  le  rendroit  plus  fage.  Mais  comme  il 
elloit  vainjSc  qu'il  eût  appris  qu'on  difoit  qu'il 


Livre     I.        .;:        119 

cliangcroit  bien  de  langage  après  avoir  cfté  158  <;. 
repris  &c  traité  de  la  lorte,  il  eût  l'effronterie 
de  dire  en  Chaire  qu'il  n'eftoit  pas  un  perro- 
quet à  qui  l'on  apprift  à  parler ,  de  là-deffus  fc 
mît  à  déclamer  plus  outrageuiement  encore 
qu'il  n'avoir  fait  auparavant.  Il  ne  fut  pas  tou- 
tefois long- temps  (ans  en  recevoir  par  luy- 
meime  la  punition  qu'il  mentoit  bien. 

Comme  la  licence  de  médire  des  Puiffances 
cftoit  très- grande  parmi  les  Ligueurs,  un  cer- 
tain Avocat  de  Poitiers  nomme  le  Breton ,  qui 
avoit  perdu  la  caufe  à  Poitiers  àc  à  Paris  en 
plaidant  pour  une  veuve,  irrité  de  ce  que  les 
Ducs  de  Guife  ôc  de  Mayenne,  le  Roy  de  Na- 
varre, &c  le  Roy  mcfme,  aulquels  il  s'eftoit  a- 
dreffé,  allant  de  l'un  à  l'autre,  6<:  failant  tant  de 
voyages  inutiles  pour  s'en  plaindre ,  l'avoient 
rebuté  comme  un  fou,  fit  un  libelle  tout  rem- 
pli d'injures  atroces  &  de  calomnies  contre  le 
Roy  &:  contre  MelTieurs  du  Parlement.  L'Ecrit 
ayant  efté  laifi  avec  l'Auteur,  on  crut  qu'il  faL 
loit  un  exemple  pour  arrefter  le  cours  de  cette 
furieufe  liberté  qu'on  prenoit  d'écrire,  &  de 
parler  d'une  manière  u  criminelle  :  fur  quoy 
l'on  fit  bonne  &  briéve  juftice  à  cet  infolent 
Avocat,  qui  fut  pendu  devant  les  devrez  du 
Palais.  Il  n'y  a  rien  de  plus  timide  &c  de  plus 
laiche  dans  une  occafion  où  il  paroiil  quelque 
danger,  que  ceux  qui  font  les  plus  hardis  à  par- 
ier quand  ils  croyent  qu'il  n'y  a  rien  à  cram- 


liO  HiSTOÎRE    DE     LA    LiGUË. 

ijB  6.  tire.  Lors  qu'on  apprit  cette  exécution  au  Do- 
(5teur  Poncct,  &  qu'il  vit  par  ce  terrible  exem- 
ple qu'on  punifToit  de  mort  ceux  qui  avoient 
ofé  choquer  la  Majefté  du  Prince  par  leurs  in- 
vedbives  Icditieufes,  il  en  conceût  tant  de  crain- 
te &  tant  de  frayeur,  que  fe  Tentant  le  cœur 
faifi  &  le  fang  tout  glacé,  il  fe  mit  au  lit,  d'où 
cet  intrépide  en  paroles  ne  releva  plus.  Il  mou- 
rut peu  de  jours  après  de  la  peur  qu'il  eiit  qu'on 
ne  luy  en  vouluft  faire  autant  qu'à  ce  milera- 
ble  Avocat. 

Cependant  le  Roy  qui  defiroit  toujours  paf. 
fionnémcnt  d'avoir  la  paix  dans  fon  Royaume, 
fit  encore  une  fois,  mais  ijnutilement,  tous  fcs 
efforts,  pour  obliger  d'une  part  le  Duc  de  Gui- 
fe  à  s'accommoder  avec  le  Roy  de  Navarre  à 
des  conditions  encore  plus  avantageufes  que 
celles  qu'il  avoir  auparavant  offertes  à  ce  Duc  j 
&  de  l'autre,  pour  faire  rentrer  ce  Roy  dans 
i'Eglifc  Catholique,  luy  promettant,  s'il  lefai- 
loit ,  de  le  déclarer  ion  Lieutenant  Général  dans 
tout  le  Royaume,  de  luy  donner  encore  plus 
d'autorité  queluy-melme  n'en  avoir  eu  lors 
qu'il  commandoit  les  armées  du  feu  Roy  fon 
frère,  de  le  faire  Chef  du  Confeil,  &  mefme 
enfin,  ce  que  ce  Prince  louhaitoit  de  tout  fon 
cœur ,  de  faire  diffoudre  fon  mariage  avec  la 
Reine  Marguerite,  ôc luy  faire  épouier  la Prin- 
ceffe  de  Lorraine,  petite  fille  de  la  Reine  Mère, 
laquelle  conientuoic  volontiers  v\  ce  mviriagc , 

qui 


L  I  V  R  E     T.  m 

qui  pourroit  faire  un  jour  Reine  de  France  cette     i  j  8  (î. 
Princeflc  qu'elle  aimoit  tendrement. 

Ceftoicnt-là  (ans  doute  des  offres  tres-avan- 
tageulcs^  ôc  capables  de  tenter  un  homme  du 
caradicre  de  ce  Prince,  qui,  à  dire  la  venté,  n'el^ 
toit  pas  trop  bon  Huguenot,  ni  trop  grand 
ennemi  des  Catholiques.  Mais  comme  il  ne  crut 
pas ,  après  ce  qu'on  avoir  fait  contre  luy,  qu'il 
le  puft  raifonnablement  fier  à  toutes  ces  bel- 
les prome  (Tes  j  qu'il  craignit  de  tomber  des  deux 
collez 5  &c  melme,iî  on  le  voyoit  balancer, 
d'eftre  bientoft  abandonné  de  fon  parti  qui 
panchoit  déjà  bien  fort  vers  le  Prince  de  Con- 
dé,  qu'on  f(javoit  eftrc  bien  meilleur  Protef- 
tant  que  luy 5  &  de  plus,  qu'il  fe  tenoit  fort 
afl'eûré  du  grand  fecours  des  Allemans:  il  ne 
voulut  plus  rien  entendre  là-deiTus ,  &:  fit  tout 
court  aux  Envoyez  du  Roy  une  réponfe  digne 
de  de  fon  efprit  &c  de  fon  courage  :  Que  Jes  en- 
nemis ne  defiroient  rien  moins  que  Ja  converfion ,  par- 
ce qu'ils  n'ai'oient  pris  les  armes  que  pour  l'exclure 
de  la  fuccejjwn  de  la  Couronne ,  C^  pour  partager  le 
Royaume  entre  eux,  fou^  prétexte  d'y  'vouloir  conjèr- 
ler  la  Religion  Catholique  qu'tljy  maintiendroit  en- 
core mieux  queux  ;  Qi^^l  fupplioit  très  -  humblement 
le  Roy  de  luji  laijjer  dêmejler  cette  querelle  aire  les 
Princes  de  la  Ligue ,  pins  que  Sa  Alajejlé  fe  donnaji 
la  peine  de  s'en  méfier ,  0'  qu'il  aurait  dans  trois  mois 
cinquante  mille  hommes ,  avec  lejquels  il  efberoit  que 
Dieu  luy  fèroit  la  ^ace  de  ranger  hkntoji  les  Ligueurs 


m        Histoire  de  la  Ligue, 

1586.  à  leur  devoir,  (^  de  réduire  ces  perturbateurs  du  re- 
pos public  f0  ces  rebelles  aux  termes  de  l'ohéifjunce 
au  ils  doi'vent  a,  leur  Souverain. 

Cette  réponie  mit  le  Roy  dans  une  peine 
extrême,  ne  l(^achant  à  quoy  (e  réfoudre,  & 
lequel  des  trois  partis  qu'il  pouvoit  prendre,  il 
devoit  luivre.  Car  s'il  demeuroit  neutre  entre 
le  Roy  de  Navarre  &c  la  Ligue,  il  couroit  for- 
tune de  fuccomber  après  fous  la  puifîancc  du 
vainqueur:  s'il  fe  joignoit  au  parti  du  Roy  de 
Navarre  contre  les  Ligueurs,  comme  il  fut  quel- 
que temps  après  contraint  de  le  faire ,  il  crai- 
gnoit  de  palfer  pour  Hérétique ,  ou  pour  fau- 
teur des  Hérétiques,  comme  la  Ligue  s'efFor- 
(^oit  de  le  faire  croire  par  fes  calomnies,  &  en 
fuite  de  s'attirer  toutes  les  forces  de  l'Elpagne, 
&c  tous  les  foudres  de  Rome  qu'il  redoutoit  en- 
core plus  en  ce  temps -là  que  la  Ligue  &c  les 
Elpagnols.  Ainfi ,  comme  il  ne  fe  croyoit  pas 
-rf««.  ^{[çx  fort  tout  feul  pour  contraindre  les  uns  & 
^^^7-  les  autres  à  luy  obéir,  cette  dernière  crainte 
l'emporta  lur  l'inclination  qu'il  avoit  pour  le 
parti  du  Roy  de  Navarre,  qu'il  jugeoit  eftre  le 
plus  jurte  hors  la  Religion,  de  laquelle  ce  Prin- 
ce proteftoit  qu'il  ne  s'agifloit  pas  alors.  De 
forte  que ,  luivant  en  cela  les  avis  de  la  Reine 
fa  Mcie,  ôc  de  quelques-uns  de  fon  Confeil, 
qui  par  la  haine  qu'ils  avoient  pour  l'Hérefie, 
favorifoient  la  Ligue,  il  fe  joignit  à  ceux  qu'il 
regardoit  comme  fes  plus  grands  ennemis,  afin 


Livre     I. 


ïi5 


de  faire  à  fon  bcaufrcre,  dont  il  connoifToir 
les  bonnes  intentions  pour  le  bien  de  l'Ellat, 
cette  guerre  qui  fit  répandre  dans  les  deux  par- 
tis tant  de  lanti  &  tant  de  larmes ,  &  de  la-- 
quelle  nous  verrons  les  differcns  luccés  dvins 
le  Livre  fuivant. 


1J87, 


QL'1 


HISTOIRE 


DE 


LA    LIGUE. 


LIVRE 

• 


SECOND. 


Ann. 
i;87. 


E   Roy,  félon  fa  couftume, 

jafTa  l'hiver  de  cette  mémora- 

)le  année  mil  cinq  cens  quatre- 

vingts-fept,  partie  en  jeux,  en 

feftins,  en  balets,  en  mafcara- 

des ,  &  en  autres  femblables  divertiffemens ,  & 
partie  en  fes  Proceffions,fes Confréries,  fes  re- 
traites &  fes  pénitences  chez  les  Feuïllans  qu'il 
avoit  fondez  au  fauxbourg  Saint  Honoré,  chez 


it6       Histoire  de  la    Ligue. 


1/87.  les  Capucins,  de  fur  tout  dans  fes  Cellules  du 
Monailiere  du  Bois  de  Vincennes,  où  il  avoit 
mis  les  Jeronimites  venus  d'Elpagne,  &  où  de- 
puis on  plaça  les  Minimes.  Mais  il  falut,  à  Ton 
crrand  retrrct,  qu'il  quitcaft  au  Printemps  les 
plailirs  &c  les  exercices  de  cette  forte  de  vie  qui 
avoit  tant  de  charmes  pour  luy,  ôc  qu'il  fe  dif- 
pofaft  à  faire  la  guerre  conjointement  avec  les 
Ligueurs  au  Roy  de  Navarre,  &C  aux  Allemans 
qui  le  vouloient  joindre. 

A  cet  effet,  le  Duc  de  Guife,  qui  avoit  fait 

cayit,iitzin.  jufqu'alots  Li  guerte  au  jeune  Duc  de  Bouillon 
la  Mark  fans  grand  avantage,  le  rendit  auprès 
du  Roy,  qui  cifoit  à  Meaux  j  &  après  l'avoir 
alfeûré  qu'il  y  avoit  une  crrande  armée  d'Aile- 
mans  toute  prelte  a  le  mettre  en  marche  vers 
nos  frontières,  5c  luy  avoir  demandé  des  for- 
ces capables  de  les  arrefter,  il  fit  de  grandes 

o—---"- —  plaintes  iur  les  contraventions  qu'il  prétendoit 

,r.uK     avoir  elle  faites  au  Traité  de  Nemours.  Ceux 

*.''.,  ■    de  la  Ligue  louffcenoient  que  ces  plaintes  cC- 

toient  fort  juftes  ;  les  autres  au  contraire ,  fai- 

ioient  voir  qu'elles  efloient  tout- à -fait  dérai- 

lonnables..o  pniD  Iimc 

Il  fe  plaignoit  entre  autres  chofes  de  ce  qu'on 
n'avoit  pas  rétabli  le  Comte  deBrilTac  au  Gou- 
vernement du  Cliafteau  d'Angers.  Mais  on  ré- 
pondoit  a  cela  que  le  Roy  l'avoit  repris  fur  les 
gens  du  Roy  de  Navarre ,  aulquels  Brillàc ,  qui 
le  tenoit  poiu-  la  Ligue  contre  l'intention  du 


Livre     I  Î. 


II"? 


Roy,  l'avoir  laifle  iuprcndrc.  Il  ajoufi:oit,que  15^*7. 
ceux  qui  s'clloienc  attachez  à  ion  icrvicc  ou  a 
Tes  intercils  n'eiloient  pas  trairez  fi  flivorablc- 
menc  à  la  Cour  que  les  autres  j  comme  û  le  Roy 
cuft  elle  oblicré  non  ieulement  de  pardonner . 
mais  aulli  de  rauc  des  o-races  particulières  a 
ceux  qui  avoient  pris  les  armes  contre  iuy,  8c 
de  leur  donner  récompenfe  pour  avoir  tiré  le 
canon  lur  fcs  bons  lerviteurs,  ainfî  que  Fran- 
(jois  de  Balzac  fîcur  d'Entragues  avoir  fait  fur 
le  Duc  de  Montpcnfier  que  Sa  Majefté  envoyoit 
à  Orléans.  Enfin,  il  trouvoit  fort  mauvais  qu'on 
cuft  laifi  le  temporel  du  Cardinal  de  Pellevé  Ar- 
cheveique  de  Sens,  comme  ii  rout  le  monde  ne 
l(^avoit  pas  que  ce  Prélat,  penfionnaire  de  l'Ei'- 
pagnol,  &  qui  s'eiloit  déclaré  tout  ouverte- 
ment ennemi  du  Roy,  n'eftoit  à  Rome  que 
pour  luy  rendre  auprès  du  Pape  tous  les  mau- 
vais offices  qu'il  pouvoit,  ôc  pour  y  décrier 
éternellement  ia  conduite  par  les  médilances 
&c  par  les  calomnies.    .,.-.. 

Le  Roy  eût  toutefois  tant  de  bonté,  que  peu 
de  jours  après  il  luy  fit  donner  mainlevée  de 
tous  les  revenus,  pour  complaire  au  Pape  qui 
l'en  avoir  prié  par  Ion  Nonce  Morofini  :  mais 
il  fit  dire  aulTi  au  Pape  qu'il  le  iupplioit  d'aver- 
tir fecrctement  ce  Cardinal  de  ne  plus  retom- 
ber en  une  faute  11  énorme,  &  que  s'il  le  fai^  J^^_,„^  ^  f^ 
foit ,  Sa  Sainteté  le  chargeroit  de  punir  neou-  C"/""-  ■"'*■ 
reuiement  cette  mjure,  comme  li  elle  eltoit /.«.*.  <.. 


—  ii8      Histoire    de    la   Ligue. 

1587  faire  à  clle-mefme.  Pour  le  prefent,  il  fe  con- 
tenta d'adoucir  l'aigreur  du  Duc  de  Guife  par 
de  belles  paroles,  l'alTeûrant  qu'il  pourvoiroit 
à  tout  de  forte  qu'il  auroit  tout  fujet  d'eftrc 
fatisfait.  Et  comme  après  l'avoir  encore  exhor- 
té à  faire  la  paix  avec  le  Navarrois ,  il  vit  qu'il 
eftoit  toujours  inflexible  fur  ce  point-là,  il  prit 
enfin  la  réfolution  de  difpofer  tellement  des 
forces  qu'il  avoir  déjà  (ur  pied,  &c  de  celles 
qu'il  attendoit  encore  des  Cantons  Catholi- 
ques, qu'il  put  trouver  les  voyes  de  fe  rendre 
maiftre  de  tout,  en  affoibliffant  le  Roy  de  Na- 
varre &  la  Ligue,  Ôc  en  diffipant  l'armée  Alle- 
mande. 

Pour  cet  effet,  il  voulut  avoir  trois  armées; 
l'une  bien  forte,  fous  le  commandement  du  Duc 
de  Joyeufe  en  Poitou,  contre  le  Roy  de  Navar- 
re ,  qui  ne  pourroit  encore  avoir,  à  ce  qu'il 
croyoit,  affez  de  forces  pour  luy  réiifterj  l'au- 
tre en  apparence,  &  fur  le  papier,  du  moins  aufïî 
forte,  mais  en  effet  beaucoup  plus  foibic,  fous 
le  Duc  de  Guile,  contre  les  Allemans,  defqucls 
il  pouvoir  raifonnablement  efperer,  vcû  leur 
grand  nombre,  que  ce  Duc  feroit  batu,  ce  qu'il 
croyoit  avoir  grande  raifon  de  Ibuhaitcr  j  &c  la 
ttoiiiémc,  incomparablement  plus  forte  que  les 
deux  autres,  6c  qu'il  commanderoit  en  per- 
ionne ,  pour  empefchcr  les  Eftrangcrs,  qui  fe- 
roient  fort  affoiblis  d'une  il  longue  marche,  de 
paffer  la  nvierc  de  Loire,  &  de  fe  joindre  au 

Roy 


L'IVRE        II.  '  izp  '■ 

Roy  de  Navarre,  &  pour  les  obliger  en  fuite,    1587. 
en  traitant  avec  eux,  de  retourner  en  leur  pais: 
après  quoy  il  le  trouveroit  en  eflat  de  réduu-c 
ficilemcnt  les  deux  partis  à  l'obciiTance  qu'ils 
luy  dévoient. 

.  A  la  vérité  ce  defTein  n'cftoit  pas  mal  con- 
certé :  mais  par  la  lage  conduite  ôc  par  la  va- 
leur d'une  part  du  Roy  de  Navarre,  Ôc  de  l'au- 
tre du  Duc  de  Guile,  tout  ce  beau  projet  rciif- 
fit  de  toute  autre  manière  qu'il  ne  le  l'eftoïc 
imaginé.  Ceft  ce  qu'il  faut  maintenant  que  je 
fade  voir,  en  décrivant  exactement  &  par  or- 
dre les  exploits  de  ces  trois  armées  qui  curent 
des  fiiccés  bien  differens. 

Le  premier  qui  fut  obligé  de  le  mettre  en 
campagne  fut  le  Duc  de  Joyeuie,  pour  s'op- 
polcr  aux  progrés  que  le  Roy  de  Navarre  com- 
mcn(^oit  à  faire  en  Guyenne  (S:  en  Poitou,  Ce 
Duc  clloit  ce  fameux  Favori  que  le  Roy,  pour 
fe  conioler  de  la  perte  qu'il  avoit  faite  de  fes 
autres  Mignons,  Quelus  &  Maugiron  tuez  en 
duel ,  &c  Saint  Megrin  qu'on  aflalTina  au  for- 
tir  du  Louvre,  prit  plaiiir  d'élever  à  tout  ce 
qu'il  y  a  de  grand  dans  le  Royaume  ^  jufqu'à 
le  faire  Ion  beaufrere ,  en  luy  failant  époufer 
la  Prince  (le  de  Vaudémont  Marguerite  locur 
de  la  Reine,  &  le  comblant  en  fuite  de  toutes 
fortes  de  biens  &  de  grâces,  qu'il  répandoit  a 
pleine  main  iur  luy  fans  règle  &c  fans  meiure,; 
de  forte  qu'il  fembloit  qu'il  voulut^  partager  _- 


130       Histoire  de  la   Licite. 


I  j  8  7.  avec  luy  fa  Couronne,  ôc  l'égaler  à  Coj-mcCmci 
ce  que  la  Royauté ,  ni  conlequcmmenc  l'ami- 
tié d'un  Roy  ne  fouffre  pas,  conime  celle  des 
autres  hommes. 

Il  cft  vray  que  de  tout  ce  grand  nombre  de 
Favoris  ôc  de  Mignons  qui  le  rendirent  infup- 
portables  ious  ce  Règne,  particulièrement  aux 
Princes  &:  aux  Grands ,  par  l'inlolente  manière 
dont  ils  abufoient  de  la  faveur  du  Prince,  ce- 
Mem.'decaf,  luy-cy  fut  Ic  moins  odieux  de  tous.  Car  outre 
'B^fieq.sf.17.  4^'^^  eltoit  d'une  naifTancc  beaucoup  plus  illus- 
tre que  tous  les  autres ,  il  eftoit  encore  lans 
comparaifon  de  meilleur  naturel ,  eftant  doux, 
obligeant,  civil,  bienfaifant  à  tout  le  monde, 
&  lur  tout  magnifique  au-delà  de  ce  qu'on 
en  peut  dire,  comme  s'il  euft  entrepris  d'égaler 
la  grandeur  de  la  fortune  par  celle  de  feslibe- 
ralitez,  qui  pouvoient  en  quelque  fac^ondifpu- 
ter  avec  la  prodigalité  du  Roy  ion  Maiftre, 
juiques-là  qu'ayant  un  jour  trouvé,  au  fortir 
de  la  chambre  du  Pvoy ,  les  quatre  Secrétaires 
d'Eilat  qui  l'avoient  long-temps  attendu,  après 
s'en  eftre  excuié  fort  civilement,  il  leur  fit  pre- 
lent  des  cent  mille  écus  dont  ce  Prince  vcnoit 
de  le  gratifier. 

Mais  comme  avec  toutes  ces  bonnes  quali- 
tez  il  eftoit  afTcz  vain,  &  qu'il  fe  croyoït  ca- 
pable de  tout,  quoy- qu'il  n'euft  encore  nulle 
expérience:  le  Duc  d'Elpernon  Ion  rival,  qui 
vouloir  profiter  à  la  Cour  de  Ton  abfence  pour 


Livre    I  T. 


131 


prendre  le  delTus  dans  la  faveur,  luy  Hr  adroi-  ijSy. 
tcmcnt  inlpircr  l'envie  de  commander  l'armée 
qu'on  envoyoit  en  Guyenne  contre  le  Roy  de 
Navarre.  En  effet,  il  la  demanda,  &  il  ne  man- 
qua pas  de  l'obtenir  du  Roy  qui  ne  la  luy  put 
refuier,  quoy-qu'il  l'eull  promiie  au  Marelchal 
d'Aumont,  qui  ayant  autant  de  conduite,  de 
valeur  de  d'expérience  que  de  fidélité,  le  tuil 
bien  mieux  aquité  de  cet  cmploy.  .t   : 

D'abord  il  eût  aflez  de  iuccés  en  Auvercrne,  },um.  de  u 
en  Givaudan^  &c  en  Roûercrue,  qu'il  eût  ordre  ^'*-  ^•'•.  „ 
de  nettoyer  deHuc^uenots,  pour  delà  pafler  en 
Languedoc,  de  puis  en  Guyenne,  Il  prit  quel- 
ques petites  places  affez  fortes,  entre  autres  Ma- 
leziou,  Marenghol,  la  Peyre  en  Givaudan,  &c 
Salva2;nac  en  Roûerojue,  d'où  il  s'alla  prefen- 
ter  en  bataille  à  la  veûe  de  Touloute,  comme 
pour  faire  Ic^avoir  au  Parlement  qu'il  eftoit  ve^ 
nu  le  joindre  au  Klarelchal  de  Joyeule  ion  pè- 
re Lieutenant  de  Roy  en  Languedoc,  pour  dé- 
livrer cette  erande  ville  du  fardieux  voiiinaee 
des  Huguenots.  Apres  quoy,  comme  ion  ar- 
mée efloit  fort  diminuée  par  les  maladies,  &z 
par  la  retraite  de  pluiieurs  de  la  NoblcfTe  en 
leurs  mailons,  il  la  laifla  au  Marquis  de  Lavar- 
din  Jean  de  Bcaumanoir  fon  Marelchal  de 
Camp,  &  s'en  retourna  en  pofte  à  la  Cour 
pour  y  paffer  l'hiver. 

Il  eût  prefque  le  mclme  fort  l'année  iuivan- 
te ,  qui  eit  celle  dont  j'écris   les   éveiicmens, 

Rij 


131         Histoire  i>e  la  Ligue. 


zj-Sy.  Car,  comme  on  eût  appris  que  le  Roy  de  Na- 
varre, qui  s'cftoit  mis  en  campagne  au  com- 
mencement d'Avril,  avoir  déjà  pris  en  Poitou 
les  places  deTalmont,  Chizay,  Salay,  Samt 
Maixant,  Fontenay,  6c  Mauleon,  il  retourna 
promptcment  à  l'armée  avec  un  renfort  de  fix 
a  fept  mille  hommes,  avec  lelqucls  il  reprit 
Saint  Maixant, s'empara  de  Tonnay-Charantc 
&  de  Mallezais,  courut  jufqu'aux  portes  de  la 
ç'  Rochelle ,  &c  tailla  en  pièces  deux  ou  trois  Ré- 

gimens  du  Roy  de  Navarre  qu'il  for(^a  dans 
leurs  quartiers.  Mais  après  deux  mois  de  cam- 
pagne la  pefte  &  les  déferrions  ayant  extrême- 
ment affoibli  Ion  armée,  il  reprit  une  leconde 
fois  le  chemin  de  la  Cour ,  laiffant  encore  fon 
armée  au  Marquis  de  Lavardin,  qui  n'eût  pas 
le  bonheur  de  la  conlerver  auffi-bien  que  l'an- 
née précédente. 

Car  le  Roy  de  Navarre ,  qui  eftoit  lorti  de 
la  Rochelle,  avec  tout  ce  qu'il  y  avoit  de  trou- 
pes, pour  la  harceler,  ayant  appris  qu'elle  fe  re- 
tiroit  vers  la  rivière  de  Loire ,  la  fuivit  de  fî 
îlT/ï/'  prés,  que  le  vingt-huit  &  le  vingt -neuvième 
Morn«y,  1. 1.  d'Aoult  il  futorit  &  tailla  en  pièces  une  par- 
tie  de  la  Cavalerie,  &  melme  la  Compagnie  de 
Genfdarmes  du  Duc  de  loixante  &  dix  Mai(- 
tres,  qui  furent  tous  tuez  ou  pris  avec  la  Cor- 
nette blanche.  Tout  ce  que  put  faire  le  Mar- 
quis de  Lavardin  après  cette  défaite ,  fut  de  fe 
retirer  bien  vifte  à  la  Haye  lui  la  Creufe. 


Livre     II.  133  ■• 

Ce  fut  devant  cette  place,  qui  ne  fut  pas     ij^Z* 

attaquée  faute  de  canon ,  que  le  Roy  de  Na  - 

varrc  receût  le  renfort  de  ux  cens  chevaux,  & 

de  deux  mille  Arqucbuficrs  que  le  Vicomte  de 

Turenne  luy  amena  du  Perigord  &  du  Limou- 

fin  ;  «S<:  prelque  en  mefme  temps  le  Prmcc  de 

Condé  l'y  vmt  joindre  avec  la  meilleure  par-  i 

tie  de  laNoblefTe  de  Saintonçie.  Et  comme  on 

eût  appris  là-meime,  que  le  jeune  Comte  de 

SoilTons,  qu'il  avoit  attiré  dans  Ion  parti  par 

de  grandes  promefles,  aulîi-bien  que  le  Prince 

de  Conty  frère  de  ce  Comte,  s'approchoit  de  la 

Loire  avec  trois  cens  Gentilshommes  &  cinq 

cens  Arquebufîers  à  cheval,  il  s'avança  julques 

à  Monioreau  fur  cette  rivière ,  où  le  Vicomte 

de  Turenne ,  qui  l'alla  prendre  au   Lude  avec 

une  elcorte  de  iept  cens  chevaux,  l'amena  fans 

perte  d'un  leul  homme ,  quoy-que  tout  le  pais 

aux  environs  fuft  couvert  d'ennemis. 

Cela  fait,  on  réfolut  dans  le  Conleil  de  ne 

point  paffer   outre  pour  s'aller  joindre  par  le 

droit  chemin  aux  Allcmans,  parce  qu'on  n'a- 

voit  pas  encore  afTez  de  force,  ^  qu'on  au- 

roit  fur  les  bras  l'armée   du  Roy  &:  celle  du 

Duc  de  Joyeufe,  qui  affeûrément  les  battroient, 

ce  qui  attircroit  en  luite  la  défaite  de  l'armée 

eftrangere.  Sur  quoy  on  retourna  dans  le  Poi- 
tou, à  deflein  d'aller  prendre  par  un  long  cir- 
cuit le  defTus  de  la  rivière  vers  Roane,  6<:  puii 

pafler  en  Bourgogne,  pour  y  recevoir  l'armée 

R  ii; 


. '134       Histoire   de   la    Ligue. 

1  j  8  7.    Allemande ,  aux  Chefs  de  laquelle  le  Roy  de 

Navarre  dépefcha  Morlas,  pour  les  prier  de 

prendre  cette  route.    Mais  ce  Roy  n'eût  pas  le 

loifîr  d'exécuter  cette  cntreprife,  parce  qu'il  fut 

fuivi  (î  promptement  par  le  Duc  de  Joycufe, 

qu'il  en  fallut  bicntoll:  venir  à  la  bataille,  qui 

fe  donna  de  la  manière  que  je  le  vais  repre  • 

fenter. 

i/^r, ,  !.  l^f.       Comme  on  eût  appris  à  la  Cour  les  nouveaux 

^^fà'fuiv.    progrés  du  Roy  de  Navarre,  le  Duc  de  Joyeu- 

DAuiignê.    fe,  à  qui  le  Roy  avoit  donné  un  renfort  tres- 

Kelation  de  U  r  J  I   I        o  •     H.     •  '     J 

hittaïUe  de  conliderable,ôs:  quieltoit  accompagne  de  tout 
iT'Zn'T  ce  qu'il  y  avoit  de  plus  brave  &  de  plus  leftc 
joyeufe.  en  la  parmi  Ics  icuncs  Seigncui's  de  la  Cour .  qui,  Cc- 

Vse  du  Cari,     f  )  P-         ■  \        r  ^  a 

de  ce  n,m.  lon  la  couitumc ,  luivoient  la  taveur,  reccuc 
luan.  0<e.  ^^^^^  d'aller  au  plûtoft  rejoindre  les  troupes 
qu'il  avoit  laiflees  au  Marquis  de  Lavardin, 
êc  de  fuivre  par  tout  le  Navarrois,  pour  em- 
pcfchcr  la  jonction  avec  les  Allemans.  Pour 
cet  effet,  il  le  rendit  à  Tours;  &  comme  il  fceût 
que  ce  Prince,  quittant  Monforeau,  rebroufloit 
en  Poitou  pour  aller  en  Guyenne,  il  pourfui- 
vit  fon  armée  avec  tant  de  viteflè,  qu'il  ga- 
ena  le  devant  dans  la  Saintono;e.  De  forte 
qu'ayant  pafle  laCharante  à  Challeauneuf,  en 
coftoyant  toujours  à  eauchc  cette  armée,  il  fc 
rendit  par  Barbelieux  à  Chalais,  fort  prés  de  la 
Drogne,lc  mcfme  jour  dix-huitiéme  d'06bo- 
^"""'"J  ^*  bre  que  le  Roy  de  Navarre ,  qui  avoit  paffé 
Aiernay.t.i.   pjus  d.  ûi'oitpar    laïUcDourg,   alla  loger  a 


L   I  V   R    E      I  I,  13; 

Monlicu  un  peu  plus  au-dc(jà  de  cette  rivière,    1487. 
avec  quelque  renfort,  &  le  canon  qu'il  avoit 
cû  de  la  Rochelle. 

Peu  loin  de  cet  endroit  cette  petite  rivière 
de  Drogne  fe  jette  dans  celle  de  l'Ifle  qui  ell 
un  peu  plus  grande.  Celle -cy  prend  la  fource 
dans  le  Limoufin  prés  de  Saint  Irier,  &c  l'autre 
dans  le  Perigord  auprès  deBrantofme,  &  après 
avoir  coulé  toutes  deux  eniemblc  trois  ou  qua- 
tre lieues ,  elles  le  vont  perdre  dans  la  Dordo- 
gne  tout  contre  Libourne,  Un  peu  au  deflbus 
de  l'endroit  où  ces  deux  rivières  le  joignent  eft 
litué  le  Bourg  de  Guitre,  &  un  peu  au  deflus 
on  trouve  celuy  de  Courras,  avec  unaflez  bon 
Chartcau  luf  la  Droene  entre  les  deux  rivières. 
Or  comme  il  falloir  necclTiirement  que  le  Roy 
de  Navarre  les  paflaft  pour  continuer  Ion  che- 
min vers  la  Guyenne,  le  Mareichal  de  Mati- 
gnon Gouverneur  de  cette  Province,  l'un  des 
plus  fidelles ,  des  plus  vaillans ,  de  des  plus  fa- 
ges  Capitaines  que  la  France  ait  jamais  eus,  ÔC 
qui  avoit  ordre  du  Roy  d'alTifter  M.de  Joyeu- 
fe,  luy  avoit  écrit  qu'il  luy  conieilloit  de  fe 
faifir  promptement  de  ces  deux  Bourgs,  Se  de 
s'y  retrancher,  l'alTeûrant  qu'il  le  rendroit  dans 
le  vingt-deuxiémc  à  Libourne  avec  toutes  les 
forces  qu'il  avoit  pu  aflemblcr  de  la  Galcogne, 
du  Qucrcy,  du  Perigord,  £c  du  Limoufin.  Il  ju- 
geoit  lagemcnt  qu'il  n'y  avoit  rien  de  plus  ia- 
lutaire  que  ce  çonleil ,  parce  qu'en  le  luiyant 


i3<>.      Histoire    de    la    Ligue. 

1587.  on  eurt  ailément  arrcfté  le  Roy  de  Navarre; 
fans  qu'il  cuft  ofé  tenter  le  pallage  ni  au  dcC- 
fous,  ni  au  dcfTus  du  confluent  des  deux  riviè- 
res ■■,  ou  s'il  l'euft  fait,  on  l'cuft  tenu  enfermé  en- 
tre deux  armées,  dont  chacune  n'auroit  affaire 
qu'à  une  moitié  de  la  ficnne  quand  l'autre  au- 
roit  pafTé  la  rivière  de  l'Ifle. 

Mais  la  prévoyance,  la  promptitude.  Se  la 
réfolution  du  Roy  de  Navarre  d'une  partj  &cdc 
l'autre,  la  témérité,  la  prélomption  éc  la  vani- 
té du  Duc  de  Joyeule  rompirent  les  juftes  me- 
fures  que  leMareichal  avoit  fi  bien  priles.  Car 
le  lendemain  Lundy  dix -neuvième  Lavardin 
Marelchal  de  Camp  de  Joyeuie  s'eftant  avan- 
cé iur  le  loir  avec  fix-vinsts  Chevaux- Levers 
pour  le  laifir  du  logis  de  Courras,  trouva  que 
la  Trimouïlle  s'en  elloit  emparé  une  heure  avant 
fon  arrivée  avec  plus  de  forces  qu'il  n'en  a- 
voit.  De  forte  qu'il  fut  obhgé  de  s'en  retour- 
ner vers  le  Duc ,  qui  alla  paffer  la  Drogne  plus 
haut  3.  h  Roche-Chalais,  où  il  le  logea ,  tandis 
que  le  Roy  de  Navarre,  qui  avoir  luivi  de  bien 
prés  la  Trimouïlle,  faifoit  paffer  fes  troupes  au 
gué  de  Courras.  Ainii  les  deux  armées  le  trou- 
vèrent en  melme  temps  entre  les  deux  rivières, 
à  deux  petites  lieues  1  une  de  l'autre,  fans  qu'il 
y  eulf  rien  entre-deux  qui  luft  capable  de  les 
empefcher  d'en  venir  aux  mains  fi  elles  le  vou- 
loient. 

Car  il  y  avoir  de  parc  de  d'autre  de  bonnes 

raifons 


Livre     II.  :    I        137 

raifons  qui  pouvoient  leur  ortcr  l'envie  de  Te  1 5  S  7. 
bacrc.  Pour  le  Roy  de  Navarre,  s'il  pcrdoit  la 
bataille  il  n'avoir  plus  de  rcfTource,  puis  qu'il 
le  crouvoic  (ans  aucunes  forces  à  la  diicretion 
de  deux  puiflantcs  armées  qui  l'accableroient; 
&  en  la  gagnant,  il  n'avançoit  pas  beaucoup 
les  affaires,  puis  qu'outre  qu'il  auroit  encore 
fur  les  bras  l'armée  du  Marelchal  de  Matignon, 
bien  plus  habile  homme  que  Joyeufe,  le  Roy 
en  avoir  trois  autres  lur  pied  qui  le  pouvoienc 
joindre  aifément,  pour  le  mettre  entre  luy  & 
les  Allemans ,  &  empcfcher  leur  jondion. 

Quant  au  Duc  de  Joyeule,  il  devoit  confi- 
derer  qu'il  auroit  affaire  à  de  vieux  ioldats  plus 
af^uerris  lans  compauailon  que  les  liens,  qui 
elloient  pour  la  pluipart  de  nouvelles  levées, 
&c  que  les  jeunes  Gentilshommes  qui  l'accom- 
pagnoicnt  eftoient  à  la  vérité  gens  de  cœur, 
mais  qui  n'avoienc  non  plus  que  luy  aucune 
expérience  :  ainfi ,  que  pour  agir  prudem- 
ment, il  lalloic  attendre  le  Marelchal  de  Ma- 
tignon, qui  leroit  dans  quatre  jours  au  plus 
tard  à  Libourne,  d'où  il  pourroit  fe  joindre  a, 
fon  armées  &  il  le  Roy  de  Navarre  vouloit 
l'en  empcfcher,  il  le  trouvcroit  entre  deux  ar- 
mées, dont  l'une  l'attaqueroit  de  front,  tandis 
-que  l'autre  luy  donneroit  à  dos,  C'cft  ce  que 
la  raifon  vouloir  qu'on  tiil.  îviais  cette  aveu- 
gle paillon  que  ceL)uc  avoit  de  combatrc  pour 
le  remettre  en  crédit  à  la  Cour,  <3c  retra- uex 


138       Histoire  de  la  Ligue. 

1J87.  dans  la  faveur  du  Prince  l'avantage  fur  Ton  ri- 
val, par  une  cclebr;:  vidoire  que  fa  vanité  luy 
faifoit  tenir  pour  indubitable,  l'emporta  fur  de 
fî  fortes  confiderations ,  &c  fur  toutes  les  loix 
de  la  guerre  &c  du  bon  (ens. 

En  fuite,  comme  il  eût  conclu  le  premier  à 
la  bataille, en  difant  pour  toute  raifonque  l'en- 
nemi qu'il  tenoit  enfermé  entre  deux  rivières 
ne  pouvoir  plus  luy  échaper,  pourveû  qu'on 
allail  droit  à  luy  avant  qu'il  euft  le  temps  de  fe 
fauver,  toute  cette  jeune  Nobleffe  qui  l'envi- 
ronnoit  fit  tant  de  bruit,  en  luy  applaudiflant, 
de  ensuit  y 'Bataille  j  bataille,  qu'elle  entraifna  dans 
le  mefme  avis  tout  le  relie ,  qui  ne  put,  ou  n  o- 
fa  s'oppofer  à  ce  torrent.  Et  il  y  eût  tant  de 
préfomption  dans  ce  Conieil  qui  fut  tenu  fore 
à  la  haile ,  que  le  Duc ,  comme  ties-afrcûré  de 
vaincre,  bc  ne  craignant  autre  choie,  finon  que 
l'ennemi  ne  luy  échapaft  avant  qu'on  le  puft 
-  joindre ,  commença  mefme  avant  minuit  à  faire 
marcher  l'armée  vers  Courras,  pour  y  attaquer 
le  Roy  de  Navarre  dés  la  pointe  du  jour.  Mais 
ce  Prince  ayant  fceii  cette  réfolution  par  fes 
Coureurs,  hc  voyant  bien  qu'elle  l'obligeoit  à 
Ja  bataille ,  pour  le  danger  extrême  qu'il  y  a 
toujours  d'eilre  batu  quand  on  fe  retire  à  la 
veiië  de  l'ennemi,  ne  manqua  pas  de  luy  épar« 
gner  une  partie  du  chemiin. 

En  efiet,  après  qu'on  luy  eût  rendu  compte 
d'une  allez  rude  efcarmouche  qui  s'cftoit  faite 


Livre     II.'*       '        139 

durant  la  nuit  entre  les  Coureurs  &c  une  par-  1587. 
tic  de  la  Cavalerie  légère  des  deux  armées,  fans 
beaucoup  d'avantage  de  part  ni  d'autre ,  il  mon- 
te à  cheval  un  peu  avant  le  jour,  &s'avan(^ant 
vers  l'ennemi,  il  va  prendre  Ton  champ  de  ba-  ^' -^"^'i»^' 
taille  dans  une  plaine  de  i\:ii  a  icpt  cens  pas  de 
diamettrc,  au-delà  d'un  petit  bocage,  à  une 
demi-lieuë  de  Courras,  ayant  ce  Bourg  à  dos, 
à  fa  gauche  la  Drognc ,  qui  termine  la  plaine 
de  ce  coité-là,  &  à  (a  droite  une  garenne,  un 
taillis  coupé  depuis  un  an,  &  une  cfpece  de 
parc  fort  petit,  fe  courbant  vers  les  ennemis, 
&  retranché  iculement  d'une  haye  &  d'un  fof- 
fé.  Ce  fut-là  qu'il  rangea  lelon  cet  ordre  fou 
armée,  qui  n'eftoit  que  de  quatre  à  cinq  mille  duvïu. 
fantallîns,  &  d'environ  deux  mille  cinq  cens 
chevaux. 

Il  mit  à  la  droite  le  plus  gros  des  deux  ba-  i^em.  de  u 
taillons  de  fon  Infanterie,  compolé  des  Réei-  ^'^?'  '"^' 
mens  de  Caftelnau ,  de  Parabere ,  de  Sali^nac, 
&  de  quelques  autres  troupes,  qui  s'étendirent 
dans  la  garenne,  s'avançant  julqu'àla  haye,  8c 
au  foifé  qui  retranchoit  le  petit  parc  dont  ils 
efttoient  couverts.  Ceux-cy  eftoient  louftenus 
à  gauche  de  l'Elcadron  des  Chevaux -Lcf^ers, 
ayant  à  leur  telle  laTnmouïlle,  Vivans,  Aram- 
bure,  6c  Yignoles  qui  les  commandoienr,  ôc  D'Anhii^ê. 
devant  eux  lix  vingts  Arquebufieis  pour  en- 
fans  perdus.  Suivoit,  en  tirant  toujours  fur  la 
gauche,  toute  la  Gendarmerie  divifée  en  qua- 


14©  HlSTÇTlRE    DE   LA    LiGUE. 

If  1^7*^  tre  Eicadrons»  Le  premier  cftoit  de  plus  de 
deux  cens  Gentilshommes  prcfque  tous  Galcons, 
commandé  par  le  Vicomte  de  Turenne,  ac- 
comp^igné  de  Pardaillan,  de  Fontrailles,  ôc  de 

•    "         Cboupes. 

Vcnoit  après,  à  loixante  pas  de  diftance, 
l'Efcadron  de  M.  le  Pruice,  qui  avoit  avec  luy 
Loûïs  de  Saint  Gelais  Mareichal  de  Camp,  des 
Aiiucaux,  Montaterre,  le  Vicomte  de  Gour- 
don,  le  Vidame  de  Chartres,  &  plus  de  deux 
cens  cinquante  Maiftres.  Il  y  avoit  un  inter- 
valle de  cent  cinquante  pas  entre  le  Prince  &c 
le  Roy  de  Navarre,  qui  eftoit  à  la  telle  de  fon 
Elcadron  de  trois  cens  Gentilshommes,  entre 
.•..^,.  Iclquels  eftoient  les  Seigneurs  de  la  Force,  de 
Ponts,  de  la  Boulaye,  &  de  Foix-Candale  qui 
portoit  la  Cornette  blanche.  Suivoit  enfin  le 
jeune  Comte  de  Soiflons ,  ayant  prés  de  ioy  le 
fameux  Capitaine  Favas,  de  deux  cens  chevaux 
dans  Ton  Efcadron,  diftant  de  ccluy  du  Roy 
d'environ  ioixante  pas,  ôc  fermé  fur  la  gauche 
le  long  de  la  rivière,  d'un  autre  aifez  gros  ba- 
taillon formé  de  l'élite  des  Récrimens  de  Char- 
bonnieres,  du  jeune  Montgommery,  de  Préaux, 
de  la  Borie ,  6^  de  Neuvy. 

Tous  CCS  Elcadrons  avoient  un  irrand  front 
Se  peu  de  hauteur  pour  avoir  plus  d'étendue  i 
&  le  Roy  de  Navarre ,  comme  il  l'avoit  veû 
pratiquer  à  l'Admirai  de  Coligny,  avoit  jette 
dans  leurs  intervalles,  aux  eflriers  des  Cavaliers, 


Mem.  lie  ta 


,1  •   r     t'   I    V   R    E       II.:       r:-^  141 

à  droit  &  à  gauche,  des  pelotons  de  quinze  de  iS^7' 
de  vingt  Arquebuiiers ,  qui  partie  un  genou 
en  terre,  partie  à  demi -courbez,  &c  partie  de- 
bout pour  ne  pas  s'entrenuire,  cievoicnt  tirer  à 
coup  leur  de  quatorze  à  quinze  pas  lur  les  en- 
nemis Et  l'on  Artillerie  qu'il  avoir  lailTée  le  foir  D'AnHiné, 
du  jour  précèdent  au-delà  de  la  nviere,  afin  de 
la  pafler  plus  vifte  pour  gagner  Courras,  cf^ 
tant  arrivée  là  deflus  fous  la  conduite  du  Grand- 
Maiftre  Georges  de  Clermont  d'Amboile,  fut 
placée  tres-avanrageufemeut  fur  une  petite 
hauteur  à  la  main  droite  du  Comte  de  Soiiîons. 
Ainfi  fat  rangée  cette  armée  en  forme  de  croif- 
lant,  dont  les  deux  bataillons  d'Infanterie  plus 
avancez  que  les  Efcadrons  vers  l'ennemi  fai- 
foient  les  deux  cornes,  &  l'entre-deux  des  Ef- 
cadrons du  Prince  de  Condé  &  du  Vicomte 
de  Turcnne  formoient  le  milieu. 

Cependant  le  Duc  de  Joycule  ayant  palTé  D»viu. 
avec  beaucoup  de  peine  &c  de  dclordre ,  caufé 
par  la  jeune  NoblclTe  volontaire  dont  on  ne 
pouvoit  arrefter  la  fougue,  certains  falcheux 
défilez  qui  citoient  entre  Ion  logis  &  la  plai- 
ne ,  le  Marquis  de  Lavardin  Ion  Marcfchal  de 
Camp,  grand  homme  de  guerre,  fur  lequel  il 
fe  repofoit ,  y  mit ,  comme  il  put ,  en  bataille 
cette  armée,  qui  ne  montoit  alors  à  gueres  plus 
de  neuf  mille  hommes,  &  gardoit  tres-pcu  de  ■ 
difcipline.  A  l'oppofite  du  ^ros  Bataillon  qui 
tcrmoit  la  droite  des  ennemis,  il  rangea  lur  la 

S  iij 


142.      Histoire   dé   la    Ligue. 


j  j  8  7.  gauche  les  Régimcns  de  Picardie  &  de  Ticrcc- 
lin ,  qui  formoient  un  Bataillon  de  dix  -  huit 
cens  Moufquetaires  couvert  d'environ  mille  cor- 
celets.  Ils  avoient  à  leur  droite  les  Ciievaux- 
Légers  &  les  Albanois  commandez  par  leur 
Capitaine  Mercure  Buat,  &  un  autre  Efcadron 
de  quatre  cens  lances  que  Lavardm  voulut 
conduire  à  la  place  du  fieur  de  Souvré  dan- 
gereufement  blefl'é  d'une  chiite.  Montigny, 
qui  en  commandoit  un  autre  de  cinq  cens  lan- 
ces, fut  placé  lur  la  meimc  main,  ôc  oppoié  à 
celuy  du  Vicomte  dcTurenne;  après  quoy,en 
tirant  vers  laiiviere  qu'ils  avoient  à  droit,  on 
étendit  en  haye,  vis-à-vis  des  trois  Princes,  un 
gros  de  douze  cens  lances,  où  eftoit  le  Géné- 
v'Ai.b'grj.  j-^i  ^  j^  Cornette  blanche  portée  par  le  Heur 
de  Mailly-Brelïay. 

Toute  la  jeune  Nobleffe  volontaire,  Se  la 
plufpart  des  Seigneurs  &  des  Gentilshommes 

cftoient  dans  ce  eros,  dont  le  premier  rano  n'eC 

1  ■         1 

toit  que  de  Comtes,  de  Marquis  &  de  Barons^ 

ayant  à  leur  telle  le  Duc  de  Joyeufe  accom- 
pagné de  ion  cadet  le  Marquis  de  Saint  Sau- 
veur, &  du  brave  Saint  Luc;  &  pour  fermer  la 
pointe  droite,  on  mit  entre  la  Cornette  blanche 
&  la  Drogue  un  autre  gros  Bataillon  compofé 
^i,u7i'H.]uire  ^^^  Régimcns  de  des  Clufeaux  &  de  Verdui- 
</«  czrjinj  iant,  (oullenus  de  lept  Cornettes  d'ArgouIets 
^'  '  *     ou  d'Arqucbuliers  à  cheval  :  ce  qui  pouvoir  faire 
un  gros  de  prés  de  trois  mille  hommes.  L'Ar- 


yiem.  de  la 
L'gue. 


L  I  V  R    E      I  T.  T43  

tillcrie,  qui  comme  celle  du  Roy  de  Navarre    IJ87, 
n'eftoit  que  de  tres-peu  de  pièces,  fut  placée, 
avançant  un  peu  lur  la  droite,  entre  le  gros 
Efcadron  du  Duc  de  Joyeufe  &c  celuy  deMoii- 
tigny. 

Les  deux  armées ,  qui  demeurèrent  en  pre-  i^,"^-  '''  '» 
Icnce  près  d  une  heure  ians  s  ébranler,  railoicnt 
voir  deux  fpeâracles  bien  differens.  Car  d'une 
part  on  ne  voyoit  que  des  armes  dorées  &  fu- 
perbement  damalqumées  reluire  au  foleil ,  des  i>'^«*'*'»«'- 
lances  pemtes  ùc  toutes  couvertes  de  rubans, 
avec  leurs  banderoUes  volticreantes  au  eré  du 
vent,  de  riches  calaques  de  velours,  avec  de 
grands  pafTemens  &  galons  d'or  àc  d'argent, 
dont  chaque  Compac^nie  cftoit  revcftuë  diver- 
fement  félon  les  couleurs  de  fon  Capitamc ,  de 
belles  &  çrrandes  plumes  flotantcs  fur  les  caf- 
ques  a  gros  bouillons,  de  magnifiques  échar- 
pcs  en  broderies,  avec  de  longues  franges  d'or; 
&  tous  les  jeunes  Cavaliers  portant  les  chiffres 
&  les  couleurs  de  leurs  Maiftre(fes,  &  aulli  pa- 
rez que  fi  l'on  eufl  deû  faire  un  carroufel  &c  non  , 
pas  donner  une  bataille.  Enfin,  l'on  euft  pu. 
dire  que  c'eftoit  une  armée  toute  équipée  à  la 
Perfienne,  tant  on  y  voyoit  de  luxe  &  de  pom- 
pe, &  tant  il  y  avoic  d'or  àc  de  ioye  fur  les 
nommes  &  fur  les  chevaux. 

Mais  d'autre  part  on  ne  voyoit  que  de  vieux 
foldats  endurcis  au  travail ,  avec  une  mine  fie- 
re  &: menaçante, mal  peignez ^ mal  veftus,avec    ■■^-  A--  i 


vS 


144       Histoire  de  la  Ligue. 

I  j-  8  7.  leurs  grands  bufles  tout  crafleux  lur  leurs  habits 
de  bure  prefque  tout  ufez ,  n'ayant  pour  toute 
parure  que  le  fer  &  de  bonnes  armes,  montez 
îur  des  chevaux  faits  à  la  faticrue,  (ans  houfTe, 
fans  caparaflbn,  &  fans  aucun  autre  ornement 
que  leur  Cavalier  5  enfin  une  lecondc  armée 
d'Alexandre  contre  un  autre  Darius. 

Ces  deux  armées  fi  différentes  s'cftant  alTez 
confiderées  l'une  l'autre  pour  prendre  leurs  me- 
-V-'  •-      fures,  le  Roy  de  Navarre,  comme  il  eftoit  dé- 
jà prés  de  neuf  heures,  fit  faire  par  tout  la 
prière,  pour  demander  a  Dieu  la  victoire,  pro- 
teftant  tout  haut  que  ce  n'ciloit  point  contre 
Ion   Roy  qu'il  alloit  combatte  ,  mais  contre 
des  Ligueurs,  qui  avoient  entrepris  d'abbatre  la 
Mailon  Royale ,  en  privant  de  fon  droit  l'hé- 
ritier prélomptif  de  la  Couronne.    On  ne  fit 
pas  la  meimc  choie  dans  l'armée  du  Duc  de 
Joycuie.  Au  contraire,  comme  on  apperceût  le 
mouvement  que  ces  gens-là  failoient  pour  prier 
Dieu ,  quelques  -  uns  de  ceux  qui  eitoient  les 
pfr'LTJe    plus  proches  de  ce  Duc  fe  prirent  à  crier,  en  fe 
Mfnry  211.     jTioquant  d'eux.  Ils  font  à  nous,  ils  tremblent  les 
poltrons.  Mais  le  fieur  de  Vaux  Lieutenant  de 
M.  de  Bellegarde  Gouverneur  de  Saintonge, 
iuy  dit,  Non,  non,  Adonfieur,  n'en  cfoje:^  rien,  je 
les  connois  mieux  que  ces  gens  -  là  :  ils  font  maintenant 
les  dsiots,  mais  ils  combatront  tantoji  comme  des  lions. 
Sur  cela,  le  canon  commence  à  joûer.  Ccluy 
r>Ani<ir.i.    tlu  j^oy  de  Navarre  donna  du  premier  coup 

dans 


L   I  V  R   E       I  I.  I4J 

dans  la  Cornette  blanche  du  Duc,  ce  qui  fut     1J87. 
un  mauvais  prélao-e  pour  luy  ;  &  toutes  les  au-  D<iviu. 
très  volées  donnant  au  travers  de  1  cpailie  ro- 
rcrt  de  lances  de  leurs  Elcadrons  dans  ce  gros 
bataillon  qui  fermoir  la  pointe  gauche ,  il  mit 
tout  en  dcfordre  dans  le  Régiment  de  Tiercelin, 
d'où  il  cmportoit  les  rangs  tout  entiers.   Au 
contraire,  celuy  du  Duc  fut  il  mal  exécuté, 
qu'outre  qu'il  ne  répondit  à  l'autre  que  long- 
temps après  que  ce  tonnerre  eût  commencé,  il 
ne  tua  jamais  qu'un  feul  cheval  de  l'Elcadron  du 
Prince  de  Condé ,  parce  que  ce  canon  fut  fi 
mal  placé,  &:  que  les  Canoniers  prirent  \^ui  Mem.de u 
vifée  fi  bas,  que  les  boulets  s'cnfonçoient  dans  ^'-^  '"  *" 
la  terre  un  peu  élevée  en  cet  endroit,  avant 
que  d'arriver  à  l'ennemi. 

Alors  Lavardin  criant  à  Ton  Général  que  tout 
cftoit  perdu  fi  l'on  donnoit  aux  ennemis  le 
temps  de  recharger,  fait  ionner  la  charge,  & 
s'eftant  joint  avec  ion  Efcadron  à  ceux  des  Che- 
vaux-Légers &:  des  Albanois,  va  donner  avec 
tant  de  furie  dans  le  gros  de  la  Cavalerie-Lege- 
re,  qu'ayant  renverfé  d'abord  à  grands  coups 
de  lance  la  TrimouïUe  &  Arambure ,  &  blcHe 
grièvement  Vivans,  tout  cet  Efcadron  fut  en- 
foncé, rompu,  mis  en  déroute,  &  pouriuivi 
jufqucs  dans  Coutras,  où  les  Albanois  fe  mi- 
rent à  piller  le  bagage  que  le  Roy  de  Navarre 
y  avoir  lailTé.  En  melme  temps  Montigny,  qui 
cftoit  vis-à-vis  du  Vicomte  de  Turenne,  zïo\x^v>'AHhisnf, 

.T 


i^6      Histoire    de    la  Ligue. 

{  587.  vant  le  flanc  de  les  Galcons  découvert  par  la 
fuite  des  Chevaux-Legcrs  qu'ils  avoient  à  leur 
droite,  les  enfonça  fî  vivement  par  là,  qu'il 
perça  ôc  ouvrit  fans  peine  d'un  bout  à  l'autre 
cet  Efcadron ,  qui  fe  trouvant  tout  en  defor- 
dre,  fut  contraint  de  lafcher  le  pied  aufli-bien 
que  la  Cavalerie  Légère.  Il  y  en  eût  mefme,  ôc 
ue  ceux  qui  paflfoient  pour  les  plus  braves,  que 
cette  foudaine  frayeur  dont  ils  furent  laids  em- 
porta fi  loin,  qu'ils  fe  fauverent  au-delà  de  la 
rivicre,  &:  allèrent  porter,  en  fuyant  toujours 
jufqu'à  Pons,  la  faulTe  nouvelle  de  la  défaite 
entière  de  l'armée,  dont  ils  eurent  après  tant 
-  de  regret,  qu'ils  en  moururent  de  honte  &c  de 
douleur.  Et  cette  fuite  de  ces  Efcadrons  fut  fi 
précipitée  &c  fi  générale,  qu'il  n'y  eût  d'abord 
que  Turcnne  ôc  Choupes  avec  un  autre  Gen- 
tilhomme ,  auquel  la  Trimouïlle  &  Aramburc 
s'allèrent  joindre,  qui  demeurèrent  fermes,  &c 
qui  ayant  elle  remontez,  ôc  fe  voyant  aban- 
donnez de  leurs  gens ,  le  jetterent  dans  l'Efca- 
dron  du  Prince  de  Condé  pour  y  combatte  à 
les  collez. 

Il  ell  vray  que  la  plufpart  de  ces  fuyards 
s'cftant  bientoft  ralliez,  fe  remirent  en  ordre 
derrière  les  Efcadrons  des  Princes,  pour  répa- 
rer leur  faute,  en  combatant,  comme  ils  firent 
après,  très -vaillamment.  Cela  pourtant  n'em- 
pefcha  pas  qu'il  ne  leur  falut  efiuycr  une  fan- 

.■         ■    glante  raillerie  de  leurs  gens  mefmes.  Car  com- 


Livre     II.  147 

me  il  y  a  d'ordinaire  de  la  jaloiific,  Ôz  niclme  15S7. 
quelque  cipece  d'inimitié  entre  les  Provinces 
voifines,  ceux  de  Saintongc  &  du  Poitou, qui 
n'aimoienc  pas  trop  les  Gafcons ,  ôc  qui  d'ail-  r>'>*"^'X'"'- 
leurs  avoient  quelque  dépit  de  ce  que  le  Roy 
de  Navarre  les  loûoit  allez  fouvenc  avec  un 
peu  d'excès,  les  voyant  en  delordrc,  ôc  puis  en 
fuite,  fe  mirent  à  crier  aufli  haut  qu'ils  purent, 
comme  le  Seigneur  de  Montaufier  qui  leur  en 
donna  l'exemple  ,  c^«  moins  on  ne  fourra  pas 
dire  que  ce  Joient-U  m  des  Poitevins,  ni  des  Sainton- 
geou.  Cela  fit  frémir  de  colère  les  Galcons:  mais 
toute  la  vengeance  qu'ils  en  prirent,  fut  de  s'ef- 
forcer, comme  ils  firent,  par  une  noble  ému- 
lation, de  faire  encore  mieux  que  ces  vaillans 
hommes. 

Au  refte ,  ce  premier  defordre,  bien  loin  d'en 
attirer  encore  un  plus  grand,  comme  il  arrive 
d'ordinaire,  ne  fit  qu'augmenter  le  courage  & 
la  valeur  des  autres.  Car  d'une  part  les  Fantaf- 
fins  de  la  pointe  gauche,  qui  s'eftoient  brave- 
ment avancez  jufqu'au  bout  des  piques  duçrros 
Bataillon  de  des  Cluleaux,  ayant  veû  delà  les 
Gaicons  &  les  Chevaux-Légers  en  fuite,  &:  en- 
tendant le  cry  de  victoire  qu'on  jettoïc  déj* 
dans  l'armée  du  Duc ,  ne  laiflent  pas  de  pafler 
outre,  &  de  faire  de  près  une  furieule  déchar- 
ge: puis  jcttant  le  moufquet  à  gauche,  mettant 
l'èpée  à  la  main,  &  fe  criant  les  uns  aux  autres 
par  un  généreux  delefpoir.  Il  faut  que  nous  allions 


14S      Histoire   de   la   Ligue. 


1/87.  tous  mourir  dans  ce  Bamllon,  ils  s'y  font  pafTa^c 
au  travers  des  piques  qu'ils  coupent  ou  qu'ils 
détournent  à  grands  coups  d'épée,  ils  y  en- 
trent, ils  l'enfoncent,  ils  y  font  une  horrible 
exécution. 

D'autre  part,  les  Gentilshommes  èc  les  Ca- 
valiers des  Efcadrons  des  Princes  voyant  ceux 
de  leurs  compagnons  qui  fuy oient,  &  leurs  erv= 
nemis  qui  couroient  après,  &c  poufloient  de 
grands  cris  de  joye,  regardoient  tout  cela  d'un 
œil  fier  &:  mépriiant,  &s'entrediloient  en  riant. 
Ces  gens  -  là  ne  tiennent  encore  rien  ,  cejl  à  nous 
enfin  au  il  faut  quon  ^vienne.  En  effet,  ils  y  vin- 
rent. Car  le  Duc  de  Joyeufe  enflé  de  cet  heu- 
reux fuccés  du  premier  choc ,  &c  croyant  aller 
à  une  victoire  toute  certaine  plùtoft  qu'au  com- 
bat, fe  jette  au-devant  de  la  grofle  troupe  ma- 
gnifiquement paré  de  fes  belles  armes  toutes 
brillantes  d'or,  d'argent  &  d'émail,  tout  cou- 
vert de  plumes  &c  de  rubans  ;  &c  faiiant  fignc 
de  la  voix  &  de  la  main  à  tous  les  braves  de  le 
fuivre,  ils  prennent  tous  enlemblc  leur  carrière 
de  quatre  cens  pas,  &  courent  à  toute  bride,  la 
lance  en  arreft,  contre  les  trois  Princes. 

Cependant  le  Roy  de  Navarre,  qui  ce  jour- 
là  n'elloit  couvert  comme  tous  les  autres  que 
de  fimples  armes  grifes  fans  aucun  ornement, 
la  falade  en  tefte ,  ôc  le  vifage  découvert  pour 
eftre  reconnu  dans  le  plus  fort  de  la  méfiée, 
parcouic  les  rangs ,  exhorte  en  peu  de  paroles 


L  I  V  R  E     I  T.  x^ff 

les  plus  proches ,  de  du  gcftc  de  des  yeux  les  i  j  8  7. 
plus  cloi£;nez,à  bien  combatre  pour  les  droits 
de  Li  Maifon  Royale,  &:  à  faire  leulcmcnc  com- 
me luy  :  puis  il  mec  devant  loy  huit  Gentils- 
hommes des  plus  forts  armez  de  grolles  lances 
pour  renverfer  les  premiers  qu'il  auroit  en  telle, 
ôc  luy  faire  un  paflage  pour  entrer  dans  leur 
Efcadron.  Il  fait  en  fuite  avancer  fes  gens  feu- 
lement dix  pas,  de  attend  de  pied  ferme  l'en- 
nemi, ordonnant  à  fes  Cavaliers,  qui  n'avoienc 
pour  la  plufpart  que  les  piftolers  ôc  l'épée ,  de 
ne  tirer  que  de  fort  prés,  pour  ne  perdre  pas 
un  leul  coup. 

Cet  ordre  bien  exécuté  fut  la  caufe  du  craiii 

o 

de  la  bataille.  Car  ce  ^rand  corps  de  gendar- 
merie qui  venoit  à  la  charge  au  grand  galop , 
fe  trouva  d'abord  bien  éclairci  par  la  funcule 
décharge  que  firent  iur  les  premiers  rangs  les 
Arquebufiers  que  les  Elcadrons  des  Princes  a- 
voient  aux  eftriers.  Plufieurs  de  ces  Marquis 
&  de  ces  Comtes  6i  de  ces  jeunes  Courtifans 
qui  y  avoienc  voulu  eftre  placez  en  furent  ab- 
batus  ;  ôc  comme  les  autres,  pour  avoir  pris 
leur  courte  de  trop  loin,  elloient  tout  hors 
d'haleine  quand  il  fallut  donner  le  coup  de 
lance,  ces  coups  furent  fi  foibles,  qu'ils  ne  fi- 
rent prefquc  nul  effet ,  &  les  Princes  les  enfon- 
cèrent avec  tant  de  vigueur  &de  promptitude^ 
qu'ils  ne  donnèrent  pas  aux  autres  le  temps  de 
baiffer   leur  bois   qu'il  fallut   qu'ils  jettalfenc 


rjo       Histoire  de  la  Ligue. 


1J87.  pour  prendre  Tépée  &:  le  piftolet.  Ainfi  ron 
fut  bicnroft  réduit  à  combatre  à  armes  pareil- 
les, mais  avec  des  fuccés  bien  differens. 

Car  les  trois  Efcadrons  des  Prmces  eftant  fe- 
parez  l'un  de  l'autre  d'une  jufte  diftance  &  en 
très -bon  ordre  ,  attaquèrent  de    trois  coftcz: 
celuy  de  Joyeufe,  qui  n'cilant  que  trop  éten- 
du, eftoit  encore  tout  en  confulion  Se  en  de- 
iTufj/'  tordre.  Le  Roy  de  Navarre  le  chargea  de  fronts 
les  deux  Princes  le  prirent  par  les  flancs,  le  Com- 
te de  Soiflons  a  droit,  Se  le  Prince  de  Condé 
à  gauche.  Ils  firent  tous  trois  en  cette  fanglan- 
re  mcflce  tout  ce  que  l'on  pourroit  attendre 
des  plus  vaillans  hommes  du  monde  :  iur  tout 
■D'Auhignc.    le  Roy  de  Navarre,  pour  animer  les  fiens,  qui  le 
J5«  ^iijf'!-     voyoiciit  s'expoier  au  péril  comme  le  moindre 
des  ioldats,  donna  par  tout  des  preuves  admi- 
rables de  ion  courage.  Il  en  vint  mefme  jufqu'i 
colleter  dans  la  prefTe  ceux  que  l'ardeur  du 
combat  ou  la  foule  des  combatans  poufToic 
par  hazard  contre  luyj  &  fe  trouvant  entre 
deux  vaillans  hommes ,  le  Baron  de  Fumel  &  le 
fieur  de  Chafl^eau  -  Renard  Guidon  de  Sanfac^ 
qui  venoient  à  luy  l'épée  haute,  en  mefme 
temps  qu'un  Gendarme  frapoit  d'un  tronc^on 
de  lance  fur  fa  falade,  il  tire  a  l'un  fon  pifto- 
let, empoigne  l'autre  qu'il  fait  fon  prifonnierg, 
en  criant,  Rends -toj  Phihjlin,  &  fe  démefle  du 
îroifiéme,  qui  fut  auflitofl  arrefté  par  un  de 
les  Elcuyers. 


L    I    V    R    E        I  I.  i;i  

Enfin  tout  ce  grand  corps  de  gendarmerie  i^'iy- 
en  quoy  confilloit  prefqiie  toute  la  force  de 
l'armée  du  Duc  ayant  eftc  fi  vivement  atta- 
qué, enfoncé  Ôz  percé  de  tout  colté,  fut  ren- 
verlé,  taillé  en  pièces,  &  entièrement  défait  en 
moins  de  demi-heure ,  fans  que  l'on  puft  faire 
aucun  ralliment,  non  point  par  lalcheté,  mais 
tout  au  contraire,  ce  qui  n'arrive  gueres,par 
le  trop  de  coura2;e  des  vamcus.  Car  comme  ils 
eitoient  pour  la  pluipart  Seigneurs  de  marque, 
ou  Gentilshommes  prefque  tous  jeunes,  &  pleins  ' 
de  courage  &  de  feu,  ils  fongerent  ii  peu  à 
s'écarter,  ou  à  fuir,  qu'il  n'y  en  eût  pas  dix  de 
tuez  ou  faits  prifonniers  hors  du  Champ  de 
bataille, où  ils  aimèrent  mieux  périr  que  de  re- 
culer d'un  feul  pas. 

Après  cette  défaite,  les  vidtorieux  s'eftant 
joints  à  leurs  Bataillons,  qui  animez  par  leur 
exemple,  combatoient  avec  preique  autant  d'a- 
vantage contre  l'Infanterie  ,  ce  ne  fut  plus  un 
combat,  mais  un  horrible  carnage  de  cette  pau- 
vre Infanterie,  à  laquelle  on  ne  donnoit point 
de  quartier,  parce  quejoyeufe  n'en  avoir  point 
voulu  donner  aux  deux  Régimens  qu'il  défit 
auprès  de  Saint  Maixant.  Pour  ce  Duc ,  com- 
me il  vit  que  tout  eftoit  perdu,  au  lieu  de  pren- 
dre à  droit  pour  le  fauver  à  la  Roche-Chalais, 
il  tourna  fur  la  gauche  pour  aller  au  canon, ôi 
y  rendre  un  dernier  combat,  difant  à  Saint  Luc  sr^M/m.-. 
qui  luy  demandoit  ce  qu'il  vouioic  fairc^  Ne 


ip       Histoire  de    la   Ligue. 

I  j  8  7.  vivre  plus ,  Monfteur  de  Saint  Luc,  ç^r  mourir  gêné- 
reufement  après  mon  malheur.  Mais  il  n'eût  pas  mef- 
me  en  cela  ce  qu'il  fouhaitoit.  Car  il  n'eût  pas 
fait  vingt  ou  trente  pas  vers  Ion  Artillerie, 
qu'il  tomba  entre  les  mains  des  Capitaines  Saint 
Chriftophlc  &  la  Viole  j  &:  comme  il  leur  of- 
froit  pour  fa  rancjon  cent  mille  écus ,  que  ces 
deux  Capitaines  n'euflent  pas  efté  trop  marris 
de  recevoir ,  il  en  vint  deux  autres ,  nommez 
Bordeaux  &  des  Ccntiers ,  qui  foit  par  hai- 
ne, par  vengeance,  ou  par  dépit  de  ne  l'avoir 
pas  pris  pour  avoir  part  à  une  Ç\  grande  ran- 
çon, luy  déchargèrent lafchement  leurs  piftolets 
dans  la  tefte ,  &  le  renverferent  mort  fur  k 
place. 

Le  vaillant  Saint  Luc,  qui  prit  fur  le  champ 
une  réfolution  aufïi  généreufe,  &  beaucoup 
plus  hardie  que  la  fienne,  fut  aufli  plus  heu- 
reux. Car  ayant  appcrceû  de  loin  le  Prince  de 
Condé  qui  pourluivoit  ardemment  la  victoire, 
il  va  droit  a  luy  la  lance  baiifée,  le  renverle 
par  terre  d'un  grand  coup  qu'il  luy  donne  dans 
la  cuira{re,fe  jette  en  fuite  promptement  à  bas 
de  fon  cheval ,  luy  prefente  la  main  avec  un 
extrême  refpeâ:  pour  le  relever,  &  le  fupplie  en 
mefme  temps  de  le  recevoir  comme  fon  priion- 
nier  ;  ce  que  ce  brave  Prince,  admirant  le  cou- 
rage &  l'elprit  d'un  fi  vaillant  &  fi  fage  ennemi, 
fit,  en  l'embralTant  avec  toute  la  générofité 
dont  il  faifoit  protelfion. 
^  ,  Cette 


L    I  V   R    E      I  I.  Î53  

Cette  vidoire  fut  complctc.  Les  drapeaux,  ijSy. 
le  canon,  le  bagage  demeurèrent  au  vidtorieux, 
avec  le  Champ  de  bataille  couvert  de  quatre  à 
cinq  mille  loldats,  &  de  plus  de  quatre  cens 
Gentilshommes  de  l'armée  du  Duc  étendus  fur 
la  place,  entre  leiquels,  outre  le  Duc  de  Joyeu- 
fe  &  ion  jeune  frcre  de  Saint  Sauveur,  eltoicnc 
les  Comtes  de  la  Suzc,  d'Avaugour,  d'Aubi- 
joux,  les  fleurs  de  Neuvy,  du  Border,  de  Mailly- 
BrefTay,  de  Rouilay  puifné  de  Piennes  Guidon 
de  Joyeuie,  de  Vaux  Lieutenant  de  Bellegarde, 
d'Alluin,  de  Fumel,  de  Rochefort,  de  Croi- 
fettc ,  de  Tiercelin  Saveule  Meftre  de  Camp,  &c 
le  fieur  de  Saint  Lary- Bellegarde  fils  du  Ma- 
refchal  de  mefme  nom,6(:  Gouverneur  de  Sain- 
tonge  &  d'Angoumois,  qui  eftant  pris  griève- 
ment bleffé  mourut  peu  de  temps  après  de  fes 
bleffeûres.  Prefque  tout  ce  qui  refta  de  cette 
armée  fut  fait  pri(onnier,  à  la  rélervc  des  Al- 
banois ,  qui  abandonnant  le  pillage  où  ils  s'a- 
mufoient  à  Coutras ,  fe  fauverent ,  ôc  du  Mar- 
quis de  Lavardin,  lequel  n'ayant  pu  rallier  fes 
gens  qui  avoient  pouriuivi  trop  loin  les  fuyards, 
fe  retira  prefque  tout  leul  à  la  Roche-Chalais, 
avec  un  Drapeau  qu'il  iauva  du  Régiment  de 
Picardie. 

Cette  retraite  fut  très -honorable  à  ce  vail- 
lant homme, qui  ayant  renoncé  auCalvinifme 
que  fon  père  avoir  embrairé,combatit  en  cette 
journée  contre  le  Roy  de  Navarre,  comme  con- 

V 


154       Histoire   de   la    Ligue. 

î  5  8  7.  tre  le  Chef  des  Huguenots.  Mais  peu  de  temps 
après  s'ellant  jette  dans  Ton  parti  pour  la  dé- 
fenie  de  l'Eilat  &c  des  droits  de  la  Couronne, 
il  combatit  toujours  pour  luy  contre  la  Ligue 
avec  tant  de  fidélité ,  de  valeur  ôc  de  condui- 
te ,  qu'il  en  receût  enfin  pour  récompenfe  de 
fcs  longs  fervices  le  Bafton  de  Mareichal  de 
France. 

Au  refte ,  une  fi  belle  vidoire  ne  confia  au 
Victorieux  que  cinq  ou  fix  Gentilshommes,  &c 
quelque  cent  ou  fix -vingts  foldats;  &c  ce  qui 
la  rendit  encore  beaucoup  plus  illullre ,  fut  la 
merveilleute  clémence  du  Roy  de  Navarre.  Il 
arrclla  par  la  prelence  la  fureur  du  foldat  qui 
faiioit  main  baiTe  fur  l'Infanterie.  Il  receût  tous 
les  priionniers  de  qualité  avec  une  extrême 
bonté  ;  il  les  confola  de  leur  perte ,  en  louant 
leur  courage  j  il  les  renvoya  prefque  tous  fans 
rançon  :  il  rendit  aux  parens  les  corps  de  ceux 
qui  avoient  péri  honorablement  fur  le  Champ 
de  bataille,  &c  fur  tout  celuyduDuc  dejoyeu- 
fe,  à  qui  le  Roy,  pour  continuer  fa  faveur  en- 
core après  fa  mort,  fit  faire  de  magnifiques  fu- 
nérailles avec  une  pompe  Royale.  Enfin  ce  gé- 
néreux vainqueur  eût  tant  de  modération,  qu'il 
,  envoya  fur  le  champ  proteflcr  au  Roy  qu'après 

cet  avantage  il  ne  demandoit  rien  que  l'hon- 
neur de  fes  bonnes  grâces,  &  la  paix  que  Sa 
Majefté  avoir  eu  la  bonté  de  luy  donner,  Ôc 
que  leurs  communs  ennemis  avoient  rompue. 


L   I  V  R   E      î  I.  1^1 

Mais  après  tout,  il  faut  que  l'on  avoue  de  1587. 
bonne  foy,  que  s'il  eût  la  conduite  &  la  valeur 
d'Annibal  en  cette  bataille ,  il  eût  auflï  com- 
me luy  le  malheur  de  n'avoir  pas  fceû  l'art  de 
bien  ufer  de  fa  vi6loirc,  ou  qu'il  ne  s'en  vou- 
lut pas  fervir.  Car  ioit  que  les  vainqueurs  en- 
nchis  des  dépouilles  des  vaincus  foupiraflent 
après  le  repos  pour  joûïr  à  leur  aile  de  leur  MtnohtsJe 

butin  i  loit  que  la  NoblelTe  qui  l'avoit  fuivi    '!!?/' 

1         ■  r  c  a  '     ^  I    r     •    ^  ^■'«^'in- 

volontairement ne  le  ruit  engaiiee  a  le  lervir 

que  juiques  environ  ce  temps  -  la  5  ou  qu'ayant 
afïbibli  par  fa  vidoire  le  parti  de  la  Ligue,  il 
ne  vouluft  pas  que  celuy  des  Huguenots,  qui 
fe  fîoient  plus  au  Prince  de  Condé  qu'à  luy, 
devinft  trop  fort  ;  foit  enfin  que  certains  encrj- 
gemeiis  peu  dignes  d'un  héros  vidorieux  le  D'ArM^né. 
rappellalîcnt  en  Bearn:  il  ell  certain  qu'il  con- 
gédia ion  armée  julqu'à  un  certain  temps,  ôc 
qu'il  repafïa  bien  viRe  la  Garonne  avec  une 
partie  des  Cornettes  &c  des  Drapeaux  gagnez 
îur  l'ennemi,  qu'il  voulut  prefenter  a  la  per- 
fonne  qu'il  aimoit,  au  heu  de  fe  mettre  en  ellat 
de  recueillir  le  plus  grand  fruit  qu'il  pouvoic 
efperer  de  la  victoire,  en  s'allant  joindre  prom- 
ptement,  par  le  détour  qu'il  avoir  pris,  à  cette 
grande  armée  d'Allemans  qui  marchoit  à  Ion 
fecours ,  Se  dont  il  faut  maintenant  qjue  je 
parle. 

Car  tandis  que  ces  chofes  fe  faifoient  en  Fran- 
ce j  les  Princes  Proteitans  d'Allemagne  furieu- 

V  11 


i;^      Histoire  be  la   Ligue. 

1587.  fcment  irritez  de  la  rcponlc  fiere  &c  outrageufe 
que  le  Roy  avoir  faite  à  leurs  AmbafTadeurs^ 
mirent  fur  pied  la  plus  puiflantc  armée  qu'ils 
cufTent  encore  envoyée  en  ce  Royaume  pour 
fecourir  les  Huguenots.  Il  y  avoit  dans  cette 
armée  huit  mille  cinq  cens  Reitres,  cinq  à  iîx 
mille  Lanfquenets ,  &  feize  mille  SuifTes,  que  le 
fîeur  de  Clervant  avoit  obtenus  des  cinq  Can- 
tons Proteftans  pour  le  Roy  de  Navarre  y  outre 
quatre  mille  autres  qu'il  avoit  laifTez  en  pafTanc 
■  dans  le  Dauphinc,  pour  renforcer  l'armée  de 
Lefdiguieres ,  mais  qui  avant  leur  jonction  fu- 
rent entièrement  défaits  par  le  fameux  Colo- 
nel Corfe  Alphonfe  d'Ornano.  Le  Duc  Jean 
Cafîmir,  dont  j'ay  alTez  parlé  dans  mesHilloi- 

.:: .  •  •  •  •  res  du  Lutheranifme  &  du  Calviniimc,  devoit 
commander  en  perlonne  les  Allemans  :  mais 
comme  on  eftoit  fur  le  point  de  fe  mettre  en 
marche,  il  s'en  excuia,fur  ce  qu'il  eftoit  obli- 
gé de  demeurer  en  Allemagne  pour  y  gouver- 
ner le  Palatinat  pendant  la  minorité  du  jeune 
Elcdleur  fon  neveu.  De  forte  que  l'on  fut  con- 
traint de  recevoir  le  Baron  de  Dona  fon  favo- 
ri, qu'il  avoit  réfolu  depuis  long-temps  de  fub- 
ftituer  en  fa  place. 

Il  faut  rendre  juftice  au  mérite  d'un  chacun, 
en  difant  nettement  la  vérité ,  fans  fe  laifler  al- 
ler aux  préjugez,  lur  des  opinions  communes 
tres-fouvent  mal  fondées.  Qupy-  que  la  pluf- 
part  des  HJftoriens  Fran<^ois  ôc  Italiens  aycnt 


L   I  V  R   E      I   I.  IJ7  

parle  peu  avcintageufcmcnt  de  ce  Baron,  il  cil    iJ^T- 
pourrant  certain  qu'il  eftoic  d'une  nailîancc  à  chromc.sîif». 
loultcnir  la  qualité  de  General,  &  cju  clic  nel-  pn-^Ug. 
toit  point  du  tout  au  dellous  de  cet  cmploy,  iTjUnfifr!' 
puis  qu'il  cftoit  d'une  des  plus  anciennes  &  des 
plus  lUurtres  Maiibns  de  la  Prufl'e ,  &  que  les 
Anceltrcs  avoient  polTede  depuis  plufieurs  fic- 
elés la  dignité  de  Burgrave,  qui  eft  une  des 
plus  confiderables  de  l'Empire.    Il  avoit  aufïi 
de  l'elprit,  de  l'adrefle,  &c  beaucoup  de  cœur: 
mais  d'autre  part  il  n'avoit  pas  afTez  d'autorité 
ôc  d'expérience  pour  conduire  une  aufli  grande 
armée  que  celle-cy ,  dont  la  pluipart  des  Chefs 
ne  s'accordoient2;ueres,&:ne  vouloient  pasluy 
obéir, 

AufTi  ne  fut -il  à  proprement  parler  que 
Général  des  Reitres,  quoy-que  les  Lanfquenets 
&:  les  SuifTes  le  reconnulTent  pour  leur  Chef  en 
la  place  du  Prince  Cafimir.  Ce  fut  le  jeune 
Duc  de  Bouillon  que  le  Roy  de  Navarre  avoit 
nommé  pour  fon  Lieutenant,  qui  eût  le  titre 
de  Général  de  cette  armée  ;  mais  il  n'en  ciit 
pas  pour  cela  le  commandement  abfolu,  parce 
qu'on  luy  donna  un  conleil  compofé  de  ilx 
Officiers  François,  &  d'autant  d'Allemans,  avec 
le  Baron  de  Dona,  qui  décidoient  de  tout  à  la 
pluralité  des  voix ,  ce  qui  caula  bien  du  détor- 
dre. Car  ni  les  Allemans  n'eftoient  prcfque  ja-  Keut.  d'un 
mais  d'accord  avec  les  François,  ni  ceux-cy  ^;7„'^2J,*^^'^ 
qui  avouent  de  la  jaloufic  l'un  de  l'autre  ne 


ij8       Histoire  de  la  Ligue. 


I  j  8  7      pouvoient  eftre  de   bonne  intelligence  entre 
eux.    Il  y  en  avoit  mefme  quelques-uns  que  le 
Duc  de  Guife ,  le  plus  adroit  de  tous  les  hom- 
mes, avoit  (ccù  gagner,  de  qui  l'avertijOToient 
fous  main  des  réfolutions  que  l'on  prenoit  dans 
le  ConleiL 
Relation  d'un       ^^  ^.^^^    aptés  Que  CCS  Eftrançrers  eurent 
rravçok  à  la  touclié  unc  partie  de  leur  arg-ent  que  la  Reine 
imp  i-a»nss.  a  Angleterre  avoit  rournii  qu  on  les  eut  ailcu- 
L'gucft.  'l    ^^  <^u  refte  -,  &  qu'on  leur  eût  promis  que  le 
^'Ja'^^?'"^'  Rov  de  Navarre  les  ioindroit  bicntoft,&:  qu'ils 
iroubiti.é'c.  n'auroient  arraire  qu'a  la  Ligue,  &  nullement 
au  Roy,  qui  n'cftoit  armé  que  pour  les  aider  à 
la  détruire  :  ils  palTerent  le  Rhin  environ  le 
vingtième  d'Aouft,  &  trouvèrent  dans  la  plai- 
ne de  Strafbourg  Guillaume  Robert  de  la  Mark 
Duc   de  Bouillon  ,  &  Ton  frère  Jean  Robert 
Comte  de  la  Mark ,  qui  les  attcndoient  là  de- 
.   puis  quinze  jours  avec  deux  mille  hommes  de 
pied ,  &  trois  à  quatre  cens  chevaux  François. 
Ain/î  cette  armée  dans  la  reveûe  qui  s'en  fit 
auprès  de  Strafbourg  (e  trouva  eftre  d'environ 
trente-trois  mille  hommes  effc6tifs,  tous  gens 
aguerris  d>c  bien  équipez,  fans  compter  les  quinze 
à  feize  cens  fantalfins,  &  deux  cens  chevaux 
que  le  Comte  de  Chaftillon,fils  du  feu  Admi- 
rai ,  y  amena  bientoft  après ,  ^  environ  deux 
mille  autres  qui  s'y  joignirent  dans  la  marche.. 
De  lortc  que  quand  elle  entra  dans  le  Royau- 
me elle  n'eftoit  de  gueres  moins  de  quarante 


L    I    V   R  E       I  I.  Tj-p 


mille  hommes  j  avec  dix -huit  ou  vingt  pièces  ijS/. 
d'artillerie;  ce  qui  afTeûrémcnt  eiloit  capable 
de  faire  trembler  ceux  contre  lelquels  elle  mar- 
choit  au  Iccours  du  Roy  de  Navarre, 

Aufli  ce  terrible  tonnerre,  dont  l'éclat  fe  fai- 
foit  entendre  de  fî  loin  jufques  à  Paris,  alarma 
il  fort  le  Confeil  des  Seize ,  que  pour  fe  met-  ^"f^'t^,^""' 
tre  à  couvert  de  cette  tempellc ,  qui  les  mena-  j^^^^^ir.  vro. 
^oit  de  les  mettre  en  poudre,  ils  envoyèrent  ^''''"■/^J^- 
aux  principales  villes  du  Royaume  de  nouveaux  ■voyi^'^ux 
Mémoires,  6c  une  nouvelle  forme  de  lerment  c'Jyeu  1. 1'. 
pour  les  unir  plus  étroitement  avec  eux  à  leur  ?•  *"•  «^  Z'"'^' 
commune  défenle,  leur  failant  accroire,  par 
une  extrême  malignité,    que  c'elfoit  le  Roy 
melme  qui  avoit  appelle  ces  Hérétiques  Eif  ran- 
gers, pour  ruiner  ceux  qui  défendoicnt  la  Re- 
ligion Catholique,  ô>:  pour  faire  régner  enFran- 
ce  l'Hérefie  avec  ceux  qui  la  foullenoient.  Mais 
le  Duc  de  Guiic ,  dont  le  grand  cœur  ne  fut 
jamais  capable  de  la  moindre  lafcheté,  prit  bien 
d'autres  voyes  pour  arriver  à  cette  meime  fin , 
en  ruinant  cette  formidable  armée  qui  le  me- 
naçoit  d'une  ruine  inévitable  ;  &  il  en  vint 
heureufement  &  glorieufement  à  bout,  en  fai- 
fant,  avec  une  admirable  conduite,  une  force 
d'elprit,  &  un  courage  tout-à-fait  héroïque, 
une  des  plus  belles  actions  qui  fe  foient  ja- 
mais faites ,  de  qui  toute  icule  pourroit  juif e- 
ment  l'égaler  aux  plus  grands  hommes  de  l'An- 
tiquité. jj:.\'.  . 


i<Jo       Histoire  de  la  Ligue. 


ï^Sy.  Il  n'avoit  prefquc  rien  de  tout  ce  qu'on  luy 
Mititn  à  1.1  avoit  promis  à  Meaux ,  quand  on  y  fit  le  par- 
Keint  E.ix..  ^^^^  ^^^  troupcs  qui  dévoient  fervir  dans  l'ar- 
mée du  Roy  ôc  dans  la  fienne.  Des  vingt  Com- 
pagnies d'Ordonnances  qu'il  devoit  avoir,  pas 
une  ne  parut  au  rendez- vous  qui  fut  alTigné 
à  Chaumont.  On  ne  luy  envoya  ni  argent, ni 
munitions ,  ni  canon  :  de  forte  qu'ayant  fait 
venir  à  Vaucouleur  le  vingt-deuxième  du  mois 
d'Aouft  tout  ce  qu'il  avoit  pu  affcmbler  de  trou- 
pes par  le  moyen  de  fes  amis,  &c  en  partie  de 
l'argent  des  Parifiens,  il  ne  s'y  trouva  qu'un  peu 
plus  de  trois  mille  hommes  j  fçavoir,  environ 
îix  cens  CuirafTiers  de  fa  Compagnie ,  ôc  de  cel- 
les du  Prince  de  Joinville,  du  Comte  de  Chal- 
ligny,  du  Chevalier  d'Aumale,  des  fieurs  de  la 
Chaftre  &  d' Amblize ,  quelque  trois  cens  che- 
vaux qui  luy  furent  envoyez  de  la  garnifon  de 
Cambray  parBalagny,  qui  s'eftoit  fait  Ligueur, 
pour  changer  fon  Gouvernement  en  Principau- 
té, à  la  faveur  des  troubles  de  la  Ligue,  outre 
prefque  autant  de  Chevaux-Legers,  Italiens  ou 
Albanois,  que  luy  prefla  le  Duc  de  Parme  Gou- 
verneur des  Païs-Bas.  Et  pour  l'Infanterie,  il 
n'avoit  que  les  deux  Régimens  des  Capitaines 
Saint  Paul  &Joannés,  aufquelsil  fe  fioit  beau- 
coup. 

Avec  ce  peu  de  forces  il  s'alla  joindre  à  cel- 
les de  Charles  Duc  de  Lorraine ,  qui  avec  le 
fecours  que  ce  Prince  avoit  receû  de  Flandre 

fous 


L    I    V    R    E       I  T.  I^I  

fous  la  conduite  du  Marquis  d'Avré  &  du  1587. 
Marquis  de  Varambon,  &c  ce  qu'il  avoit  pu 
lever  en  Allemagne,  ne  montoienc  qu'à  fepc 
mille  fantaflins,  &  environ  quinze  cens  che- 
vaux :  de  lorte  qu'ils  n'avoient  en  tout  que  dou- 
ze à  treize  mille  hommes  pour  oppofer  à  plus 
de  trente  -  cinq  mille  qui  s'en  venoient  fon^ 
dre  fur  eux.  Le  Duc  de  Lorraine  qui  prévit  cet 
orage,  avoir  fait  tour  ce  qu'il  avoit  pu  pour  fc 
mettre  à  couvert,  ôc  en  cftat  de  fe  détendre, 
en  fortifiant  la  plufpart  de  les  places.  Et  com- 
me il  vit  que  Nancy  ia  Capitale  cftoit  trop 
petite  pour  recevoir  le  grand  nombre  de  per- 
sonnes de  qualité  &  d'Eccleiiaftiques  qui  s'y 
réfugioient  de  tous  coftez  de  leurs  maifons  de 
campagne,  de  leurs  chafteaux ,  ôc  des  petites 
villes  qui  efloient  hors  de  défcnfe  :  ce  fut  en 
cette  occaflon  qu'il  l'agrandit  de  cette  belle  & 
grande  partie  qu'on  appelle  la  Ville  neuve,  aux 
fortifications  de  laquelle,  qui  furent  lans  con- 
tredit les  plus  belles  &:  les  meilleures  de  ce  temps- 
là  ,  il  avoit  fait  travailler  avec  tant  de  diheren- 
ce,  q 


u'elle  fe  trouvoit  dcia  en  eftat  de  fe  bien 


défendre  contre  cette  armée ,  qui,  toute  nom- 
breufe  ôc  puiflante  qu'elle  eltoit,  n'ofa  entre- 
prendre de  l'attaquer. 

Comme  ces  deux  armées  eftoient,  l'une  au- 
de<^a  des  montagnes  de  Vaugc  en  Lorraine,  & 
l'autre  au-delà  dans  l'Allace,  on  tint  Confeil 
en  melme  temps  dans  toutes  les  deux,  6c  il  ar- 

X 


l6t  HiSTOrRE     DE     LA     LiGUE. 


'■j^j,  riva,  par  ufic  rencontre  aflez  rare,  qu'on  prit 
de  part  ôc  d'autre  une  mefme  rélolution.  Dans 
l'armée  Allemande  le  Duc  de  Bouillon  &  une 
partie  des  Chefs  vouloient  que  ce  full  en  Lor- 
raine que  l'on  fiftla  guerre,  pour  l'achever  tout 
d'un  coup,  diloicnt-ils,  en  ruinant  la  Mailon 
qui  l'avoit  fait  naiftre ,  ôc  qui  eftoit  le  plus 
grand  fouftien  de  la  Ligue.  Mais  c'eil  qu'en 
effet  les  Allemans  eulTent  bien  voulu  ne  s'é- 
loigner pas  fi  fort  de  leur  païs,  &c  que  le  Duc 
de  Bouillon  euft  efté  bien-aiie  d'affeûrer  parla 
Sedan  &  Jametz,  à  qui  les  Lorrains  en  vouloient. 
Les  Franc^ois  au  contraire,  les  Envoyez  du  Roy 
de  Navarre,  &c  le  Baron  de  Dona,  qui  fuivoK 
les  ordres  qu'il  avoit  receûs  du  Duc  Cafîmir, 
firent  conclure  qu'on  le  contenteroit  de  faire, 
en  pafîant,  le  plus  de  ravage  qu'on  pourroit 
dans  la  Lorraine,  où  l'on  n'avoit  point  eu  de 
guerre  depuis  celle  des  Bourguignons  qui  fu- 
rent défaits  avec  leur  dernier  Duc  à  la  Bataille 
de  Nancy,  &c  que,  fans  s'arrefter  a  faire  des  fîe- 
ges,  on  iroit  le  joindre  au  plûtoft  au  Roy  de 
Navarre  qui  les  attendoit. 

D'autre  part,  dans  le  Confeil  que  l'on  tint 
à  Nancy ,  le  Duc  de  Guife  vouloit  qu'on  s'op- 
pofail  au  partage  des  ennemis ,  parce  qu'eftant 
bien  informé  de  leur  divifion ,  Ôc  du  defordre 
qui  eftoit  parmi  leurs  gens,  il  ne  doutoit  point 
qu'avec  ce  peu  de  troupes  qu'il  avoir ,  mais 
toutes  cojnpofécs  de  loidats  bien  difciplincz 


L  I  V  R    E       ï    L  1^5 

^rac^ucrris,  il  ne  crouvaft  occafîon  de  les  dé-  IJ87. 
faire  dans  un  pais  étroit,  &  reflcrré  entre  des 
montaj^nes  Se  des  rivières ,  ou  qu'enfin  il  ne  les 
contraio-nift  de  rebroufler  chemin,  &  recour- 
ncr  en  leur  pais.  C'eft  à  quoy  concluoicnt  auiTi 
les  François  qui  l'accompagnoicnt.  Mais  le  Duc 
de  Lorraine,  qui  ne  vouloir  pas  expoier  fon 
Eftat  au  hazard  d'une  bataille,  de  qui  après 
tout  aimoit  mieux  pais  ruiné  que  païs  perdu, 
voulut  ablolument  que,  fans  s'oppofer  au  paf. 
lage  de  cette  armée ,  on  mift  une  partie  de  fes 
troupes  dans  les  villes  où  les  païfans  fc  rctire- 
roient  avec  tout  ce  qu'ils  y  pourroient  porter 
de  vivres;  qu'on  fift  rompre  les  fours  &  les 
moulins,  &c  bruflerles  fouragcsi  &  qu'avec  ce 
qui  refteroit  de  gens  de  sjuerre  on  coftoyaft  les 
ennemis,  pour  les  obliger,  par  la  difette  de  tou- 
tes cliofes,  &  en  les  harcelant  toujours,  de  for- 
tir  promptement  de  la  Lorraine,  6c  de  paiTer 
en  France  où  il  ne  voulut  jamais  entrer.  Et 
craignant  que  le  Duc  de  Guife,  dont  il  con- 
noiflbit  le  deifein  &  le  courage,  n'cneaeeaft  fa 
petite  armée,  malgré  qu'il  en  euft,  en  quelque 
dangereux  combat,  il  la  voulut  luy-mefme 
commander,  &  la  fit  camper  entre  la  Ville 
neuve  &  un  petit  bois  fervant  de  parc  à  ce  que 
l'on  appelle  la  Maie-Grange,  Maifon  de  cette 
Altefle,  attendant  l'occalion  de  s'en  fervir  où 
il  faudroit,  félon  la  route  que  prcndroicnt  les 


ennemis. 


Xij 


— —  i(j4       Histoire   de   la   Ligue. 

X  f  8  7.  Ceux  cy  donc  ayant  joint  dans  la  plaine  de 
ScralLourg  prcfque  toutes  leurs  troupes,  &  trou- 
vant les  paflages  libres  par  la  retraite  de  ceux 
qui  eftoient  deftinez  pour  les  garder.  Se  que 
l'on  avoir  rappeliez  pour  les  mettre  dans  les 
villes ,  palTerent  la  montagne  prés  de  Saverne, 
fans  autre  obftacle  que  la  peine  qu'ils  eurent 
trois  jours  durant  à  débarralTer  les  chemins  des 
gros  arbres  coupez  dont  on  les  avoit  traverfez. 
Ils  ne  furent  pas  plûtolt  paflez ,  que  le  Duc  de 
Guire,qui  ne  perdit  jamais  aucune  occafiondc 
furprendre  les  Reitres,  vers  leiquels  il  s'eftoic 
avancé  avec  l'avantgarde,  leur  fit  donner  la 
première  camifade  par  le  fameux  Colonel  Rô- 
ne,  qu'on  fit  depuis  Marefchal  de  la  Ligue,  &c 
parle  Baron  de  Suarzembourg,  qui  attaque- 

.  .  lent  de  nuit  le  quartier  du  Colonel  Boucq,  qui 
eftoit  (ans  contredit  le  plus  habile  de  leurs 
Officiers.  Auffi  ne  fut -il  pas  furpris,  car  on 
failoit  fi  bonne  garde  dans  [on  logement,  qu'il 
citoit  à  cheval  quand  il  fut  attaqué  :  mais  il 
le  fut  avec  tant  de  vigueur,  qu'avec  toute  fa 
brave  réfiltance  il  ne  put  empefcher  que  la 
place  ne  demeuraft  aux  aflaïUans  ,  &  qu'on 
ne  luy  enlevaft  une  de  fes  Cornettes,  que  le 
Duc  de  Lorraine  envoya  fur  le  champ  au  Roy, 
comme  pour  l'avertir  que  l'ennemi  eiloit  déjà 
dans  fon  pais,  &  qu'il  elloit  temps  d'envoyer 
à  M.  de  Guifc  toutes  les  troupes  que  Sa  Ma- 
jcilé  luy  avoir  promifes. 


Livre    II.  i<;; 

Le  lendemain  dernier  jour  d'Aoïift,  les  Al-  1J87. 
lemans  encrant  dans  la  Lorraine,  s'emparèrent 
d'abord  deSarboura,  qu'un  Gentilhomme  Lor- 
rain, qui  y  eftoit  avec  deux  Compagnies  pour 
s'y  défendre  du  moins  quelque  temps,  rendit 
laichement  à  la  feule  veûe  des  Coureurs,  fans 
attendre  melmc  qu'on  l'inveftift.  Il  n'en  fut 
pas  ainfi  de  Blamont,  qu'un  autre  jeune  Gen-. 
tilhomme  du  melme  païs  défendit  fi  bien  , 
quoy-que  l'Infanterie  des  ennemis  full  logée 
avec  le  canon  dans  le  fauxbourg,  qu'après  leur 
avoir  tué  plus  de  deux  cens  hommes  en  une 
attaque,  il  les  contraignit  de  déloger  avec  hon- 
te, pour  aller  recevoir  encore  un  plus  grand 
affront  devant  LunéviUe.  En  effet,  le  Baron 
d'Olfonville  Colonel  de  l'Infanterie  Lorraine 
ayant  entrepris  de  défendre  une  fi  méchante 
place  où  il  avoir  fait  à  la  halle  quelques  for- 
tifications, témoigna  tant  de  rélolution  fur  la 
promeffe  que  le  Duc  de  Guife  luy  fit  de  le  fè- 
courir,  qu'on  n'ofa  mefme  l'attaquer.  Ainfi  ces 
Eftrangers  agiffant  plûtoft  en  voleurs  6c  en  ban- 
dits qu'en  foldats,  ne  failoient  que  courir  la 
campagne,  pillant,  brillant,  faccageanc,  maC 
facrant  juiqu'aux  femmes  ôc  aux  enfans ,  pour 
le  venger  de  ce  qu'ils  ne  trouvoient  pas  de 
quoy  fubfifter,  tout  eftant  reflerré  dans  les  vil- 
les, au  fiege  dclquelles  ils  ne  vouloicnt  pas  s'en- 
gager ,  de  peur  d'y  cftre  arrelfez  trop  long- 
temps. 

X  iij 


x6ô       Histoire  de  la  Ligue. 


1/87.         Ce  qu'on  craigiioit  le  plus,  eftoic  que  cette 
armée  ne  facca^eaft  Saint  Nicolas,  ce  grand  & 
fameux  Bonrg  auquel  il   ne  manquoit  en  ce 
temps -là  que  des  murailles  pour  eftre  la  plus 
b^lle  &c  la  plus  riche  ville  de  Lorraine  après 
Nancy,  comme  elle  le  feroit  encore  aujour- 
d'Iiuy,  fi  les  Impériaux,  qui  fe  vantoient  de  ré- 
tablir le  feu  Duc  Charles  dans  fes  Eftats,  n'euf. 
fenc  achevé  de  les  ruiner  par  un  funefte  de  im- 
puidant  fecours,  en  defolant  les  villages  &  les 
bourgs  ouverts  de  fans  défenle,  Se  fur  tout  un 
lieu  fi  faint  de  fi  célèbre,  dont  ils  n  euffent  ja- 
mais violé  la  fainteté,  comme  ils  ont  fait,  en 
le  réduifant  prefque  tout  en  cendres ,  s'il  fuft 
relié  quelque  fentiment  d'humanité  de  de  Reli- 
gion dans  des  cœurs  fi  inhumains  &  fi  barbares. 
Je  veux  croire  que  mon  Lecteur  me  voudra 
bien  pardonner  cette  expreflion  un  peu  forte 
de  ma  jufte  douleur,  pour  l'intereft  que  cer- 
taine confideration  tres-lecritime  m'oblige  de 
prendre  à  la  fortune  de  cette  miierable  ville, 
qui  n'euft  pas  cfté  defolée  par  les  Cravates  de 
par  les  Allemans,  fi  elle  eull  eu  pour  fa  défen- 
fe  un  Duc  de  Guife ,  comme  elle  l'eût  en  l'oc- 
cafion  dont  je  parle. 

Car  ce  brave  Prince  voyant  que  le  Duc  de 
Lorraine  craignoit  fur  toutes  choies  que  les 
Allemans  ne  s'y  jettafTcnt,  ce  qui  fembloit  iné- 
vitable, eftant  ouverte  de  tous  les  coftez,  il  y 
prit  fon  quartier  ;  de  non  content  de  s'y  mec^ 


-'''» 


Livre    T  T.  Y(;y  — ^ — 

xrc  en  cflat  de  la  cicfendrc,  il  en  fortit  plus  ij8 
d'une  fois  pour  donner,  comme  il  fit  avec  grand 
fuccés,  dans  quelques-uns  de  leurs  quartiers 
qu'il  enleva.  De  (orte  que  craignant  d'avoir 
affaire  à  un  homme  dont  ils  redoutoientle  cou- 
rage, la  conduite  &:  le  bonheur,  &  qui  efloit 
réiblu  de  périr  ou  de  les  arreller  devant  la  pla- 
ce qu'il  avoir  entrepris  de  défendre  avec  l'é- 
lite de  l'armée,  ils  n'oferent  s'en  approcher j  &c 
au  lieu  de  defcendre  le  long  de  la  Mcurte ,  fur 
laquelle  ce  bourg  eft  fîtué,  à  deux  lieues  de  leurs 
logemens  aux  environs  de  LunéviUe,  ils  tour- 
nèrent tout  court  fur  la  gauche  vers  la  MolcI- 
%^,  qu'ils  pafferent  prés  de  Bayon,  pour  aller 
delà  dans  le  Comté  de  Vaudémont. 

Alors,  comme  il  n'y  avoir  plus  rien  à  crain- 
dre pour  les  places  qui  font  au-delà  de  ces  deux 
rivières,  on  joignit  enicmble  toutes  les  forces, 
èc  l'on  fe  mit  en  corps  d'armée  pour  coifoyer  les 
ennemis,  &:  pour  empefcher,  en  les  tenant  tou- 
jours plus  ferrez ,  qu'ils  ne  continuafïènt  à  fac- 
cager  le  plat  pais  auffi  librement  qu'ils  avoient 
fait  auparavant.  Sur  cette  réfolution  le  Duc 
de  Guife,  qui  menoit  l'avantgarde,  envoya  vers 
la  mi-Septembre  M.  de  la  Chaftre  Marefchal 
de  Camp  faire  le  logis  de  l'armée  au  Pont  Saine 
Vincent.  Or  parce  que  le  Duc  fit  icy  une  des 
plus  belles  aillions  qui  fe  foient  jamais  faites  à 
la  guerre ,  6c  qui  fait  mieux  connoiftre  quelle 
cftoïc  la  force  de  fon  efprit  6c  la  grandeur  de 


1^8      Histoire    de    la   Ligue. 

IJ87.  fon  génie:  je  croy  qu'il  me  fera  permis  de  la 
décrire  le  plus  exadlement  que  je  pourray,  pour 
en  faire  comprendre  l'imporcance,  de  en  faire 
voir  toute  la  beauté, 

La  rivière  de  Madon ,  peu  large ,  mais  aflez 
profonde,  qui  prend  fa  fource  au  pied  des  mon- 
tao-nes  de  Vauee, coule  du  Midy  au  Septentrion  ; 
&  après  avoir  rcccu  dans  ion  lit  les  petites  ri- 
vières de  Dompaire,  lUon,  Vittelle,  Coulon 
&  Brenon,  ôc  arrofé  la  ville  de  Mirecour,  &c 
les  bourgades  d'Haro  lié.  Ormes,  Buligny,  A- 
craigne,  Blainville,  &  neuf  ou  dix  lieuës  de 
païs,  fe  va  jetter  dans  la  Mofelle,  à  deux  licuës 
de  Nancy ,  Se  à  quatre  au  dclTus  de  Toul.  Un 
peu  au  deflous  de  ce  confluent,  &  au-deçà  de 
la  Mofelle  eft  le  Pont  Saint  Vincent,  petite  vil- 
le, ou  plûtoft  un  gros  bourg  fitué  fur  le  pen- 
chant d'une  montagne ,  fermé  en  quelques  en- 
droits de  foibles  murailles,  &  en  d'autres  d'une 
haye  vive,  s'étendant  au  bas  de  lacofte  le  long 
de  la  Mofelle,  fur  laquelle  il  y  avoir  un  pont, 
&  ayant  à  droit  la  rivière  de  Madon,  ôc  un 
coftau  fort  roide  planté  de  vignes  entourées 
de  fortes  hayes,  couvert  fur  la  cime  de  ces 
grands  bois  qui  s'étendent  jufques  aux  envi- 
rons de  Toul,  de  ieparé  du  Madon  par  une 
prairie,  à  laquelle  cette  rivière  qui  la  borne 
îaifTe  aflez  peu  d'étendue  en  largeur. 

Ce  fut  là  que  l'armée  Catholique  s'alla  lo- 
ger le  quinzième  jour  de  Septembre.  M.  de 

Guile 


Livre    II.        "        is^  — 

Guife  y  arriva  fur  les  fcpt  heures  du  matin,  &c  1587. 
fans  attendre  le  gros  de  l'avantgarde  qui  Im- 
voit,  n'eftant  accompagné  que  des  (leurs  de  la 
Chaftre ,  de  Baflbmpicrre ,  &  de  Dunes  frerc 
du  fleur  d'Entragues,  &  de  trois  ou  quatre  au- 
tres montez  Tur  des  courtaux ,  de  fans  armes 
comme  luy ,  il  en  fortit  lur  le  champ  pour  al- 
ler reconnoillre  une  place  avantageufc  où  il 
Î)uft  loger  toute  Ton  avantgarde  à  Ta  faveur  de 
a  rivière  deMadon,  qu'on  l'avoit  afleûrc  n'ef- 
tre  guéable  en  nul  endroit  depuis  quatre  ou 
cinq  jours  qu'il  avoir  plû  ians  dilcontinuer.  Or 
n'ayant  pomt  reconnu  de  poftc  à  fon  gré  en 
cet  endroit ,  il  s'avancja  jufqu'au  quartier  de 
fes  Chevaux-Légers,  qui  avoient  pris  le  devant 
lous  la  conduite  de  Rône  &  du  Baron  de  Suar- 
zembourg,  &:  s'eftoicnt  logez  à  prés  de  deux 
lieues  au-delà  du  Pont  Saint  Vincent,  dans  les 
bourgades  d' Acraigne  &  de  Buligny ,  où  il  y 
avoir  des  ponts  de  pierre  iur  le  Madon.  Il  les 
trouva  qui  montoient  à  cheval  avec  précipita- 
tion, lur  l'avis  qu'ils  venoient  de  recevoir  que 
toute  l'armée  ennemie,  qui  marchoit  entre  les 
deux  rivières,  leur  alloit  tomber  fur  les  bras. 

Cela  pourtant  n'empefcha  pas  qu'il  ne  paf  ■ 
faft  le  Madon  luy  leptiéme,  commcil  eftoit  ve- 
nu, de  qu'il  n'avançaft  dans  la  plaine  vers  les 
ennemis  pour  les  reconnoiftre.  Mais  il  ne  fut 
pas  loin,  qu'ayant  découvert  les  Coureurs  de 
deux  Cornettes  de  Rcitres  détachez  du  gros  dq 

y 


170  Histoire  de  la  Ligue, 
1  j  8  7,  l'armée  venant  droit  à  luy  pour  l'envcloper,  il 
tourne  bride,  rcpaflfe  le  pont,  &  s'arrefte  au- 
delà  d'un  ruiflcau  fur  une  colline  ou  il  range 
fes  Chevaux-Lcgers,  qui  cftoient  environ  qua- 
tie  cens,  pour  faite  tefte  à  l'ennemi.  Les  Reitres 
c]ui  avoient  pafTé  après  eux  le  pont  de  Buligny 
6c  les  pourfuivoient  aflez  vivement,  s'arrefterent 
fur  le  bord  du  ruifleau,  attendant  leurs  gens 
C[u'ils  croyoient  bien  plus  avancez  ;  Se  cepen- 
dant le  Duc  de  Guife  voyant  qu'ils  n'cftoient  pas 
iuivis,  détache  fur  eux  les  lieurs  de  Rône  ôcdz 
là  Route,  qui  les  pouflerent  &  les  pourfuivirent 
fuyans  à  toute  bride  jufques  bien  avant  dans 
la  plaine  au-delà  de  la  rivière.  Mais  ces  Reitres 
trouvant  là  trois  cens  chevaux  François,  quel- 
que iîx- vingts  Arquebufîers  à  cheval,  &  trois 
autres  Cornettes  de  leurs  compagnons,  tour- 
nent tefte,  de  pouffent  tous  enicmble  vigoureu- 
femcnt  ces  deux  Compagnies  de  Chevaux-Lc- 
gers, qui  tafchent  de  regagner  au  grand  galop 
la  colline  où  eftoient  leurs  gens. 

Ce  fut  alors,  que  comme  on  découvrit  du 
fommet  de  ce  coltau  toute  l'armée  qui  palloic 
à  la  file  fur  le  pont  de  Buligny ,  on  vit  claire- 
ment l'extrême  danger  où  l'on  fc  trouvoit. 
D'attendre  là  de  pied  ferme  l'ennemi,  c'eftoit 
le  réfoudre  en  dcfclperez  à  fe  faire  tous  tailler 
en  pièces:  car  comment  voudroit-on  que  qua- 
tre cens  chevaux  ians  Infanterie  &  fans  canon 
puffcnt  tenir  contre  une  armée  de  trente -cmq 


L    I    V    R    E        I  I.  l-I  

mille  hommes  qui  venoient  les  attaquer  avec  i^f,n 
dix -huit  ou  vingt  pièces  d'Artillerie  ?  De  le 
retirer, on  le  pouvoit  aulli  peu: car  qui  ne  fcait 
qu'une  retraite  de  deux  lieues  devant  une  ar- 
mée forte  de  plus  de  douze  mille  chevaux  ^  & 
en  plein  jour,  ne  fe  peut  jamais  faire  fans  s'ex- 
pofer  à  un  pcril  inévitable  d'eftre  contraint 
de  la  changer  bicntoft  en  une  déroute  généra- 
le ,  &  confcquemment  à  eflre  tous  ou  pris  ou 
tuez  ? 

Cela  fît  que  la  Chaftre  &:  Baflompierrc,  qui 
cftoicnt  auprès  du  Duc,  le  conjurèrent  de  fe 
mettre  en  heu  de  feûreté ,  tandis  qu'ils  arrefte- 
roient  durant  quelque  temps  les  ennemis,  pour 
luy  donner  le  moyen  de  fe  retirer  au  gros  de 
l'armée,  lailfant  le  foin  du  relie  à  la  fortune,, 
qui  fait  trouver  quelquefois  des  refiburces  im- 
préveûës  lors  que  tout  iemble  defelperé.  A 
quoy  le  Duc  les  regardant  d'un  vifage  riant  & 
alTeûré,  Non  y  non,  Adejjteurs,  leur  dît-il,  je  na- 
handonne  faS  ainfi  ces  braves  gens  que  j'ay  moy-mefme 
expofe:^  au  pcril  où  nous  femmes.  J'en  comprens  fin 
hien  toute  la  grandeur,  mats  il  me  femble  aujji  que 
j'ay  trouvé  en  mejmc  temps  le  moyen  de  nous  en  tirer. 
Le  confeil  que  vous  m'ave"^  donne  le  croyant  neccffai- 
re  pour  ma  feûreté ,  je  vous  ordonne  de  le  prendre  pour 
vous  ^  pour  nous,  «^//e:^  donc  donner  ordre  à  l'ar- 
mée, (^  range:(^-la  dans  le  détroit,  ^  fur  le  coJfaH 
planté  de  vignes  hors  du  Pont  Saint  Vincent,  pour 
me  recevoir  après  avoir  fait  la  retïMU  dont  je  me  çhar>^ 


171      Histoire   de   la   Ligue. 


I  j  8  7.  ge ,  ^  (jue  je  'veux  faire  de  la  mani.re  que  fdy  ima- 
^ine y  ^  qui  Jera  ùetit-ejlre  fans  danger,  comme  fans 
exemple. 

Apres  cela  Rônc  &  la  Route  s'eftant  déjà 
rejoints  fans  perte  au  gros  de  Tes  Chcvaux-Le- 
gers,  il  fe  mit  à  les  exhorter,  beaucoup  moins 
par  Tes  paroles  que  par  fa  contenance  _,  par  fa 
demarcne,  &  par  cet  air  héroïque  qui  animoit 
toutes  fes  a<Stions ,  &  infpiroit  aux  plus  timides 
une  partie  de  fon  courage  &  de  ion  aflcûrancc. 
Car  paroilTant  à  la  terte  de  fa  petite  troupe , 
l'épée  à  la  main,  en  pourpoint,  fur  un  cour- 
taut ,  &  regardant  les  foldats  èc  les  officiers  de 
cet  œil  vif  &c  pénétrant  qu'il  f<javoit  admira* 
blement  faire  entrer  dans  le  fond  des  cœurs, 
pour  les  tourner  comme  il  vouloir ,  il  dît  feu- 
lement un  mot  aux  officiers  François,  Italiens 
&  Allemans,  parlant  à  chacun  en  fa  langue,  & 
les  appellant  par  leur  nom,  pour  les  alTeûrer 
qu'il  fcjavoit  le  moyen  infaillible  de  les  confer- 
ver,  pourvcû  que  fans  s'étonner  ils  filfent  feu- 
lement ce  qu'il  leur  diroit,  ôc  qu'ils  luy  vcr- 
roient  faire. 

Ce  peu  de  paroles  prononcées  d'un  ton  fer- 
me par  un  Prince  qui  faifoit  toujours  plus  qu'il 
ne  difoit,  animèrent  tellement  ces  quatre  cens 
hommes ,  que  fans  plus  fonger  au  perd  où  ils 
cftoient  de  périr  tous,  fans  aucune  apparence 
d'en  pouvoir  échaper,  ils  regardoient  fièrement 
du  foœmet  de  la  coUmc  cette  grande  année 


> 


L  I   V  R    E      I  î.  175  

d'Allcmalis,  qui  ayant  déjà  prefque  touspaf-  ijSy. 
fé  le  Madon  au  pont  de  Buligny,  marchoicnt 
droit  à  eux  en  bataille,  ne  doutant  point  qu'ils 
ne  les  deufTent  cnveloper  6c  tailler  en  pièces, 
s'ils  avoient  l'afleûrance  de  les  attendre  ;  ou  les 
mettre  en  déroute  &  les  défaire,  s'ils  entrepre- 
noient  de  le  retirer  en  leur  preience.  Ils  furent 
pourtant  un  peu  étonnez  d'abord ,  lors  qu'ayant 
pafle  le  ruillcau  qui  les  feparoit  de  ce  collau, 
ils  virent  qu'ils  ne  branloicnt  point,  6c  paroif- 
foient  tout  diipofez  à  les  recevoir  l'épée  à  la 
inain. 

Un  Tpc^laclc  ù  peu  commun  leur  fit  tenir 
quelque  temps  bride  en  main,  pour  obfcrver 
leur  contenance,  craignant  peut-ellre  que  cette 
grande  hardiefl'e  ne  leur  vint  de  ce  qu'ils  ef- 
toient  fouftenus  de  toute  leur  armée.  Mais  en- 
fin s'ellant  rafTeûrez,  ôc  ayant  quelque  honte 
d'avoir  pu  balancer  un  moment  à  donner  dans 
une  fi  petite  troupe ,  ils  font  fonner  la  charge. 
Sept  Cornettes  de  Reitres  ayant  devant  eux 
trois  cens  hommes  d'armes  Franc^ois,  &  fix  a 
fept- vingts  Arquebufiers  à  cheval,  marchent 
les  premiers,  &c  commencent  à  monter,  en  pi- 
quant de  toute  leur  force  vers  l'ennemi  :  mais 
le  coflau  eftoit  fi  roide,  que  leurs  chevaux 
trop  vivement  pouffez  perdant  haleine,  fu- 
rent bientoft  contraints  de  s'arrelfer,  ôc  de 
changer  au  petit  pas  le  trot  qu'ils  avoicnt  pris 
4'abord,  :,   -    i    .. 

-  Y  iij 


174       Histoire  de  la  Ligue. 

•ij-gy.        Alors  le  Duc  de  Guife  prenant  Ton  temps 
pour  fau'e  fa  retraite  de  la  manière  que  luy  (eul 
avoit  concciië^  &  que  l'on  n'avoit  jamais  pra- 
tiquée, fe  retire  un  peu  plus  avant  lur  la  mon- 
tagne hors  de  la  veûe  des  ennemis:  puis  ayant 
fait  demi  tour  à  droit,  il  tourne  tout  court  lur 
la  main  gauche  à  la  droite  des  ennemis  par 
un  petit  vallon  qui  eftoit  entre  eux  &  la  riviè- 
re ;  il  marche  par  là  fans  cftre  vcû,  à  la  faveur 
des  collines  qui  couvroient  ce  vallon,  julqu'à 
un  gué  qu'il  avoit  remarqué ,  quoy-qu'on  luy 
eult  dit  qu'il  n'en  trouveroit  point,  &  cil  il  y 
avoit  un  moulin  dans  lequel  il  loge  douze  ar- 
quebufiers  bien  réfolus  de  le  défendre  j  &  là 
il  pafl'e  le  Madon  du  cofté  d'où  les  ennemis  cC- 
toicnt  partis  pour  venir  à  luy.  Il  n'y  avoit  plus 
de  ce  cofté-là  que  les  Suiflfes  qui  marchoient 
pour  pafTer  après  les  autres  au  pont  de  Buligny, 
ôc  qui  eftant  à  pied  ne  pouvoicnt  ni  arreller  ni 
luivre  cette  Cavalerie  qui  avoit  pafle  la  rivière 
au  dcflbus  de  cette  bourgade ,  &c  ainfi  avoit 
l'avantage  lur  eux.  De  lorte  que  tournant  vi- 
fage,  &i  defcendant  à  gauche  le  long  de  cette 
petite  rivière,  au-delà  de  laquelle  les  ennemis 
eftoient  pafTez  pour  l'attaquer,  il  continue  à 
faire  fa  retraite  vers  le  gros  de  l'armée  Catho- 
lique qui  fe  mettoit  en  bataille  prés  le  Pont 
Saint  Vincent. 

Cependant  les  ennemis  eftant  montez  avec 
beaucoup  de  peine  fur  le  haut  de  la  colline  oii 


Livre     II.       'î        17; 

ils  pcnfoicnc  trouv-r  le  Duc  de  Guifc,  furent  1/87. 
bien  furpris  de  le  voir  delà  l'eau  fe  retirant  tout 
à  Ton  aile.  Ils  defcendircnt  alors  beaucoup  plus 
vifte  qu'ils  n'clloient  montez,  &  le  mirent  à 
courir  après.  Mais  ils  furent  Ci  long-temps  ar- 
rcilcz  par  ces  douze  vaillans  hommes  qui  dé- 
fendirent le  moulin  fur  le  gué  aux  dépens  de 
leur  vie,  laquelle  ils  vendirent  bien  cher, qu'a- 
vant qu'on  les  y  pull  forcer  le  Duc  eull  le  loilir, 
lans  aller  plus  ville  que  le  pas,  de  repaffer  la 
rivière  en  de(^à  à  un  autre  gué  qu'il  avoit  en- 
core remarqué  tout  joignant  cet  efpace  étroit, 
&:  ce  collau  planté  de  vignes  où  eiïoit  le  o-ros 
de  1  armée.  1 

Ainii  ce  Prince ,  qui  s'eftoit  encrac^é  un  peu 
trop  avant  pour  reconnoiftre  l'ennemi,  trouva 
moyen  de  iauver  fa  petite  troupe,  &  de  le  reti- 
rer en  preience  d'une  grande  armée,  non  pas  en 
luy  tournant  le  dos  comme  on  a  toiljours  fait, 
mais  allant  droit  de  Ion  collé  par  un  ftratagc- 
me  affez  nouveau,  Se  mettant  en  luite  par  deux 
fois  une  rivière  entre  luy  &  fes  ennemis.  Ce 
qu'il  y  eue  encore  de  plus  glorieux  en  cette 
adion ,  c'ell  que  s'eftant  mis  à  la  telle  de  cinq 
à  fix  cens  chevaux,  dans  cette  petite  prairie  qui 
cft  au  pied  du  coflau  fur  lequel  l'armée  n'ei- 
toit  pas  encore  toute  rangée  ,  il  défendit  le 
pallage  de  la  rivière,  &z  rcpoulTa  toujours  les 
Reitres  qui  retournèrent  deux  ou  trois  fois  à 
Ja  charge  pour  le  forcer  j  ôc  que  l'avant  laifîc 


tiS      Histoire   de   la  Ligue. 


i/Sy.  libre  le  lendemain,  fclon  la  rélolution  qui  en 
fut  prifc  dans  le  Confeil  de  guerre,  il  fit  faire 
la  retraite  à  toute  l'armée  au  -  delà  de  la  Mo- 
felle  fans  perte  d'un  feul  homme. 

Apres  qu'on  fc  fut  rafraifchi  deux  ou  trois 
purs  de  part  &  d'autre,  les  Allemans  toujours 
coftoyez  fur  la  droite,  &  continuellement  har- 
celiez par  le  Duc  de  Guifc  qui  menoit  l'avant- 
garde,  ayant  palTé  la  Meufe  prés  de  Neufcha- 
teau,  entrèrent  en  France  par  la  Principauté  de 
Joinville,  où  ils  firent  leur  premier  logement 
à  Saint  Urbain,  Le  Duc  de  Lorraine  qui  les 
avoit  fuivis  jufqu'à  la  frontière,  &  avoir  ce  qu'il 
prétendoit,  en  voyant  cette  grande  armée  d'Ef^ 
rrangers  hors  de  fes  Eftats,  ne  voulut  pas  paf- 
fer  plus  outre,  &  fe  retira  dans  leBarrois,  com- 
me fit  aufli  le  Marquis  d'Havre  avec  fes  "Wa- 
lons,  difant  tous  deux  qu'ils  ne  pouvoient  en- 
trer en  France  fans  la  permiflion  du  Roy.  De 
forte  que  le  Duc  de  Guife  fe  trouva  feul  avec 
(&s  troupes  qui  ne  montoient  pas  à  quatre  mil- 
le hommes  ^  &:  néanmoins  il  entreprit  avec  un 
courage  invincible  6c  fi  peu  de  forces,  de  pour- 
iuivre  &  d'afFoiblir,  bc  melme  de  ruiner  entiè- 
rement cette  grande  armée  qui  s'accrut  encore 
dans  le  Bafiigny  par  la  jonction  des  troupes 
que  le  brave  Chaltiilon,  fils  de  l'Admirai,  luy 
amena  du  Languedoc  ô:  du  Dauphiné ,  après 
avoir  traverlé  le  Lyonnois&  la  Bourgogne  avec 
des  peines  incroyables, 

Le 


Livre     II,  '       177  — 

Le  Duc  fe  mit  donc  à  leurs  troufles ,  fuivi  1587. 
tic  les  loldats  infatigables  comme  luy,  de  qui 
croyoient  que  rien  ne  leur  eiloit  impoilible  fous 
ù  conduite  -,  &:  paroilTant  tantoft  à  leur  telle , 
tantoll  à  leur  queue ,  les  coftoyanc  à  droit  6c 
puis  à  gauche,  leur  coupant  les  vivres,  leur 
donnant  de  continuelles  allarmes,  de  les  harce- 
lant nuit  &c  jour  en  cent  différentes  manières, 
il  les  réduifoit  iouvent  à  de  grandes  extrémi- 
tez,  particulièrement  depuis  qu'ayant  reccû  les 
troupes  que  luy  amenèrent  MelTicurs  de  Mayen- 
ne, de  Chali^ny,  d'Aumalle,  d'Elbeuf,  &  de 
Briflac  qu'il  joignit  à  Joigny  &  à  Auxeire,  il  le 
trouva  prés  de  iix  mille  hommes  de  pied  de 
quelque  dix  huit  cens  chevaux. 

Ce  fut  avec  ces  incommoditez  jointes  à  cel- 
les que  les  pluyes  très  -  fréquentes ,  les  chemins 
tout  rompus,  la  gourmandiie,  &  en  fuite  les 
maladies  rirent  louffrir  aux  Allemans ,  qu'après 
avoir  paffe  la  Seine  prés  de  ChaifiUon,  &  l'Yon- 
ne à  Mailly-la- Ville ,  ils  s'avancèrent  environ 
la  mi-Octobre  jufques  lur  les  bords  de  la  Loire 
qu'ils  penloient  palfer  a  la  Chanté.  Mais  ou- 
tre que  cette  Place  le  trouva  en  eftat  de  ie  bien 
défendre,  ils  furent  fort  furpris  de  voir  que  le 
Roy  eiloit  en  perlonne  au-delà  de  ce  fleuve 
avec  une  puiffantc  armée  pour  leur  en  diiputer 
le  paflage  par  tout  ou  Us  ofcroient  le  tenter. 

En  effet,  ce  Prince,  iuivant  la  rélolutiori. 
qu'il  avoir  prife  d'empelcher  que  le  Roy  de 


~ 178       Histoire  de  la  Ligué. 

1587.  Navarre  &c  le  Duc  de  Guife  ne  fe  rendifTetit 
trop  puifTins,  le  premier  par  la  jonction  de  l'ar- 
mée des  Reitrcs,  &  le  fécond  par  leur  défaite, 
n'avoir  prefquc  rien  donné  à  ce  Duc  de  ce  qu'il 
luy  avoir  promis,  pour  arrefter,  ou  pour  com- 
batte cette  armée,  &c  en  avoir  fait  aflemblcr 
une  très-belle  aux  environs  de  Gicn  fur  la  Loi- 
re, pour  s'oppofer  à  fon  pafTage.  Cette  armée 
Royale  eftoit  de  dix  mille  hommes  de  pied  Fran- 
çois, de  huit  mille  SuifTes  la  plufpart  des  Can- 
tons Catholiques,  &C  de  huit  mille  chevaux, 
moitié  Francjois,  &c  moitié  AUemans.  Le  Duc 
de  Montpenfier  y  avoir  joint  le  petit  corps  qu'il 
commandoit  à  part  ;  les  Ducs  de  Nevers  Se  d'Et 
pernon,  les  Marefchaux  d'Aumont  &c  de  Rctz;^ 
Ôc  la  Guiche  Grand  -  Maiftre  de  l' Artillerie  y 
avoient  chacun  leur  part  du  commandement, 
ôc  ne  s'accordoient  pas  trop  bien,  iî  ce  n'ell: 
en  ce  que  par  l'ordre  exprés  qu'ils  en  avoient, 
ils  firent  gafter  tous  les  guez  depuis  celuy  du 
Pas  de  fer  prés  de  Nevers  juiqu'à  Gien,  en  les 
travcrfant  de  grands  arbres  &c  de  tout  ce  qui 
pourroit  embarrafTcr  les  pieds  des  hommes  ôc 
des  chevaux. 

Ce  peu  d'intelligence  qui  eftoit  entre  les 
Chefs,  les  grands  éloges  qu'on  faifoit  du  Duc 
de  Guife  dans  Paris  au  moindre  avantage  qu'il 
remportoit  fur  l'ennemi,  de  fur  tout  les  mur- 
mures, ou  plûtoft  les  infultes  des  Ligueurs  qui 
açcuioicnt  malignement  le  Roy  de  s'entendre 


L  I  V  R    E      I  I.  i-jc,  

avec  le  Navarrois,  furent  enfin  caufe  que  rc-  1587. 
non(^anc  à  ce  repos  faral  &  aux  délices  de  fa 
Cour  qu'il  avoir  tant  de  peine  de  quitter,  il 
fe  rendit  vers  la  mi-Odobre  au-delà  de  Gicn 
dans  fon  armée,  où  il  ne  fut  pas  plûtoft, qu'il 
fembla  revivre,  &  eftre  tout-à-coup  redevenu 
le  brave  Duc  d'Anjou,  avec  cet  eiprit  martial 
qui  l'animoit  d'un  fi  beau  feu ,  lors  qu'il  corn- 
mandoit  dans  les  plaines  dejarnac  &  de  Mon- 
contour  les  armées  du  feu  Roy  fon  frère. 

En  effet,  on  ne  peut  rien  voir  de  plus  géné^ 
reux  ni  de  plus  prudent  que  ce  qu'il  fit  en  cette 
occafion.  il  fe  mit  à  la  telle  de  l'armée.  Il  don- 
na luy-mefme  les  ordres,  qu'il  faifoit  exécuter 
avec  beaucoup  d'exaâ:itude.  Il  réiinit  les  ef- 
prits  des  Chefs  &  des  Officiers ,  prenant  foin 
que  chacun  fift  fa  charge  fans  entreprendre 
fur  celle  d'un  autre.  Il  partageoit  avec  eux  les 
travaux  bi.  les  fatigues  de  la  guerre,  campant 
fous  les  tentes,  dormant  peu,  toujours  le  pre- 
mier à  cheval,  &  paroiflant  toujours  en  armes 
&  en  bon  ordre  fur  le  bord  de  la  rivière ,  par 
tout  ou  les  ennemis  le  prefentoient,  kur  fai- 
fant  voir  par  la  montre  de  ion  armée  rangée 
le  long  du  fleuve  à  une  jufte  diftance  pour  les 
recevoir,  &  leur  faifant  aufil  entendre  parle 
fon  des  tambours  &  des  trompettes ,  qu  il  ne 
fouhaitoit  rien  tant  que  de  donner  bataille,, 
s'ils  ofoicnt  entreprendre  de  pafler. 

Cela  mit  tous  cesEftrangers  dans  une  extré- 

Zi, 


—  iSo      Histoire    de   la   Ligue. 

1^87.  me  confternation.  LesFrancjois  Huguenots  qui 
les  conduifoient  leur  avoicnt  fait  accroire,  avant 
que  d'entrer  en  Lorraine,  qu'ils  auroient  la  ville 
éc  le  pont  de  la  Chanté  pour  euxj  que  quand 
cela  leur  manqueroit,  la  Loire  eftoit  guéablc 
prefque  par  tout  au  mois  d'Oôtobre;  que  le 
Roy,  qui  avoit  une  intelligence  lecrete  avec  le 
Roy  de  Navarre ,  pour  fe  venger  de  la  Ligue 
leur  commune  ennemie,  ou  fe  joindroit  avec 
eux ,  ou  du  moins  favorifcroit  leur  paflagc ,  ÔC 
qu'ils  trouveroient  le  Roy  de  Navarre  fur  l'au- 
tre bord  de  la  rivière  pour  les  recevoir.  Cepen- 
dant ils  trouvoient  tout  le  contraire,  la  ville  de 
la  Charité  contre  eux ,  les  guez  gaftez  prefque 
par  tout,  le  Roy  en  armes  preft  à  les  comba- 
tre,  6c  au  lieu  du  Roy  de  Navarre,  des  En- 
voyez de  fa  part,  qui,  fans  leur  pouvoir  rien 
dire  de  bien  certain,  leur  promettoient  feule- 
ment qu'ils  l'auroient  bientoft,  ou  du  moins 
en  fa  place  un  Prince  du  Sang  à  leur  telle. 
Cela  remplit  de  plaintes,  de  murmures,  de  dc- 
fordre  &c  de  fedition  toute  l'armée  qui  ef- 
toit  dcfcenduë  jufqu'à  Ncuvy,  fans  cfperance 
de  pouvoir  forcer  le  paflagc  que  l'armée  Roya- 
le, qu'ils  voyoïent  en  bataille  au-delà  de  la  ri- 
vière, défcndoit. 

Les  Reitres  demandoient  l'argent  qu'on  leur 
avoit  promis  aufTitoft  qu'ils  feroient  en  France, 
&mena(^oient  de  rebrouffcr  chemin,  &c  de  s'en 
retourner  en  leur  païs  s'ils  n'eftoicnt  prompte- 


Livre     II.         '        i8i 

ment  (ansfaits.  Les  Suiflcs  écoucoicnt  déji  la  15^7- 
propolicion  que  quelques-uns  de  leurs  Officiers 
qu'on  avoit  ça^^ncz  leur  faifoient  de  pafTer  dans 
l'armée  du  Roy,  qui  leur  promeccoïc  de  leur 
faire  de  grands  avantages.  Les  Laniquenets  cf^ 
coient  tout  prefts  d'en  faire  autant.  Tout  ten- 
doit  manifeilement  à  la  révolte  ;  &  ce  ne  fut 
qu'avec  une  peine  incroyable  que  le  Baron  de 
Dona,  le  Duc  de  Bouillon,  &:  les  Oificiers  Fran- 
çois purent  enfin  apparier  ce  tumulte,  en  leur 
promettant  de  les  mener  dans  la  Beauce ,  pais 
abondant  en  toutes  fortes  de  commoditez,  oii 
ils  pourroient  fe  rafraifchir  en  attendant  l'ar- 
gent ôc  le  Prince  que  le  Roy  de  Navarre  leur 
envoyeroit,  pour  les  conduire  par  le  Vando- 
mois  à  Monforeau  fur  Loire ,  ou  il  les  atten- 
droit  avec  fes  troupes  pour  les  recevoir.  Ainfj 
l'armée  délogeant  de  Neuvy,  &c  tournant  le  dos 
lia  Loire,  prit  la  route  de  la  Beauce,  marchant 
à  petites  journées  le  long  de  la  rivière  de  Loing, 
où  elle  trouvoit  de  bons  logemens  fur  les  ter- 
res du  Comte  de  ChaftiUon  qui  n'épargnoic 
rien  pour  contenter  ces  Allcmans. 

Le  Duc  de  Guife  cependant  qui  eftoit  entre 
cette  rivière  &  l'Yonne,  &  avoit  raflemblé  tou- 
tes fes  forces  auprès  de  Charny ,  pour  obicrver 
delà  les  mouvemens  de  l'ennemi,  ayant  fccà 
qu'il  s'efloit  logé  Icvingt-quatriémed'Odobre 
aux  environs  de  Chaibllon,  s'avan(^a  jufqu'a 
Courtcnay ,  pour  s'aller  jneccre  en  fuite  vers  le 

Z  iij 


iSi       Histoire  de    la  Ligue. 


IJ87,  bas  de  la  rivière  entre  cetre  armée  &  Paris, 
afin  de  couvrir  cette  grande  ville  qui  n' avoir 
aucune  défenfe ,  &c  où  cinq  ou  fix  mille  Rci- 
tres  détachez  de  leur  armée  euflent  pu  donner 
en  une  nuit  une  furieufe  allarme  aux  bourgeois, 
en  defolant  &  brûlant  les  fauxbourgs.  Cela  fut 
caufe  que  les  Pariflens  redoublèrent  encore  cette 
ardente  aifedion  qu'ils  avoient  pour  ce  Prince, 
îe  regardant  alors  comme  leur  unique  libéra- 
teur j  de  que  les  Ligueurs  qui  ne  pcrdoient  au- 
cune occafion  de  décrier  la  conduite  du  Roy, 
leur  firent  accroire  qu'il  s'arrcftoit  tout  exprés 
àGien  pour  les  abandonner  à  la  difcretion  des 
Reitres,  qui  fans  le  Duc  de  Guife  euffent  tout 
ravagé  juiqu'à  leurs  portes. 

Ce  n'eftoit  pas  là  pourtant  leur  dcflfein.  Car 
ils  ne  fongeoient  qu'a  paiTer  fur  la  gauche  par 
un  païs  un  peu  plus  découvert  &  plus  aifé,  en- 
tre laForeft  d'Orléans  &  Montargis,  pour  ga- 
gner au  plûtoft  les  plaines  de  la  Beauce.  C'eft 
pourquoy,  comme  il  eût  appris  par  fes  efpions 
ou'ils  dévoient  loger  le  vingt -lixiéme  à  quel- 
que deux  licuës  prés  de  Montargis ,  fur  le  cofté 
gauche  de  la  rivière ,  il  fit  partir  tur  le  minuit 
avec  les  Chevaux-Légers  le  iieur  de  la  Chaflrc, 
qui  eftant  arrivé  à  Montargis  à  fept  heures 
du  matin  dumclme  jourvingt-fixiéme,  fitauffi- 
tofl  fermer  les  portes  de  la  ville  pour  empef- 
cher  que  perfonne  n'en  puft  donner  avis  aux 
cnneiîiis  j  Ôi  le  Duc  de  Guifc  s'y  rendit  environ 


Livre     ï  Ï.  183 

midy  avec  une  partie  de  l'armée ,  l'autre  n'ayant    i  ;  ^J  7. 
pu  arriver  que  lur  le  foir. 

Comme  il  eftoit  à  table  ,  foupant  avec 
les  Princes  qui  l'accompagnoient,  un  de  les 
meilleurs  Ofhciers  qui  crtoit  allé  reconnoillrc 
l'ennemi  vint  faire  ion  rapport,  diiant  qu'il 
avoit  veû  fept  ou  huit  Cornettes  de  Reitres 
fc  loger  avec  leur  Général  à  Vimory,  bour- 
gade de  prés  de  demi -lieue  d'étendue,  à  une 
Iieuë  &  demie  au  defTus  de  Montar^is,  ôc  un 
peu  éloignée  de  la  rivière  qu'elle  avoit  à  droit. 
Ce  rapport  eftoit  vray  ;  mais  il  ne  l(^avoit  pas 
que  les  autres  quatorze  Cornettes  qui  vinrent 
après  y  prirent  aufîi  leur  logement  j  que  les 
François  n'eftoient  logez  qu'à  une  lieuë  delà  a 
Ladon,  Se  les  Laniqucnets  Se  les  SuifTcs  en  deux 
autres  villages  qui  n'eftoient  aulli  éloignez 
d'eux  que  d'une  lieué. 

Le  Duc,  après  avoir  un  peu  foncré  à  ce  qu'il 
avoit  a  raire  lur  ce  rapport,  crut  qui!  enlevé- 
roit  aifémcnt  de  nuit  ce  quartier  ;  que  les  au- 
tres ,  en  quelque  endroit  qu'ils  fulTcnt ,  enten- 
dant l'allarmc,  &  craignant  d'eftre  aulTi  atta- 
quez en  mefme  temps,  penfcroient  pliitoft  à 
le  fortifier  dans  leur  poftc ,  en  attendant  le 
jour,  qu'à  marcher  dans  les  ténèbres  au  fccours 
de  leurs  compagnons  j  qu'après  avoir  défait  les 
Reitresjil  pourroit  en  fuite  attaquer  les  autres, 
&  mettre  en  déroute  toute  l'armée  j  &  qu'après 
tout,  quand  il  auroit  manqué  fon  coup,  il 


■ 1S4  HlSTOlrRE    DE    LA    II  GUE. 

1J87.    avoit  toujours  fa  retraite  afTeûrée  à  Montar- 
gis. 

'  Sur  cela,  fe  levant  brufquement  de  table,  6c 
fans  achever  de  iouper,  il  fait  fonner  le  boute- 
felle,  &  commande  qu'on  foit  à  cheval  &prefl: 
à  marcher  au  plus  tard  dans  une  heure.  Le  Duc 
de  Mayenne  fort  furpris  d'un  ordre  lî  ioudain, 
1-uy  demande  où  il  veut  aller.  Comhatre  l'ennemi, 
luy  rcpond-t-il  froidement;  &c  après  avoir  ex- 
poié  en  peu  de  mots  les  raifons  de  Ion  entrcprife, 
il  ajoufte  que  fi  quelqu'un  la  trouve  un  peu 
trop  hazardeufe,  il  pourra  demeurer  fort  libre- 
ment à  Montargis.  Elle  peut  lans  doute  réiif- 
iîr,  dît  alors  le  Duc  de  Mayenne,  &  nous  vous 
fuivrons,  mai?  il  me  Icmble  que  c'eft  aller  un 
peu  bien  viftc  a  l'exécution,  ôc  qu'il  y  faudroir 
bien  penicr  auparavant.  Or  ffache:^^,  mon  jrere , 
luy  repart  Guile  d'un  ton  plus  élevé  qu'à  l'or- 
dinaire ,  que  je  ne  réfoudro'is  pas,  en  y  penfant  toute 
ma  'vie,  ce  que  je  n'auray  pu  réfoudre  en  un  quart 
d'heure.  Là  deflus  il  s'arme,  &c  monte  à  cheval, 
Se  trouve  tout  ce  qu'il  y  avoit  de  gens  auprès 
de  luy  toutprefts  à  le  luivre  gaymcnt  par  tout, 
ne  doutant  point,  quelque  péril  qu'ils  viiTent 
dans  cette  entrcpnie  pour  la  grande  inégalité 
du  nombre,  qu'ils  n'allaflent  fous  la  conduite 
à  une  victoire  certaine.  Tant  il  importe  à  la 
guerre  que  les  foldats  ayent  tant  de  créance  en 
leur  Chef,  qu'ils  croyent  que  (a  fortune,  fa 
valeur  &  la  haute  capacité  leur  répondront 

toujours 


L   I  V  R   E      î  T.  18; 

toujours  du  bon  fuccés  de  tout  ce  qu'il  entre-    1J87. 
prendra. 

Tous  les  ordres  eftant  donnez,  on  fie  pafler 
l'Infanterie  qui  eiloit  au  hiuxbours;  par  dedans 
la  ville  deMontargis,  une  demi -heure  avant 
la  nuit.  Elle  s'alla  mettre  en  bataille  à  demi- 
Iieuë  de  là,  divifée  en  trois  Bataillons  d'envi- 
ron mille  hommes  chacun.  Le  Capitaine  Saint 
Paul  commandoit  celuy  de  la  droite  ;  Joan- 
nés  avoit  la  gauche  avec  Ton  Régiment  qui 
formoit  le  fécond  i  Chevriers  &c  Pontfenac  te- 
noient  le  milieu  à  la  tefte  du  troisième  j  lereftc 
fut  lailTé  à  l'entrée  du  pont  ôc  dans  la  ville 
pour  favorifer  la  retraite.  Le  Duc  de  Guife, 
qui  avoit  attendu  jufqu'à  huit  heures  fept  à 
huit  cens  chevaux  de  fon  armée  qui  n'elioienc 
pas  encore  arrivez  de  Courtenay,  diftant  de 
fept  bonnes  lieues  de  Montargis,  ne  laifla  pas 
de  pafTer  outre ,  &c  de  faire  avancer  devant  les 
Fantaflins  le  gros  de  fa  Cavalerie  qu'il  rangea 
en  quatre  Efcadrons.  M.  de  Mayenne  condui- 
foic  le  premier  de  trois  cens  chevaux  à  la  tefte 
de  l'armée.  Il  eftoit  iouftenu  de  M.  d'Elbeuf 
avec  le  fien  de  deux  cens  Maiftres.  Le  Duc  de 
Guife  fe  mit  à  la  gauche,  &  M.  d'Aumale  à  la 
droite  de  l'Infanterie,  ayant  chacun  trois  cens 
chevaux. 

Ce  fut  en  cet  ordre  que  cette  petite  armée 
marcha  droit  à  Vimory  par  une  longue  plame, 
durant  une  nuitii  obicure,  qu'on  ne  fepouYOiC 
-  '        '  A  a 


i8(î       Histoire  de  la  Ligue. 

1J87.  reconnoiftre.  On  ne  s'arrella  pourtant  point, 
jufqu'à  ce  que  les  Guides  ayant  averti  M.  de 
Mayenne  qu'ils  eftoient  tout  joignant  Vimory, 
il  envoya  devant  quatre  Cavaliers,  qui  ne  trou- 
vèrent ni  fentinclle,  ni  garde  avancée,  ni  bar- 
rière à  la  telle  du  village ,  dont  l'entrée  eftoic 
toute  libre,  C'eft  pourquoy,  comme  il  fe  fut 
un  peu  écarté  fur  la  gauche ,  comme  fit  aufli 
M.  d'Elbeuf  fur  la  droite ,  pour  faire  place 
aux  gens  de  pied,  M.  de  Guife  ayant  donné  le 
fignal  à  cette  Infanterie,  les  trois  Bataillons  en- 
trèrent l'un  après  l'autre  dans  la  grand'  rue  de 
Vimorv  où  eftoit  le  bagage  des  Reitres.  Et  d'a- 
bord  ayant  mis  par  terre,  avant  qu'on  euft  de- 
mandé qui  VA  la,  ceux  qui  fe  prefenterent  les 
premiers,  ils  fe  jettent  a  droit  &  à  gauche  dans 
les  maifons  où  ils  tuent  tout  ce  qu'ils  y  ren- 
contrent de  ces  AUemans ,  partie  à  table ,  par- 
tie dans  leur  lit,  &  y  mettent  le  feu  pour  y 
confumer  ceux  qui  fe  cachoient  dans  les  gre- 
niers &  dans  les  caves. 

Cette  exécution  dura  prés  de  demi -heure, 
pendant  laquelle  ils  s'avancoient  toujours,  met- 
tant le  feu  dans  les  mailons ,  qui  pour  eftre  fe- 
parées  les  unes  des  autres,  ne  pouvoient  répan- 
dre cet  incendie  ni  fi  loin  ni  n  vifte  qu'on  euft 
voulu  i  &  cependant  les  foldats  tentez  par  la 
veûë  des  chariots  des  Reitres,  au  lieu  d'atten- 
dre à  butiner  que  l'on  euft  achevé  de  vaincre, 
comme  ou  doit  toujours  faire  en  pareilles  oc- 


L    I   V  R    E       I   I.  187  

cifions,  Te  jettent  en  foule  fur  le  bagage,  &  fc  1587, 
chargent  de  tout  ce  qu'ils  y  trouvent  de  plus 
précieux.  Cela  donna  le  loifir  au  Baron  de  Do- 
na,  logé  à  l'autre  extrémité  de  la  Bourgade, 
de  monter  à  cheval ,  &c  de  rallier  flx  ou  fept 
Cornettes,  avec  leiquelles  il  fit  mine  de  s'avan- 
cer contre  les  gens  de  pied ,  qui  le  voyant  en 
cet  eltat  fe  mirent  aullitolt  en  défenle,  quit- 
tant le  pillage,  ôc  criant  de  toute  leur  force  à  la 
Cavalerie  qu'elle  entrait  pour  les  iouftenir. 

Ce  cry  fit  deux  effets  contraires  qui  caufe- 
rcnt  un  grand  combat.  D'une  part,  le  Baron 
craignant,  s'il  alloit  plus  avant  dans  la  grand' 
rue  parmi  les  flammes  &c  les  chariots  dont  elle 
clfoit  embaraffee,  de  s'expofer,  fans  fe  pou- 
voir défendre,aux  arquebutadesde  cette  Infan- 
terie, tourna  fur  la  main  droite  par  une  autre 
rue  qui  aboutifloit  à  la  plaine.  D'autre  coifé 
le  Duc  de  Mayenne  qui  avoit  pris  la  gauche 
hors  de  la  Bourgade,  en  colloyant  les  gens  de 
pied ,  entendant  leur  cry ,  s'avance  avec  préci- 
pitation loin  de  fon  Elcadron,  qui  le  perdit 
bientoil:  de  veile  dans  une  ii  grande  oblcurité, 
&  fuivi  feulement  de  foixante  Maiilres ,  te  mec 
au  galop  pour  aller  au  fccours  des  fiens ,  par 
cette  meime  rué,  à  l'entrée  de  laquelle  il  ren- 
contre le  Baron  avec  fon  gros  deReitres  qui  le 
charge  avec  une  extrême  furie. 

On  n'a  gueres  veû  de  combat  ni  plus  inégal, 
ni  plus  afpre  que  celuy-cy.  Le  Baron  qui  ei- 

Aa  ij 


—  i§8       Histoire  de  la    Ligue. 

ijSj.  toit  fort  brave,  voyant  cette  Cavalerie  dont 
il  ne  pouvoir  reconnoiftre  le  nombre  dans  les 
ténèbres,  va  droit  à  celuy  qui  cftoit  fur  un 
cheval  blanc  à  la  tefte  de  ces  Cavaliers,  ôc  luy 
tire  dans  la  vifiere  un  coup  de  piftolet,  qui  ne 
porta  que  fur  la  mentonnière  de  Ion  cafque. 
C'eftoit  le  Duc  de  Mayenne,  qui  en  mefmc 
temps  luy  donne  un  grand  coup  d'épée  fur  la 
tcite,  dont  il  iuy  enleva  une  bonne  partie  de 
la  peau  i  en  fuite  l'un  &  l'autre  pourfuivant  fa 
pointe ,  le  Baron  d'un  fécond  coup  de  pifto- 
let tué  Rouvroy,  qui  portoit  la  Cornette  du 
Duc ,  &:  la  luy  enlevé  ■■,  &c  le  Duc  fécondé  de  ce 
peu  de  braves  hommes  qui  l'accompagnoient, 
perce  enfin  ce  gros  Efcadron  de  (epc  Cornet- 
tes, ayant  perdu  dix-fcpt  Gentilshommes  dans 
ce  combat,  qui  coufta  la  vie  à  quatre-vingts 
Reitrcs. 

Apres  cela,  comme  il  lurvint  un  grand  orage 
qui  fepara  les  combatans  ;  que  le  relie  des  Rei- 
tresmontoient  à  cheval,  &  qu'il  y  avoit  danger 
que  ceux  des  autres  quartiers  qui  avoient  déjà 
pris  l'alarme  ne  furvinflent  avant  le  jour,  le 
Duc  de  Guife  fit  lonner  la  retraite.  Il  la  fit  fort 
heureufement  à  Montargis,  au  mcfme  ordre 
qu'il  en  eftoit  venu,  ôc  y  ramena  fes  gens  en- 
richis du  butin  qu'ils  avoicnt  fait  fur  les  Rci- 
tres,  qui  perdirent  en  cette  occafion  prés  de 
mille  hommes  tant  loldats  que  valets,  une  bon- 
ne partie  de  leur  bagage,  &c plus  de  douze ceng 


L    I  V  R   E      I  I.  189  

clicvaux,  fur  Icfquels  autant  de  fantafTins  re-  ijHj. 
tournèrent  à  Montargis,  &,  ce  qui  fafcha  le  plus 
le  Baron,  deux  Chameaux  qu'ils  avoicnt  dcf- 
kin  de  prcienter  au  Roy  de  Navarre,  &c  les  At- 
tabalcs  qu'on  porte  devant  le  General  pour 
marque  de  fa  dignité ,  &  dont  la  perte  eft  en- 
core plus  honte ufe  que  ne  leroit  celle  de  fa 
Cornette. 

Quoy-que  cette  victoire  ne  fuft  pas  fort 
grande ,  elle  fit  néanmoins  un  fort  grand  effet, 
Se  donna  lieu ,  par  les  dangereufes  fuites  qu'elle 
eût,  à  la  déroute  entière  de  l'armée.  Les  Rei- 
très  qui  avoient  perdu  la  meilleure  partie  de 
leur  baeaee  fe  mutinèrent  de  nouveau,  deman- 
dant  leur  paye ,  de  voulant  fe  retirer  a  toute 
force,  au  cas  qu'on  ne  les  fatisfift;  ce  qu'on 
ne  pouvoit  faire.  Les  Suiffes  envoyèrent  au 
Roy  des  Députez  pour  negotier  leur  retour  ;  5c 
la  chofe  alla  fî  avant,  que  le  Duc  d'Efpernon, 
qui  menoit  l'avantgarde  de  l'armée  Royale, 
conclut  avec  eux  le  Traité,  par  lequel  on  leur 
devoir  donner  quatre  cens  mille  ccus,  &lepaf. 
fage  libre  pour  retourner  en  leur  pais.  Les  Lanf 
quenets,  que  les  fatigues  d'une  fi  longue  mar- 
che avoient  réduits  en  très-mauvais  eftat,  fon- 
geoient  aufli  à  trouver  les  moyens  d'obtenir  la 
liberté  de  leur  retour.  Le  Baron  de  Dona,  dé- 
crié pour  fon  extrême  néglic^ence  à  pourvoir  a 
la  (eûreté  de  fes  quartiers,  n'avoit  plus  nulle 
autorité  ;  ôc  les  François  leurs   conducteurs  ^ 

Aa  lij 


15)0       Histoire  de  la  Ligue. 

ijSy.  à  qui  on  rcprochoit  fans  ccfTe  l'infidélité  de 
leurs  promefTcs,  n'ofoient  prefque  plus  fe  mon- 
trer. 

Mais  enfin  la  nouvelle  afTeiirée  de  la  grande 
vidoire  du  Roy  de  Nvivarre,  l'efperance  que 
Ton  conceûc  en  fiiice  qu'il  paroiftroit  bientoft: 
avec  fon  armée  vi6torieure ,  &  l'arrivée  du  Prm- 
ce  de  Conty ,  qu'il  envoyoir  commander  en  fa 
place  en  attendant  qu'il  vinftluy-merm c,  remj 
rent  le  courage  &c  la  joye  dans  cette  armée.  Et 
parce  que  celle  du  Roy  s'elloit  allé  camper  à 
Bonne  val  pour  luy  couper  chemin,  &  l'empef- 
cher  de  defcendre  plus  bas  par  le  Vandomois 
vers  la  Loire ,  on  réfolut  de  changer  de  route, 
ôc  de  remonter  vers  la  fource  de  ce  fleuve  com- 
me le  Roy  de  Navarre  le  defiroit.  Mais  com- 
me on  elloit  alors  en  de  bons  quartiers  en  plei- 
ne Beauce  aux  environs  de  Chartres,  on  dif- 
féra de  quelques  jours  le  départ  de  l'armée.  Et 
cela  donna  lieu  au  Duc  de  Guife  d'achever  en- 
fin avec  tant  de  gloire  l'exécution  de  fon  def- 
fein,  par  la  fameule  défaite  des  Reitres  à  Au- 
neau,  qui  fut  bientoll  après  fuivie  de  l'entière 
déroute  de  cette  formidable  armée. 

Ce  Prince,  peu  de  jours  après  le  combat  de 
Vimory,  s'eftoit  retiré  à  Montercau  faut- Yonne, 
comme  s'il  euil  tourné  le  dos  aux  Allemans, 
qui  entrèrent  en  mefme  temps  dans  la  Beauce  j 
&  fans  fe  foncier  de  ce  qu'on  pourroit  dire  de 
cette  rccraice  dont  on  parloit  peu  favorable- 


Livre     II.        1*         19! 

ment,  il  y  rafraiichit  Tes  gens  dix  ou  douze  1J87. 
jours,  &i  renvoya  de  la  les  Ducs  de  Mayenne 
&  d' Aumalc  avec  leurs  troupes  dans  leurs  Gou- 
vernemens  de  Bouro-ocrne  de  de  Picardie ,  fur 
lefquels  il  crut  que  les  ennemis  de  fa  Maifon 
avoicnt  quelque  deiTcin,  Après  cela,  quoy- 
qu'iln'cull  plus  dans  la  petite  armée  que  douze 
cens  chevaux  &;  trois  à  quatre  mille  fantaiTins , 
il  le  mit  à  fon  ordinaire  après  les  ennemis  qui 
marchoient  fort  lentement,  Se  ne  ceffa  point 
de  les  liarceller  julques  à  ce  qu'avant  que  de 
fe  joindre  à  l'armée  du  Roy,  qui  l'en  preffoic 
fort,  il  eût  trouve  l'occafion  de  faire  ce  qu'il 
meditoit  depuis  (i  lon^-temps,  &  qu'il  eût  en- 
levé leur  principal  quartier,  en  fe  rendant  maif. 
tre  de  leur  place  de  bataille.  Car  il  ne  doutoic 
nullement  que  cela  ne  deuil  eftre  la  caufe  de  la 
ruine  entière  de  leur  armée.  C'eft  ce  qu'il  fit 
de  la  manière  que  je  vais  brièvement  repre- 
fenter. 

Comme  il  fut  arrivé  le  dix-huitiéme  de  No- 
vembre à  Ellampes,  après  avoir  durant  quel- 
ques jours  coHioyé  les  ennemis  fur  la  droite,  il 
envoya  le  lendemain  le  fleur  de  la  Chaftre  avec 
fept  à  huit  cens  chevaux  à  Dourdan,  d'où  le 
fleur  de  Vins  qui  commandoit  la  Cavalerie  lé- 
gère fut  détaché  pour  aller  reconnoiftre  leurs 
logemens.  Il  le  lit  fort  exactement,  &  après 
quelques  petits  combats  où  il  eût  de  l'avanta- 
ge, il  apprit  parles  prilomiiers qu'il  avoir  faits^ 


i5>i       Histoire  de   la   Ligue. 


IJ87.  qu'ils  eftoicnt  logez  fort  au  large  en  cinq  ou 
^x  gros  villages,  a  quelque  deux  ou  trois  lieues 
au-dc^à  de  Chartres,  aux  environs  d'Auneau  où 
cftoit  le  quartier  des  Reitrcs. 

Auneau  eft  un  gros  bourg  ou  une  petite 
ville  fermée  de  fimples  murailles  de  fix  ou  fept 

f)ieds  de  haut  fans  foffez  qui  vaillent ,  ni  pont- 
evis  aux  portes ,  comme  font  tous  les  bourgs 
de  la  Bcauce.  A  colté  de  ce  bourg,  il  y  a  un 
marais  &c  un  grand  eftang,  d'où  fort  un  ruif- 
feau ,  dont  les  bords  font  plantez  de  faules  ôc 
d'autres  arbres  qui  aiment  la  moiteur.  Il  eft  af- 
fez  profond,  &  l'on  ne  le  peut  aifément  paffer 
que  par  des  moulins  &  des  villages  que  les  en- 
nemis tenoient  à  plus  de  deux  lieues  au  deflous 
de  ce  ruilfeau,  qui  fe  meflant  avec  le  Lorray, 
fc  va  rendre  dans  la  rivicre  d'Eure  prés  de  Main- 
tenon.  A  l'un  des  bouts  de  l'eftang  il  y  a  une 
chauffée,  qui  après  avoir  traverfé  tout  le  ma- 
rais fe  termine  à  un  petit  bois  &  à  une  garen- 
ne, vis-à-vis  de  la  porte  duChafteau  qui  com- 
mande la  ville.  Il  eft  beau,  grand,  &  affez 
fort  pour  fe  défendre  d'une  infulte,  ayant  une 
grande  baffe-cour  où  l'on  peut  mettre  des  trou- 
pes en  bataille,  &c  qui  eft  feparée  des  maifons 
de  la  ville  par  une  place  qui  empefchc  qu'on 
n'en  puiffe  approcher  fans  cftre  veû, 

Auflitoft  que  le  Baron  de  Dona  fe  fut  logé 
dans  ce  Bourg  où  il  entra  fans  aucune  réiîf^ 
tance  avec  fes  troupes ,  les  plus  échauffez  au 

pillage 


Livre     II.       "         1^3 

pillage  ne  manqucrcnt  pas  de  donner  jufqu'à  h.  x;8  7, 
porte  de  la  bafTe-cour  du  chafteau  dans  la- 
quelle les  habitans  avoicnt  retiré  à  la  haftc 
tout  ce  qu'ils  avoicnt  de  meilleur,  &: une  gran- 
de partie  de  leur  beftail  que  ces  Allemans  vou- 
loient  avoir.  Mais  ils  en  furent  repouffez  à 
grands  coups  de  moufquet,  qui  en  couchèrent 
trois  ou  quatre  par  terre.  Sur  cela  le  Baron 
envoyé  au  Capitaine  du  chafteau  un  trompet- 
te ,  qui  le  menace  de  la  part  de  mettre  le  feu 
par  tout,  &c  de  le  foudroyer  luy-mefme  dans 
fa  place  avec  l'Artillerie  qu'il  feroit  venir,  s'il 
continuoit  à  tirer.  Mais  le  Capitaine  qui  eftoit 

I  Gafcon,  de  tenoit  ce  chafteau  pour  le  Roy, 
répondit  d'une  manière  qui  eft  affez  commune 

i  aux  braves  de  fa  nation,  faifant  dire  au  Baron 
par  fon  trompette,  qu'il  ne  craignoit  m  luy 
ni  fon  canon,  de  que  (i  fes  gens  approchoient 

j  encore  du  chafteau,  il  n'épargneroit  ni  fa  pou- 
dre ni  ion  plomb,  pour  les  repoufter  comme 
on  avoit  fait. 

Voilà  tout  le  pourparler  qu'il  y  eût  entre 
eux ,  fans  que  le  Gafcon  s'engageaft ,  comme 
on  l'a  voulu  dire,  à  ne  rien  entreprendre  con- 
tre ces  fafcheux  hoftes  qu'il  avoir  malgré  luy 
dans  Auneau.  AuiTi,  pour  s'aiTcûrer  contre  un 
homme  de  cette  humeur,  les  Reitres  fe  barri-  ' 
caderent ,  &  mirent  une  forte  garde  aux  avc- 
nues  par  ou  l'on  pouvoitpafter  dans  deux  gran- 
des rues  qui  font  toute  la  longueur  de  ce  bourg. 

Bb 


—  îi7'4  H  I  s  T  Ô  lîl  E   ;  D  E     LA     L  I  G  U  E. 


ijS-j.  Apres  quoy  fe  croyant  en  affeûrance,  ils  de- 
meurcrcnt  là  dans  un  profond  repos  fept  ou 
huit  jours,  pendant  Iclqucls,  comme  on  com- 
men(^oit  à  boire  les  vms  nouveaux  dont  il  y 
eût  cette  amiée  là  grande  abondance,  ils  célé- 
brèrent la  victoire  du  Roy  de  Navarre  &c  l'ar- 
rivée du  Prince  de  Conty  par  toutes  fortes  de 
réjoiiïfTances ,  fur  tout  en  faiiant  débauche,  & 
bcuvant  à  leur  mode  nuit  ôc  jour  à  la  fanté  de 
ces  deux  Princes. 

Cependant  le  Duc  dcGuife,  qui  ne  fongeoit 
qu'à  trouver  le  moyen  de  les  lurprendre,  ayant 
receû  le  pian  des  logemens  de  cette  armée  par 
le  iîeur  de  Vins  qui  les  avoit  luy-mefme  re- 
connus, rélolut  de  les  attaquer  dans  Auneau. 
Pour  cet  effet,  il negotia  fi  adroitement  avec  le 
Capitaine  du  challeau,  qu'après  bien  des  dif- 
ficultcz  qu'il  fallut  furmonter  par  des  promef. 
fes  tres-avantageufes,  ôi  par  les  grandes  libe- 
ralitez  de  ce  Prince  qui  donnoit  tout,  ëc  ne  fc 
réfervoit,  comme  Alexandre,  que  l'efperance 
d'arriver  où  il  prérendoit,  ce  Gaicon,  qui  ne 
haïffoit  pas  l'argent,  luy  promit  enfin  la  chofe 
du  monde  la  plus  délicate  pour  un  Gouverneur 
de  place  qui  le  doit  défier  de  tout.  Ce  fut  de 
recevoir  fes  troupes  dans  le  chaileau,  pour  en- 
trer par  là  dans  la  ville. 

Il  s'eftoit  avancé  d'Eftampcs  jufqu'à  Dour- 
dan  le  Vendredy  vingtième  de  Novembre  lors 
qu'il  receuc  cette  afl'eûrance  j  de  comme  fa  pc-< 


« 


L    I   V    R    E       I  I.  15); 

titc  armcc  maichoit  déjà  le  lendemain  pour  1587^ 
cxccutcr  l'entrcprilc,  il  apprit  que  les  ennemis 
l'avoient  découverte  par  la  priie  d'un  païian 
qui  luy  apportoit  une  lettre  du  Gouverneur. 
Cela  fans  doute  eftoit  capable  de  la  luy  faire 
rompre ,  &  prciquc  tous  fes  Capitaines  le  luy 
confeilloient.  Mais  il  ne  fit  que  la  différer  de 
deux  jours,  lur  ce  qu'il  eût  avis  que  les  Rei- 
tres  n'en  eftoient  pas  plus  lur  leur  garde,  &  ne 
laifl'oient  pas  de  continuer  leurs  débauches  , 
nonobftant  qu'il  leur  eufttué  dans  une  embuf- 
cade  cent  ou  fîx-vingts  des  plus  braves  de  leur 
armée,  entre  lelquels,  outre  trente -cinq  Gen- 
tilshommes des  plus  illuftres  Maiions  d'Alle- 
magne, le  trouvèrent  un  Comte  de  Mansfeld 
&  Ion  allié  le  neveu  de  l'Archevefque  de  Co- 
logne Gebbard  Truchfes ,  celuy-la  melme  qui 
par  un  déplorable  aveuglement  préfera  la  pof- 
fe/îion  de  la  belle  Chanoinefle  Ac^nés  de  Manf- 
feld  à  ion  Eledorat  &  à  fa  Religion  ,  à  la- 
quelle il  renonc^a  pour  avoir  la  liberté  de  l'é- 
poufer.  'jj  ...  :> 

Le  Duc  cftant  donc  réfolu  de  pafier  outre^ 
quoy-qu'on  luy  remontraft  qu'il  y  avoir  gran- 
de apparence  que  les  ennemis  ne  s'arreftoient 
fi  long -temps  à  Auneau  de  aux  environs  que 
pour  l'attirer  dans  la  plaine  qu'il  falloir  ne- 
ceilairement  que  l'on  traveriaft  pour  y  arriver^ 
donna  ordre  que  tout  fuft  preft  pour  marcher 
la  nuit  du  Lundy  au  Mardy  vmgt- quatrième 

Bb  ij 


-— 15><?     Histoire   ùe   la   Ligue. 

1587.  de  Novembre ,  qui  eftoit  juftemcnt  le  jour  que 
les  Allemans  avoient  pris  pour  s'en  retourner 
vers  la  fource  de  la  Loire.  Il  ne  Te  fia  pas  tant 
néanmoins  pour  ce  coup  à  Ton  bonheur,  qu'il 
ne  prift  d'ailleurs  toutes  les  précautions,  (îngu- 
lierement  du  cofté  du  Ciel.  Car  avant  que  de 
fortir  de  Dourdan  pour  fe  mettre  en  marche , 
il  fit  publiquement  Tes  dévotions  à  l'Eglile  où. 
iUmplora  l'afïiftanceduDieu  des  batailles  pour 
l'heureux  fuccés  de  fon  entreprifc. 

Il  y  laifla  mefme  Ton  Aumofnier  pour  y  con- 
tinuer toute  la  nuit  avec  le  Cierge  les  prières 
devant  le  tres-Saint  Sacrement  qui  fut  expofé; 
ôc  par  une  certaine  faillie  furprenante  &c  toute 
extraordinaire  de  pieté  il  fît  une  action  qu'on 
ne  doit  nullement  imiter,  &:  que  l'on  peut  tou- 
tefois excufer  en  un  Prince  qui  agiffoit  à  la  ca- 
valière de  bonne  foy  en  cette  occafîon,  où 
bien  loin  de  s'appercevoir  qu'il  y  euft  la  moin- 
dre ombre  de  mal  en  ce  qu'il  alloit  faire,  il 
croyoit  au  contraire,  fans  qu'il  s'avifaft  jamais 
d'en  douter,  que  ce  fuil  une  action  tres-agréa- 
ble  à  Dieu,  Car  il  ordonna  de  fon  autorité, 
que  chaque  Preftre  célebrail:  cette  nuit-là  trois 
Mcffes,  comme  on  fait  en  celle  de  Noël.  Et  ces 
bons  Preftres  qui  n'en  f(javoient  pas  tant  en  ce 
temps-là  qu'on  en  ferait  aujourd'huy,luy  obéi- 
rent fimplemcnt,  dévotement,  &c  fans  fcrupu- 
k  j  &  l'on  peut  croire  pieufement  que  Dieu,  qui 
c;cauça  leurs  prières  &c  leurs  facrifices,  comme 


L   î  V  R  E     I  I.  r^7 

révencment  le  fit  aflez  voir,  ne  rebuta  pas     1/87. 
ccluy  qu'ils  luy  firent  de  leur  {implicite  lans  y 
pcnlcr. 

Ce  Prince  s'cftant  donc  prémuni  de  la  forte 
s'alla  rendre  fur  les  (cpt  heures  du  loir  au  ren- 
dez-vous qu'il  avoir  donné  à  fes  troupes  au 
fortir  du  bois  de  Dourdan  en  une  belle  plai- 
ne, où,  félon  l'ordre  qu'il  en  avoir  donné,  M. 
de  la  Chaftre  Marefchal  de  Camp  les  avoit 
rangez  en  bataille.  Le  fieur  de  Vins  eftoit  avec 
trois  cens  Chevaux -Légers  à  la  telle  de  cette 
petite  armée.  Le  ficur  de  la  Chaftre  le  luivoic 
avec  fon  Elcadron  d'un  peu  plus  de  deux  cens 
hommes  d'armes  j  &c  Meifieursde  Guife  Ôc:û'E1- 
beuf  les  fouftenoicnt  à  droit  &  à  gauche  avec 
leurs  deux  Eicadrons  qui  eftoient  chacun  d'en- 
viron trois  cens  chevaux.    L'Infanterie  divi- 
fée  en  quatre  Bataillons  fous  les  Colonels  Joan- 
nés,  Ponti'enac,  Bourg,  &c  Gié,  fut  rangée  fur  la 
main  droite  de  la  Cavalerie  qui  la  couvroit  des 
ennemis  qui  ne  pouvoient  venir  à  eux  que  par  la 
gauche  dans  une  grande  plaine  où  il  n'y  avoit 
ni  arbre  ni  buiflfon,  ni  haye  où  elle  fe  puft 
mettre  à  couvert.  Ils  marchèrent  en  cet  ordre 
durant  prefque  toute  la  nuit ,  qui  clloit  fi  ob- 
fcure,  que  s'égarant  de  temps  en  temps,  ils  n'ar- 
rivèrent que  iùr  les  quatre  heures  du  matin  à 
mille  pas  d'Auneau,  dans  un  vallon,  à  l'un  des 
bouts  de  la  chauU'éc  qui  conduit  à  la  fauffc 
porte  du  chaftcau,  :ouç  joignant  la  garenne , 

Bb  iij 


-  i5>8       Histoire  de  la  Ligue. 


j  8  7.    julqu'oii  la  Chaftre  s'cftant  avancé,  il  rapporta 
qu'il  avoir  entendu  les  trompettes. 

C'elloit  qu'en  effet  l'armée  s'appreiloit  à 
quitter  ce  jour-là  Tes  logemens  :  mais  on  avoir 
fujet  d'appréhender  que  ce  ne  fuft  qu'on  euft 
eu  avis  de  leur  marche.    Cela  fut  caulc  que 
le  Duc  de  Guife ,  qui  eftoit  trop  avancé  pour 
reculer,  &c  qui   vouloir  abiolument  attaquer 
l'ennemi, averti  ou  non,  &  le  prévenir,  fit  en- 
filer promptement  la  chauflée  à  les  gens  de  pied, 
qu'il  conduifit  luy-melme,  fans  que  les  ennemis 
s'en  apperceuffent,  jufqu'à  la  faullc  porte  qui 
leur  fut  ouverte ,  &  par  où  il  les  fit  entrer  à  la 
file,  exhortant  avec  fa  gayetc  ordinaire  les  fol- 
dats  &  les  officiers  à  bien  faire,  &  à  fe  rendre 
maiftres  de   ce  logement  ôc  du  crrand  butin 
qui  les  y  attendoit,  pour  les  enrichir  des  dé- 
pouilles des  Reitres.   Après  quoy  s'eftant  reti- 
ré à  fa  Cavalerie,  qui  en  l'attendant  faifoit  al- 
tc  au  bout  du  marais ,  il  alla  difpofer  fes  qua- 
tre Efcadrons  dans  la  plaine  tout  autour  du 
"     bourg,  pour  recevoir  &  railler  en  pièces  ceux 
qui  en  fortiroient  pour  fe  fauver. 

Cependant  le  Capitaine  Saint  Paul  ayant 
laifle  dans  le  chafteau  autant  d'hommes  qu'il 
en  falloit  pour  s'afieûrer  en  tout  cas  la  retrai-. 
te,  elloit  paffé  dans  la  balTe-cour,  où  il  donna 
fes  ordres  pour  l'attaque  en  cette  manière.  Il 
prit  la  gauche  à  la  telle  de  cinq  à  fix  cens  Ar- 
quebufiers,  pour  donner  dans  la  grand' rue  ou 


.?  '   :      L    r  V  R    E      î  T.  "  i9<,  

le  Baron  de  Dona  cftoit  loge.  Il  en  pla(ja  llir  i  jb'7. 
la  droite  autres  cinq  cens  du  Régiment  de  Pont- 
Icnac ,  commandez  par  leur  Colonel  pour  en- 
trer dans  le  bourg  par  l'autre  rue.  Il  en  ordon- 
na c|uatrc  cens  qui  dévoient  demeurer  en  ba- 
taille dans  la  balîe-cour,  pour  Ibuilenir  &  pour 
rafraifchir  les  premiers,  Ôc  en  jetta  devant  luy 
trois  à  quatre  cens  avec  les  enfans  perdus  pour 
faire  la  pointe ,  donnant  ordre  à  ce  qui  relloit 
qu'aullitoft  que  l'on  commcnceroit  l'attaque,  on 
le  coulaft  entre  les  murailles  ôc  les  maifons  pour 
fc  (aifîr  des  portes  où  il  n'y  avoit  ni  gardes  ni 
icntinelles ,  tant  le  Baron  avoit  mal  profité  de 
la  leçon  qu'on  luy  avoit  faite  à  Vimory,  où  il 
fut  furpris  par  une  pareille  négligence. 

Cela  difpolé  de  la  iorte,  6c  la  grand'  porte 
de  la  bafle-cour  que  l'on  avoit  fait  démurer, 
citant  ouverte,  les  enfans  perdus  fe  jettent  à  la 
pointe  du  jour  dans  la  place  qui  eft  entre  le 
chafteau  &c  la  ville,  où  ils  trouvent  quelque 
cinquante  Cavaliers  des  ennemis  ordonnez  pour 
la  garde  des  barricades,  qui  eftant  accourus  au 
bruit  les  recjoivent  fî-bien  &  les  repouflent  fi 
vertement,  qu'ayant  pris  l'épouvante  pour  fc 
voir  l'ans  Cavalerie  qui  les  puft  fouftenir,  ils 
reculent  julqu'à  la  porte.  Mais  le  Capitaine 
Saint  Paul  lurvenant  la-defTus ,  ôc  tous  les  au- 
tres en  fuite  après  luy,  les  ramené  au  combat 
i'épée  dans  les  reins,  criant  tant  qu'il  pouvoir 
à  ceux  qui  cftoient  demeurez  dans  la  bafle- 


loo      Histoire  de  la  Ligue. 

ijSy.  cour,  qu'ils  tiraflenc  hardiment  fur  cous  ceux 
qui  rcculeroient  d'un  feul  pas.  Et  ce  qui  fit  en>. 
cote  plus  d'effet  fur  ces  gens  effrayez  que  ce 
terrible  commandement,  &c  le  péril  inévitable 
d'une  mort  prefente  s'ils  laichoient  le  pied ,  fut 
l'exemple  de  ce  brave  Capitaine  &c  de  tous  les 
Officiers,  qui  fe  détachant  de  leurs  Compagnies 
fe  mirent  à  la  tcflc  de  leurs  gens. 

Car  après  avoir  repouffé  ces  Cavaliers  qui 
furent  bientoft  démontez,  &  tuez  par  une  greflc 
d'arquebulades  que  déchargèrent  furieulement 
fur  eux  les  foldats  qui  fuivoient  leurs  Officiers, 
ces  braves  gens  donnèrent  avec  tant  de  furie 
dans  les  barricades,  que  les  ayant  forcées,rom- 
pues  &  renverfées  prefque  en  un  moment,  & 
paifé  au  fîl  de  i'épéc  ceux  qu'on  y  avoit  mis 
pour  les  garder,  toute  cette  Infanterie  fe  ré- 
pandit comme  un  torrent  impétueux  à  droite 
a  gauche  dans  les  deux  rues,  &c  fans  s'arref- 
ter  au  pillage,  comme  on  avoit  fait  à  Vimory, 
ce  qui  donna  loiflr  aux  Reitres  de  monter  à 
cheval,  ils  renverfcnt  de  loin  à  grands  coups 
d'arqucbufe  ces  pauvres  Allemans,  qui  fortam 
de  leur  logis  encore  prefque  tout  affoupisj.demi- 
yvrcs  &  demi-nuds,  les  uns  le  piftolet  au 
poing,  ôc  les  autres  n'ayant  que  leur  épée,  ne 
pouvoient  atteindre  leurs  ennemis,  qui  avoient 
toute  forte  d'avantage  fur  eux ,  &:  les  tuoicnt 
fans  peine ,  &c  fans  partager  avec  eux  le  pe- 
liL 

Ceux 


Livre     II.  ioi  — 

f  Ceux  qui  cftoicnt  dcja  montez  à  cheval  pour  ijSy. 
partir,  ne  pouvant  ni  former  d'cicadron  ,  ni 
marcher  avec  quelque  ordre  contre  l'ennemi 
dans  CCS  rues  cmbarraflées  de  ce  grand  nombre 
de  chariots  tout  attelez,  cftoient  d'autant  plus 
aifemcnt  tuez,  qu'ils  elloient  plus  en  but  que 
les  autres  aux  arquebufades  dont  ils  ne  fe  pou- 
voient  défendre;  de  cet  embarras,  qui  leur  el- 
toit  fi  funcfte,  iervoit  aux  Catholiques  comme 
d'un  rempart  d'où  ils  tiroicnt  fur  eux  fans 
péril,  &c  fans  perdre  un  feul  coup. 

Dans  le  deiefpoir  où  ces  pauvres  Reitres  fe 
trouvoient,  il  ne  leur  rcftoit  qu'une  voye  de  fe 
mettre   à  couvert   d'une  Ci  furieule   tempeftc 
qu'ils  voyoient  fondre  tout -à- coup  fur  eux  j 
c'eftoit  de  gagner  promptement  les  portes,  foie 
pour  fe  rallier  dans  la  campagne,  foit  pour  fe 
fauvcr  dans  les  autres  quartiers.  Mais  y  clfant 
accourus  en  foule ,  ils  trouvèrent  qu'elles  cf- 
toient  laifies  par  les  gens  du  Capitaine  JoaiK 
nés  qui  les  en  repoufferent,  en  faifant  tomber 
fur  eux  une  horrible  grcfle  de  moufquetades, 
Ainfî  les  uns  n'en  pouvant  plus  fe  laifl'oicnt 
miferablement  tailler  en  pièces;  les  autres  re- 
tournant fur  leurs  pas,  s'alloient  jetter  au  mi- 
lieu de  ceux  qui  les  pourfuivoient,  &  fe  fai- 
foient  tuer  en  combatant,  pour  avoir  du  moins 
cette  trifte  confolation  de  périr  avec  honneur 
&:  en  foldat  les  armes  à  la  main.    Quelques- 
uns  le  cachoient  dans  les  logis ,  d'où  le  feu 

Ce 


=-  2.01      Histoire   de   la    Ligue. 

ÎJ87.  qu'on  y  mit  les  faifanc  forcir  demi  -  roftis , 
ils  tomboient  entre  les  mains  de  ceux  qui 
croyoicnt  que  ce  fuft  leur  faire  grâce  que  de 
les  achever  dans  le  déplorable  eftat  où  ils  les 
voyoient.  Il  y  en  eût  qui  s'eftant  coulez  du 
haut  des  murailles ,  fe  voulurent  fauver  au 
travers  des  champs  &:  des  marais  ;  mais  la  Ca- 
valerie qui  couroit  après  les  tailla  tous  en  piè- 
ces. 

Enfin,  de  tout  ce  qui  eftoit  dans  ce  loge- 
ment, je  trouve  qu'il  n'y  eût  que  le  Baron  de 
Dona  qui  fe  fauva  luy  dix  ou  douzième,  foit 
par  une  maifon  attenante  à  la  muraille,  &  de- 
là par  de  petits  fenticrs  qu'il  trouva  dans  les 
marais,  foit  au  commencement  de  l'alarme  par 
une  des  portes  que  les  foldats  de  Joannés  n'a- 
voient  pas  encore  fermée.  Tout  le  rcîtc  fut  ou 
tué,  ou  pris  lors  qu'après  la  chaleur  de  cette 
fanglante  exécution,  qui  ne  dura  gueres  plus  de 
demi-heure,  il  n'y  eût  plus  de  réfiilance.  Voilà 
quelle  fut  la  défaite  des  Reitres  à  Auneau,  ou, 
fans  que  le  victorieux  y  pcrdill  un  leul  hom- 
me, il  y  eût  environ  trois  mille  de  ces  Ellran- 
gers  qui  furent  tuez  fur  la  place ,  &  quelque 
cinq  cens  prifonniers ,  lans  compter  une  de 
leurs  Compagnies,  qui  cftant  accourue  d'un 
quartier  voifin  au  fecours  des  autres ,  fe  ren- 
dit lafchemcnt,  fans  fe  défendre,  aullitoft 
qu'elle  fe  vit  attaquée  dans  la  campagne.  Ou- 
tre fa  Cornette  on  en  prit  neuf  ou  dix  autres 


L    I  V  R     E      I  I.  10$  ' 

que  le  Duc  de  Guifc  envoya  fur  le  champ  au  i  ;  8  7. 
Roy.  Tout  le  bagage,  tous  les  chariots  char- 
o-cz  &  attelez  tout  prefts  à  partir,  les  armes,  la 
vaiflelle  d'argent,  les chaifnes  d'or  des  Officiers, 
&:  tout  le  refte  du  butm  demeurèrent  au  vam- 
Queur,  &  les  Fantaflms  devenus  Cavaliers  &c 
montez  fur  les  chevaux  qu'ils  trouvèrent  fêliez 
Se  bridez  avec  les  piftolcts  à  l'arcon,  retournè- 
rent comme  en  triomphe  à  Eftampcs,  où  le 
Duc  de  Guile  s'eftoit  rendu  auflitoil  après  fa 
vidoire  ,  qui  eût  l'heureuie  fuite  qu'il  avoit 
préveûë. 

Car  il  y  eût  une  fi  grande  confternation 
dans  le  refte  de  cette  armée,  qui,  après  cette 
défaite,  s'cftoit  ralliée  à  une  lieue  prés  d'Au- 
neau,  que  le  pauvre  Baron  de  Dona,  quelque 
raifon  qu'il  allcguaft  pour  faire  valoir  ion  avis, 
ne  put  jamais  perluadcr  aux  Chefs  qu'on  dévoie 
aller  fur  le  champ  inveltir  les  Catholiques,  qui 
ne  fongeant  plus  qu'au  pillage,  feroient  iur- 
pris,  envelopez,  èc  en  luite  ailcment  défaits  ôc 
tous  pris  ou  tuez  dans  le  dclordre  où  ils  eftoient. 
Bien  loin  de  cela,  les  Suilfes  épouvantez  de  ce 
fécond  malheur  beaucoup  plus  grand  que  le 
prem.ier,  Se  fort  affoiblis  de  diminuez  par  le> 
fatigues  d'une  marche  de  plus  de  trois  mois , 
ie  feparerent  du  corps  de  l'armée,  &  après  avoir 
accepté  les  conditions  que  le  Roy  leur  avoic 
accordées,  le  mirent  en  chemin  pour  retourner 
en  leur  païs. 

Ce  ij 


-104     Histoire   de   la  Ligue. 

15-87.  Ce  peu  de  Reitres  qui  rcftoient  encore  dans 
cette  armée,  &  les  Lanfquenets  qui  le  trouvoient 
en  un  très -pitoyable  eftat,  firent  quatre  ou 
cinq  jours  après  lamefme  choie.  Ils  fe  voyoient 
pouriiiivis  d'un  cofté  par  l'avantgarde  de  l'ar- 
mée du  Roy  fous  la  conduite  du  Duc  d'Elpcr- 
non,  &  de  l'autre  par  le  Duc  de  Guife,  auquel  le 
Marquis  du  Pont  avoit  amené  trois  à  quatre 
mille  chevaux  Italiens  que  le  Duc  de  Lorraine 
avoit  donné  ordre  de  lever  dés  le  commence- 
ment de  cette  guerre.  Ils  avoient  appris  que 
le  iîeur  de  Mandelot  Gouverneur  de  Lyon,  en 
clloit  ibrti  avec  cinq  ou  fîx  mille  hommes  pour 
leur  couper  chemin  ;  &  ils  eltoient  réduits, 
après  la  défaite  d'Auneau,  par  les  déferrions 
fréquentes,  par  les  maladies,  Ôc  par  les  fatigues 
de  leurs  longues  traites ,  à  un  fort  petit  nom- 
bre, lans  vivres,  lans  munition  ,  fans  bao;aec, 
de  prclquc  fans  armes,  &c  fans  elperance  de 
pouvoir  échaper  au  milieu  de  tant  d'ennemis 
qui  les  alloient  enveloper.  Ainfi  la  dernière  ne- 
ccllité  les  obligea  d'accepter  enfin  le  Traité  que 
le  Duc  d'Eipernon,  par  la  permifiion  du  Roy, 
leur  offroit  encore,  pour  empcfcherque  le  Duc 
de  Guife,  qu'il  n'aimoit  pas,  n'euft  la  gloire 
d'avoir  défait  entièrement  cette  grande  armée 
d'Eftrangers. 

Les  conditions  furent,  que  les  Lanfqucnets 
rcndroieiit  leurs  Drapeaux  ;  que  les  Reitres  cm- 
portcroicnt  leurs  Cornettes  ferrées  dans  leurs 


L'  I    V    R    E        II.  105  • 

vailles  ;  que  les  François  Protcftans  auroicnc  15^7. 
mmn-Icvéc  de  leurs  biens,  mais  qu'ils  iortiroient 
du  Royaume  s'ils  ne  le  failoicnc  Catholiques  j 
que  les  uns  &  les  autres  prometcroient  de  ne 
porter  jamais  les  armes  contre  le  lervice  du 
Roy  ;  de  que  Sa  Majcftc  leur  donneroit  avec  ef- 
corte  un  laufconduic  tres-ample  pour  palier  en 
toute  IcLireté  par  Tes  Eftats ,  &c  pour  fe  retirer 
hors  des  honticres  de  la  France  où  ils  vou- 
droicnt.  i 

Les  Francjois  firent  tous  leurs  efforts  pour 
empelcher  que  les  AUemans  n'acccptaflent  des 
conditions  il  honteules,  leur  promettant  de  les 
conduire  ians  penl  julques  à  l'armée  du  Roy 
de  Navarre.  Mais  comme  ils  s'apperceûrent  que 
bien  loin  de  les  écouter, ces  Eftransers  avoient 
dellein  de  les  arrcfter ,  pour  s'alTeûrer  de  leurs 
payes  qu'on  leur  avoir  filouvent  promifes  fans 
effet,  ils  fe  feparerent  fecretement,  de  prirent 
de  différentes  routes  pour  fe  fauver.  Le  Prince 
de  Conty  avec  quatorze  ou  quinze  Cavaliers 
fe  retira  par  des  chemins  fort  écartez,  &  Ians 
cflre  reconnu,  en  l'une  de  les  terres  au  pais  du 
Mayne.  Le  Duc  de  Bouillon  prit  lur  la  droite, 
de  après  avoir  traveric  avec  des  peines  incroya- 
ble le  Lionnois  &  la  Breffe ,  fuyant  toiajours 
les  grands  chemins ,  le  rendit  enfin  à  Genève , 
où  peu  de  temps  après  il  mourut  de  tant  de  fa- 
tigues ,  comme  le  Comte  de  la  Mark  fon  frère 
en  eltoit  more  durant  leur  marche  à  Ançy4c-» 

Ce  iij 


ro6     Histoire    de   la    Ligue. 

1J87.  Franc  dans  le  Senonois.  Les  autres  Capitaines 
fe  retirèrent,  avec  peu  de  fuite,  &  beaucoup  de 
péril  &  de  peine,  en  divers  endroits. 

Il  n'y  eût  que  le  brave  ChaliiUon,  qui  avec 
environ  fîx-vingts  Cavaliers  qui  s'abandonnè- 
rent à  fa  conduite,  perqa,  avec  une  grande  ré- 
folution  favorifée  de  la  fortune,  tout  au  travers 
des  troupes  deMandelot,  &  de  tout  le  pais  du 
Lionnois,  du  Foreft,  du  Velay,  d'où  l'on  ve- 
noit  fondre  fur  luy  de  tous  coftez  au  fon  du 
tocfin  qu'on  fonnoit  dans  toutes  les  villes  & 
les  bourgades  &  dans  tous  les  villages,  &  fe 
rendit  fans  beaucoup  de  perte  dans  le  Vivarez 
où  il  avoit  de  bonnes  places,  &  de  la  dans  le 
Languedoc.  Pour  les  Lanfquenets  àc  les  Rei- 
tres,  après  leur  Traité  conclu  &  fignc,  ils  fu- 
rent magnifiquement  traitez  à  Mariigny  parle 
Duc  d'Efpernon,  qui  leur  donna  une  efcortc 
de  quelques  Compagnies  d'Ordonnances  &  de 
gens  de  pied ,  pour  les  conduire  jufques  au- 
delà,  de  la  Saône  qu'on  leur  fit  pafler  à  Mafcon. 
Cela  pourtant  n'empeicha  pas  la  perte  d'une 
grande  partie  de  ces  pauvres  Allemans  ,  qui 
tombant  malades,  ou  demeurant  derrière  par 
foiblcffc,  ou  pour  cilre  trop  loin  de  leur  efcor- 
tc, dans  des  logemcns  fort  éloignez  les  uns  des 
autres,  eftoient  miferablement  égorgez  &  af- 
fommez  lans  réfilliance  &  fans  miiericorde  par 
les  païians,  pour  le  venger  des  horribles  rava- 
ges que  ces  Etrangers  av oient  faits  en  France, 


Cayet. 


Livre     II.  zoy 

Ce  fut  en  un  cftac  fi  pitoyable  que  le  Biron  1J87. 
de  Dona  &  le  Colonel  Boucq  demeurez  feuls 
en  vie  des  hauts  Officiers  de  cette  armée  rédui- 
te prefque  à  rien,  eftant  arrivez  fur  les  frontiè- 
res de  Savoye ,  nnplorerent  la  mifericorde  du 
Duc,  qui,  pour  obliger  les  Princes  Allemans, 
leur  donna  pafHige  par  fes  terres,  pour  fe  reti- 
rer par  le  païs  des  Suifl'es  en  Allemagne,  où  l'on 
ne  fut  jamais  fi  iurpris  que  de  voir  une  fi 
grande  delolation,  6l  de  iî  déplorables  rcftes 
de  la  plus  grande  armée  qui  en  fuft  encore 
fortic  pour  entrer  en  France  au  lecours  des 
Huguenots.  Car  enfin  de  vino;t  mille  Suiflcs , 
neuf  ou  dix  mille  Laniquenets ,  &  huit  mille 
Reitres  qui  y  furent  levez  en  leur  faveur,  il 
n'y  en  rentra  pas  quatre  mille  tant  maiftres 
que  valets,  dont  la  plufpart  moquez  &  mépri- 
fez  de  leurs  compatriotes,  ne  iurvécurent  gue- 
res  à  leur  infortune,  mourant  bientoft  après 
autant  de  honte  &  de  regret  que  des  maladies 
contractées  par  tant  d'incom.moditez  qu'ils  a- 
voient  louffertes  en  une  fi  longue  6c  fi  mallieu- 
reule  expédition.  ■ 

Le  Duc  deCuiie  6c  le  Marquis  du  Pont,  qui 
depuis  que  ces  miterables  furent  hors  de  la  Fran- 
ce, les  fuivirent  juiqu'auprés  de  Genève,  ayant 
fccâ  par  les  lettres  que  le  Duc  de  Savoye  leur 
écrivit,  qu'il  les  avoit  pris  en  la  proteâ:ion,  les 
abandonnèrent  à  leur  mauvaife  fortune,  qui 
leur  fit  encore  plus  de  mal  qu'ils  ne  leur  en  fou- 


loS      Histoire  de  la  Ligue. 

ijSy.  haicoicnr.  Apres  quoy,  pour  remettre  en  bon 
eftat  leurs  troupes,  qui,  à  la  réfcrve  des  Ita- 
liens arrivez  les  derniers,  a  voient  extrêmement 
fouffert  depuis  quatre  mois  qu  elles  fuivoient 
ôc  harcelloicnt  continuellement  Tarmée  Protef- 
tante ,  ils  les  menèrent  rafraifchir  dans  le  petit 
Eftat  du  Comte  de  Montbelliardjl'un  des  prin- 
cipaux Auteurs  de  l'armement  des  Reitres.  Et 
ce  fut-là  que  leurs  loldats,  aufquels  ils  donnè- 
rent trop  de  licence,  fe  vengèrent  impitoyable- 

i>i.  t.  3.  nient  par  toutes  lortes  d  excès  d  avarice  &  de 
cruauté,  pillant,  brûlant,  malTacrant,  &  defo- 
lant  tout,  des  maux  que  les  AUemans,  dont 
ils  ne  dévoient  pas  luivre  l'exemple,  avoientfait 
fouffrir  aux  pauvres  Lorrains. 

Cette  grande  victoire  remportée  fur  une  Çi 
puiflante  armée,  fans  qu'il  en  couftaft  preiquc 
rien,  fut  lans  doute  tres-glorieufe,  mais  auffi 
trcs-funeflc  à  la  France,  par  l'extrême  malice,  ^ 
par  l'iniolcncc  infupportable  des  Ligueurs,  qui 
en  tirèrent  avantage  pour  élever  leur  idole  au 
defîus  des  nues,  en  abbaiffant  infiniment  celuy 
qui  tcnoit  la  place  de  Dieu,  dont  par  le  cara- 
^ere  ineffac^able  de  la  Royauté  il  eftoit  en 
France  la  vive  imacre.  Tout  rerenniToit  dans 
Paris  des  loûano;es  du  Duc  de  Guife.  Dans  les 
mailons  particulières,  dans  les  places  publiques, 
dans  le  Palais,  &  dans  les  écoles  deTÛniverlité, 
dans  les  cgliics  &:  dans  les  chaires  des  Prédi- 
cateurs J  on  ne  parloit  que  de  la  défaite  des 

Reitres , 


Livre    II.  109 

Rcitrcs,  comme  d'un  miracle  quon  luy  attri-    1587, 
buoit  uniquement ,  en  le  comparant  à  Moïlc, 
à  Gedeon,  &  à  David  exterminateur  des  Philil- 
tins,  &c  à  tout  ce  qu'il  y  a  de  Héros  dans  J'Hil- 
toire  Sainte.  Et  en  mefme  temps,  bien  loin  de 

f)arler  comme  ils  dévoient  avec  éloge  de  ce  que 
e  Roy  avoit  fait  avec  tant  de  conduite  &:  de 
valeur  pour  empctcher  les  Allemans  de  pafTcr 
la  rivière  de  Loire,  ils  continuèrent,  par  une 
effroyable  malice,  à  le  charger  d'horribles  ca- 
lomnies, avec  d'autant  plus  d'inlolence,  qu'on 
avoit  témoiç^né  plus  de  foibleife  &  de  timidi- 
té lors  qu'il  falloit  feverement  punir  les  fcele- 
rars,  qui  trois  ou  quatre  mois  auparavant  avoient 
eu  l'audace  de  les  publier  &c  de  les  louftenir 
hautement  dans  Paris. 

Car  Prevoft  Curé  de  Saint  Severin,  l'un  des  coyet. 
plus  feditieux  &  des  plus  impudens  hommes  hiZ^iu. 
qui  fut  jamais ,  ayant  ofé  dire  dans  un  de  les 
fermons,  que  le  Roy,  qu'il  accuioit,  comme 
faiioient  les  Seize,  d'avoir  appelle  les  Reitres 
pour  oppprimer  les  Catholiques,  cftoit  un  Ty- 
ran ennemi  de  Dieu  &  de  fon  Emilie  :  Bufî'y,  le 
Clerc  àc  Crucé  le  mirent  en  armes  aux  envi- 
rons de  la  Parroiffe,  pour  empefcher  qu'on  ne 
fe  faiiift  de  la  perlonne  du  Curé.  Et  en  mefme 
temps  celuy  de  Saint  Benoift  Jean  Boucher, 
le  plus  opiniaftre  &  le  plus  emporté  de  tous 
les  Ligueurs,  ayant  fait  fonner  le  tocfin  dans 
fon  Eglife,  toute  la  populace  du  quartier  de 

Dd 


iio  Histoire  de  la  Ligue. 
1J87.  l'Univerfîté  qui  accourut  les  armes  à  la  main, 
pour  les  fouftenir,  fe  jetta  fur  les  CommilTai- 
res,  fur  les  Sercrens  &  les  Archers  que  le  Lieu- 
tenant Civil  &  celuy  du  Grand  Prevoft  avoient 
amenez  pour  les  prendre,  Se  les  repoufla  char- 
gez d'injures  di  de  coups  au-delà  des  Ponts. 
Et  comme  s'ils  enflent  remporté  une  glorieufc 
■vi6Voire  en  bataille  rangée  fur  le  Roy  meime, 
qui  au  lieu  de  faire  marcher  dés  le  commence- 
ment de  la  fedition  Ion  Régiment  des  Gardes 
contre  ces  mutins  pour  en  arrefler  les  Chefs, 
eût  la  foiblefle  de  réprimer  de  de  cacher  la 
'  jufte  indignation,  julqu'à  les  flater  encore,  dc 
à  les  carefler  :  les  Seize,  pour  triompher  après 
un  ù  grand  avantage,  voulurent  que  l'on  ap- 
pellaft  ce  jour  là,  qui  c^oit  le  troifîéme  de 
Septembre  ,  l'hcureuie  journée  de  Saint  Se- 
.       vérin. 

Or  comme  ils  eftoicnt  devenus  plus  infolens 
par  l'impunité  d'un  ii  grand  crime,  &  par  la 
déroute  des  Reitres,  leurs  Prédicateurs  animez 
de  l'elprit  de  rébellion  fe  mirent  à  l'infpirer 
plus  furieufemcnt  que  jamais  au  Peuple,  en  di- 
lant  effrontément  en  pleine  chaire,  que  le  Roy, 
qui  avoit  fait  venir  les  Reitres,  defefperé  de 
voir  fon  deflein  ruiné  par  les  vid:oires  que  le 
Duc  de  Guife  venoit  de  remporter  fur  eux, 
avoit  empefché  que  ce  grand  défcnfeur  de  la 
Religion  ne  taillait  en  pièces  le  rerte  de  ces 
Hérétiques,  que  le  Duc  d'Eipernon  leur  fau- 


Ciytt,  t.  !. 


Livre     Î  T.  '  m 

tciir  (Se  leur  protcdlcur  avoir  comme  retirez  ijb'7. 
d'entre  Tes  mains  par  l'ordre  de  Ton  Maiilrc , 
^'  par  un  traité  qu'il  avoir  fait  avec  eux ,  pour 
leur  donner  moyen  de  s'aller  remettre  en  eltat 
de  retourner  bientoft  en  France,  Et  la  cliofe 
alla  fi  avant,  que  ce  détcftable  eiprit  de  révolte 
que  les  directeurs  des  confciences,  les  confei- 
leurs,  les  prédicateurs,  &c  les  docteurs  dévoient 
combatte  de  toute  leur  force  comme  eftant 
tout  contraire  à  l'Evangile  qui  n'enlcigne  qu'c- 
béilfance  &  loumifTion  aux  Puiffances  leo-iti- 
mes,  eftoit  non  feulement  inlpiré  aux  Peuples 
dans  les  conférences  particulières,  dans  les  con- 
feflions  de  dans  les  prédications,  mais  aulli  en 
quelque  manière  autorifé  par  la  Sorbonne. 

Je  ne  croy  pas  qu'on  me  puifle  accufer  de 
n'avoir  pas  tous  les  égards  qu'on  doit  avoir 
pour  cet  illulfre  Corps,  puis  que  quand  l'oc- 
cafion  s'en  eft  prelcntée ,  ce  qui  eft  arrivé  plus 
d'une  fois,  j'en  ay  fait  en  quelques-uns  de 
mes  Ouvrages  tous  ces  grands  éloges  que  la 
pure  venté,  à  laquelle  je  me  luis  tout  dévoué, 
a  tirez  de  ma  plume,  MaisaulTi  parce  dévoile- 
ment qui  m'attache  indilpenlablcment  à  la  vé- 
rité, je  fuis  obligé  de  dire  qu'il  eft  impolli- 
ble  qu'en  une  fi  nombreule  Compagnie  de  jeu- 
nes &c  de  vieux  Dod:eurs  il  ne  fe  forme  en 
certaines  faicheuks  conjonctures,  par  le  mal- 
heur des  temps,  quelque  facliion  de  certains 
cfprits  écartez  ëc  mutms  qui  ne  iont  pas  de  Ta^ 

Pd  1; 


"    ■■    —tu       Histoire  de    la   Ligue. 
1587.    vis  des  plus  fages.    Et  comme  nous  en  avons 
veû  une  de  nos  jours ,  qui  au  lujet  d'un  livre 
que  l'on  condamna,  fuc  lurmontée  par  le  plus 
grand  nombre  des  bons  Douleurs,  qui  préva- 
lent encore  aujourd'huy:    aufTi  durant  la  Li- 
gue ,  qui  avoit   gafté  la  pluipart  des   eiprits 
dans  Paris,  il  y  en  eût  une  qui  l'emporta  par  fa 
cabale  fur  les  bons  qui  gemifloient  du  déplo- 
c^yet.Trifxf.  lablc  avcuglcmcnt  de    leurs  confrères  ,   ainiî 
dH  I.  tom.     q^•QJ^  \ç.  pourra  voir  dans  la  luite  de  cette  Hif 

toirc. 

Or  fur  CCS  calomnies  que  les  Prédicateurs  de 
la  Ligue  &  les  Seize  publioient  comme  autant 
de  veritez  inconteftables,  cette  faction  deDo- 
<Steurs  corrompus  s'cftant  affemblée  le  feiziéme 
de  Décembre,  fit  un  Décret, par  lequel  on  dé- 
jeurnai  du     c\d.ïQ.  Qu'il  cft  Dermis  aux  Sujets  d'ofter  le  Gou- 

Kegne  de  Hsn-  ^  n  t-i    ■  •        »        • 

ry  /;/.  vernemcnt  a  un  Prince  qui  n  agit  pas  comme 
il  doit  pour  le  bien  de  la  Religion  ic  de  l'Eftat, 
ainfi  qu'on  peut  ofter  l'adminiftrationdes  biens 
d'un  pupille  à  un  tuteur  qu'on  a  raifon  de  te- 
nir pour  fufpc6t.  C'eftoit-là  fans  doute  décider 
en  une  matière  tres-importantc  un  cas  de  con- 
Iciencc  félon  les  faux  &  pernicieux  principes 
de  la  morale  la  plus  corrompue  qui  fut  jamais. 
AufTi  le  Roy,  qui,  après  avoir  mis  hors  de  Fran- 
ce les  EilrantTcrs,  veiioit  de  rentrer  en  armes 
dans  Paris,  fut  extrêmement  lurpris  d'une  fifu- 
rieufe  audace,  6ide  cette  licence  effrénée  qu'on 
prcnoit  de  décrier  fa  conduite  dans  les  ier- 


L    I  V  R    E      I   r.  ii3  

mohs, pourcmouvoir  le  peuple  contre  luy.  Mais  ijSy. 
au  lieu  de  s'en  lefTcntir  en  Roy,  en  punidanc 
cet  attentat  par  le  rigoureux  (upplice  que  me- 
ritoicnt  les  Auteurs  d'une  fi  dcteltable  doctri- 
ne qui  tend  a  la  fubverfion  des  Monarchies, 
il  le  contenta  d'af^ir  en  ccnleur,  ou  pliuoll  en 
pcre  fpirituel  &  en  directeur  de  confcience. 

Car  toute  la  punition  qu'il  Hi  d'une  fi  mé- 
chante &  fi  déteftable  aclion,  fut  de  faire  a. 
ces  factieux,  &  iur  tout  au  Dodteur  Boucher 
le  plus  Icditieux  de  tous,  en  preiencc  des  Dé- 
putez du  Parlement  qu'il  fit  venir  au  Louvre, 
une  belle  &  charitable  remontrance,  paria- 
quelle  il  leur  fit  comprendre  l'énormité  de  leur 
crime  qui  les  rendort  dignes  de  la  damnation 
éternelle,  pour  avoir  médit  de  leur  Roy,  par 
mille  horribles  impofiures,  dans  la  chaire  de  vé- 
rité qu'ils  avoicntchano-éc  en  une  chaire  peflihme  cathedra 

d-*-      P  II-  /  peltilentijc. 

e  menlonge  &  de  calomnie i  après  quoy,  com-  pf.  '■ 

me  ils  en  eftoient  defcendus ,  ils  ne  faiioicnt 
point  de  fcrupule  d'aller  à  l'Autel  offrir  à  Dieu 
le  facrifice  de  l'Euchariftie ,  avant  que  de  s'ei- 
tre  réconcilié  avec  celuy  qu'ils  avoicnt  fi  in- 
dignement outragé.  Il  ajoulla,  qu'encore  qu'il 
les  puft  juftement  traiter  comm.e  le  Pape  Sixte 
avoit  tait  depuis  peu  quelques  Religieux  de 
fon  Ordre,  qu'il  avoir  envoyez  aux  galères  pour 
s'eftre  méfiez  de  parler  de  luy  dans  leurs  fer- 
mons, il  ne  vouloir  pas  néanmoins  pour  cette 
fois  en  ufer  dç  la  forte  à  leur  égard  :  mais  quQ 

Dd  iij 


1T4       Histoire  de  la  Licite. 

ïjSy.  s'ils  commettoient  encore  un  pareil  crime,  il 
vouloir  que  {'on  Parlement  en  lîlt  une  jullice  fi 
exemplaire  &c  fi  Icvere,  qu'elle  donnaft  de  la 
terreur  à  tous  les  fceleracs  &L  Icditieux  qui  leur 
reflcmbloient. 

Ce  fut-là  toute  la  vengeance  que  ce  Roy 
trop  bon  prit  de  ces  ^cns-là,  qui  abufant  de 
fa  bonté  qu'ils  méprilbient,  en  devinrent  en- 
core après  plus  infolens.  Cela  fait  bien  voir 
qu'il  importe  extrêmement  au  Prince  de  mo- 
dérer tellement  les  vertus  qu'il  doit  avoir,  que 
l'une  ne  nuife  pas  à  l'autre  par  fon  excès ,  &C 
en  fiiite  à  luy-mefme  j  que  fa  jullice  &c  la  bon- 
té s'accordent  ians  que  l'une  détruifc  l'au- 
tre ;  que  pour  vouloir  eilre  trop  jufte,  il  ne  de-» 
vienne  pas  odieux  à  fes  Sujets  ;  &  pour  vou- 
loir eftre  trop  bon,  il  ne  ic  rende  pomt  mépri- 
fable. 

Cependant  il  fut  impofiible  "que  ces  louan- 
ges exceffives  qu'on  donnoit  au  lerviteur  en 
meime  temps  qu'on  mcdiioit  du  Maiftre  avec 
tant  de  malice  &c  d'indignité,  ne  luy  donnaf- 
fent  beaucoup  de  jaloufie  &  de  chagrin,  &c  qu'un 
Julie  reflentiment  ne  luy  fill  prendre  la  réiblu- 
tion  de  veno;cr  tant  d'outrages  qu'on  faifoit  à 
la  Majefté  Royale ,  ôc  de  mettre  enfin  les  Li- 
gueurs ,  ôc  iur  tout  les  Seize  de  leur  Chef,  en 
cilat  de  ne  pouvoir  plus  dilputer  avec  leur  Sou- 
verain, à  qui  dcmcureroit  le  maiilre.  D'autre 
cofté  le  Duc  de  Guiie  clloit  plus  que  jamais 


L  I  V  H  E      II.  ir^  

enflé  de  tant  d'heureux  fucccs,  &:  des  illuftrcs  i  jS/. 
témoi<rnac;cs  que  le  Pane  Sixte  6c  Alexandre  ./*""''"''  ''" 
Duc  de  Parme  avoicnt  li  lolenncilemcnc  ren-  ryui. 
dus  à  Ton  mérite;  l'un,  en  luy  envoyant  l'épée 
bénite;  &  l'autre,  fes  armes,  comme  à  ccluy 
qui  entre  tous  les  Princes  mcritoit  le  mieux  le 
glorieux  titre  de  grand  Capitaine.  Et  comme 
d'ailleurs  il  eftoit  trop  clair-voyant  pour  ne  fe 
pas  appercevoir  des  marques  toutes  vifiblesque 
le  Roy,  quelque  diflimulé  qu'il  full ,  ne  pou- 
voit  s'empeicher  de  donner  quelquefois  de  Ton 
dépit  j  6c  meime  de  la  haine  qu'il  avoit  con- 
ceûë  contre  luy:  il  rélolut  de  fortifier  telle- 
ment Ton  parti,  que  non  Iculement  iln'cull:  rien 
à  craindre,  mais  aufTi  qu'il  pull  tout  elperer  de 
fon  bonheur.  Et  il  le  fit  avec  d'autant  plus 
d'ardeur  &  de  fermeté ,  qu'il  cftoit  alors  plus 
aigri  qu'il  ne  l'avoir  jamais  efté,  &  prclqu'au 
delefpoir,  pour  un  refus  que  le  Roy  venoit  de 
luy  faire  d'une  manière  fort  delobligeante,  en 
luy  préférant  Ion  rival  en  ambition,  ce  qu'il 
crut  eftre  le  plus  fenfible  affront  qu'il  eulf  pu 
recevoir,  6c  qui  en  fuite  mit  les  chofes  en  eftat 
de  ne  pouvoir  plus  eftrc  accommodées.  Voicy 
comment  cela  le  fit. 

Le  Duc  deGuile,  après  le  fignalé  fervice  qu'il 
venoit  de  rendre  à  rEilatjCrut  que  s'il  deman- 
doit  une  partie  de  la  dépouille  du  feu  Duc  de 
Joycule  Admirai  de  France  &  Gouverneur  de 
Normandie^  on  ne  pourroit  la  luy  réfuter.  Et 


us      Histoire  de  la  Ligue. 


ij-Sy.  pour  l'obtenir  plus  facilement,  il  fe  contenta, 
de  demander  l'Admirauté,  non  pas  mefmepour 
luy,  ni  pour  aucun  des  Princes  de  fa  Maifon, 
mais  pour  le  Comte  de  BnflTac,  que  fa  naifTan- 
ce  tres-illuftre,  &  Ton  grand  mérite,  joint  aux 
fervices  rendus  à  la  France  par  le  brave  Timo- 
leon  de  Cofle  fon  frère  Colonel  de  l'Infante- 
rie Franc^oiie ,  ôc  par  fon  père  le  Grand  Maref- 
chal  de  Brifl'ac  Vice -Roy  de  Piémont,  pou- 
voient  élever  fans  envie  &  avec  l'applaudifl'e- 
ment  de  tout  le  monde  à  cette  haute  dignité. 
Après  qu'on  eût  amufé  ce  Duc  par  des  bel- 
les ^faufles  eipcrances,non  feulement  il  n'ob- 
tint pas  cette  Charge  qu'il  dcmandoit ,  mais 
comme  pour  luy  faire  encore  plus  de  dépit, 
elle  fut  donnée  avec  le  Gouvernement  de  Nor- 
mandie au  Duc  d'Efpernon,  qui  eftoit  fon  plus 
grand  ennemi,  &  dont  voicy  le  caradtere. 
M/iit.  MX  Jean  Loûïs  de  Nogaret  cadet  de  ia  Maifon, 
uîn.'  '  ^  qu'on  appelloit  quand  il  vint  à  la  Cour,  le 
jeune  la  Valette,  fceût  il  bien  gagner  les  bon- 
nes grâces  du  Roy,  particulièrement  depuis  que 
o  Ouelus ,  l'un  de  ces  malheureux  Mignons  qui 
s entretuerent  en  duel,  le  luy  eut  recommande 
en  mourant,  qu'il  tint  bientoft  le  premier  rang 
entre  les  Favoris  avec  le  Duc  de  Joyeufe,  fur 
lequel  mefme  enfin  il  l'emporta,  ayant  eu  l'a^ 
dreffe  de  luy  faire  demander  le  commandement 
d'une  armée  pour  l'éloigner  finement  de  la 
Cour.  Il  n'y  a  forte  de  faveurs,  de  biens,  d'hon- 
neurs 


L    I   V    R    E      I  L  iiy 


ncurs  Se  de  dignitcz  dont  le  Roy  ne  comblaft  1 5  î)  7. 
ce  nouveau  Mii^non,  en  faveur  duquel  il  éri- 
gea la  terre  d'Efpernon  en  Duché,  pour  le  faire 
Duc  de  Pair  aulli-bicn  qu'Anne  de  Joyeufc, 
parce  qu'il  avoit  entrepris  de  les  égaler  tous 
deux  en  toutes  choies,  ayant  meime  pour  eux 
tant  de  tendrefle,  peu  digne  d'un  Roy,  ouplû- 
toft  tant  de  foiblelfe,  qu'il  répondoit  à  ceux 
qui  luy  remontroient  qu'il  prodiguoit  tout,  & 
s'appauvrifloit  luy-mefme  pour  les  élever  &  les 
enrichir,  que  quand  il  auroit  marié  fcs  deux 
enfans,  car  c'efl  ainfi  qu'il  les  appclloit  ordi- 
nairement, il  deviendroit  bon  ménager.  Il  y 
avoit  pourtant  cette  différence  entre  eux,  que 
Joyeule,  pour  fon  humeur  douce,  civile  &  ma- 
gnifique ,  fe  faitoit  aimer.  Mais  au  contraire , 
d'Elpernon,  pour  fon  naturel  brufque,  fier,  im-  ^f,^  feréodio- 

r  ^1  -II  ri  omnibus 

perieux  &  hautain,  eltoit  haï  non  leulemcnt  propter  ingc- 
du  peuple  &  des  Ligueurs,  qui  faifoicnt  mille  rup«biam; 
fanglantes  fatyres  contre  luy ,  mais  aufTi  des  pt-fl-,n:^|i,n' 
plus  Grands  de  la  Cour  qu'il  traitoit  de  haut  r^'icipes  i^ 
en  bas,  comme  fi  la  faveur  de  fonMaiftre,  de  tufoe^.Ef.ir, 
laquelle  il  abufoit,luy  euft  donné  droit  de  faire  "*  "  " 
infulte  à  ceux  dont  le  Roy  connoiffoit  &  mef- 
me  refpedtoit  le  mérite  &  la  vertu.  Car  c'eft 
ainfi  qu'entre  pluficurs  autres  il  traita  mefme 
avec  outrage  François  d'Efpinac  Archevefque 
de  Lyon,  &M.  de  ViUc-Roy,  l'un  des  plus  fa- 
ges  &  des  plus  fidelles  Mimftres  que  nos  Rois 
aycnt  jamais  eûsj  ce  qui  ne  nuifit  pas  au  Dua 

Ee 


îi8       Histoire  de  la  Ligue. 


1587.     de  Guife ,  qui  trouva  par.  là  le  moyen  de  s'a- 
qucrir  entièrement  cet  Archevefque. 

Sur  tout  il  y  avoit  une  invincible  antipathie 
entre  ce  Prince  &  ce  fier  Favori ,  qui  loit  pour 
plaire  à  l'on  Maiftre ,  foit  pour  obliger  le  Roy 
de  Navarre,  avec  lequel  il  avoit  alors  une  in- 
telligence lecrete,  ou  pour  la  contrariété  de 
leurs  humeurs  le  déclaroit  en  toutes  les  ren- 
contres ouvertement  Ton  ennemi,  &  ne  per- 
doit  aucune  occafion  de  le  rendre  lulped:  & 
odieux  au  Roy,  &  d'allumer  toujours  de  plus 
en  plus  la  colère  &  fa  haine  contre  luy.  Et  ré- 
ciproquement auili  le  Duc  de  Guife  ne  man- 
quoit  pas  de  ion  codé  d'animer  le  peuple  de 
Pans  contre  d'E(pernon,qui  courut  mclme  rif- 
que  un  jour  en  paflant  (ur  le  Pont  Nollre-Dame, 
d'eftre  allommé  par  le  bourgeois,  qui  fortant 
des  boutiques  en  foule ,  l'alloit  invelf ir ,  s'il 
ne  fe  fuft  fauve  bien  vifte.  Il  eft  vray  que  le 
mÙ  ?/u'  Nonce  Morofini  prévoyant  les  funcftes  fuites 
■vtt  deicard.  çmz  Douvolt  avoit  ccttc  inimitié,  fit  tout  ce 
qu  il  put  par  les  lages  remontrances  pour  1  e- 
teindre.  Mais  s'il  l'alToupit  pour  un  peu  de 
temps,  il  ne  put  empeicher  qu'elle  ne  fe  ral- 
lumaft  bientolt  après.  De  forte  qu'elle  eftoit 
plus  forte  que  jamais,  lors  que  le  Roy,  qui 
ne  pouvoir  ou  n'ofoit  rien  refufer  à  ce  Favo- 
ri, réunit  en  luy  feul  tout  ce  qu'il  avoit  par- 
tagé entre  luy  &  Joyeufc,  &:  luy  donna  le 
Gouvernement  de  Normandie  &  l'Admirau- 


L  I  V  R  E     T  I.  irp 

te  que  le  Duc  de  Guilc  avoïc   demande  pour    i^Hy. 
BrifTac. 

Cela  le  fit  avec  un  éclat  extraordinaire,  Se  p^rn^i  j, 
l'Avocat  Générai,  dans  la  longue  harangue  qu'il  """'^  ^^^' 
dt  en  la  réception  du  Duc  d'Efpcrnon,  dît 
hardiment,  cjue  le  Roy  qui  avoit  fait  un  ii 
beau  choix  eRoit  un  grand  Saint,  qui  meritoit 
d'eftre  canoniie  du  moins  autant   que   Saint     ■"'  '] 
Louis,  &c  que  celuy  qu'il  venoit  de  faire  Ad-      '  '   '■ 
mirai    répareroit   les   fautes   de  l'Admirai    de 
Coligny ,  &  f croit  refleurir  dans  toute  la  France 
la  Religion  Catholique.  Une  louange  fade,  &c     .  ^:. 
qui  n'ell  qu'une  baife  &  honteufe  flaterie,  fi 
ce  n'eft  que  celuy  qui  la  donne  prétende  qu'on 
la  prenne  pour  une  contre-vérité,  doit  cftre       ,:      " 
plus  iniupportable  aux  Grands  qui  aiment  la       '/. 
véritable  gloire,  qu'une  injure  &  qu'une  faty- 
rci  &  ils  ne  doivent  point  fouffrir  d'autre  en- 
cens que  celuy  qui  vient  d'un  éloge  iolidc  &:      '  ""''-■ 
bien  établi  fur  des  vcritcz  il  connues  de  tout 
le  monde,  que  leurs  ennemis  meime  n'en  ofe- 
roient  difconvenir. 

Celuy  que  cet  Avocat  du  Rov  fit  en  ccrrc 
occalion  nuifît  plus  a  ce  Prince  &  à  l'Admi- 
rai que  tous  les  furieux  libelles  de  la  Li^ue.  Il 
attira  lur  eux  le  mépris  &la  raillerie,  qui  donr.c 
quelquefois  plus  de  chagrin  que  les  invcclivcs, 
&  qu'une  colère  impuiilante  ■■>  Se  il  fît  naiftre 
cette  fameufe  Epigramme,  par  laquelle  on  con- 
clut qu'on  ne  peut  mer  que  Henry  ne  foit  un 

Ee  ij 


110       Histoire    de   la    Ligue. 


1587.    grand  Saint  qui  fait  de^  miracles,  puis  que  d'une 
petite  vallée  il  vient  de  faire  tout-à-coup  une 
montagne.  On  vouloit  faire  allufîon  à  Ton  fur- 
nom  de  la  Valette,  ce  qui  eftoit  affez  du  gouffc 
de  ce  temps-là,  ôc  qui  ne  l'eft  plus  gueres  de 
celuy-cy ,  dc  l'on  prétendoit  aum  par  là  rava- 
Qui  fecit     j^j.  ç^  naiflance ,  conformément  à  ce  que  Buf- 
modo  valus   bequius,  qui  eftoit  Amballadeur  de  l'Empereur 
j,urn*i  de      Rodolphe  auprès  du  Roy  en  a  écrit  dans  une 
^'"'^'  de  fes  Lettres,  peut-eftre  avec  un  peu  de  ma- 

Reg^înTiui-  lignite,  &:fuivant  les  fots  dilcours  du  petit  peu- 
pnVerlfmc'^c,  pl^ ,  qui  aime  d'ordinaire  à  parler  mal  des  Fa- 
(inc  nomme,  voris.   Ce  OU  il  y  a  de  bien  certain,  c'cft  que 

la   Valitte ,  1  r     / 1  1  1        r  ^ 

Tocabatur.  ccttc  ptodigieule  ckvation  du  Duc  d'Elpernon, 
Patrem  ha-   cuncmi  déclaré  du  Duc  de  Guife,  fut  caufe  que. 

buit  belle  e-  r      ■       r  ■      ■    1    \  C  >T- 

gregiura ,  a-  cc  Ptiuce  luneuiement  irrite  du  rerus  qu  u  avoïc 
ironem^fivV  teceii ,  &  dc  l'agrandiiTement  de  celuy  qui  le 
s«r/' Eft.i-.  vouloit  perdre ,  crut  qu'il  n'avoir  plus  rien  à 
*dR<id»i.  II.  ménager,  &  qu'il  devoir  poufler  les  chofes  aufli 
loin  qu'elles  pouvoient  aller.    Et  delà  s'enfui- 
virent  tous  ces  funeftcs  &r  tragiques  évenemens 
dont  le  feul  fouvenir  me  fait  horreur,  &  qu'il 
faut  néanmoins,  pour  m'aquitcr  de  mon  de- 
voir, que  je  rcprefente  fidellcment  dans  le  Livre 
fuivanc. 


HISTOIRE 


DE 


LA     LIGUE. 


LIVRE     TROISIEME.        ' 

I  je  voulois  fuivre  l'exemple  du 
Prince  des  Hiftoriens  Latins, 
lui  ne  laiflc  échaper  aucun  pro- 
ige  qu'il  n'expoie  à  la  veûë  de 
fon  Lecteur  avec  autant  de  lu- 
pcrftition  peut  -  eilrc  que  d'exaditudc  :  je  pro- 
duirois  icy  le  Soleil  obfcurci  tout-à-coup  (ans 
aucun  nuage ,  une  épce  flamboyante  fortie  du 
centre  de  cet  aftrc,  des  ténèbres  palpables  corn- 

Ee   iij 


f 

du 


Ann. 


*, 


111       Histoire   de  la    Ligue. 


I  j8  8.    me  celles  de  l'Egypte  en  plein  midy ,  des  tem- 

Journal  de  pcftes  extraordinalfes ,  des  tremblemens  de  ter- 
""^  ■  rc,  des  fantoimes  de  feu  en  l'air,  &  cent  au- 
tres prodiges  qu'on  dit  qui  arrivèrent  en  cette 
malheureule  année  mil  cmq  cens  quatre-vingts- 
huit,  &  qu'on  prétend  avoir  efté  tout  autant 
de  préfages  des  horribles  defordres  qu'on  y 
vit. 

Mais  parce  que  je  ne  fuis  pas  perfuadé  qu'on 
doive  donner  Beaucoup  de  créance  à  ces  for- 
tes de  fîcrnes,  qui  font  d'ordinaire  des  effets 
d'une  caufe  naturelle,  quoy-que  bien  fouvent 
inconnue ,  ni  aux  prédiclions  des  All:rologues, 
dont  quelques-uns  crurent  avoir  trouvé  dans 

i'cmlm^^  les  Aftres  que  cette  mefme  année  fcroit  la  der- 
nière du  monde:  je  diray  feulement  que  lepré- 
fage  le  plus  afl'eijré  de  tant  de  malheurs  fu- 
rent les  efprits  trop  aigris  de  part  &c  d'autre 
pour  pouvoir  vivre  en  paix,  ôc  pour  ne  pas 
chercher  toutes  les  voyes  de  s'affeûrer  de  tous 
ceux  dont  ils  fe  défioient,&:d'en  difpofer  com- 
me il  leur  plairoit. 

Pour  cet  efiet,  le  Duc  de  Guife,  après  avoir 
achevé  de  ruiner  le  Comté  de  Montbeliard ,  fe 

ï.T't.i'.  '*  rendit  a  Nancy,  où  il  avoit  fait  convoquer  au 
mois  de  Janvier  une  Affemblée  des  Princes  de 

cZ't."'  ^^  Maïf  on,  pour  y  prendre  des  réfolutions  con- 
formes à  l'clfat  prelént  des  affaires,  &  à  l'heu- 
reux lucçés  qu'Us  avoient  eu  dans  U  guerre  des 
Rcicrcs.  On  dit  qu'il  y  en  eût  qui  enflez  de 


Livre     I  I  T.        II       213 

cette  victoire,  6j  aveuglez  de  leur  profpcrité,     ij8  8, 

propoferent  en  cette  Conférence  les  chofes  du 

monde  les  plus  filcheutcs  &c  les  plus  violentes, 

6c  que  le  Duc  de  Lorraine ,  Prince  lage  ôc  d'un 

cipnt  fort  modéré,  n'y  voulut  jamais  confen- 

tir.    Quoy  qu'il  en  foit,  car  je  ne  trouve  rien 

de  cela,  non  pas  melme  dans  les  Mémoires  de  Mem.  je  u 

leurs  plus  grands  ennemis  qui  ont  écrit  fort  ^'^"^'  '"  '' 

exactement  de  cette  AlTemblée,  il  eft  certain 

que  il  l'on  n'alla  pas  à  de  fî  terribles  cxtrémi- 

tcz,  ce  que  l'on  y  conclut  ne  laifla  pas  de  paf- 

1er  dans  le  monde  pour  une  cntrepriie  tres- 

mjuil:e,  &  qui  fut  blalmce  de  tous  ceux  qui 

ne  s'eftoient  pas  encore  aveuglément  dévouez 

à  la  Ligue. 

Ce  fut  qu'on  pretentcroit  au  Roy  une  Re- 
quelle  contenant  des  articles  qui ,  lous  le  pré- 
texte ordinaire  de  vouloir  conierver  en  France 
la  Relie^ion  Catholique,  tendoient  manifefte- 
ment  à  le  dépouiller  de  fon  autorité  &  de  fa 
puiHance ,  pour  la  traniporter  aux  Chefs  de  la    ' 
LiCTue.    Car  ces  Articles  Icandaleux  portoienc 
en  lubllance.  Que  pour  le  fervice  de  Dieu,  ^ pour  ^f''<:^"  p^»- 
te  maintien  cir  lajemrte  de  la  l{eligion ,  le  Hoy  Je-  chefs  de  u 
roit,  non  pas  très  -  humblement  fùpp lié,  ^^ais  fommé  f^H'J"!//^-^' 
d'établir  Ujainte  Inqui/ition  dans  Jon  Royaume;  dy^'""y- 
faire  publier  le  Concile  de  Trente ,  en  fuffendant  l'Ar-^'/^^ll  '' 
ride  cjui  ré'voaue  l'exemption  que  quelques  Chapitres 
Cir  Abbajes  prétendent  contre  les  Enjejques  ;  de  con- 
tinuer U  Tuerre  contre  les  HuzHenots,  ^  de  faire  a'f«- 


p 


i24       Histoire   de    la    Ligue. 

I  j8  8.  dre  leurs  biens  (^  ceux  de  leurs  ajfocie:!^,  pour  four- 
nir aux  jrîiu  de  cette  guerre ,  (^  pour  p'^jer  les  dettes 
que  les  Chefs  de  la  Ligue  avaient  ejlê  contraints  de 
faire  pour  l'entretenir;  de  ne  donner  lanjie  a  ceux  au  on 
fera  prifonniers y  au' à  condition  au  ils  payeront  comptant 
la  taleur  de  tous  leurs  biens ,  ^  au  ils  donneront  af- 
feûrance  de  'vivre  dejôrmais  en  bons  Catholiques. 

Voilà  la  belle  apparence  d'un  fore  grand 
zèle  pour  la  Religion  :  mais  voicy  le  venin  ca- 
ché lous  un  il  fpecieux  prétexte,  ^ue  le  Rojje 
joindra  plus  Jincerement  ç^r  plus  ouvertement  qu'aupa- 
ravant a  la  fainte  Union ,  pour  en  garder  exactement 
toutes  les  loix  aufquelies  on  s'ejî  obligé  par  le  plus 

%  folennel  ç^  le  plus  inviolable  de  tous  les  fcrniens. 
Qu'outre  les  forces  qu'il  mettra  fur  pied  pour  faire  la 
guerre  aux  Huguenots,  il  entretiendra  fur  la  Jrvntiere 
de  Lorraine  une  armée ,  pour  s'oppofer  aux  Protejlans 
d' Allemagne ,  s'il  leur  prenait  envie  de  rentrer  en  Fran- 
ce. Qu'outre  les  places  que  ceux  de  la  Ligue  tiennent 
pour  leur  feûreté,  on  leur  en  donnera  encore  un  certain 
nombre  d'autres  pluf  importantes  qu'on  luj  marquera  ^ 
C3r  où  ils  pourront  établir  pour  Gouverneurs  les  Chefs 
qui  luj  feront  nomme^^  avec  pouvoir  d'y  mettre  telle 
çArnifon ,  &  d'y  faire  telles  fortifications  qu'il  leur 
pUira  aux  dépens  des  Provinces  ou  elles  font  f  tuées. 
Et  enfin  que  pour  ajfeûrance  qu'on  n'empcfchera  plus, 
comme  on  a  fit  jufquà  prefent ,  l'exécution  des  chofes 
promifes  pour  la  fèûreté  de  la  I{eligion ,  Sa  jMajeflê 
chajjera  de  fon  Confeil  ^  de  la  Cour ,  ^privera  de 
leurs  Gouvernemens  (^  de  leurs  Charges ,  ceux  qui 

luy 


L    I   V   R   E      I  I  î.  xiy 

///y  fennt  nomme'^ ,  comme  fauteurs  des  Hérétiques,    1588, 
1^  ennemis  de  la  Rclu^ion  cïr  de  l'E^.tt. 

C'cft-là  cette  ctranorc  Rcc[uclle  qui  commen- 
ça de  faire  ouvrir  les  yeux  à  plufieurs  très-bons 
Catholiques ,  Iclquels  s'cftoient  uinocemment 
lailîc  feduire  à  l'apparence  d'un  bon  zèle,  qui 
citant  peu  éclairé ,  n'eftoit  pas  félon  la  icience^ 
comme  parle  l'Apoltrc.  Car  ils  crurent  voir 
clairement  en  quelques-uns  de  ces  Articles,  que 
laLi2;ue,  pour  en2;acrer  dans  fon  parti  le  Pape 
&:  le  Roy  d'Efpagne,  vouloit  abandonner  nos 
Libcrtez,que  nos  Anceltrcs  ont  toujours  main- 
tenues avec  tant  de  vigueur  &:  de  fermeté,  &: 
foumettre  au  jouçr  de  î'Inquilition  d'Elpag^ne 
les  François  qui  ne  l'ont  jamais  pu  fouffnr;  ^ 
dans  les  autres,  qu'elle  prétendoit  olfer  au  Roy 
tout  le  lolide  &  l'elfentiel  de  la  Royauté,  pour 
ne  luy  en  laiifer  que  l'ombre  6c  l'apparence, 
de  pour  difpofer  en  fuite  de  fa  perionne  mel- 
me  comme  il  plairoit  aux  Chefs  de  ce  parti. 

Aulfi  quand  la  Requefte  fut  prefentée  au  ^'V'fit  dt.- 
Roy  de  la  part  des  Princes  liguez  de  du  Car-  lum'de^u 
dinal  de  Bourbon,  de  la  iimplicité  &:  du  nom  ^'■^"''^-  ^ 
duquel  ils  abufoient  pour  couvrir  leur  ambi- 
tion, il  en  conceiit  une  extrême  indignation. 
qui  parut  d'abord  dans  fes  yeux  &  fur  Ion  vi- 
fage.  Il  crut  néanmoins  qu'il  talloit  dilfimuler, 
ne  le  trouvant  pas  alors  en  elf  at  d'y  faire  une 
réponfe  digne  d'un  Roy  jugement  irrité  con- 
tre des  Sujets  qui  parioient  en  mailtres.    C'eit 

Ff 


ii6       Histoire  DE  LA  Ligue. 

X  5  8  8.  pourquoy  il  le  contenta,  pour  pgner  du  temps, 
de  du-e  qu'il  en  exammeroit  les  Articles  dans 
fon  Conteil,  pour  y  répondre  après,  en  forte 
que  tous  les  bons  Catholiques  eufTent  tout  lu- 
jet  d'eftrc  fatisfaits. 

Mais  cependant  le  Duc  de  Guife ,  qui  ne  le 
payoït  pas  de  paroles    connoiflant  fort  bien 
le  deffein  du  Roy,  &c  qui  ne  vouloit  pas  don- 
ner au  Duc  d'Efpernon  le  temps  de  conjurer 
cette  tempcfte  excitée  contre  luy ,  &c  d'infpirer 
à  fon  Maiftre  les  vigourcufes  réfolutions  qu'il 
devoit  prendre,  prefloit  continuellement  le  Roy 
de  faire  une  réponfe  précifc  fur  tous  ces  Arti- 
cles. Car  il  ne  doutoit  point  que  fi  elle  eftoit 
favorable,  il  ne  fuft  bientoft  maiftrc  abfolu  de 
toutes  chofes;  &  fi  elle  ne  l'eftoit  pas,  qu'on 
ne  cruft  que  le  Roy  vouloir  maintenir  les  Hu- 
guenots ,  ôc  qu'en  fuite  les  Catholiques  ne  luy 
hffent  ouvertement  la  guerre. 

C'eft  pour  cela  qu'il  envoyoit  fans^  cefle  de 
fon  Gouvernement  de  Champagne,  où  il  eftoit 
allé  après  la  Conférence  de  Nancy,  des  Gentils- 
hommes coup  fur  coup  au  Roy ,  pour  deman- 
der une  réponfe  précife  :  &  il  le  faifoit  avee 
d'autant  plus  d'inftancc  &c  d'ardeur,  que  d'une 
part  il  fe  trouvoit  plus  puiiïant  que  jamais, 
ayant  une  grande  partie  de  laNobleffe,&  pref- 
nue  tous  les  Peuples,  &  fur  tout  les  Parifiens 
pour  luy  i  &  que  de  l'autre  il  voyoït  le  parti 
des  Husueiiots  extrêmement  foible  ôc  abbatu 


Livre     1 1  Î.    ^  ;  m       117 


par  la  défaite  de   leur  grand  iccours  d'Allc-    ijSS. 

iiians,  &  par  la  perte  qu'ils  vcnoient  de  faire 

du  Prince  dcCondé,  ccluy  qu'ils  croyoient  cf- 

trc  le  plus  fortement  attaché  à  leur  Religion, 

&  auquel  en  luite  ils  fe  fioicnt  plus  qu'à  tous 

les  autres,  &  melme  qu'au  Roy  de  Navarre. 

Il  moumt  le  cinquième  de  Mars  à  Saint  Jean  Mem.  de  u 
d'Angcly,  d'une  maladie  trcs-violcnte,  dont  il    '^"^''■■'• 
fut  foudainement  attaqué  un  foir  après  Ton 
loupé,  &  qui  l'emporta  dans  deux  jours.  Les 
Seize,  par  une  infâme  lafcheté,  en  firent  de  fort 
grandes  réjoiàiïTances ,  8c  leurs  Prédicateurs  ne 
manquèrent  pas  de  dire  en  leurs  (ermons  que 
c'eftoit  un  effet  de  l'excommunication  dont  le 
Pape  Sixte  i'avoit  foudroyé.  Mais  outre  que  le  J-"*"^'''* 
Roy  de  Navarre,  qui  en  avoir  efté  frapé  com-    '   '' 
me  luy  par  la  melme  Bulle,  fe  portoit  fort  bien  ; 
le  Roy,  auquel  le   bon  homme  Cardinal  de 
Bourbon  alla  dire  la  mefme  choie  en  failant 
de  ojrandes  exclamations ,  luy  répondit  fort  fa- 
gement  &:  en  fouriant,  que  cela  pourroit  eftrc, 
mais  qu'autre  choie  y  avoir  bien  aidé.  Et  cer- 
tes, on  n'en  peut  douter  après  l'atteilation  de 
quatre  Médecins,  &c  de  deux  Maiftres  Chiiur-  ^"'fort  du 
giens,  qui  dépoient  avec  ferment   avoir  veû  a/.w  ^///^ 
maniteftement  dans  la  plufpart  des  parties  de  ^'f ■  ''•  -^  ^ 
fon  corps  toutes  les  marques  &  tous  les  effets 
les  plus  Icnfibles  d'un  poifou  cauftique,  brû- 
lant &  ulcérant.  Exécrable  attentat  qu'on  ne 
peut  affez  rigoureufement  punir,  &  qui  le  fut 

Ff  ij 


ii8      Histoire  de  la  Ligue. 

ij88.  pourtant  félon  les  loix,  en  la  pcrfonnc  d'un 
de  fes  domeftiqucs ,  qui  fut  tiré  à  quatre  che- 
vaux en  la  place  de  Saint  Jean  d'Angely. 

Ce  fut  au  refte  un  Prince,  qui,  a  la  réfervc 
de  Ion  opiniaftre  attachement  à  la  Religion 
dans  laquelle  il  eftoit  né  ,  &  dont  il  euft  pu 

.1  •»  connoiftrc  la  fauffeté  s'il  n'euil;  elle  trop  pré- 

venu, poifedoit  à  l'âge  de  trente-cinq  ans  au- 
quel il  mourut ,  toutes  les  perfections  qui  peu- 
vent concourir  à  faire  l'un  des  plus  grands  ôc 
des  plus  honneftes  hommes  du  monde,  fans 
<ju'on  ait  jamais  remarque  dans  fa  conduite  &c 
dans  les  mœurs  aucun  melme  de  ces  petits  dé- 
fauts dont  les  plus  iages  ne  font  pas  exempts, 

•"  •  &c  qu'on  leur  pardonne  aiiément  lans  rien  di- 

minuer de  la  haute  eftime  qu'on  a  pour  eux. 
Que  (î  la  fortune,  qui  ne  le  déclare  pas  toujours 
pour  le  mente ,  ne  luy  fut  pas  trop  favorable 
en  quelques  rencontres  où  il  eût  beloin  de  fon 
fecours,  elle  luy  lervit  pourtant  beaucoup,  en 
ce  qu'elle  luy  donna  lieu  de  faire  éclater  hau- 
tement fon  courage  dans  fes  adverfitez,  où  il  le 
mit  infiniment  au  deilus  d'elle  par  la  force  de 
fon  efprit,  &c  par  la  grandeur  de  fon  ame. 
,  .     Aufli  la  mort  de  ce  grand  Prince  fut  pleu- 

■.  '•■  i-ée    non  feulement  de  ceux  de  ion  parti  qui 

J'aimoient  paflionnément,  mais  aufTi  des  Ca- 
tholiques,  &  du  Duc  de  Guile  mcfme,  qui 
tout  chef  qu'il  elloit  d'une  méchante  ôc  lafche 
faCtion  dont  il  fe  feryoït  pour  aller  à  les  fins. 


L   I  V   R.   E      I  I  I.  Z15) 

avoir  néanmoins  de  Ton  fonds,  &c  de  la  beauté  ij8  8. 
de  ion  naturel  extrêmement  noble,  toute  la 
généroficé  qu'on  doit  avoir  pouraimer,  &  pour 
relpecter  la  vertu,  julqucs  dans  la  perfonne  du 
plus  grand  èc  plus  redoutable  ennemi  qu'on 
ait. 

Il  ne  laiflfa  pas  cependant  de  tirer  d'un  fi 
funefte  accident  tout  l'avantaçre  qu'il  put  pour 
l'exécution  de  Ion  defTcin.  Et  comme  il  vit  par 
là,  &   par  plufieurs  autres  difgraces  arrivées 
coup  fur  coup  aux   Huguenots  leur  parti  de- 
venu plus  foible  Se  plus  abbatu,  &c  le  fien  plus 
entreprenant  &  plus  hardi  :  il  le  mit  à  pour- 
luivre  vivement  fa  pointe,  &  à  demander  iatis- 
faction  lur  tous  les  Articles  de  la  Requefte, 
qui  avoit  tellement  liauffe  le  cœur  aux  Seize , 
qu'ils  ne  crardoient  plus  de  melures,  &c  le  ren- 
doient  tous  les  jours  plus  iniupportables.  Il  ar- 
riva meime  que  le  Roy  receûc  en  ce  temps -là 
plufieurs  avis  de  la  rélolution  qu'on  avoit  pri- 
fe  en  leur  Confcil  de  fe  lailir  de  la  pcrlonne , 
&C  de  l'enfermer  dans  un  Monallere  ;  &  ce  mei- 
me Lieutenant  de  la  Prevofté  de  l'Ide  Nicolas  Pr»as  vcrui 
Poulain,  qui  luy  avoit  autrefois  découvert  une  J,,^'"" 
pareille  confpiration  qu'on  ne  crut  pas,  luy 
dît  tant  de  parncularitez  de  celle-cy ,  qu'enco- 
re qu'il  le  dcfiail:  de  cet  homme  double  qui 
luy  eltoit  extrêmement  lulpcct,  cela  toutefois, 
joint  à  l'extrême  intolencc  des  Seize  qui  ren- 
doit  ion  rapport  plus  croyable,  ne  laifla  pas 

ffiij 


1^0       Histoire   de   la    Ligue. 


ij-ôS.  de  faire  une  très -forte  imprcfïion  lur  Ton  eC- 
prit.  De  forte  que,  fuivant  enfin  le  conlcil  de 
ceux  qui  vouloient  depuis  fi  long -temps  qu'il 
emplovaft  la  force  &  la  juftice  contre  ces  mu- 
tins ,  il  réfolut  de  le  mettre  une  bonne  fois 
l'clprit  en  repos  de  ce  collé- là,  de  réduire  Pa- 
ns dans  l'cftat  de  foumifTion&rd'obcïllance  où 
il  dcvoit  eftre,  &d'étemdre  la  faction  des  Seize 
par  le  chaiiiment  exemplaire  des  plus  feditieux 
d'entre  eux. 

Les  préparatifs  qu'il  luy  fallut  faire  pour  exé- 
cuter fcûrcment  cette  entrepnie  ,  les  trois  mille 
Suifles  qu'il  fit  locrer  à  LatTny,les  Compagnies 
<les  Gardes  qu'il  fit  renforcer,  les  troupes  que 
le  Duc  d'Efpcrnon,  qui  ciloit  allé  en  fon  Gou- 
vernement de  Normandie ,  luy  envoy  oit,  &  tous 
les  paiTages  au  deflus  &  au  delTous  de  la  riviè- 
re qui  cltoient  occupez,  mettent  l'allarme  par- 
mi ces  mutins,  qui  le  croyant  déjà  perdus, im- 
plorent le  fecours  du  Duc  de  Guiie.  Ce  Prince 
qui  s'eftoit  avancé  de  Reims  julqu'a  Soiflbns 
pour  appuyer    le  Duc  d'Aumalc   fon  coufin 
qui  trouvoit  de  la  réfiftance  &  de  la  peine  à 
s'établir  dans   le  Gouvernement  de  Picardie, 
fe  contenta  d'abord  de  leur  envoyer  quelques-- 
uns  de  fcs  plus  expérimentez  Capitaines ,  pour 
reo;ler  6c  conduire  leur  milice  en  cas  de  bcioin. 
Mais  comme  il  le  vit  peu  de  jours  après  plus 
vivement  preffé  par  ces  gens  qui  ciloient  au 
deiclpoir,  de  qu'il  craignit  que  ce  fondement 


L   I  V    R    F.       I  I  I.  151  — 


de  la  Ligue  fur  lequel  il  avoir  hafli,  cflanc  iy!>8- 
unc  fois  renvcilé,  i!  ne  perift  luy-iTcfmc,  & 
qu'on  ne  vinll  a  luy  après  s'eftre  défait  de  ceux 
dont  il  eftoit  en  effet  le  Chef  &  lcProrecl:ur: 
il  fit  avertir  les  amis  &  les  créatures  de  te  ren- 
dre les  uns  après  les  autres,  par  différences  por- 
te';, à  Paris,  ôc  donna  ordre  qu'on  affeûrall  les 
Seize  qu'il  y  feroit  bientoll  luy -mefme  pour 
vivre  ik  mourir  avec  eux. 

Le  Roy  qui  eût  avis  de  cette  rcfolution ,  ôc 
qui  appréhenda  bien  fort  que  faprefence  n'em- 
pefchall  l'exécution  de  fon  deffein ,  &  ne  mift 
d'un  clin  d'oeil  en  armes  cette  grande  ville  qui 
cftoit  toute  à  ia  dévotion,  luy  envoya  le  Pré- 
fident  de  Bclliévre,  homme  de  grande  autorité. 
Se  d'une  lageffe  conlommée,  pour  luy  dire  de 
fa  part  que  dans  l'eftat  prêtent  des  choies,  &c 
dans  la  jufte  appréhenfîon  qu'on  avoit  que  ta 
venue  ne  caufalf  de  grands  troubles  dans  Pa- 
ris ,  il  ne  trouvoit  pas  bon  qu'il  y  vint  jut- 
ques  à  nouvel  ordre,  de  peur  qu'il  ne  te  rendift 
coupable  de  tous  les  defordres  qui  en  arrive - 
roient, 

A  cela  le  Duc, qui  ne  défîftoit  jamais  de  ce  d^viu. 
qu'il  avoit  une  fois  réfolu,  répond  froidement  M^m.  <i,  u 
&  en  termes  ambigus,  qu'il  eft  preft  d'obéir  ^'^^'^,^J; 
au  Roy;  qu'il  ne  prétendoit  aller  à  Paris  qu'en  '•  ^-  '•'• , 
riomme  prive  &  tans  tuite,  pour  le  juttirier  des  dt  m.  ujfii 
calomnies  dont  il  f(^avoit  bien  que  fes  ennemis  ^'' 
l'aycient  lafcbement  chargé  pendant  ion  ab- 


231      Histoire    de   la   Ligue. 


ï  j8  8.  fence;  qu'il  a  fujet  de  craindre  qu'on  ne  veuil- 
le opprimer  les  bons  Catholiques  dont  il  s'eft 
déclaré  le  Protc61:eur5&  qu'il  fupplie  tres-hum- 
blement  Sa  Majcfté  de  luy  vouloir  donner  quel- 
que fcûreté  contre  une  lî  jufte  appréhcniion. 
Belliévre  qui  i^avoit  qu'on  luy  promettroit  tout 
ce  qu'il  voudroit,  pourvcû  qu'il  ne  pafTaft  pas 
outre,  l'afTcûra  qu'on  luy  donneroit  toutes  les 
leûretez  qu'il  demandoit.  En  effet,  le  Roy  ré- 
folut  de  les  luy  envoyer  telles  qu'il  les  pouvoir 
fouhaiter.  Mais  le  malheur  voulut  qu'on  ne  le 
fit  pas  dans  le  temps  qu'on  avoit  arrcfté.  De 
forte  que,  fans  plus  difterer,il  monte  à  cheval, 
&  marchant  par  des  chemins  écartez,  pour  ne 
.  pas  rencontrer  ceux  qu'il  icavoit  bien  qu'on 
luy  envoyeroit  pour  luy  porter  de  nouveaux 
ordres,  il  entra  le  Lundy  neuvième  de  May, 
luy  neuvième ,  à  Paris ,  fur  le  midy,  par  la  porte 
de  Saint  Denis, 

On  peut  dire  en  quelque  manière  que  ce  fut- 
là  le  jour  le  plus  funefte  &  tout  eniemble  le 
plus  glorieux  de  fa  vie.  Car  loit  que  le  peuple, 
à  qui  les  Seize  prcnoient  arand  loin  de  faire 
accroire  qu'on  vouloir  laccager  la  ville,  fuft 
averti  par  eux  de  la  venue,  ou  que  le  bruit 
s'en  tuit  répandu  par  tout  en  un  inftant  dés. 
qu'on  le  vit  approcher  du  tauxbourg,  il  ne  l'eût 
pas  fitoft  palle,  que  route  la  ville  accourue  de 
'  'tous  les  quartiers  remplit  toute  la  rue  &  tou- 
tes les  autres  iur  fon  pallngc,  &c  toutes  les  fe- 

ncflres 


\ 


L  I  V  R  E     T  1 1.  133 

neftrcs  jufqu'aux  toits,  faifant  retentir  l'air  de  1588. 
mille  fortes  d'acclamations  ôc  des  hauts  cris  de 
Vive  Guife,  qu'on  poufToit  avec  plus  de  force 
&  d'éclat  qu'on  ne  faifoit  auparavant  ceux  de 
Fii;e  le  Roy,  dont  la  Ligue  fembioit  avoir  entre- 
pris d'abolir  l'ulagc. 

Il  y  avoir  de  la  manie  dans  ce  tranfport,  ou 
plijtoft  dans  ce  furieux  emportement  de  joyc, 
qui  alloit  julqu'a  une  efpcce  d'idolâtrie.  On  le 
battoit  à  qui  approcheroit  le  plus  prés  de  ce 
Prince.  Ceux  que  la  foule,  qu'ils  nepouvoienc 
percer,  en  éloignoit,  tendoient  vers  luy  les  bras 
en  joignant  les  mains.  Ceux  qui  le  pouvoienc 
atteindre,  s'ellimoient  heureux  de  luy  pouvoir 
toucher  le  bout  du  manteau  ou  la  botte.  Il  y 
en  avoit  meime,  qui,  quand  il  pafToit  devant 
eux,  flechiflbicnt  les  genoux,  &  quelques-uns 
qui  s'effor<^oient  de  le  toucher  avec  leurs  cha- 
pelets qu'ils  baiioient  aufiltoft  après  qu'ils 
croy oient  avoir  eii  ce  bonheur,  comme  l'on 
fait  quand  on  révère  les  Chail'es  des  Saints.  On 
luy  donnoit  mille  louanges  ëc  mille  benedi- 
^lons.  On  l'appelloit  hautement  Pillier  de  l'E- 
glile,  Souftien  de  la  Foy,  Protecteur  des  Ca- 
tholiques, Sauveur  de  Pans,  &:  l'onfaiioit  tom- 
ber fur  luy  de  toutes  les  feneftres  une  pluyc 
de  fleurs  &c  de  verdure  en  redoublant  les  cris 
de  ViueGuife. 

Enfin  il  n'y  eût  point  de  démonftrations  & 
de  témoignages  d'amour^  d'honneur  &  de  ve* 

■■  ,  ^       Gg_ 


134      Histoire    ce   la    Ligue, 


ijSS.  ncration  qu'on  ne  fîft  éclater  en  cette  entrée 
tumultucufe  qu'on  luy  fit  par  ce  foudain  dé- 
bordement de  joye,  &  par  ce  merveilleux  épan- 
chement  de  cœur  &c  d'affedion  qui  luy  fut  une 
elpecc  de  triomphe  plus  agréable  que  ceux  des 
Céfars.  Aufïî  en  goufta-t-il  toute  la  douceur 
avec  un  extrême  plaifir,  marchant  à  petit  pas 
à  cheval,  au  travers  de  cette  grande  foule,  le 
chapeau  bas,  regardant  tout  le  monde  avec  un 
fourirc  obligeant,  &  de  cet  air  civil  &c  enga- 
geant qui  luy  cfloit  fi  naturel ,  faliiant  à  droit 
&  à  gauche,  en  bas,  &  aux  feneftrcs,  jufqu'aux 
plus  petits ,  tendant  la  main  aux  plus  proches , 
jettant  aux  plus  éloignez  des  œillades  douces 
ôc  perçantes,  &c  marcha  toujours  de  la  forte 
jufques  à  l'Hoflcl  de  la  Reine  Mère,  prés  de 
Samt  Euftache  où  il  fut  defccndrc,  &  de  là  jus- 
qu'au Louvre,  fuivant  à  pied  cette  Princeffe, 
qui  fe  mît  en  chaife  pour  le  mener  au  Roy,  6c 
fut  témoin  de  ces  incroyables  tranfports  de  la 
joye  publique,  &c  des  acclamations  de  cette 
multitude  innombrable  de  peuple,  laquelle  luy 
faifoit  entendre  à  tout  moment  le  nom  de  Guifc 
par  plus  de  cent  mille  bouches. 
MlTMhon.  Cependant  le  Roy,  qui  avoit  appris  avec 
une  extrême  colère  cette  foudaine  arrivée  du 
Duc,  eftoit  enfermé  dans  fon  cabinet,  où  il 
délibcroit  fur  la  vie  &c  fur  la  mort  de  ce  Prin- 
ce, qui  par  une  aveugle  témérité  s'alloit  pré- 
cipiter luy  feul  dans  un  danger  inévitable,  d'où 


L   I  V   R  E      I  I  ï.  1}^ 

fà  feule  bonne  fortune,  de  laquelle  pourtant    1588. 
il  n'elloit  pas  le  maillre,  le  pouvoit  tirer.  Quel- 
ques-uns, &c  entre  autres  l'Abbé  d'Elbenc  &c 
le  Colonel  Alphonfe  d'Ornano ,  avec  les  plus 
déterminez  d'entre  ces   Gafcons  que   le  Duc 
d'Elpernon  avoit  mis  parmi  les  quarante -cinq 
auprès  du  Roy,  confeiUoicnt  à  ce  Prince  chan- 
celant &:  irréfolu  de  s'en  défaire  iur  le  champ , 
ayant  un  fi  beau  prétexte ,  &  tant  de  facilité 
de  le  venger  à  coup  feûr  de  ion  iujet  rebelle, 
qui  contre  fes  ordres  exprés  avoit  eii  l'audace 
d'entrer  dans  Paris,  pour  luy  faire  tentir  qu'il 
en  eiloit  maiftre  abiolu.    Les  autres  beaucoup 
plus  modérez,  comme  le  Chancelier  de  Chi- 
verny  &  les  fieurs  de  Belliévre,  de  la  Guiche, 
&  de  VUlequier  Gouverneur  de  Paris,  l'en  dil- 
fuadoient,  luy  remontrant,  outre  les  dangercu- 
fes  fuites  que  pouvoit  avoir  en  cette  conjon- 
dure  une  fi  terrible  adion,  qu'il  falloir  tou- 
jours, pour  la  réputation,  &:  pour  garder  les 
loix  les  plus  inviolables  de  l'équité  naturelle  ^ 
qu'avant  que  de  paffer  outre,  il  oûïft  un  hom- 
me qui  fe  venoit  mettre  il  tranchement  entre 
les  mains  de  ion  Roy  pour  luy  rendre  compte 
de  la  conduite. 

Là-deiTus,  comme  il  balanc^oit  encore  entre 
la  colère  &:  la  crainte ,  incertain  de  ce  qu'il  fc= 
roit,  le  Duc  qui  avoit  paflé  au-travers  des  Gar= 
des  Franc^oiies  commandées  par  Grillon  qui 
ne  l'aimoit  gueres,  ôc  des  Suifles  rangez  en 


13^       HiSTOÏRE     DE     LA     LiGUE. 

ij88,  haye  le  long  du  grand  cfcalierj  &c  traveiTé  la 
falle  &  l'antichambre  toutes  remplies  de  gens 
qui  répondoient  aflez  mal  à  fes  falùades  &  à 
fcs  révérences,  entre  dans  la  chambre,  couvrant 
une  frayeur  foudaine  qui  le  faifit,  tout  intré- 
pide qu'il  eftoit,  d'une  contenance  de  d'une 
mine  qui  ne  parut  pas  pourtant  fî  afleûréc 
qu'on  ne  remarquaft  aifément  qu'il  euft  biea 
voulu  ne  s'eflre  pas  engagé  fî  avant,  particu- 
lièrement quand  une  PrincefTe  luy  dît  à  l'oreil- 
le, qu'il  prill  garde  à  luy,  &  qu'on  déliberoit 
de  la  mort  dans  le  cabinet.  Sur  quoy,  comme 
fon  courage  s'enflammoit  à  la  veûc  des  plus 
grands  périls,  il  fe  raflcûra  tout-à-coup,  &  ne 
put  s'empefchcr,peut-eflre  par  un  mouvement 
purement  naturel  de  Ton  grand  cœur,  fans  mc£l 
me  qu'il  s'en  appcrceuft,  de  porter  la  main  à  la 
garde  de  fon  épée,  ôc  de  s'avancer  fièrement 
deux  ou  trois  pas,  comme  pour  fe  mettre  en 
cftat  de  vendre  chèrement  fa  vie. 

Mais  le  Roy  iortant  là-defTus  du  cabinet 
avec  Bellicvre ,  il  changea  foudain  de  pofture, 
luy  fit  une  profonde  révérence  en  fe  jettant 
prefque  à  fes  pieds,  &  luy  protcfta  que  n'ayant 
pas  cru  que  fa  prefcnce  luy  deuft  eflre  defagréa- 
ble ,  il  eftoit  venu  apporter  luy-melmc  fa  teftc 
pour  juftifier  pleinement  fa  conduite  contre 
les  calomnies  de  fes  ennemis,  ôc  pour  affeû- 
rer  Sa  Majcfté  qu'elle  n'auroit  jamais  de  plus 
édeUe  fcrviteur  que  luy.  Mais  comme  le  Ro^ 


L  1  V  R    B      I  I  I.  137 

luy  eût  demandé  d'un  ton  grave  6c  fcvere  qui  ij8  8. 
l'avoit  fait  venir,  &  fi  on  ne  luy  en  avoir  pas 
fait  très  -  exprcffe  défenfe  de  ia  part,  il  en  fal- 
lut venir  à  un  éclaircifTement,  où  il  y  eût  un 
f>eu  de  contcftation  entre  luy  &c  Belliévre  j  ce- 
uy-cy  fouftenant  qu'il  luy  avoit  expofc  les  or- 
dres du  Koy;  ôc  celuy-là  pour  toute  réponfc 
luy  demandant  s'il  ne  s'eftoit  pas  obligé  de  re- 
tourner au-plûtoft  à  Soiflbns,  ce  qu'il  n'avoic 
pas  fait,  &  proteftant  qu'il  n'avoit  point  re- 
ceû  les  Lettres  que  l'autre  alTeûroit  luy  avoir 


écrites. 


Alors  la  Reine ,  qui  bien  qu  elle  euft  paru  RW^n^«  da. 
fort  affligée  de  l'arrivée  du  Duc,  s'entendoit 
pourtant  avec  luy,  les  interrompit,  &c  tirant  le 
Roy  Ton  fils  à  part,  elle  tourna  fi-bien  fon  ef^ 
prit ,  que  foit  qu'elle  luy  euft  fait  appréhender 
une  révolte  générale  de  tout  Paris  qu'elle  avoic 
veii  fi  hautement  déclaré  pour  le  Duc  de  Gui- 
fe,  foit  qu'il  fuft  adouci  par  la  manière  hum- 
ble &c  foumile  dont  ce  Prince  luy  avoit  parlé, 
il  fe  contenta  pour  lors  de  luy  dire  que  fon  in- 
nocence qu'il  luy  vouloit  prouver  paroiftroic 
fi  fa  prefence  ne  caufoit  aucun  trouble  dans 
Paris,  &  là-deffus  il  s'alla  mettre  à  table,  re- 
mettant à  l'entretenir  plus  au  long  l'apreldiinéc 
au  jardin  de  la  Reine.  Alors  le  Duc,  après  une 
profonde  révérence ,  fe  retire ,  fans  elîre  fuivi 
de  pas  un  des  lerviteurs  du  Roy,  mais  aulfi-bien 
accompagné  de  toute  la  ville  jufqu'à  l'Hollei 


i3S       Histoire  delà  Ligue. 

I  ;  8  8.    de  Guife  qu'il  l'avoit  efté  depuis  la  Porte  Saint 
Denis  jufqu'au  Louvre, 

Comme  il  eût  fait  réflexion  fur  le  danger 
où  il  s'eftoit  fi  témérairement  jette,  &  qui  luy 
parut  encore  plus  grand  en  y  pcnfant  de  fcns 
raflis  qu'il  n'avoit  fait  dans  le  trouble  où  il  fe 
trouva ,  malgré  qu'il  en  euft ,  quand  il  s'y  vit 
engagé  fi  avant  :  il  réfolut  de  ne  s'y  plus  expo- 
fer  de  la  forte,  &  il  y  donna  fi  bon  ordre,  que 
dés  le  jour  fuivant  il  vit  en  fon  Hoftel  plus  de 
quatre  cens  Gentilshommes,  qui  s'eftant  rendus 
de  divers  endroits  à  Paris,  félon  fes  ordres,  ne 
l'abandonnoient  plus.  Il  n'alla  mefme  cette 
aprefdilnée  au  jardin  de  la  Reine  que  fort  bien 
accompagné  de  les  plus  braves  Olficiers,  entre 
lefquels  le  Capitaine  Saint  Paul  voyant  qu'a- 
prés  que  fon  Maiftre  fut  entré ,  celuy  qui  gar- 
doit  la  porte  la  vouloit  fermer,  le  repouffa  ru- 
dement ,  &c  entra  de  force  fuivi  de  fes  compa- 
gnons, proteftant  3c  jurant  que  la  partie,  s'il 
y  en  avoit  une  de  faite,  ne  ie  joûëroit  pas  fans 
luy. 

Or  quand  le  Roy  auroit  eu  le  deffein  de  le 
faire  tuer  en  ce  jardin,  ce  que  je  ne  croy  pas, 
quoy-que  quelques-uns  l'aycnt  écrit,  il  clf  ailé 
de  voir  que  la  prclence  de  ces  braves  ^ens  fort 
rélolus  de  défendre  leur  Maiftre^  celle  de  la 
Reine,  qui  cftoit  en  tiers  dans  cet  entretien  3  la 
contenance  aflcûrée  du  Duc,  qui  de  temps  en 
temps  jcttoit  les  yeux  fur  fon  épée,  S>c  enfin 


Livre     III.-""        239 


cette  multitude  infinie  de  Parificns  qui  envi-    ij8  8. 
ronnoicnt  l'Hoftcl  de  la  Reine,  &  dont  plu- 
fîcurs  eftoient  montez  fur  les  murailles  du  jar- 
din, l'auroient  empelché  de  l'exécuter.  >: 

Pour  ce  qui  fc  paffa  entre  eux  en  cette  Con- 
férence, comme  je  n'en  trouve  rien  dans  les 
Mémoires  les  plus  exacts  de  ce  temps-là,  je  ne 
le  diray  pas,  ainfi  que  quelques-uns  ont  fait, 
par  une  licence  un  peu  poétique  de  certains  z>aviiM. 
Hiftoriens  qui  font  penfer  &c  dire  aux  crens , 
fans  leur  aveu,  tout  ce  qu'il  leur  plaift  qu'ils 
aycnt  dit&:  penfé.  Ce  qu'il  y  a  de  bien  certain, 
cit  qu'il  n'y  eût  rien  de  conclu  dans  ce  pour- 
parler,  &c  que  le  Roy  qui  avoir  rélolu  aupara- 
vant de  chafticr  les  plus  feditieux  d'entre  les 
Seize,  &r  d'eftre  le  Maiftre  à  Paris,  après  avoir 
bien  confulté  la  nuit  avec  ceux  aufquels  il  fe 
fîoit  le  plus,  demeura  ferme  dans  la  mefme  ré- 
folution,  &c  ne  voulut  pas  en  avoir  le  démenti 
pour  l'arrivée  du  Duc  de  Guife. 

A  cet  effet,  il  appella  le  lendemain  le  Prc-  ' 
voft  des  Marchands  ôc  les  Elchevins,  6c  leur 
commanda  de  faire  avec  les  Députez,  qui  fu- 
rent les  Seigneurs  de  Villequier  &  Fran(jois  d'O, 
une  exadc  recherche  de  tous  les  Eftrangers  qui 
cftoient  venus  depuis  quelques  jours  à  Paris  fans 
une  maniferte  neceilité,  &  de  les  faire  inccf-  ,^ 
famment  fortir  de  la  ville ,  lans  avoir  éo-ard  à 
qui  que  ce  foit.  C'ci\oit-là  manireil:emcnt  vou- 
loir aifoiblir  le  Duc  de  Guife,  le  réduire  à  ces 


i4<^       Histoire  de    la  Ligue. 

Ij88,  fept  ou  huit  Gentilshommes  avec  lefqucls  iî 
cftoit  entré  dans  Paris,  &  en  fuite  luy  aonncr 
lieu  de  croire  qu'on  vicndroit  à  luy  après  s'eftrc 
défait  des  autres. 

Pcut-eftre  avoit-on  ce  deffein,  comme  quel- 
ques-uns l'ont  conjecturé  avec  affez  de  vray- 
femblance.  Mais  fi  cela  cft  vray ,  il  y  en  a  qui 
croyent  que  félon  l'avis  qu'avoit  donné  l'Ab- 
,va.-  bc  d'Elbene,  il  euft  mieux  valu  commencer  par 
le  Duc  de  Guile ,  quand  on  le  tenoit  tout  {eu! 
enfermé  au  Louvre ,  de  ils  fe  fondent  fur  ce  que 
cet  Abbé  vouloit  dire,  en  citant  à  ce  propos 
ces  paroles  de  l'Ecriture  :  //  ejl  écrit,  Js  Jraperuy 
le  Pajleur,  &  le  trotipcan  Jera  difj)ersé.  Quoy  qu'il  en 
foit,  les  Parifiens  ne  manquèrent  pas  d'en  pren- 
dre l'alarme,  voyant  bien  que  ces  Eftrangers 
qu'on  leur  vouloir  ofter  n'eiloient  autres  que 
ceux  que  le  Duc  de  Guife  avoir  fait  venir  pour 
leur  défenfe  &  pour  la  fienne.   De  forte  que 
quand  on  voulut  exécuter  cet  ordre,  &C  faire 
cette  recherche  dans  les  mailons,  tout  le  mon- 
de s'y  oppofa  -,  de  le  bourgeois  s'obllina  telle- 
ment à  retenir  chacun  (on  hofte ,  que  les  Dé- 
putez &  les  CommiiTaires  craignant  une  émeu- 
te générale  par  tous  les  quartiers,  n'oierent  pal- 
fer  outre.  Et  cependant  le  Duc  de  Guile,  qui 
f»«r».  tCjnt.  cltoit  comme  l'ame  de  ce  grand  corps ,  ne  laïf 
Lfj//d.  foit  pas  d'aller,  mais  bien  accompagné,  au  Lou- 

vre, où  le  foir  melmc  du  jour  qui  précéda  les 
Bvirricades,  il  prelcnta  la  lerviette  au  Roy. 

Mais 


^    r  V  R    E       lîî.  i^j  

Mais  comme  après  le  bruit  du  tonnerre  ôc  ,j8  8 
les  éclairs  qu'on  voit  s'clancer  coup  fur  coup 
dune  greffe  nuée,  la  foudre  tombe  avec  un 
grand  éclat  luivi  d'un  furieux  orage  qui  dcfo- 
le  toute  une  campagne  :  ain/î  après  ces  crain- 
tes &  ces  défiances  réciproques ,  ces  Afîcm- 
blées  qui  fc  tcnoient  la  nuit,  ces  murmures 
&  ces  menaces ,  Se  ces  préparatifs  qui  fe  fii- 
foient  de  part  ôc  d'autre  avec  tant  de  tumul- 
te, foit  pour  attaquer,  foit  pour  fe  défendre, 
on  en  vint  à  cette  funefle  journée  des  Bar- 
ricades ,  qui  fut  liiivie  d'un  horrible  délu- 
ge de  malheurs  dont  toute  la  France  fut  inon^ 

Car  cnfîn,  le  Roy  plus  irrité  que  jamais  par 
la  reiiltance  qu'on  failoit  à  les  ordres,  &  ré- 
folu  de  fe  faire  obéir  d'une  ou  d'autre  maniè- 
re, fît  entrer  les  Gardes  Françoifes,  quelques  au- 
tres Compagnies  &  lesSuilTes,  qui  faifoicnt  en  i>>*''%»- 
tout  quelque  fix  mille  hommes,  le  Jeudy  dou- 
zième de  May,  dés  la  pointe  du  jour,  par'la  pot- 
te  Samt  Honoré,  ou  il  futluy-mefme  à  che- 
val les  recevoir,  &  après  avoir  donné  ordre  à 
leurs  Commandans  de  les  porter  ou  il  vouloit 
il  leur  recommanda  fur  tout  de  ne  faire  aucuiî 
deplaifir  aux  Bourgeois,  ^  de  réprimer  feule- 
ment l'mfolence  de  ceux  qui  cntreprendroient 
d'empeichcr  qu'on  ne  filf  la  recherche  des  Ef- 
trangers.   Après  quoy,  s'eftant  retiré  au  Lou- 
vre, les   Mareichaux    d'Aumont  ôz  de  Biron 

Hh 


^42'     Histoire    de   la  Ligue. 


ij-8  8.-  qui  eftoicnt  à  la  telle  des  troupes,  les  allèrent 
poller,  tambour  bâtant,  au  Cimetière  Saint  In- 
nocent &c  aux  environs,  fur  le  Pont  Noftre- 
Damc ,  fur  celuy  de  Saint  Michel ,  fur  le  Pont 
au  Change,  à  l'Hollel  de  Ville,  à  la  Grève, & 
aux  avenues  de  la  Place- Maubert. 

Il  parut  bientoft  par  les  effets  que  c*eiloit-là 
jullement  donner  le  fignal  d'une  fcdition  &c 
d'une  révolte  générale  dans  tout  Paris,  Com- 
me le  bruit  couroit  que  le  Roy  avait  réfolu  de 
faire  mourir  un  grand  nombre  des  principaux 
de  la  Li^ue ,  dont  mcfme  on  faifoit  voir  de 
faufics  liftes  qu'on  femoit  parmi  le  peuple,  le 
Bourgeois,  fuivant  l'ordre  des  Capitaines  &  des 
Dixeniers,  fc  tenoit  tout  prelf  à  fe  mettre  en 
défenle  au  moindre  mouvement  que  l'on  fe- 
roit.  C'eft  pourquoyjdés  qu'on  entendit  le  fon 
des   tambours  éc  des  fifres ,  &c  qu'on  vit  les: 

.- :  '  ■  Suifles  6c  les  Gardes  s'avancer  dans  la  rue  Saint 
Honoré,  on  ne  douta  plus  que  ce  bruit  que 
les  Seize  avoient  fait  courir  ne  fuft  véritable, 
&  mefme,  comme  ils  l'afleûroient ,  qu'on  ne 
vouluft  cxpofer  la  Ville  au  pillage.  C'eft  pour- 
quoy  l'alarme  fut  auflitoft  par  tout.  On  com- 
mença par  fermer  les  boutiques  de  les  portes 
des  mailons  ôc  des  Eglifes  de  ce  quartier -là. 
On  fonna  le  tocfin  dans  une  Paroifle ,  puis 
dans  une  autre,  à:  un  moment  après  dans  tou- 
tes celles  de  Pans ,  comme  fi  le  feu  euft  eftc 
dans  tous  les  quartiers. 


Livre     III.  143 

-  "  Alors  le  Bourgeois  (ort  en  armes  fous  fcs  1588. 
Dixcnicrs ,  6c  fous  les  Capitaines  &  les  autres 
Officiers  du  Duc  de  Guilc  qui  s'eftoicnt  méfiez 
parmi  eux,  pour  les  animer,  &  pour  les  inllrui- 
re.  Le  Comte  de  BrilLic,  qui  le  trouva  pour 
lors  au  quartier  de  rUniverùté  vers  la  Place- 
îviaubert,  où  Crucé,  l'un  des  plus  échauffez 
des  Seize,  faifoic  crier  Talarme  environné  d'une 
mfinicé  d'écoliers,  de  porte- faix,  de  battelicrs 
&  d'artilans  tous  armez,  &  qui  n'attendoicnt 
que  le  fîcrnal  pour  donner  fur  les  Suilles,  fut  le 
premier  qui  fit  tendre  les  chailnes ,  dépaver  les 
rues ,  6c  drcflcr  des  Barricades  avec  de  o-roffes 
pièces  de  bois  &c  des  tonneaux  remplis  de  terre 
ôc  de  fumier,  aux  avenues  de  la  Placer  &  ce 
mot  de  Barricades  palTant  en  un  moment  de 
bouche  en  bouche  de  l'Univerfiré  dans  la  Cité, 
6c  de  la  Cité  dans  la  Ville,  on  fit  le  metine  par 
tout,  &:  avec  tant  de  promptitude,  qu'avant 
midy  ces  Barricades  que  l'on  poufloit  de  rue 
en  rué ,  de  trente  pas  en  trente  pas ,  bien  flan- 
quées &:.^arnies  de  Mouiquetaires,  furent  avan- 
cées julqu'à  cinquante  pas  du  Louvre.  De  lor- 
te  que  les  foldats  du  Roy  fe  trouvèrent  telle^ 
mentçnvclopez,  qu'ils  ne  pouvoient  ni  avancer 
ni  reculer, ni  taire  k  moindre  mouvement  lans 
s'expolcr  munlement  au  danger  inévitable  d'cf- 
tre  percez  des  moulquetades  que  le  Bourgeois 
leur  tiroit  à  coup  feûr  de  derrière  les  Barrica- 
des, ou  d'eibe  alfommez  d'une  grefle  de  pavç:§ 

Hhi) 


±44       Histoire  de  la  Lîgue. 

I  j8b\    qu'on  faifoic  tomber  fur  eux  de  toutes  les  fe- 
nêtres. 

Les  Marefchaux  d' Aumont  Se  de  Biron ,  Se 
Villequier  Gouverneur  de  Paris,  avoient  beau 
crier  aux  Bourgeois  qu'on  ne  leur  feroit  aucun 
mal.  Ceux-cy  eiloienc  trop  échauffez  pour  les 
écouter,  &  croyoient  plus  à  ce  que  Briflac, 
Bois -Dauphin,  Se  les  autres  créatures  du  Duc 
de  Guile  leur  crioicnt  pour  les  animer  contre 
les  Royalirtes  y  qu'on  n'avoir  fait  entrer  ces  trou- 
pes que  pour  faire  un  maflacre  général  de  tous 
les  bons  Catholiques  qui  elloient  entrez  dans 
la  Sainte  Union,  é<.  pour  abandonner  auloldac 
leurs  maifons,  leurs  biens  &  leurs  femmes.  Suc 
quoy  l'on  redoubloit  les  coups  de  moufquet 
Se  de  pierre  lur  ces  pauvres  gens,  Se  iur  tout 
lur  les  Suilfes,  que  le  Bourgeois  ne  vouloir  pas 
qu'on  épargnait. 

Il  y  en  eiit  plus  de  foixante  de  tuez  ou  de 
grièvement  bleffez,  tant  au  Cimetière  Saint  In- 
nocent qu'au  bas  de  la  Place -Maubert,  fans 
qu'on  voululf  leur  donner  de  quartier:  julqu'a, 
ce  que  BrilVac,  qui,  l'épée  à  la  main,  fiifoit  tou- 
jours pouffer  plus  avant  les  Barricades,  arrivant 
la,  Se  voyant  ces  pauvres  Eftrangers  qui  crioienc 
mifcricordc  à  deux  genoux  Se  les  mains  join- 
tes. Se  faifoient  le  ligne  de  la  Croix,  pour  mon- 
trer qu'ils  cftoient  bons  Catholiques,  arreffa  la 
furie  bourgeoife  ;  Se  leur  faiiant  crier  f^ive  Gnije^ 
ce  qu'ils  faiioient  le  plus  haut  qu'ils  pouvoient 


Livre     III.      *  -i      i4j 

pour  Guver  leur  vie,  il  Te  contenta  de  les  me-    i;8  8. 
ncr  defarmcz  &  prifonniers  dans  la  Boucherie 
du  Marché  neuf  par  le  Pont  Saint  Michel  donc 
il  s'elloïc  déjà  rendu  maillre. 

On  ne  peut  nier  que  ce  Comte  n'ait  ell:é  ce- 
luy  de  tous  les  Ligueurs  qui  agît  avec  plus  d'ar- 
deur contre  les  Royalilles  en  cette  fatale  jour- 
née. Comme  il  elloit  extrêmement  aigri  de  ce 
que  le  Roy  luy  avoir  retuic  l'Admirauté,  &: 
qu'en  la  luy  refufant  il  avoit  dit  d'une  maniè- 
re fort  defobligeante ,  que  c'eitoit  un  homme  o'^^'i»*'. 
qui  ne  valoir  rien  ni  iur  terre  ni  fur  mer,  en 
l'accuiant  de  n'avoir  pas  bien  fait  en  la  batail- 
le des  Axjorcs,  où  la  tiotte  de  Philippes  StrolTi 
fut  défaite  par  le  Marquis  de  Sainte  Croix,  il 
brûloir  d'envie  de  s'en  venger.  Et  comme  il 
vit  les  foldats  enfermez  de  tous  coitcz  entre  les 
Barricades  dont  il  avoit  ell:é  l'Auteur,  ôc  les 
Suifl'es  à  fa  dilcretion,  on  dit  qu'il  s'écria,  com- 
me infultant  au  Roy  par  une  raillerie  piquan- 
te, &  s'applaudifl'ant  à  loy-melme:  l^«  moins 
le  Roy  Jf aura  quaujourd'huy  faytjvwve  mon  élément, 
(^  que  ft  je  ne  Juii  bon  ni  fur  terre  ni  fur  mer,  je 
ijjius  ouelque  chofe  fur  le  ta'vé.  ■■'''  .  '--'■* 

C'eit  ainlî  que  le  peuple  poufîoit  toujours 
les  avantages  plus  avant,  &  fembloit  mefme 
cibe  déjà  liar  le  point  d'inveftir  le  Louvre,  tan- 
dis que  le  Duc  de  Guile,  par  les  ordres  lecrets 
duquel  tout  feconduiloit  avec  beaucoup  d'or- 
dre dans  cette  effroyable  confulion,  le  prome- 

Hh  iij 


z4<J      Histoire  de  la  Ligue. 

ij88.  noit  prcfquc  tout  (èul  en  Ion  Hoftel,  répon- 
dant Froidement  à  la  Reine  &  à  ceux  qui  ve- 
noicnt  à  luy  coup  fur  coup  de  la  part  du  Roy, 
pour  le  prier  d'appaifer  ce  tumulte ,  qu'il  n'ef- 
toit  pas  mairtre  de  ces  beftes  féroces  échappées 
qu'on  avoit  eu  grand  tort  d'irriter  comme  on 
avoit  fait. 

Mais  enfin  quand  il  vit  que  tout  eftoit  à  fa 
difcretion,  il  alla  luy-mefme  de  barricade  en 
barricade  avec  une  baguette  à  la  main,défen- 

:\i^:^>.  dant  au  peuple  qui  luy  obéiffoit  aveuc^lément, 
de  palTcr  plus  outre,  &  l'exhortant  à  le  tenir 
fjmplemcnt  iur  la  défenfivc.  Il  parla  melme 
fort  civilement  aux  Gardes  Françoifes,  dont  il 
euil  pu  alors  ditpoicr  comme  il  luy  euil  plû.  Il 
fe  plaignit  feulement  à  leurs  Officiers  des  con- 
feils  violens  que  fcs  ennemis  avoient  donnez 
au  Roy  pour  opprimer  ion  innocence  &c  celle 
de  tant  de  bons  Catholiques  qui  ne  s'eftoienc 
unis  que  pour  maintenir  l'ancienne  Reliçrion. 
Après  quoy  il  donna  ordre  au  Capitaine  Saint 
Paul  de  reconduire  au  Louvre  ces  ibldats,  mais 
les  armes  bafl'cs  &  telle  nue  en  pofture  de  vain- 
cus, pour  donner  cette  iatisfaclion  aux  Pari- 
j(iens,  qui-  regardoient  avec  joye  ce  Ipedlacle, 
comme  le  plus  agréable  eiïet  de  leur  victoire, 
U  y  fit  aulli  remener  les  Suiflcs  de  la  meime 
ipanierc  par  Brillac  j  &:  fit  due  au  Roy  que  pour- 
veû  que  la  Religion  Catholique  full  en  feûrecé 
&  m^in.tçiiuë  en  France  çjx  l'eilat  qu'elle  y  de- 


I    ! 
1  «. 


Livre     III,  i47  — 

voit  cflrCjd:  que  luy  &c  les  ficns  fiilTent  mis  à    i;8  8. 
couvert  des  cntrcpnlcs  de  leurs  ennemis,  ils  luy 
rcndroient  tous  les  Icrvices  que  de  bons  fujcts 
doivent  à  leur  fouverain  Seigneur. 

Cela  fait  voir  afl'ez  clairement,  ce  me  femblc, 
que  jamais  ce  Prince  n'eût  intention  de  le  iaifir 
de  la  personne  du  Roy,  &c  de  l'enfermer  dans 
un  monallerc,  comme  ce  Nicolas  Poulain  qui 
luy  donnoit  tant  de  faux  avis,  de  plufieurs  E- 
crivains  de  l'une  de  de  l'autre  Religion  l'ont 
voulu  faire  accroire  au  monde.  Car  s'il  l'cuft 
cû,  qui  l'empcfclioit  de  faire  invertir  le  Lou- 
vre, comme  il  le  pouvoit  aifément  le  melmc 
jour,  en  failant  poull'er  dans  la  chaleur  de  ce 
tumulte  les  Barricades  plus  avant  ?  Et  Pour- 
quoy  renvoyer  au  Roy  les  Gardes  Suifl'es  &c 
Francoifes,  s'il  l'euft  voulu  attaquer  dans  fon 
Louvre?  Ce  n'eftoit  pas  là  ce  qu'il  prétendoit; 
mais  bien  de  détendre  &  de  protéger  haute- 
ment fes  Ligueurs ,  ô*:  de  fe  fervir  d'une  con- 
joncture il  favorable  pour  obtenir  les  chofes 
qu'il  demanda ,  &  qui  fans  doute  l'euflent  mis 
en  cftat  de  pouvoir  monter  fur  le  Trône  après 
la  mort  du  Roy,  &  de  fe  rendre  maiftre  ablblu 
des  affaires  durant  tout  fon  Règne. 

En  effet,  comme  la  Reine  eût  entrepris  de 
faire  l'accommodement,  croyant  pouvoir  ren- 
trer par  là  dans  les  affaires  dont  les  Favoris  l'a- 
voient  éloignée,  &  qu'elle  luy  eût  demandé  ce 
qu'il  prétendoit ,  il  propofa  des  chofes  fi  étran- 


14S       Histoire  de  la  Ligue. 

ij88.     gcs,  &  avec  tant  de  hauteur  &  de  réfolution, 
parlant  en  vainqueur,  qui  veut  difpofer  comme 
il  luy  plaiil  de  la  fortune  du  vaincu,  que  toute 
adroite  qu'elle  eftoit  à  tourner  les  efpnts,  elle 
dercfpera  d'abord  de  pouvoir  réiiiTir,  Carcnche- 
riflant  encore  fur  les  Articles  de  Nancy,  il  de- 
manda, ^e  mur  U  feurcté  de  la  Religion  Catholi- 
que dans  ce  Royaume ,  le  Roy  de  Navarre  (^  tous  les 
Princes  de  la  Afaifon  de  Bourbon  qui  l' avaient  fui - 
vi  dans  ces  dernières  guerres ,  fujjent  dalarc^  dcchcùs 
à  perpétuité  du  droit  de  fucceder  à  la  Couronne.    J^e 
le  Duc  d'Efhernon ,  la  Vallette  fon  jrere  j  François- 
d'O,  les  Adanfchaux  de  Ret-^  &  de  Biron,  le  Co- 
lonel uélphonfe  d'Ornano,  &  tous  les  autres ,  qui  com- 
me ceux-  cj  ejloicnt  fauteurs  des  Huguenots ,  ou  mef- 
me  qui  Ce  trouveraient  avoir  quelque  intelligence  avec 
eux ,  fu  fient  prive':^  de  leurs  Gouvememens  ç^  de  leurs 
Charges  j  &  bannis  de  la  Cour ^  fans  eflerance  d'y 
pouvoir  jamais  rentrer.    Qu'on  donnajî  la  dépouille  de 
aux-cy  aux  Princes  de  Ja  Adaijcn  ^  ^  aux  Seigneurs 
qui  ejîoient  tout  à  fa  dévotion ,  dont  il  fit  une  longue 
lifire.  ^ue  le  Roy  caffajl  fa  garde  des  Quarante  -  cinq 
inconnue  à  fe s  Prédecejjeurs ,  protefiant  qu'autrement 
il  ne  pourrait  jamais  prendre  confiance  en  luy  y  ni  ap- 
procher de  fa  perfonne.   ^luilplufi  k  SaÀiajcfié  de  le 
déclanr  fon  Lieutenant  Général  dans  tous  fes  Efiats , 
avec  la  mefme  autorité  que  le  feu  Duc  de  Guife  forp 
père  avait  eue  fous  le  Règne  de  François  J I.  moyen- 
nant quoy  il  cfperoit  de  luy  rendre  fi  bon  compte  des 
Huguenots ,  que  dans  peu  de  temps  il  n'y  aurait  plus 

que 


L  I  V  R  ï     I  T  1.  '       ■•^'       149 

que  la  feule  Religion  Catholique  en  tout  fon  T^jait-  1^88. 
Pie.  Enfin  que  l'on  affembLjl  au  flûtcfl  les  EJl.its  Gé- 
néraux a  Pans  ou  tout  cela  fî^Jl  confirmé,  ^  où  pour 
emt>efcher  à  l'avenir  que  les  Favoris ,  qui  voulaient 
diffofer  de  toutes  chofes  comme  il  leur  plaifoit,  na~ 
hufufjent  de  leur  faveur,  on  établifi  une  fur  me  immua- 
ble de  gouvernement  que  le  Roy  mefme  ne  pounoit 
changer. 

Il  eft  tout  évident  que  des  demandes  lî  dé- 
raifonnablcSjfi  hautaines  &  fi  choquantes  ten- 
doient  à  mettre  tout  le  Gouvernement  de  le 
pouvoir  entre  les  mains  du  Duc,  qui  citant 
maiftrc  des  Armées ,  des  Charges  &  des  Gou- 
vernemens  des  principales  Provinces  par  luy- 
meime ,  par  les  parens ,  ôc  par  fes  créatures ,  dc 
des  Eftats  où  il  ne  doutoit  point  qu'il  ne  deuft 
eftre  tout  puiflant,  principalement  à  Paris,  dif- 
poferoit  de  tout  abfolumcnt.  De  Ibrte  qu'il 
ne  luy  manqueroit  plus  que  le  Trône ,  auquel 
il  y  a  bien  de  l'apparence  qu'il  prétendoit  pour 
lors,  s'il  furvivoit  au  Roy,  a  l'exclufion  des 
Bourbons ,  lefquels  il  vouloir  faire  déclarer  in- 
capables d'y  monter. 

C'ejft  pourquoy  la  Reine  voyant  qu'il  ne  vou- 
loit  rien  relalcher  de  ces  articles,  &  commen- 
tant à  craindre  qu'il  ne  fift  plus  qu'elle  ne  vou- 
loir, confeiUa  elle-melme  au  Roy  de  fortir  prom- 
ptemcnt  de  Pans  tandis  qu'il  le  pouvoir  encore. 
Et  quoy-que  quelques-uns  de  les  principaux 
Officiers,  comme  entre  autres  le  Chancelier  de 

II 


i;o       Histoire  de  la  Ligue. 


ï  ;  8  8.  Chivcrny,  Ôc  les  ficurs  cie  Ville-Roy  &  de  Ville- 
quier,  qui  croyoient  qu'on  gagncroit  plus  p.ir  la 
négotiation,  de  prévoyoient  que  les  Huguenots 
&  le  Duc  d'Efpernon,  qu'ils  n'avoicnt  pas  fujet 
d'aimer,  tireroient  avantage  de  cette  retraite  peu 
digne  d'un  Roy,  tafchaflent  de  l'en  détour- 
ner: mille  faux  avis  qui  luy  venoient  à  tous 
momens  qu'on  l'alloit  invelHr,  de  fa  timidité 
ordinaire,  jointe  à  la  défiance  qu'il  avoit  du 
Duc  de  Guife,  lequel  il  confîderoit  alors  com- 
me fon  plus  grand  ennemi,  luy  firent  enfin 
prendre  ce  parti. 
A^lTn" ^'  Ainfi le  lendemain, fur  le  midy, pendant  que 
jouniaiMs.  [^  Reine  eftoit  allé  faire  des  propofitions  au 

dAnt.Loyfcl.  r         ^  r  ■  ^ 

Duc  pour  ramuler,  le  Roy  teignant  de  s'aller 
promener  aux  Tuilleries ,  prit  la  bote  dans  fes 
écuries,  &c  montant  à  cheval  accompagné  de 
quinze  ou  ieize  Gentilshommes  &c  de  dix  ou 
douze  Valets -de -pied  ,  ayant  fait  avertir  les 
Gardes  de  le  fuivre ,  il  fortit  par  la  porte  Neu* 
ve  ,  allant  toujours  au  grand  galop ,  de  peur 
d'ellre  fuivi  des  Pariiîcns,  jufqu'à  ce  qu'ellant 
arrivé  au-dclfus  de  Challiot,  il  s'arrelta  pour 
regarder  Paris.  On  dit  que  reprochant  alors  à 
cette  grande  ville  qu'il  avoir  toujours  hono^ 
rée  &  enrichie  par  fa  prefencc ,  fon  ingratitude, 
il  jura  qu'il  n'y  rentreroit  jamais  que  par  la 
brefchc,  pour  la  mettre  en  eftat  de  ne  pou- 
voir plus  jamais  s'élever  contre  ion  Roy.  Puis 
il  alla  coucher  à  Trappes ,  &  fc  rendit  le  jour 


L    I  V   R    E       I  I  I.  2JI  

fuivant  à  Chartres ,  ou  les  Officiers,  les  gens  de  1588. 
Ion  Confcil ,  &  les  Courcilans  allèrent  au/Ti  les 
uns  aprcs  les  autres  en  fort  grand  dclordrc, 
ceux-cy  à  pied,  ceux-là  à  cheval  &  fans  botes, 
quelques-uns  lur  leurs  muUcs  &en  robbe,  cha- 
cun s'eftant  échapé  comme  il  put ,  6c  fort  à  la 
halle,  de  peur  d'élire  arrcftéi  tous  enfin  à  peu 
prés  en  l'eftat  où  eftoient  les  gens  de  David  au 
Ibrtir  de  Jerulalem,  allant  en  unpitovable  équi- 
page après  leur  pauvre  Maiflre  qui  fuyoit  de- 
vant le  rebelle  Ablalom. 

Le  Duc  de  Guite,  qui  d'une  part  n'avoit  pas 
voulu  poulTer  les  choies  à  l'extrémité,  afin  de 
pouvoir  faire  ion  Traité  avec  le  Roy  (ans  qu'on 
pull  dire  qu'il  n'eftoit  point  libre,  ôc  de  l'autre 
n'avoit  pas  cru  qu'il  Ce  deuft  retirer  de  la  for- 
te comme  fuyant  devant  les  Sujets,  qui  s'ef- 
tant arreftez  depuis  vingt -quatre  heures  à  cin- 
quante pas  du  Louvre  ne  le  mettoient  pas  en 
eilat  de  le  pourtuivre ,  fut  fort  furpns  de  cette 
retraite  laquelle  luy  rompoit  toutes  les  mefu- 
res  qu'il  avoit  priies.  Mais  comme  il  avoit  tou- 
jours une  admirable  prefence  d'efprit,  6s:  qu'il 
fcavoit  prendre  fur  le  champ  fort  réfolument 
fon  parti    en  toutes  les  rencontres  ,   quelque 
falcheuies  qu'elles  fuflent  :  il  prit  celuy  de  met- 
tre Pans  en  eftat  de  ne  rien  craindre ,  de  s'en 
rendre  maiftre  paifibie,  d'y  rétablir  toutes  cho- 
fes  dans  le  train  Se  dans  la  tranquilité  ordinal-      .    '   i 
re_,  &  de  faire  fc^avoir  à  toute  la  France,  à  ion      .'.  \  ^.'^ 

Il  ij 


> 


1^1       Histoire  de  la    Ligue. 


1588.  avantage,  comment  toutes  les  chofes  s'eftoient 
pafTées  à  la  journée  des  Barricades. 

^LMif'''  ^OMT  cet  effet,  il  s'empara  de  tous  les  lieux 

les  plus  forts  de  Paris,  du  Temple,  du  Palais, 
de  l'Hoflel  de  Ville,  des  deux  Chaftelets,  des 
Portes  où  il  mit  des  Gardes,  de  l' Arcenac,  &  de 
la  Baftille  qui  luy  fut  rendue  trop  facilement 
par  le  Gouverneur  Teil:u,  Se  dont  il  donna  le 
Gouvernement  à  Bufly  le  Clerc,  le  plus  auda- 
cieux des  Seize.  Il  oblicrea  les  Maeiftrats  à  ren- 
are  la  juftice  comme  auparavant.  Il  établit  un 
nouveau  Prevoft  des  Marchands,  des  Efchevins, 
un  Lieutenant  Civil,  des  Colonels  &  des  Capi- 
taines de  quartiers  tout  dévouez  à  la  Ligue,  en 
la  place  de  ceux  qui  luy  eftoient  fuipeâs.  Il  re- 
prit, lans  beaucoup  de  peine,  toutes  les  places  au 
defliis  &:  au  deiTous  de  la  rivière,  pour  avoir  li- 
bres les  paiTages  des  vivres.  Il  écrivit  enfin  au 
Roy,  aux  Villes,  &  à  les  amis  particuliers,  &  fît 

zettrts  dit     j^çg  Manifeftcs  d'un  ilile  où  il  n'y  avoit  rien  que 

DucdtGuife.  11//  11  -1^ 

w.m.  de  u    de  grand  5c  de  généreux  dans  la  manière  dont 
"'!'"'  —    ji  tafchoit  de  fe  julHfier,  fans  rien  perdre  du 
relpcct  qu'on  devoir  au  Roy,  protellant  tou- 
jours qu'on  effoit  tout  prefl  à  luy  rendre  une 
parfaite  obéiflance ,  6c  qu'on  ne  prétendoit  au- 
tre chofe,  finon  qu'on  pourveuil;  à  la  ieûretéde 
la  Religion  &  des  bons  Catholiques  qu'on  avoit 
voulu  opprimer  par  les  pernicieux  conieils  de 
w/»B.  dt  lê    ceux    qui  s'entendant  avec  les  Hérétiques  ne 
c^"/;.' /. /!"    fongcoicnt  qu'à  ruiner  la  Religion  t^  l'Eftac. 


Livre    ITT. 


2-53 


Ces  Lettres  jointes  à  celles  que  les  Parifiens    i  j8  8, 
écrivirent  aux  autres  Villes,  les   exhortant  à  ,        . 

•^  ,  Lettres  au 

s'unir  avec  eux  pour  leur  commune  conlcrva-  v-oy.tbt^ 
tion  dans  la  Foy  Catholique  j  &  celles  du  Roy 
qui  eftoient  au  contraue  d'un  ftilc  trop  mol,  &c 
où  il  paroiflbit  beaucoup  plus  de  crainte  &  d'ex- 
cufe  que  de  colère  &  de  jufte  plainte  d'un  fi 
grand  attentat ,  firent  que  la  plufpart  des  peu- 

{)les ,  bien  loin  de  fe  fcandaliler  des  Barricades, 
es  approuvèrent,  en  louant  hautement  la  con- 
duite du  Duc  de  Guiie ,  qu'ils  croyoient  cftre 
tout  rempli  d'un  très  -  grand  zèle  pour  la  Foy 
Catholique,  pour  le  bien  du  Royaume,  &  pour 
le  fervice  du  Roy.  Et  comme  il  ne  louhaitoit 
rien  tant  que  de  les  confirmer  en  cette  opinion, 
il  voulut  bien  que  les  Corps  envoyafl'ent  leurs 
Députez  au  Roy,  pour  fuppîier  trcs-humblement 
Sa  Majefté  d'oublier  le  pafTé,  &  de  retourner 
dans  fa  bonne  ville  de  Paris,  où  les  tres-fidel- 
les  Sujets  eftoient  tout  prefts  de  luy  donner 
toutes  les  marques  les  plus  éclatantes  de  leur 
obéïfTance  &  de  leur  dévouement  à  fou  fer- 
vice. 

Il  foufïrit  mefme  que  l'on  fift  des  Procellions 
en  habit  de  Penitens,  pour  demander  a  Dieu 
qu'il  luy  pluft  amollir  le  cœur  du  Roy.  Et  cela 
fe  fit  avec  tant  d'ardeur,  qu'il  y  en  eût  une  qui 
alla  de  Pans  iulqu'a  Chartres  en  un  équipao-e  c^yet-  , 
tout  extraordinaire  lous  la  conduite  du  tameux 
FrcreAnge.Ce  bon  Pcre  eftoit  Henry  dejoyeu- 

Il  iij 


LJ4       Histoire    de   la    Ligue. 


ij8  8.  fc,  Comte  du  Bouchage,  &  frcre  du  défunt 
Duc.  Il  s'efloit  fait  Capucin  depuis  un  an  ou 
environ,  ayant  erté  fi  fort  touché  de  la  mort 
&  des  bons  exemples  de  la  femme  Catherine 
de  Nogaret  locur  du  Duc  d'Efpernon,  &  du  de- 
fîr  de  fau^e  pénitence,  que  ni  les  larmes  de  fon 
frcrc,  ni  les  prières  &  les  carefles  du  Roy  qui 
l'aimoit  beaucoup,  ni  les  ardentes  iollicitations 
de  toute  la  Cour  ne  le  purent  jamais  détour- 
ner de  cette  rélolution  qu'il  prit  d'embraflcr 
une  vie  fi  aufterc.  Celuy-cy  donc  s'eftant  mis 
une  couronne  d'épines  fur  la  tefte  &  une  ^roi^ 
le  Croix  lur  les  épaules,  fuivi  de  fes  confrères, 
&  d'un  fort  grand  nombre  de  Penitens  &  de 
pcrfonnes  qui  repreientoient  par  leurs  habits 
les  divers  perlonnagcs  de  laPailion,  conduifit, 
en  chantant  des  Pieaumes  &  des  Litanies,  cette 
ProcelTion.  Elle  régla  tellement  (a  marche,  qu'el- 
le entra  dans  la  grande  Eclile  de  Chartres  com- 
me  le  Roy  y  eftoit  a  Velpres  j  &  en  y  entrant 
elle  fe  mit  à  chanter  d'un  ton  fort  luo-ubre 
le  Miferere,  tandis  que  deux  Capucins  frapoient 
a  grands  coups  de  fouet  fur  le  dos  découvert 
du  pauvre  Frère  Ange,  qui  par  une  application 
qui  n'cftoit  pas  trop  difficile  a  faire,  ni  trop 
avantaecuie  aux  Parificns,  fembloit  demander 
au  Roy  qu'il  leur  pardonnail:  comme  Jcfus- 
Chnll  avoit  bien  voulu  pardonner  aux  Juifs 
les  horribles  excès  qu'ils  avoient  commis  con- 
U'c  luy. 


Livre     III.  ij; 

Un  fpcdacle  fî  furprenant  produific  di-  1588. 
vers  mouvemcns  dans  les  cfprits  des  afïiftans 
lelon  leurs  différentes  dilpofîtions.  Les  uns  en 
furent  attendris,  les  autres  en  rirent,  quelques- 
uns  melme  s'en  falcherent,  &  fur  tout  le  Ma- 
reichal  dcBiron,que  ces  lortes  de  dévotions 
n'accommodoient  guerei,  &  qui  craignant  qu'il 
ne  le  fuit  meilé  parmi  ces  gens-là  quelques  dan- 
gereux Ligueurs  venus  exprés  pour  foulever  le 
peuple,  conieilloit  au  Roy  de  les  faire  tous  ar- 
refter.  Mais  ce  bon  Prince  ,  qui  nonobilant 
tous  fes  défauts  avoit  dans  l'ame  un  grand 
fonds  de  pieté,  de  beaucoup  de  rcfpecSt  pour 
tout  ce  qui  regarde  la  Religion,  rejetta  bien 
loin  ce  conleil.  Il  les  écouta  plus  favorablement 
encore  qu'il  n'avoit  oiiï  les  harangues  des  au^ 
très  Députez ,  de  leur  promit  de  leur  odroyer 
le  pardon  qu'ils  luy  demandoient  pour  la  Ville 
qu'il  avoit  toujours  tant  chérie,  pourveû  qu'el- 
le rentrait  dans  fon  devoir.  Et  certes ,  il  y  a 
bien  de  l'apparence  qu'il  l'euft  fait  deflors  très- 
volontiers ,  il  on  ne  l'euft  extrêmement  irrité 
de  nouveau,  en  luy  propofant  les  conditions 
aufquelles  on  prétendoit  avoir  cette  paix  qu'on 
luy  demandoit. 

Car  le  Duc  de  Guife,  à  qui  toutes  ces  belles 
apparences  pouvoient  beaucoup  fervir  &c  ne 
pouvoicnt  nuire,  de  qui  alloit  toujours  droit 
à  les  fins,  fceiit  ii  bien  ménager  l'ciprit  de  la. 
Reine  Mère,  qui  avoit  témoigné  d'abord  eftrç 


i;5       Histoire  ce  la  Ligue. 


ij8  8.  extrêmement  choquée  de  les  demandes,  qu'il 
la  fit  adroitement  rentrer  dans  fes  interefts  par 
deux  paffions  qu'elle  avoit  dans  i'ame.  Elle 
defiroit  de  faire  reener,  après  la  mort  du  Roy, 
fon  petit  -  fils  Henry  de  Lorraine  Marquis  du 
Pont,  &c  croyoitque  le  Duc  deGuife  y  contri- 
buëroit  de  fa  part  tout  ce  qu'il  pourroit.  Mais 
elle  ne  voyoit  pas ,  toute  habile  femme  qu'elle 
eftoit,  que  ce  Prince  ne  faifoit  que  l'amufer 
'  fur  un  point  fi  délicat,  auquel  il  aipiroit  fans 
doute  beaucoup  plus  pourluy-mcime  que  pour 
un  autre.  Elle  hailfoit  fort  le  Duc  d'Erpernon  5 
6c  comme  elle  croyoit  que  c' eftoit  luy,  qui  pof- 
fedant  l'efprit  du  Roy,  la  luy  avoir  rendue  fuf- 
pcâie,  elle  avoit  grande  envie  de  le  faire  fortir 
de  la  Cour,  croyant  par  là  pouvoir  rentrer 
dans  le  Gouvernement  dont  les  Favoris  l'avoient 
éloignée.  Et  le  Duc  de  Guife,  qui  n'aimoit  nul- 
lement le  Duc  d'Efpernon,  defiroit  la  mcfme 
.  chofe  pour  le  moins  autant  qu'elle, mais  pour 
une  fin  bien  différente  de  la  fiennc,  car  il  vou- 
loir luy-mefme  s'emparer  du  Gouvernement. 
Ainfi  ce  Prince  fort  adroit,  diflimulant  tou- 
jours, &  cachant  finement  les  véritables  mo- 
tifs par  Icfqucls  il  agiffoit,  fit  enfin  conlentir 
ne^ufjit  fre.  la  Reine  à  tout  ce  qu'il  voulut ,  &  fur  tout  luy 

lintée  au  Roy    f  i  >  r  n  t-> 

far  i.ujf  Us  nt  trouver  bon  qu  on  prclentalt  au  Roy  une 
^uncT'é''  Rcqucftc  au  nom  des  Cardinaux,  des  Princes, 
sitgn  ô-  Us  (les  Pairs  de  France ,  des  Seigneurs ,  des  Dépu- 
■F»m .  é't.    tez  de  Pans  ôc  des  autres  villes ,  &:  de  tous  les 

Catholi- 


L    I  V    R    E      I  I  î.  ISJ  ~ 

Catholiques  unis  pour  la  défcnfc  de  la  Reli-    i;8  8. 
o-ion  Catholique,  Apoftolique  &  Romaine. 

Cette  Requefte,  qui  dans  la  manière  d'ex-  Mem.  ii  u 
pofer  les  choies  eftoit  extrêmement  rclpcducu-  ^'^'"'''  '• 
fe,  contenoit  néanmoins  dans  le  fond  certains 
articles  du  moins  aulîi  forts  que  ceux  de  Nan- 
cy, &  mel'mc  que  ceux  qui  avoient  efté  un 
peu  auparavant  propolez  à  la  Reine  par  le  Duc 
de  Guife.  Car,  après  avoir  protefté  d'abord, 
qu'en  tout  ce  qui  s'eftoit  paiTé  juiques  alors 
on  n'avoit  rien  fait  que  par  un  pur  zèle  de 
l'honneur  de  Dieu ,  &  pour  la  conlervation  de 
Ton  Eglife  :  on  demande  au  Roy,  ^}^  fiffi 
la,  guene  aux  Huguenots ,  ^  qu'on  ne  fajje  point  de 
paix  juCauà  ce  qu'on  ûit  extirpé  toutes  les  Hérejîes. 
^tiil  l^J  plaije  de  Je  ftrnjir  du  Duc  de  Guife  dans 
une  Ji  jujle  ^  Jt  Jainte  entreprije.  Q^on  chajjè  de  U 
Cour,  çjT*  qu'on  dépouille  de  toutes  leurs  Charges  tous 
ceux  qui  ont  une  intelligence  fccrete  avec  les  Hugue- 
nots ^  (^  principalement  le  Duc  d'Es^ernon  &  U  Va- 
lette Jon  frère ,  contre  lelquels  on  dit  dans  cette 
Requefte  toutes  les  choies  les  plus  faicheufes, 
&  que  l'on  croit  eftre  les  plus  capables  de  les  ren- 
dre odieux  &:  inlupportables  à  toute  la  France. 
§hie  l'on  délivre  le  Royaume  de  U  jufte  crainte  qu'on 
a  de  tomber  un  jour  fous  la  puijjance  çy  domination 
des  Hérétiques.  Et  que  pour  donner  à  la  ville  de  Pa- 
ris une  pleine  ajfeûrance  qu'elle  pourra  vivre  déformais 
dans  une  parfaite  tranquillité ,  fans  crainte  qu'on  luy 
fajjk  aucune  infulte ,  outre  que  les  nouveaux  Prevajt 

Kk 


■58      Histoire  de  la  Ligue. 
I  j  8  8.     des  Alarchands  (^  Efchcvins  foiem  confirme'^,  elle  ait 
encore  une  pleine  çy  entière  liberté  d'élire  a  l'a'venir 
ceux  m  elle  'voudra  qui  remplijjènt  ces  places ,  ^  ceL 
le  de  Ces  Capitaines  &  de  Ces  Colonels. 

Cette  Requefte  déplut  extrêmement  au  Roy, 
qui  ne  voyoït  que  trop  qu'on  vouloir  encore  luy 
faire  la  loy,  après  l'avou'  ii  cruellement  offen- 
fé.  Il  la  fit  donc  examiner  dans  fon  Confcil, 
où  l'on  n'avoir  garde  de  s'accorder,  à  caufe  des 
iîitercfts  fort  differens  de  ceux  qui  en  eftoient. 
Il  n'y  avoit  que  deux  partis  à  prendre  iur  cela, 
ou  de  fe  joindre  à  la  Li^ue  contre  les  Hugue- 
nots, comme  elle  le  demandoit_,ou  de  luy  faire 
fortement  la  guerre,  en  le  joignant  aux  Hugue- 
nots, fans  quoy  l'on  n'euft  pas  réùfli  dans  cette 
cntrepriie.  Ceux  qui  n'aimoient  pas  le  Duc 
d'Eipcrnon  ,  deiqucls  le  nombre  cftoit  fore 
grand ,  &  qui  craignoient  que  la  jon6i:ion  des 
forces  du  Roy  avec  celles  des  Huguenots  ne 
fuft  très- préjudiciable  &  à  fa  réputation  & 
plus  encore  à  la  Religion, ejftoient pour  le  pre- 
mier parti,  &  confcilloient  qu'on  s'accordait 
comme  on  pourroit  avec  le  Duc  de  Guiie,  ce 
que  la  Pleine  louhaitoit  aulTi.  Mais'les  autres, 
dont  la  plulpart  eftoient  de  ceux  defquels  le 
Duc  avoit  demandé  l'éloin-nemcnt,  infiltoient 
fort  fur  le  fécond,  &  vouloient  qu'on  luy  fîft 
la  guerre  à  toute  outrance,  fe  fervant  pour  ce- 
la de  toutes  les  forces  que  le  Roy  pourroit  ti- 
rer indifféremment  des  Catholiques  &  des  Hu- 


Livre     III. 


^5'-^ 


qucnots,  puis  que  ce  ncftoit  pas  une  guerre    ij8^. 
de  Religion,  &:  qu'il  ne  s'armeroic  que  pour 
dompter  de  pour  chaftier  fes  Sujets  rebelles. 

Il  feroit  afTcz  difficile  de  dire  bien  précifé- 
ment  quelle  fut  la  véritable  réiolution  que  le 
Roy  prit  fur  deux  avis  fi  diifcrens.  Ce  qu'il  y 
a  de  bien  certain  ,  eil:  qu'après  avoir  long- 
temps délibéré^  beaucoup  plus  encore  avec  luy. 
mcimc  qu'avec  ceux  de  Ion  Conieil,  il  lembla 
s'eftre  enfin  tout-à-coup  déterminé  à  luivre  le 
premier,  toit  que,  comme  il  eftoïc  très -bon 
Catholique ,  &  n'aimoit  nullement  les  Hugue- 
nots, il  ne  puft  encore  le  réfoudre  à  s'unir  avec 
eux,  foit  qu'il  ne  fe  crufl  pas  alors  aflcz  fort, 
meime  avec  le  Roy  de  Navarre,  pour  détruire 
la  Li^ue  devenue  plus  puiflante  que  jamais 
depuis  les  Barricades,  &  ayant  un  Chcfaufîi 
habile,  aufTi  hardi, &  aufTi  heureux  que  l'eftoit 
le  Duc  de  Guile;  ou  enfin,  ce  que  pluiieurs  ont 
cru,  que  s'ellant  fortement  perfuadé  qu'il  ne 
feroit  jamais  en  leilreté,  ni  le  maiftre  dans  ion 
Royaume,  tandis  que  ce  Prince,  qu'il  haïfloïc 
alors  comme  le  plus  grand  ennemi  qu'il  euft, 
leroit  en  vie ,  il  euft  dés  ce  moment-là  réfolu  ndathn  iu 

1  c  j         >  1>C    ■  c  1'  •  Médecin  Mi. 

en  iuy-melme  de  s  en  detaire,  àc  pour  1  attirer  r,n.  d»ns 
dans  le  piège  qu'il  luy  préparoit,  de  luy  accor-  c^/^'^^X«, 
der,  comme  pour  le  bien  de  la  paix,  prelquc  Auberj.t.u 
tout  ce  qu'il  demiandoit. 

Quoy  qu'il  ©n  loit,  car  je  ne  voudrois  pas 
que  Ton  prit  pour  dés  veniez  de  fimples  con- 

K  k  1)        ... 


2.^0       Histoire    de    la    Ligue. 


1588.    jcttui'cs,  qui  peut-eftre  ne  font  pas  trop  bien 
fondées:  il  ell  certain  qu'encore  que  le  Roy 
Mem.  lie       f^ç^  extrêmement  ai^ri  contre  ceux  de  la  Lio-ue. 
Mem.dtU     il  répondit  a  leur  Requelle  avec  beaucoup  de 
pàviu.        douceur  &  de  modération,  les  affcûrant  qu'il 
alfembleroit  les  Eftats  dans  le  mois  de  Septem- 
bre à  Blois,  pour  aviier  aux  moyens  de  les  i'a- 
tisfaire,  &:  de  les  délivrer  de  la  crainte  qu'on 
avoit  de  tomber  un  jour  fous  la  domination 
d'un  Prince  Huguenot  j  &  que  pour  ce  qui  re- 
î;arde  le  Duc  d'Efpernonj  il  rendroit  juftice  en 
Prince  équitable,  ^  feroit  voir  qu'il  préteroit 
l'utilité  publique  à  tous  les  interdis  particu- 
liers. 

En  effet,  avant  toutes  chofes  ce  Duc,  auquel 
on  ofta  le  Gouvernement  de  Normandie,  fut 
obligé  de  fortir  de  la  Cour,  &:  de  fe  retirer  à 
Angoulefme.  On  fit  peu  après  un  Traité  par- 
ticulier avec  les  Seigneurs  de  la  Ligue,  aulquels, 
outre  les  places  qu'ils  tenoient  déjà,  on  donna 
encore  les  villes  de  Montreuil,  d'Orléans  &  de 
Bourses  pour  fix  ans.  On  leur  promit  la  publi- 
cation  du  Concile  de  Trente,  à  la  rélerve  de 
ce  qui  y  eftoit  contre  les  Libertez  de  l'Eglife 
Gallicane.  On  donna  au  Duc  de  Guiie,  au  lieu 
de  la  qualité  de  Conneilable,  celle  de  Chef  de 
la  Gendarmerie  Fran(^oiic  qui  iignifie  la  melme 
choie.  On  luy  promit  de  drcfler  deux  armées 
contre  les  Huguenots,  l'une  en  Dauphiné  lous 
le  coiumaadeinenc  du  Duc  de  Mayenne,  &:  Tau- 


L   I  V   R  E      I  I  I.  l6î 


trc  en  Saintonge  &  en  Poitou,  qui  icroit  com-  ijS8. 
mandée  par  tel  Chef  qu'il  plairoit  au  Roy,  car 
le  nouveau  Conncftablc,  Tous  un  autre  nom, 
ne  vouloit  pas  s'éloigner  de  la  Cour,  pour  em- 
pelcher  qu'on  n'y  fill  rien  au  deiavantage  de 
Ion  parti.  Enfin  le  Roy  fit  publier  ce  fameux 
Edit  de  Juillet,  qu'il  voulut  qui  fuft  appelle 
l'Edit  de  Réunion,  où  il  fait  en  faveur  de  la  Li- 
gue plus  encore  qu'elle  ne  vouloit. 

Car  après  avoir  déclaré  dans  cet  Edit,  qu'il  ^/J^/*  '* 
veut  que  tous   fes  Suiets  s'unilTent  avec  luv,  '''*■ 

J    .  ^  >  ,  /   »  Caytt.  t.  t. 

pour  taire  en  lorte,  me  comme  leurs  âmes  Jont  p-  lo. 
rachetées  d'un  mefme  prix  par  le  Sang  de  Nofire- ^'tZf.Tz-* 
Seigneur  Jefus  -  Chriji,  eux  aujjî  (^  toute  leur  pojle-  '■  ■**• 
rite  Joicnt  en  hiy  un  mefme  Corps  :  il  jure ,  au  il 
emploiera  toutes  Jes  forces ,  fans  épargner  fa  propre  njie^ 
pour  exterminer  de  fbn  Royaume  toutes  la  Hère  fies  con- 
damnées par  les  Conciles  j  (^  principalement  par  ce luy 
de  Trente ,  fans  faire  jamais  aucune  paix  ou  trêve  avec 
les  Hérétiques  j  ni  aucun  Edit  en  leur  faveur.  Il  veut 
que  tous  les  Princes  ^  Seigneurs ,  Gentilshommes  ç^ 
Hahitans  des  villes ,  ç^r  généralement  tous  Ces  Sujets, 
Eccle/iajliqucs  ^  Séculiers ,  fajfent  le  mefme  ferment. 
De  plus  j  qu'ils  jurent^  promettent  dés-à-prefent,  f0 
pour  jamais ,  après  qu'il  aura  plu  a  Dieu  difbofer  de 
fa  vie,  fans  luy  donner  des  en  fans  majles ,  de  ne  rece- 
voir a,  ejîre  Koy ,  Prince  quelconque  qui  foit  Héréti- 
que ou  fauteur  d'Hère  fie.  Déclare  rebelles  ç^'  crimi- 
nels de  le-:^e-Majefié,  (^  décheûs  de  tous  les  privilèges 
qu'on  leur  a  jamais  oclroyc:;^,  tous  les  particuliers  O" 

Kk  iij 


-2^1       Histoire   de    la    Ligue. 


.•».  ï 


I  j8  8.  toures  les  'villes  qui  refujeront  de  pnjler  ce  Jerment,  & 
de  fimer  cette  union.  Promet  de  ne  donner  jamais  au- 
cune Charge  militaire  qu'a  ceux  qui  feront  notoirement 
profjjîon  de  la  Religion  Catholique,  ^pojiolique  çjr 
Rjomaine;  ç^  défend  tres-expreBément  de  rece'voir  qui 
que  ce  [oit  en  l'exercice  d'aucun  Ojjîce  de  Judicature  & 
de  Finance,  qu'il  napparoijjè  de  Ja  Religion  Catholi- 
que, y^pojlolique  ^  Ronhiine ,  par  l'attejlation  de  l'E- 
njeCque  oh  de  fes  Vicaires,  ou  au  moins  des  Cure'^  oit 

*.  de  leurs  Vicaires ,  avec  la  dépofition  de  dix  témoins , 

perfonnages  qualifie:^  f0  non  Julj)ccls.  Jure  aujji  de  te- 
nir pour  Je  s  hons  ciT*  lojaux  Sujets ,  &  de  protéger 
(ST  défendre  tant  ceux  qui  l'ont  toujours  fuiti ,  que 
tous  les  autres  qui  Je  font  unis  &  aJJocieTcj- devant 
contre  les  Héntiques ,  &  qu'il  réiinit  maintenant  avec 
Joy,  afin  d'agir  de  concert  tous  cnjemble  pour  la  mefme 
fini  (^  qu'il  tient  pour  non  avenu  tout  ce  qu'il  femble 
avoir  ejléfait  contre  luy,  tant  en  la  ville  de  Paris  que 
par  tout  ailleurs,  particulièrement  depuis  le  dou:^iéme  de 
A^ay  jufquau  jour  de  la  publication  de  cet  Edit,Jans 
que  berjonne  en  puiffe  ejire  jamais  recherché  ni  inquié- 
té pour  quojy  que  ce  Joit.  Adais  il  veut  aujjt  que  tous 
fei  Sujets,  de  quelque  qualité  qu'ils  Joient,  jurent  qu'ils 
renonceront  à  toutes  les  Ligues  f0  Confédérations,  tant 
dehors  que  dedans  le  Royaume ,  contraires  à  cette  union, 
Jur  peine  d'cjlre  punis  comme  wfracfeurs  de  leur  J"cr~ 
ment,  ftj)  criminels  de  le-^c-Majifé. 

Cet  Edic  fut  vérifié  au  Parlement  le  vingt  &: 
unième  de  juillet,  publié  en  luite,  &  receû  avec 
des  tranlporcs  de  joye  tout  extraordinaires  des 


Miron. 


Livre     I  T  I.       '  :"        i^j 

Lic;ueurs,  qui  croyoicnc  avoir  remporte  une  i;8  8. 
pleine  vi(5toirc  fur  le  Roy,  qu'ils  voyoicnt  cn- 
ricrcmcnt  fournis  à  la  volonté  de  leurs  Chefs. 
Luy-mcime  aulli,  par  une  profonde  diflimula-  ^'i-^thn  d* 
tion,  à  ce  qu'on  dit,  faifoit  de  fon  cofté  tout 
ce  qu'il  pouvoit  pour  les  confirmer  dans  cette 
créance,  en  faifant  paroiftre  qu'il  avoir  la  plus 
grande  joye  du  monde  d'avoir  fait  cette  paix. 
Il  fit  figncr  avec  beaucoup  d'emprefTcment  cet 
Edit  à  tous  les  Princes  &  à  tous  les  Seigneurs 
qui  eftoient  alors  a  la  Cour.  Il  convoqua  les 
Eilats  du  Royaume  a  Blois  pour  le  commence- 
ment d'Octobre.  Il  fit  vérifier  en  Parlement 
les  Lettres  de  l'Intendance  générale  du  Duc  de 
Guilc  fur  toutes  les  armées,  avec  le  mcfme  pou- 
voir qui  eft  attaché  à  la  charge  de  Connéta- 
ble. Il  le  rcceût  à  Chartres  avec  des  marques 
fi  particulières  d'eftime ,  d'affection  &  de  con- 
fiance, qu'on  crut  que  cette  tendre  amitié  qui 
cftoit  entre  eux,  lors  que  le  Roy  n'eftoit  encore 
que  Duc  d'Anjou,  s'alloit  renouer.  Il  careffa  tou- 
tes fcs  créatures,  aufquelles  il  donna  de  grands 
emplois,  d^  enfin,  pour  le  contenter  dans  le 
point  le  plus  délicat,  il  fit  lolennellement  dé- 
clarer le  Cardinal  de  Bourbon,  le  plus  proche 
parent  de  fon  fang,  en  luy  accordant  les  pri- 
vilèges &  les  prérogatives  dont  l'héritier  pré- 
fomptif  de  la  Couronne  doit  joûïr. 

Après  tout,  comme  il  eft  bien  difficile  qu'une 
violente  paflion  qu'on  a  dans  l'ame,  quelque 


i<?4      Histoire    de    la   Ligue. 

ij8  8.  foin  qu'on  apporte  à  la  cacher,  ne  fc  fafle 
connoiftre  par  fes  fuites,  &  par  certains  indi- 
ces qui  échappent  mefme  aux  plus  fins  :  aufïi 

i.  ce  Prince,  tout  fçavant  qu'il  eftoit  en  l'art  de 

diiTimuler,  ne  le  put  fi-bicn  faire,  qu'il  ne  don- 
naft  lieu  aux  plus  éclairez  de  croire,  ou  du 
moins  de  foupqonner  que  tout  ce  qu'il  faifoit 
alors  pour  témoigner  fa  joye,n'e{loit  que  pour 
couvrir  fa  douleur,  fon  indignation,  fa  colère 
&  fa  haine,  qui  le  follicitoicnt  fans  ceiTe  de  fe 
venger  de  ceux  qui  l'avoient  fi  indignement 


traité. 


Car  eftant  allé  de  Chartres  à  Rouen,  où  il 
avoir  fait  l'Edit  de  Réunion,  il  ne  voulut  ja- 
mais à  fon  retour  aller  à  Paris,  quelque  inftan- 
cc  que  les  Députez  du  Parlement  &  ceux  de  la 
Ville  luy  en  fiffent,  ôc  s'excuta  toujours  aflez 
froidement  fur  les  préparatifs  qu'il  luy  falloir 
faire  pour  les  Eilats  de  Blois.  Il  retint  auprès 
de  fa  perfonne,  pour  fa  garde  particulière,  les 
Quarante  -  cinq  que  le  Duc  de  Guife  avoit  de- 
mandé que  l'on  éloignait.  Il  donna  le  com- 
mandement de  l'armée  de  Poitou  au  Duc  de 
Nevers,  que  le  Duc  de  Guiie  fon  beaufrcrc 
ne  pouvoir  fouffrir  depuis  qu'il  avoit  renoncé 
à  la  Ligue.  Il  n'avoit  plus  pour  confidens  que 
Je  Mareichal  d'Aumont,  le  Seigneur  Nicolas 
d'Angenncs  de  Rambouillet,  le  Colonel  Al- 
phonfe  d'Ornano,  ôc  quelques  autres  qui  n'ai- 
moient  nullement  le  Duc. 

Enfin 


L  r  V  R  é      I  I  I.  !<?; 


(Tt- 


Enfin,  ce  qui  fut  d'un  ^ort  grand  ccbt,  le    ij8  8, 
chancelier  de  Chivcrny,  les  Préiidens  de  Bcl- 
Iiévre  &:  Brulart,  de  les  fleurs  de  Villc-Roy  &c  i^fff»oir„  dt 
Pinarr  Secretancs  d  hltat,  qui  avoient  clt-c  d  a-  <^» r/i/«-R#j, 
vis  qu'on  s'accommodafl  avec  le  Duc  de  Gui- 
le,  furent  dilgraciez.  La  Reine  Mcre  qui  avoir 
ménagé  cet  accommodement  n'eût  prefquc  plus 
de  part  aux  affaires,  &  ne  fut  plus  du  tout  du 
Conl'eil  fecrer.  Et  l'on  donna  les  Sceaux  a  Fran- 
çois de  Monthelon  fameux  Avocat,  homme 
d'une  rare  intégrité,  &:  d'une  fidélité  inviola- 
ble au  fervice  du  Roy,  qui  l'élcva  à  cette  haute 
dignité  fans  qu'il  y  penialf ,  à  la  recomman- 
dation du  Duc  de  Nevcrs,  qu'on  fc^avoit  eftrc 
fort  brouillé  avec  le  Duc  de  Guile. 

Tout  cela  fans  doute  eftoit  bien  capable  de 
donner  à  penler  à  ce  Prince,  &  de  le  faire  du 
moins  douter  de  la  fincerité  du  Roy  à  fon 
éeard.  Mais  le  floriffant  cftat  où  il  fe  vovoit, 
les  louanges  qu'on  luy  donnoit,  l'applaudifTe- 
ment  des  peuples  &  de  la  Cour  mefme  qui  ad- 
miroit  fa  conduite  &  fon  bonheur,  &le  reo-ar- 
doit  comme  l'arbitre  &  le  maiflre  des  affaires, 
&  la  certitude  qu'il  croyoit  avoir  que  rien  ne 
fe  feroit  que  félon  fa  volonté  dans  les  Eftats, 
l'avoient  tellement  aveuglé ,  qu'il  ne  voyoit  plus 
rien  qui  fuft  capable  de  luy  nuire,  non  pas  mei'- 
me  de  l'ébranler,  6:  de  donner  la  moindre  at- 
teinte à  fa  bonne  fortune  qu'il  avoit  fi  bien 
établie.  Amfi  ce  fut  com-me  en  triomphe  qu'il 

Ll 


lis;.  1. 1. 


^^' 


-r~ ^-   l(î<?  HiSTO'iR'Ë    DE     LA    El  GUE. 

ij88.     entra  fur  la  fin  du  mors  de  Septembre  à  Blois, 
où  le  Roy  le  rendit  en  mefme  temps  pour  y 
donner  ordre  aux  préparatifs  des  Eftats. 
v>*v\\».  Il  voulut  qu'on  s'y  diipofaft  par  deux  actions 

w>m''  it  u  éclatantes  de  pieté ,  qui  furent  une  Procellion 
tics -dévote  &  très -magnifique  que  l'on  fit  le 
premier  Dimanche  d'Octobre  fécond  de  ce 
mois  j  bc  une  Communion  générale  que  tous 
les  Députez  firent  le  Dimanche  fuivant  neuviè- 
me d'Oclobre,  auquel  le  Roy,  en  figne  d'une 
parfaite  réconciliation ,  receûc  avec  le  Duc  de 
Guife  le  précieux  Corps  de  Jefus-Chrill,  par  la 
main  du  Cardinal  de  Bourbon,  dans  l'Eo-life  de 
Saint  Sauveur.  En  luite  tous  ceux  que  l'on  at- 
tendoit  encore  citant  arrivez ,  cette  AlTemblée 
des  Eftats  commença  le  Dimanche  ieiziéme  du 
mois  dans  la  crand'  Salle  du  Chafteau. 

Comme  je  ne  dois  dire  de  cette  Aflembléc 
que  ce  qui  regarde  précilément  l'Hilloire  delà 
Ligue,  je  ne  feray  pas  le  détail  de  tout  ce  qui 
s'y  palfa.  Je  diray  feulement  que  le  Roy,  qui 
eitoit  naturellement  éloquent,  en  fit  l'ouver- 
ture par  une  harangue  excellemment  belle,  ou 
après  avoir  dit  d'une  manière  tres-majeftucu- 
le  les  chofcs  du  monde  les  plus  fortes  &  les 
plus  touchantes  pour  exhorter  les  Députez  à 
faire  leur  devoir,  il  ne  put,  ou  ne  voulut  pas 
diflimulcr  qu'il  n'avoit  pas  tellement  oublié  le 
paflé ,  qu'il  n'euft  pris  une  forte  réiolution  de 
chaiticr  exemplairement  ceux  qui  agiroient  en-. 


Livre    I  I  T.  %6-; 

corc  contre  Ton  autorité  par  cet  efprit  de  lio^uc  te    i  ;  8  8. 
de  cabale  qui  avoir  pcnfé  ruiner  l'Eilat,  &  tous 
ceux  qui  auroient  d'autre  union  que  celle  que 
les  membres  doivent  avoir  avec  leur  chef,  &: 
les  Sujets  avec  leur  Roy. 

Cela  toucha  fi  Icnfiblemcnt  les  Lieiueurs  de 
cette  Afl'emblée,  &  principalement  leur  Chef, 
qui  crut  que  tout  ce  difcours  s'adrcil'oit  à  luy, 
qu'ils  en  vinrent  juiqu'à  menacer  de  rompre 
les  Eltats  par  leur  retraite,  fî  le  Roy,  qui  vou- 
lut que  l'on  imprimai!:  la  harangue,  ne  l'up- 
primoit,  ou  ne  corrigeoit  du  moins  cet  endroit. 
Il  y  en  a  qui  diient  qu'après  quelques  contef- 
tations  aflez  faichcules,  le  Roy  fouffrit  enfin 
qu'on  y  changeait  quelque  chofe ,  &:  qu'on 
adoucift  un  peu  les  termes  les  plus  forts  dont 
il  s'eftoit  lervi.  Mais  quelques  autres,  &  de 
ceux  melmes  qui  l'entendirent,  afl'eûrent  qu'el- 
le parut  au  mcime  eftat  qu'elle  fut  prononcée. 
Quoy  qu'il  en  foit,  il  eil  certain  que  cette  plain- 
te  aigrit  extrêmement  l'efprit  du  Roy,  qui  vit 
bien  par  la  que  la  Lis^ue,  pour  s'eftre  réunie 
avec  luy,  ne  laiiloit  pas  d'avoir  encore  fes  in- 
térêts particuliers  fort  differens  des  fiens. 

Je  diray  de  plus,  qu'il  en  fut  pleinement  per- 
fuadé  ,  lors  qu'il  s'apperceût  que  le  Duc  de 
Guile,  qui  en  eiloit  le  véritable  Chef,  alloit 
eilre  plus  puifl'ant  que  luy  dans  les  Eftats.  Car 
outre  que  la  plufpart  des  Députez  avoicnt  efté 
choiiis  par  les  brigues  que  les  créatures  avoienç 

Ll  ij 


16^       Histoire  delà  Ligtje. 

1  j  8  8,  faites  dans  les  Provinces  ;  ceux  qui  furent  éleûs 
pour  préfider  à  chaque  Ordre,  fçavoir  les  Car- 
dinaux de  Bourbon  &  de  Guife  pour  le  Cler- 
gé i  le  Comte  de  Briflac  ôc  le  Baron  de  Magnac 
f)Our  la  Nobleflej  5c  le  Prevoft  des  Marchands 
a  Chapelle -Martau  pour  le  tiers  Ordre,  ef- 
toient  entièrement  à  luy. 

Ainfi ,  après  qu'à  la  féconde  Séance  on  eût 
folcnncUemcnt  confirmé,  juré  de  nouveau,  & 
fait  pafTcr  en  loy  fondamentale  de  l'Ellat  l'E- 
ric de  Réunion  j  quand  on  leût  les  Cahiers  des 
trois  Ordres,  il  vit  que  fous  prétexte  de  vouloir 
réformer  quelques  abus  qui  s'eftoient  gliflez 
dans  l'Eilat,  ils  eftoient  remplis  d'une  infinité 
de  propofitions  qui  tendoient  manifeftement 
à  diminuer  ,  ou  plûroft  à  anéantir  l'autorité 
Royale ,  ëc  à  réduire  le  Gouvernement  à  tel 
point ,  qu'il  ne  rcilaft  plus  au  Roy  que  le  nom 
&  la  vaine  apparence  de  Souverain  Monarque, 
ôc  que  tout  le  réel  &c  le  folide  de  la  Souverai- 
neté fuft  à  ceux  de  la  Ligue  qui  dépcndoicnt 
abfolumcnt  du  Duc  de  Guile. 
-  De  plus,  ils  ne  le  contcntoient  pas  de  pro- 
pofer  ces  chofes,  laiffant  au  Roy,  félon  l'an- 
cienne couftume  &c  la  Loy  de  la  Monarchie, 
la  liberté  d'en  ordonner  ce  qu'il  trouveroit  le 
plus  à  propos,  après  les  avoir  bien  examinées 
dans  (on  Conleil:  mais  ils  prétendoicnt  qu'a- 
prés  qu'elles  auroient  efté  rcccûes  du  confcn- 
tcmcnc  des  trois  Ordres,  elles  paflallent  pour 


Livre     T  I  Î.      M       iCp 


des  décidons  &c  réfolurions  certaines  &  invio-    ij88. 
labiés,  fans  que  le  Roy  cull:  le  pouvoir  d'y  rien 
chancer  dans  Ton  Confeil.    Sur  cela.  Us  vou- 
Joienn  qu'on  modérait  les  tailles  &:  les  impofts, 
mais  tellement  outre  melurc,  qu'ils  oltoientau 
Roy  tout  moyen  de  faire  la    guerre  dans  la- 
quelle eux-meimes  l'avoient  eneacré.    Que  le  Ar^*»  ''«tri/i 
Concile  de  Trente  rult  receuablolument&lans  Mi>rof.i.t. 
modification.    Et  le  célèbre   Avocat  Général  ''  "' 
Jacques  Fayc  d'ElpefTes,  qui  dans  une  grande 
Alfemblée  qu'on   tint  fur  ce  fujet ,    fouftmt 
tres-fortcment  contre  quelques  Décrets  de  ce 
Concile  les  Droits  du  Roy,  &c  les  Libcrtez  de 
l'Eglife  Gallicane   dont  il  fit  voir  clairement 
la  iblidité,  y  fut  fi  mal  traité,  quoy-qu'il  euft 
confondu  l'Archevelque  de  Lyon  qui  vouloin 
détruire  ces  Libériez  ,  que  le  Roy  qu'on  atta- 
quoit  en  la  perfonne  de  ion  Avocat  en  conceût 
un  extrême  déplaifir. 

Mais  fur  tout  ils  faifoicnt  inftancc,  avec  une 
incroyable  opiniaftreté,  que  le  Roy  de  Navar- 
re, qui  de  la  Rochelle  où  il  tcnoit  en  mefmc 
temps   les   Eftats  de   Ion  parti   avoit  envoyé 
propofer  à  ceux  dcBloisque  l'on  tinft  un  Con- 
cile général  pour  s'accorder,  fuft  deflors  dé- 
claré incapable  de  fucceder  jamais  à  la  Cou- 
ronne. Ils  en  avoient  fait  le  Décret  du  confen-  f^""  '''"* 
tcment  des  trois  Ordres,  à  la  foUicitation  par-  "moto}.  /.T/ 
ticulicrement  de  ccluy  de  l'Eglife.  Et  le  Roy,  ''  '^- 
qui  prévoyoit  aflcz  ks  terribles  fuites  d'une  û 

Ll  iij 


.i  » 


270      Histoire   ce   la    Ligue. 

J588.  haute  injurtice,  de  quon  prcfToit  fort  d'y  fouH. 
crire,  ne  put  s'en  défendre,  qu'en  les  amulant 
par  des  délais  qu'il  prit  adroitement  fous  di- 
vers prétextes.  On  ne  doutoit  point  que  le  Duc 
de  Guife,  qui  ayant  pour  luy  plus  des  deux 
tiers  des  Eitats  en  clloit  le  Maiftrc  ,  ne  fuft 
l'auteur  de  toutes  ces  proportions  fi  contrai- 
res aux  véritables  intcrcfts  Se  à  l'autorité  du 
Roy  5  principalement  quand  on  vit  qu'il  em- 
ployoir  toute  la  brigue  pour  ie  faire  déclarer 
par  les  Eftats  Lieutenant  Général  dans  tout  le 
Royaume,  comme  s'il  euft  voulu  poileder  cette 
fuprême  dignité  indépendamment  du  Roy , 
&:  qu'il  prétendift  que  ce  Prince  ne  fuft  plus 
fonMaiftre,  n'ayant  plus  le  pouvoir  de  luy  o{- 
ter  ce  qu'il  ticndroit  d'une  autre  autorité  que 
de  la  iicnnc.     '-  -':  ■ 

-,:  Toutes  ces  chofes  fî  indignes  de  la  Majefté 
d'un  grand  Roy,  mirent  enrin  à  bout  la  pa- 
tience, qui  après  une  fi  longue  didimulation 
fe  changea  tout -à- coup  en  fureur.  De  forte 
que  ceux  de  les  confidens  qui  louhaitoient  ar- 
deniiiienc  la  perte  du  Duc  pour  en  profiter, 
n'eurent  point  de  peine  à  luy  taire  prendre  alors 
pour  des  veritcz  tous  les  avis  meime  les  plus 
taux  qu'on  luy  avoit  fi  iouvent  donnez  contre 
^  c-e  Pnnce  ,  y  ajouftant  que  c'eftoit  luy  qui 
avoit  porté  fous  main  le  Duc  de  Savoye  à  s'em- 
parer du  Marquifat  de  Saluées  ,  comme  il 
avoïc  fait  tout  nouvellement  i  ce  qu'Us  afléû- 


Livre     III.        '  •  f      271 


roicnt  forrcmcnr,  qiioy-  que  par  Ton  crcdit  il  ij8  8. 
cull  fait  rcloudre  les  Iiltats  à  déclarer  la  guer- 
re au  Savoyard.  Amfi,  loit  que  le  Roy  eull 
déjà  réfolu  long-temps  auparavant  de  le  défai- 
re du  Duc  de  Guiic,  pour  toutes  les  vieilles  in- 
jures qu'il  en  avoir  receûes,  particulièrement  à 
la  maihcureulc  journée  des  Barricades  ;  foit 
que  s'cftant  réconcilié  de  bonne  foy  il  cull: 
pris,  ou  peut-cftrc  melme  repris  cette  rélo- 
lution,  le  voyant  aair  contre  luy  dans  les  Ef- 
tats  dont  il  s'clloit  rendu  le  Maiftre,  ëc  fc 
croyant  perdu  s'il  ne  (e  haftoit  de  le  préve- 
nir: il  eft  certain  qu'il  ne  délibéra  plus  que  de 
la  manière  dont  il  exécuteroit  au  plûtoll  (a 
réiolution. 

Il  n'y  en  avoir  que  deux  à  choifir:  l'une,  par 
les  voyes  de  lajuftice,  en  l'arrcftant,  pour  luy 
faire  fon  procès  ^  &  l'autre,  par  les  voyes  de  fait, 
en  le  f aiiant  tuer.   Il  coniulta  là  -  deflus  fort 
lecretement  avec  quatre  ou  cinq  de  les  confi- 
dens  aufqucls  il  le  fioit  le  plus.  L'un  de  ceux- 
cy  cftoit  Beauvais  Nangis,  qui  ayant  bien  1er-  Mim.  y.s.  di 
vi  le  Roy  dans  fon  armée  contre  les  Reitres,    "''^"' 
avoir  eu  le  bonheur  de  rentrer  il  bien  dans  les 
bonnes  grâces,  que  pour  le  récompenler  de  la 
Charge  de  Colonel  de  l'Infanterie  Françoile  ^^^tt  du 
que  le  Duc  d'Eipernon  avoit  obtenue  à  ion  ^7 '"'"'/''. , 

'1-  tf'^1  •  charge  a  mu. 

préjudice,  il  le  ht  depuis  Admirai  de  France,  kMàeN^r.- 
quoy-qu  il  n  ait  pas  joui  de  cette  grande  digni-  -vw^nsî?. 
té  dont  il  n'eût  que  le  Brevet. 


■ — 272-       HlsTOÎRE     DE     LA     LiGtJE. 

fj8  8.  Ce  Seigneur,  qui  cftoit  auiTi  iage  5c  modéré 
dans  les  délibérations,  que  prompt,  brave  & 
hardi  dans  l'exécution ,  conclut  pour  la  voye 
de  Juftice,  fouftenant  qu'elle  eftoit  non  feule- 
ment la  plus  honnefle,  mais  aufli  la  plus  feu- 
re ,  parce  que  la  feule  crainte  que  les  partifans 
du  Duc  de  Guife  auroient  qu'on  ne  le  tuaft^ 
s'ils  cntreprenoient  de  le  délivrer  par  force,  &c 
d'empefcher  le  cours  de  la  Juftice ,  les  arrefte- 
roit  tout  court,  &c  les  rcticndroit  dans  les  ter- 
mes de  leur  devoir.  Qu^aprés  tout ,  quand  on 
l'auroit  une  fois  arrefté,  comme  on  le  pouvoit 
faire  fans  tumulte,  il  feroit  fort  aifé  de  luy 
donner  des  Commiflaircs  qui  luy  fcroient  bon- 
ne &  briéve  juftice,  &c  de  le  faire  en  fuite  exé- 
cuter dans  la  prifon  ;  ce  qui  feroit  félon  les 
Loix.  Que  fi  au  contraire  on  commcn<joit  par 
une  fi  fanglante  exécution,  il  y  avoit  danger 
que  cette  adion,  qu'on  ne  pourroit  jamais  bien 
juftifier,  &  que  les  Ligueurs  feroient  aifément 
pafTer  dans  le  monde  pour  tyrannique&pourla 

.  •  .-  plus  horrible  perfidie  qui  fut  jamais,  nefiftfou- 
■"-  lever  la  plus  grande  partie  de  la  France,  qui 
s'eftoit  déjà  fi  hautement  déclarée  pour  ce  Prin- 
ce, qu'elle  rcgardoit  comme  le  plus  puiffanc 
fouftien  de  la  Religion,  &c  qu'elle  prendroit  alors 
pour  un  véritable  Martyr.  Mais  les  autres  qui 
crurent  qu'il  cftoit  impoflible  de  garder  en 
cette  occafion  les  formes  ôc  les  loix  ordinaires  de 
la  J  uft icCj  ôc  que  le  Chef  eftant  une  fois  abbatu, 

toute 


Livre     III. 


173 


toute  la  Ligue  tombcroit  comme  un  corps  fans  i  ;8  8. 
tcftc,  furent  d'avis  que  l'on  s'en  dcfillpromp ce- 
rnent, ce  qui  clloit  tort  ailé,  principalement 
dans  le  Chaftcau,  où  le  Duc,  qui  s'y  eltoir  lo- 
i^c,  ertoit  prelquc  à  toute  heure  à  la  difcrérion 
du  Roy,  duquel  il  paroiffoit  alfcz  par  là  qu'il 
ne  fe  defioit  pas. 

Cependant  il  ell:  afleûré  qu'on  ne  crarda  oas 
fi  bien  le  fecret  qu'il  ne  fuit  averti  de  plus  d'un 
endroit  de  l'extrême  danger  où  il  elloit,  &  que 
Ton  avoit  rélolu  fa  mort  :  &  il  ne  mcprifa  pas 
tant  ces  avis,  tout  intrépide  qu'il  cltoir ,  ou 
qu'il  paroiffoit  cftre,  en  dilant  toujours,  On  n'o- 
feroitj  que  deux  ou  trois  jours  avant  ia  mort  il 
ne  conîultall:  fur  une  choie  qui  luy  importoit  D^p>!it,o»  de 
fi  fort  avec  le  Gardinaf  de  Guile  fon  frère,  î.l't"  f 
l'Archevefque  de  Lvon,  le  PréildentdeNeuilly,  '^°">-^'^'»'(i. 
le  Prévoit  des  Marchands,  &  le  fieur  de  Mandre-  ^'''^'>-  "««^ 
ville  Gouverneur  de  Sainte  Mcnehoud ,  aufquels  t.  T' 
il  fe  fioit  le  plus.    Sur  les  preuves  prelque  cer- 
taines qu'on  avoit  du  dcffein  formé  contre  luy, 
ils  vouloient  tous  qu'il  prill  le  plus  feûr.  Se 
qu'il  le  reriraft  lous  quelque  prétexte:  excepté 
l'Archevefque  qui' s'y  oppofa  fortement,  di-      ".^:  v,,^' 
fant,  que  puis  qu'il  cftoit  lut  le  point  de  ga-  - 

gner  la  partie  dans  les  Eftats,  où  il  auroit  af- 
feûrément  tourcc  qu'il  prétendoit,  il  ne  fal- 
loit  pas  la  perdre  en  les  quittant  j  &  qu'au  relie 
on  ne  devoir  pas  croire  que  le  Roy  fufl:  fi  mal- 
avifé  que  de  s'expofer  luy-melme  à~  tout  pcr- 

Mm 


174    Histoire   de   la  Ligue, 


^8  8.  dre,  en  faifanc  un  fi  malheureux  coup.  A  quoy 
Mandrcvillc  rcparcic  en  jurant,  que  pour  un 
homme  d'elpnt  comme  luy ,  il  railbnnoic  fort 
mal.  Lar,  dît- il,  vous  parle:^  du  Roy  comme  d'un 
Prince  tres-fa^e  ^  très  avifé  cjui  prend  garde  a  tout; 
^  njons  ne  'voje:^pas  que  ceft  un  fou  y  qui  ne  fon- 
dera qu'à,  exécuter  te  que  ces  deux  Ujches  pajjions  de 
haine  ç^  de  crainte  qui  le  pofjedent  luy  auront  mis 
une  Jvis  dans  l'efj>rit,  ^  ne  penjera  pas  à  ce  que 
'VOUS  dites  qu'un  homme  jage  doit  appréhender.  Ce  fè- 
roit  donc  une  folie  que  de  s'expofer  de  la  forte,  fur  unç 
Ji  Jhible  raijon,  a  perdre  tout  en  un  moment. 

C'efl  une  cliofe  étrange  que  les  hommes  les 

f>lus  éclairez,  qui  pourroient  éviter,  s'ils  vou- 
oient  prendre  les  moyens  qu'ils  en  ont,  ce 
que  l'on  appelle  leur  deftinéc  quand  le  mal- 
heur eft  arrivé,  s'y  laiflent  cntraiiner  comme 
par  force ,  malgré  toutes  leurs  lumières  &  leur 
prévoyancej  que  leur  témérité,  &:  non  pas  une 
certaine  prétendue  fatalité  rend  inutiles.  On 
dit  que  le  Duc  de  Guife  avoija  que  ce  difcours 
de  Mandreville  eftoit  le  plus  fenfé,  ajoultant 
néanmoins ,  qu'cftant  auiïi  avancé  qu'il  l'eftoit, 
itien  de  \^  mott  mcimc ,  quand  il  la  verroit  entrer  par 
lytn.  les  fcneftres,  ne  le  feroit  pas  reculer  d'un  pas 

vers  la  porte  pour  l'éviter.  Il  y  a  pourtant  bien 
de  l'apparence  que  ce  qui  le  fit  parler  de  la 
forte,  avec  tant  de  bravoure  &  de  fermeté, 
fut  la  certitude  qu'il  croyoit  avoir  que  le  Roy, 
dont  il  connoiffoit  le  génie ,  particulièrement 


l'An  h 


Livre     III.  x  ^  ;  •  f       ty^ 


depuis  la  Journée  du  Louvre  où  ce  Duc  fe  crut   i  j  8  8. 
perdu,  n'oleroic  jamais  le  réloudrc  à  en  venir 
a  une  iî  terrible  extrémité. 

En  effet,  comme  le  fleur  de  Vins ,  l'un  de  Mem.duftM 
fes  plus  grands  confidens,  luy  eût  cent  de  Pro-  u  Labour. 
vence  qu'il  ne  devoir  pas  fe  tenir  fi  prés  du  ^''^''"  "  '' 
Roy,  ni  s'afl'eûrer  lur  tous  ces  grands  témoigna- 
ges d'affecbion  qu'il  difoit  en  avoir  receûs ,  il 
luy  fit  réponfe  qu'il  ne  le  repoloit  pas  de  Ton 
falut  iur  la  vertu  du  Roy  qu'il  l<^avoit  eftre  tres- 
malin  &  tres-difTimulé,  mais  fur  Ion  jugement 
&  fiir  la  crainte,  n'eftant  pas  croyable  qu'il 
ne  deuft  eftre  periuadé  qu'il  cftoit  ruiné  s'il 
entreprenoit  fur  la  perfoime.  Mais  il  n'apprit 
que  trop,  par  une  tres-malheureufe  expérience, 
qu'il  devoir  plûtoft  fuivre  un  fage  avis  qu'il 
avoir  approuvé,  qu'une  fimple  conjecture,  &c    y  - 
les  mouvcmens  de  fa  générofité  naturelle,  que 
la  fanglante  cataftrophe  de  fa  mort,  comme 
on  juge  des  chofes  par  l'événement ,  a  fait  paf. 
fer  pour  une  fort  grande  témérité. 

Il  ne  faut  pas  que  l'on  s'attende  que  je  m'ar- 
refte  icy  à  décrire  fort  exadement  toutes  les 
circonftances  de  cette  tragique  a6tion  qui  a 
cfté  fi  funefte  à  la  France  ,  &  fi  mal  receûë 
dans  le  monde.  Outre  qu'elles  font  racontées 
fort  diverfement  par  les  Hiiloriens  de  l'une  & 
de  l'autre  Religion,  félon  leurs  différentes  pal- 
fions ,  &  que  la  plufpart  font  ou  fauiles ,  ou 
tres-peu  dignes  d'eifre  remarquées:  la  chofe  fc 

Mm  ij 


■■■2.J6      Histoire    be'  la' L'igue. 


I  j  8  S.  iîc  fi  facilement  &  fi  brufquement ,  te  d'une 
manière  fi  odieufe,  qu'on  ne  la  peut  exprimer 
en  trop  peu  de  mots.  Voicy  donc  iimplement 
ce  qui  en  eft. 

i^prés  que  le  brave  Grillon  Meftre  de  Camp 
du  Régiment  des  Gardes  eût  sénéreufement  re- 
fuie  de  tuer  le  Duc  de  Guife,  linon  en  le  bat- 
tant contre  luy  en  homme  de  bien,  le  Roy  eiit 
recours  à  Lognac  premier  Gentilhomme  de  la 
Chambre,  &  Capitaine  des  Quarante-cinq ,  qui 
luy  en  promit  dix -huit  ou  vingt  des  plus  dé- 
terminez, &  dont  il  pouvoit  s'aileûrer.  Ce  font 
f  ceux  dont  le  Duc  de  Guifc,  qui  fe  défioit  fort 

Relation  du   de  CCS  Gafcous  créatutes  du  Duc  d'Efpernon, 

fteur  de  Mi.     „         ■  1  1  '     1  >  /  r      •  i" 

ren.  avoit  auparavant  demande  1  eloignement,  lur 

T/Z7n    '^'c  *5"°y  ^^  s'ertoit  depuis  relafché.  De  forte  qu'on 
t-s.  de  iHtfi.  peut  dire  qu'il  prévit  ion  malheur,  àc  ne  l'é- 
vita   pourtant  pas.  Car   un  Vendredy  vingt- 
troifiéme  de  Décembre,   eftant   entré  fur  les 
huit  heures  du  matin  dans  la  lalle  où  le  Roy 
avoit  dit  le  Jeudy  au  foir  qu'il  vouloir  tenir  le 
Conieil  de  fort  bonne  heure  ,  pour  aller  en 
fuite  à  Noftre  -  Dame  de  Clery,  on  luy  vint 
dire  que  le  Roy  le  demandoit  au  vieux  Cabi- 
net: le  Roy  n'y  eftoit  pourtant  pas,  mais  dans 
l'autre  qui  regarde  lur  le  jardin.  Alors  il  fe  le- 
vé d'auprès  du  feu,  où  s'ellant  trouvé  un  peu 
foible  il  s'eftoit  alîis,  &  paife  par  une  petite 
allée  qui  elloit  à  cofté  de  la  falle  dans  la  Cham- 
bre ou  il  trouve  Loignac  avec  fept  ou  huit  de 


Livre     III.  277 

Tes  Quarante-cinq.  Le  Roy  les  y  avoit  fait  en-    iy88. 
trer  fort  fecrctcmcnt  luy-mcrmc  avant  le  jour: 
les  autres  cftoient  dans  le  vieux  Cabuiet,  &c 

tous  avoient  de  grands  poienards  cachez  fous 

1  11  1 

leurs  manteaux,  n'attendant  plus  que  la  venue 

du  Duc  de  Guilc  pour  fliirc  leur  coup  ians  le 
manquer,  (oit  dans  la  Chambre,  ou  dans  le  Ca- 
binet, fi  d'aventure  il  y  fuft  entré  en  fc  dé- 
fendant. 

Il  n'en  falloit  pas  tant  pour  tuer  un  homme 
qui  s'en  venoit  tout  feul  ians  fe  défier  de  ce 
qu'on  luy  préparoit,  &  qui  tenant  d'une  main 
fon  chapeau,  ôc  de  l'autre  le  bout  de  ion  man- 
teau qu'il  avoit  retrouilé  fous  le  bras  gauche, 
ne  le  pouvoir  mettre  en  eftat  de  fe  défendre. 
En  cette  pofture  il  s'avance  vers  le  vieux  Ca- 
binet, faliiant  fort  civilement,  à  fon  ordinai- 
re, ces  Gentilshommes  qui  font  femblant  de  le 
fuivre  par  honneur  julques  à  la  porte;  &  com- 
me en  levant  avec  un  d'entre  eux  la  tapilTeric , 
il  fe  baiffe  pour  y  entrer ,  il  fe  trouve  tout-à- 
coup  faifi  par  les  bras&  par  les  jambes,  enmef 
me  temps  qu'on  luy  enfonce  cinq  ou  jfix  poi  • 
gnards  dans  le  corps  par  devant,  Scpar  derrière 
dans  la  nuque  du  cou  ôc  dans  la  gorge,  ce  qui 
l'empefcha  de  dire  unieul  mot  de  tout  ce  qu'on 
veut  qu'il  ait  dit,  ôc  de  tirer  l'épéc.  Tout  ce 
qu'il  put  faire ,  fut  d'entraifncr,  par  un  dernier 
&pui{l'ant effort,  fcs  meurtriers,  en  fe  debatant 
jufqu'à  ce  qu'il  tomba  au  pied  du  lit,  où  quel- 

Mm  iij 


lyS       Histoire  de  la  Ligue. 
I  jSS.    que  temps  après,  en  jcttant  un  profond  fou- 
pir,  il  rendit  l'efprit. 

Le  Cardinal  de  Guifc  &  rArchevcfque  de 
Lyon,  qui  eftoient  à  la  Salle  du  Confeil,  s'ef- 
tant  levez  à  ce  bruit  pour  courir  promptement 
au  fecours ,  furent  arreftez  prifonniers  par  les 
Marefchaux  d'Aumont  &  de  Retz.  On  arrefta 
aufïi  en  mefme  temps  dans  le  Chafteau  le  Car- 
dmal  de  Bourbon,  Anne  d'Efte  DuchelTe  de 
Nemours  mère  des  Guifes ,  le  Prince  de  Join- 
ville,  les  Ducs  d'Elbeuf  &  de  Nemours,  Brif- 
fac  &C  Bois  Dauphin,  &  plusieurs  autres  Sei- 
gneurs confidens  du  Duc ,  &  Pericard  Ton  Se- 
crétaire, pendant  que  le  grand  Prevoft  de  l'Hof- 
tel ,  qui  ellioit  allé  avec  les  Archers  à  la  Cham- 
bre du  Tiers  Eftat,  à  l'Hoftel  de  Ville,  fe  fai-- 
fiflbit  du  Préfident  de  Neuïlly,  du  Prevoft  des 
Marchands,  des  Efchevins  Compan  &:  Cotte- 
Blanche  Députez  de  Paris,  &  de  quelques  au- 
tres fignalez  Ligueurs. 

Cela  fait,  le  Roy  en  voulut  porter  luy- 
imefme  la  nouvelle  à  la  Reine  la  mcre ,  en  luy 
difant  que  c'eftoit  à  cette  heure  qu'il  eftoit 
Roy,  puis  qu'il  s'eftoit  défait  du  Duc  de  Gui- 
fe.  Et  fur  ce  que  cette  Princelfe  fort  iurprife  ôc 
toute  émeiic  luy  demanda  s'il  avoit  bien  pour- 
vcû  à  tout  ce  qui  en  pouvoit  arriver,  il  luy  ré- 
pond d'un  air  aflfez  fier,  &  bien  différent  de 
celuy  dont  il  avoit  accouftumé  de  luy  parler, 
qu'elle  s'en  mift  l'efprit  en  repos,  qu'il  y  avoit 


Livre    Ht. 


179 


donné  bon  ordres  &c  fort  brufc]ucmcnt  là-dcf-    i  j88. 
lus  pour  aller  à  la  MclTc ,  avant  laquelle  il  en- 
voya le  Cardinal  de  Gondy  au  Cardinal  Leeac  Mtm*ri,j,E, 
Morofini  pour  l'informer  de    ce  qui  s'cftoic  ^"'  '**""'' 
fait,  &  des  raifons  qui  l'avoicnt  obligé  d'en 
ufer  de  la  forte. 

L'Hiftorien  Davila  dit  qu'après  cela  le  Roy 
cftant  defcendu  dans  la  Cour  fc  promena  long- 
temps avec  le  Légat,  auquel  il  cxpofa  toutes 
fes  raifons ,  que  cet  Ecrivain  prend  la  peine  de 
déduire  fort  au  long,  comme  s'il  euft  cfté  prc- 
fent  à  cette  longue  conférence,  &  qu'il  eull  oûï, 
fans  perdre  un  ieul  mot ,  tout  ce  que  le  Roy 
dit  à  ce  Cardinal  dont  il  nous  fait  aufli  ft^a- 
voir  les  réflexions  politiques,  àc  la  rcponfc 
qu'il  fit  à  tout  ce  grand  difcours  du  Roy.  Car 
il  dit  que  pour  ne  pas  refroidir  l'affeâiion  de 
ce  Prince  envers  le  Saint  Siège,  il  l'afl^eûra  que 
le  Pape,  comme  Perc  commun,  écouteroit  vo- 
lontiers fes  raifons,  &  qu'il  l'exhorta  fort  à 
faire  la  guerre  aux  Huguenots ,  pour  montrer 
par  là  que  ce  n'cftoit  point  pour  favorifer  leur 
parti,  &  le  Roy  de  Navarre,  qu'il  avoit  fait  tuer 
le  Duc  de  Guife  leur  grand  ennemi. 

Il  ajouilc,  que  le  Roy  luy  promit  avec  fer- 
ment, que  pourvcû  que  le  Pape  le  joignill  à  luy, 
il  continueroit  à  leur  faire  la  guerre  avec  plus 
d'ardeur  que  jamais  ,  &:  qu'il  ne  permettroit 
point  qu'il  y  cuft  dans  fon  Royaume  d'auttc  ,;■; 

Religion  que  la  Catholique  Romaine.  Qu^îi- 


2.8o       Histoire  de  la    Ligue. 


1588.  prés  ce  ferment,  le  Legac  ne  jugea  pas  qu'il  fuft 
a  propos  de  pafTer  plus  avant  dans  cette  Confé- 
rence, &:  que  fans  luy  parler  pour  le  prefenc 
en  faveur  des  Prélats  pnlonniers ,  il  fe  mit  à 
traiter  avec  luy  aufïi  confidemment  qu'aupara- 
vant. Il  y  en  a  melme  qui  diient  que  de  la 
D'AMixi.  manière  libre  &:  dégagée  dont  on  le  voyoit 
agir  avec  le  Roy,  en  luy  parlant  quelquefois 
à  l'oreille,  &  riant  avec  luy,  on  crut  que  ce 
Prince  avoit  agi  de  concert  avec  Romej  &  ils- 
ajouitent,  avec  Davila,  que  cela  donna  lieu 
au  Roy  de  paflcr  outre-,  &  de  faire  encore  tuer 
le  Cardinal  de  Guile ,  voyant  qu'on  fe  mettoic 
fi  peu  en  peine  de  l'emprifonnemcnt  des  Car- 
dinaux. 

Voilà  ce  que  ces  Auteurs  ont  écrit  fort  fe- 
fieufemenr,  comme  une  venté  dont  on  ne  peut 
nullement  douter,  cette  Conférence,  à  ce  qu'ils 
dilent,  s'eftant  faite  à  la  veûe  de  tout  le  mon- 
de dans  la  Cour  du  Chafteau  de  Blois.  Cepen- 
dant il  n'y  a  rien  de  plus  faux ,  ôc  tout,  ce  que 
nous  dit  là-dcfl'us  Davila,.eft  une  de  ces  iîclions 
que  les  feuls  Poètes  ont  droit  de  faire.  La  preu- 
ve en  eft  toute  évidente  &  fans  réplique.  Nous 
avons  les  Mémoires  imprimez  de  la  vie  du  Car- 
dinal Morofini  écrite  tres-élegamment  &  très- 
fortement  en  Italien  par  Monfîgnor  Stéphane 
^.TdeicL.  Cofmi  Archevcfque  de  Spalato,  qui  me  fit  Thon- 
Mtrof.i.  3.     neur  de  me  les  envoyer  de  Venile  il  y  a  plus 

c.  lé.  17.  iS.       ,  l>  •  1         T  1 

de  trois  ans  j  &  i  on  voit  par  les  Lettres  de  ce 

Cardinal 


L   I  V  R   E      I  I  I.  igi 


Cardinal  Lcgat  au  Cardinal  Montalce,  neveu    ij8  8. 
du  Pape  Sixte  V.  auquel  il  rend  un  compte 
cxa6l  de  tout  ce  qui  fc  fit  le  vingt  -  troifiéme 
Décembre  &c  les  jours  fuivans  ,  que  quelque 
inlliance  qu'il  euil:  faite  à  la  prière  de  Madame 
de  Nemours,  pour  obtenir  audiance  du  Roy  le 
matin  de  ce  jour-là,  on  luy  refufa  mefme  l'en- 
trée du  Chafteau,  quelque  effort  qu'il  puif  faire 
à  la  porte  pour  y  entrer,  &c  qu'il  ne  put  jamais 
avoir  cette  audiance  que  le  vingt-fixiéme,  trois 
jours  après  la  mort  du  Cardinal.   Que  devien- 
dront après  cela  tous  ces  beaux  difcours,  ôi 
toutes  ces  particularitez  de  la  prétendue  Con- 
férence du  vingt- troifiéme,  èc  cette  manière 
fi  douce  &  fi  tranquille ,  ou  plûtoft  fî  enjouée 
du  Cardinal  parlant  au  Roy  à  l'oreille,  &  riant 
de  tout  Ion  cœur  y  ce  qui  donna  lieu  aux  gens 
de  croire,  que  félon  les  ordres  de  Rome  il  el^ 
toit  d'intelligence  avec  le  Roy,  qui  le  voyant  agir 
de  la  forte,  rclolut  de  pafler  outre,  &  de  fe 
défaire  encore  du  Cardinal  de  Guife  l  Cela  s'ap- 
pelle faire  une  hiftoire  de  fon  invention ,  c'eft 
à  dire,  une  fable,  comme  l'ont  fait  en  cet  en- 
droit deux  Ecrivains  Proteflans,  d'Aubic^né,  T>'Auhignf, 
&  l'Auteur   du   Difcours  de   ce  qui  s'efi  pape  à  ch.  lù 
Bloïs  jufqu'à   la   mon  du  Duc  de  Guife;  Se   no3  ^^^;,'''/^ 
Hiftoriens  Catholiques  qui  les  ont  i'uivis  s'ef■-^'*'' 
tant  laifTé  tromper  par  ces  Huguenots,  ont  auffi 
trompé  leur   Lcdeur.    Tant  s'en   faut  que  le 
difcours  trop  complaifant  du  Légat  Morofini 

Na 


iSz       Histoire   de   la    Ligue. 


î  j  S  8.  ait  donne  lieu  au  Roy  de  réfoudre  la  mort  du 
Cardinal  -,  qu'au  contraire ,  ce  Prince  ne  luy 
voulut  pas  donner  audiance ,  parce  qu'il  ne  vou- 
loit  pas  écouter  ce  qu'il  luy  euft  dit  en  faveur 
du  Cardinal  de  Guife  dont  la  mort  eftoit  rc- 
foluë. 

En  effet,  comme  ce  Cardinal  defefperé  de 
la  mort  de  fon  frère,  eût  dit  dans  les  premiers 
&les  plus  furieux  tranfports  de  fa  colère,  tout 
ce  que  l'excès  de  la  rage  où.  il  eftoit  luy  put 
fuggerer  de  plus  injurieux  ôc  de  plus  outrageux 
contre  la  perionne  du  Roy  :  ce  Prince  plus  ir- 
rité que  jamais,  &c  craignant  tout  de  la  ven> 
geance  de  cet  efprit  hautain  &  violent,  qui  luy 
elloit  prcfque  auffi  redoutable  que  fon  frère, 
jura  qu'il  en  mourroit.  Ce  qui  l'obligea  encore 
plus  à  prendre  cette  rclolution,  fut  le  rapport 
qu'on  luy  fît  que  ce  Cardinal  avoit  elle  il  im- 
pudent que  de  dire,  qu'il  ne  mourroit  point  qu'il 
ne  luy  euft  tenu  la  telle  pour  le  rafer,  6c  le  faire 
moine ,  car  ce  font  -  là  les  propres  termes  du 

tetfre  Hu  Kojf  '  ri,, 

À  fAmbajj:    Roy  dans  la  Lettre  du  vingt-quatriemeDecem- 
wfi.T!card.  bre  au  Marquis  de  Pifany  fon  Ambailadeur  à 

Ce  ne  fut  pas  pourtant  fans  peine  qu'il  put 
trouver  des  gens  qui  vouluflent  exécuter  [es 
ordres.  Ceux  des  Quarante -cinq  qui  avoient 
poignardé  le  Duc,  retulerent  tout  net  de  fouil- 
ler leurs  mains  du  fmg  d'un  Cardinal  Preftre 
&  Archevefque  de  Reims.  On  trouva  toutefois 


Livre     III.     "•  f        283 . 

quatre  foldats ,  qui  n'ayant  pas  autant  d'hon-    1 5  8  8. 
neur  que  des  Gentilshommes,  n'eurent  pas  ce  in/orm.furu 
fcrupule,  &  s'offrirent  à  le  tuer  pour  quatre  27h^' dJs 
cens  écus  qu'on  leur  promit.  Ainîi,  après  que  ^•"'''• 
le  pauvre  Prince  peu  à  peu  revenu  de  Ton  em- 
portement eût  paflé  le  rcfte  du  jour,  &  la  plus 
«grande  partie  de  la  nuit  en  prières  avec  l'Ar- 
cheveique  de  Lyon  dans  une  petite  chambre 
ou  ils  le  confellerent  l'un  l'autre,  on  luy  vint 
dire  le  matin  fur  les  dix  heures  que  le  Roy  le 
demandoit.  Alors  ayant  recommandé  loname 
à  Dieu,  èc  receû  encore  la  benedi£tion  del'Ar- 
chevefque  ,  qui  croyant  mourir  comme  luy,, 
l'exhortoit  à  recevoir  conftamment  &  chref- 
tiennement  la  mort,  il  fort;  &:  appercevant  les 
foldats  qui  l'attendoient   dans  une  allée  fore 
fombre,  il  te  couvre  de  Ion  manteau  le  vifio'e, 
&  s'appuyant  contre  la  muraille ,  fe  laiffe  per- 
cer à.  grands  coups  de  hallebarde  ians  jetternoii 
pas  melme  un  ioupir,  de  ians  branler  julqu'à 
ce  qu'il  tomba  mort  aux  pieds  de  ceux  qui  le 
traitoienc  d'une  fî  étrancrc  mamere. 

Son  corps  Se  celuy  du  Duc  furent  mis  en- 
tre les  mains  d'im  Chirurgien ,  qui  en  confu- 
ma  les  chairs  dans  la  chaux  vive,  &  en  brûla 
les  os  dans  une  chambre  du  Chaftcau,  pour 
empefcher  que  les  Ligueurs  ne  s'en  ierviffent  à 
émouvoir  les  peuples,  &  que  ceux-cy  qui  en 
eftoient  idolâtres,  n'en  filTent  des  reliques  aul-  • 
quelles  ils  n'euflent  pas  manqué  de  rendre  le& 

Nn  iji 


i84       Histoire  de  la  Ligue. 


ij88.  mefÎTies  honneurs  qu'on  rend  à  celles  des  Mar- 
tyrs. Ainfi  périt  au  milieu  de  la  courfe  d'une 
des  plus  éclatantes  vies  qui  fut  jamais ,  à  l'âge 
de  quarante-deux  ans,  Henry  de  Lorraine  Duc 
de  Guife,  qui  par  les  incomparables  perfections 
du  corps,  de  l'ame  &c  de  Tefprit  qui  le  firent 
admirer  de  fes  ennemis  mefmes,  eull  mérité  ce 
que  la  fortune  fembloit  luy  deftiner,  s'il  n'euft 
pas  eii  la  préfomption  de  la  vouloir  fuivrc  au- 
delà  des  bornes  que  la  Providence  Divine,  à 
qui  elle  ei-t  foumife,  luy  avoir  prefcrites.  Car 
enfin  la  fuite  des  évenemens  à  fait  voir  que 
cette  Providence,  qui  difpofe  fouverainemcnt 
des  Empires ,  vouloir  ofter  celuy  de  la  France 
aux  Valois  pour  le  tranlporter  aux  Bourbons } 
^  il  falloir  que  tout  ce  qui  s'y  pouvoit  oppo- 
fer  fuccombaft  enfin  par  Ion  malheur  inévita- 
ble fous  la  force  invincible  de  ce  Décret ,  au- 
quel il  n'y  avoit  ni  confpiration,  ni  ligue  ^  ni 
fortune ,  ni  aucune  puillance  fur  la  terre  qui 
pull  réfifter. 

Cependant  la  mort  violente  de  ces  Princes, 
bien  loin  d'apporter  au  Roy  l'avantage  qu'il 
s'en  efloit  promis ,  &  que  ia  paffion  luy  avoit 
fauifement  rcprefenté  comme  très -grand  & 
trcs-afleûré,  le  mit  bientofl:  dans  un  ellat  plus 
déplorable  encore  que  celuy  dont  il  penfoit 
cftre  forti.  Il  connut  bien,  après  avoir  exami- 
né de  lang  froid  ce  qu'il  avoit  fait,  que  le  meur- 
tre du  Cardinal  de  Guife  offenferoit  extrême-- 


Livre     î  T  I.  z8y 

ment  le  Pape ,  ôc  qu'il  falloir  taicher  de  l'appai-  i  j  8  8. 
1er,  pour  cmpelchcr  que  ce  Pontife,  qui  lepor- 
toit  fort  haut,  &  n'eftoit  pas  d'humeur  à  rien 
fouffrir  qui  choquait  ion  autorité,  ne  fe  dccla- 
rall  pour  la  Ligue  contre  luy,  ce  qu'il  n'avoic 
pas  encore  voulu  faire,  A  cet  effet,  il  écrivit  le 
jour  de  Noël  au  Légat  le  bUlct  dont  voicy  les 
propres  termes. 

Je  fuis  maintenant  Roy,  ^  je  fuis  rffolu  a  ne  Mem.deivh. 
^luf  foujfrir  déformais  au  on  m'ojfenfe.  Je  fèray  fentir  rof.Us-  t.it' 
à  oui  que  ce  foit  qui  ofe  m' attaquer,  que  je  continue- 
ray  toujours  dans  cette  gmereufe  réfolution,  à.  l'exem- 
ple de  Nojlre  Saint  Père  le  Pape ,  qui  a  coujlume  de 
dire  quilfe  faut  faire  obéir,  ^  punir  ceux  qui  nous 
offenfent.  Puis  que  j'aj  fait  ce  que  je  prétendois  félon 
cette  maxime,  je  vous  'verray  demain,  ^^dieu, 

Ainfi  le  vingt  -  fixiéme  de  Décembre  le  Lé- 
gat eiit  une  longue  audiance,  où  le  Roy  luy 
Ht  entendre  le  fujet  qu'il  avoit  eu  de  faire  tuer 
le  Duc  &  le  Cardinal ,  prenant  Dieu  à  témoin  quil 
avoit  combatu  luy-mefme  fes  propres  raifons  fix  jours 
entiers,  fort  réfolu  de  n'en  point  'venir  a  cette  extrémi- 
té, crainte  d'ojfenfer  Dieu.  Afais  qu'enfin  conftderant 
que  Dieu  qui  l'avoit  fit  Roy  l'obligeoit  à  fe  main- 
tenir dans  fa  dignité,^  que  le  Pape  luy  avoit  fait  c/rUa.-Uyea- 
direparAl.de  Luxembourg  ce  que  Sa  Sainteté  avoit^^^^"^^'J^-^^ 
dit  elle  -  mefme  plufieurs  fois  au  Cardinal  de  loyeufe,  cardiv.  far 

,  ,    ,  r    /    ■         I  ^-  1  ■    U    rr        -Aubery ,  fart, 

quil  devait  je  jaire  obéir,  ft;  punir  ceux  qui  iojjen-  s. 

Nn  iij 


.1».  1 


1^6      Histoire  de  la  Ligue. 

îj88.  foient y  il  avait  réfolu  de  les  prénjenir ,  en  leur  op- 
tant la  vie ,  fans  attendre  au  ils  le  fijjent  fcrir  comme 
ils  en  anjoient  formé  le  dejfein.  ^e  s'il  n  avait  pas 
pris  les  vojes  ordinaires  de  Ujuflice  ^  c'ejl  que  dans 
l'efiat  où  ejloient  les  chafes ,  il  luy  aurait  eflé  abjolu- 
ment  impo(Jîl>le  de  s'en  jervir. 

A  cela  le  Légat,  qui  avoir  eu  le  loifir  de  pen- 
fer  à  ce  qu'il  devoit  dire,  répondit,  ians  par- 
uem  dei.vit.  1er  du  Duc  de  Guife,  Qu'il  ejloit  obligé  de  taver- 
n>f.  lîi/i'    "'  tir^  que  quand  mefme  le  Cardinal  aurait  ejlé  coupai; le, 
,    Sa  A^ajeflé ,  en  le  faijant  mourir,  comme  elle  avait 
fiit,  avait  encouru  les  Cenjures  contenues  dans  la  Bulle 
In  Cœna  Domini,  aujjî-hien  que  ceux  qui  avaient 
exécuté  fes  ordres ,  ^  canjeillé  ou  approuvé  Jon  afîion.. 
Quil  devoit  donc  demander  labColution  de  fon  péché 
au  Pape,  quifcul  la  luy  pouvait  donner,  ^  cepen- 
dant s'abjlenir  d'entrer  dans  l'EgliJe. 

Le  Roy  fort  iurpris  d'une  déclaration  fi  for- 
te ,  réplique  ,  ^u'il  n'y  a  point  de  Souverain  qui 
n'ait  le  pouvoir  de  punir  fes  Sujets  Ecclefaftiques  pour 
un  crime  de  le:(je-Afaiej]^ ,  fur  tout  quand  il  y  va  de 
fa  propre  vie.  ^u'ainji  il  ne  croit  pas  avoir  encouru  au- 
cune Cenfure,  veû  principalement  que  les  Rois  de  Fran- 
ce ont  ce  privilège  de  ne  pouvoir  ejlre  excommunie-^^ 
En  eftet,  il  ne  manqua  pas  le  premier  jour  de  l'an 
de  faire,  félon  la  couftume,  les  dévotions  en 
cérémonie  avec  les  Chevaliers  de  l'Ordre,  &dc' 
communier  publiquement  dans  l'Eglife  de  Saine 
Sauveur.  Et  comme  le  Légat  s'en  fut  plaint  ^ 
il  luj  envoya  le  £eur  de  Révol  Secrétaire  d'Ef- 


L  1  V  R  E     I  T  I.  2S7 

tnt,  qui  luy  fît  voir  un  Bref  du  vingtième  de    15  B8. 
Juillet  de  l'année  précédente  ,  par  lequel  le  Pa-  ^"f  '^"  ^"f 
pe  luy  permettoit  de  choiiir  tel  Conrellcur  qu'il  usMemdeu 
uy  plairoit,  ce  qui  en  vertu  de  ce  lirer  auroit  Morof.i.i. 
le  pouvoir  de  l'abloudre  de  toutes  fortes  de  cri-  '•  *'• 
mes  les  plus  énormes,  de  tous  les  cas  rélervez 
au  Pape,  &  de  toutes  les Cenfures  &:  peines  Ec- 
clefialliques,  de  celles  mefmes  qui  lont  conte- 
nues dans  la  Bulle  In  Cœna  Domini.  Et  le  Secré- 
taire ajouifa,  qu'encore  que  le  Roy  en  vertu 
de  fes  Privilèges  n'euft  pas  befoin  de  ce  Bref 
pour  fréquenter  les  Sacremens ,  on  ne  pouvoir 
nullement  douter  que  l'ayant,  il  n'ait  pu  com- 
munier fans  aucun  (crupule  &  fans  fcandale , 
après  avoir  receû  l'abiolution  de  fon  Confef- 
feur.    Le  Légat  n'ayant  rien  à  répliquer  à  cela, 
ne  dit  plus  rien ,  ôé  le  contenta  de  la  remon- 
trance qu'il  avoir  faite. 

Mais  le  Pape  Sixte  n'en  demeura  pas  là.  Car  ej  effendo 
il  s  emporta  d  une  étrange  manière  contre  Ion  cardmaie  m 
Légat  qu'il  accufoit  de  laicheté,  parce  qu'ayant  [^"à^/^  l^ 
veû  malfacrer  un  Cardinal  il  n'avoit  pas  publié  t^re,  come 
les  Cenlures  contre  le  Roy  avec  l'interdit,  quand  cato  r'imer-'" 
mefme  en  le  faifant  il  en  euil  deû  perdre  cent  il^l°llf^T' 
fois  la  vie.    Il  en  témoigna   Ion  refl'entiment  ^"'^^-^  ="'''^- 

1  1  ■*  f  •       1  J-  tecentovite» 

avec  beaucoup  d'aigreur  au  Marquis  de  Piiany  letne  d» 
Ambafladeur  du  Roy,  au  Cardinal  de  Joyeufe  iZm.dlL'Ji 
Protecteur  de  France,  &  plus  fortement  enco-  ^■'^^""'f-'-^ 

'  l  c.  1}. 

re  à  tout  le  Sacré  Collège  en  plein Coniiftoire,  „ .. 

t)  I  '   Dffcotirs  en 

quoy-que  le  Cardinal  de  Sainte  Croix  luv  par-  forme  d'»v:i 


i. 
tt. 


1§8  HiSTOIRÏ    DE   LA    LiGUE, 


ij'SS.    lant  immédiatement  auparavant,  luy  euft  dir, 
tnvcyé  Af,     qu'avant  confulté  fur  cela  les  livres  des  Docteurs, 

^ey  far  M.  le  ^         J  ^  ' 

Cardinal  dt  \\  y  avoit  vcû,  Quun  Roy  QUI  aurait  trouvé  un  Car- 

Joyeufe.furla     ,/     i  ,  .  ^^-  ^  "^   Lr,  i  ^  . 

rt  de  Mejf.  dinal  machinant  contre  J on  hjtat,  le  peutpiire  mourir 


ma 


t.i.  "de  ïHlfl.f^^^  autre  jhrme  ni  figure  de  procès ,  (^  qu'il  n'a  tas 
éUsCard.fag.  l,çjlin  d'affolution  pour  un  pareil  cas.  Il  s'offenfa  de 
cette  liberté,  6<:protcfta  hautement  qu'il  n'accor- 
^utre  Lettre  detoit  jamais  aucune  grâce ,  &c  ne  permettroit 
p"6ZT&^'  P^s  qu'on  fift  aucune  expédition  Confîftoriale 
^"''"-  .  que  le  Roy  n'enveyaft  folennellemcnt  denian- 
ras.  C30. 6ii.  ^^^  l'abfolution,  qui  ne  ferait  donnée  qu'après 

V'tg  637.  C3S.        ,  .  ■     / 1.   a-  •      J  y^  ' 

&  fuiv.  .     qu  on  auroit  examine  1  attaire  dans  une  Congre- 

T^g.cjs.ô^o.  gation  de  Cardinaux  qu'il  établit  pour  ce  iujer. 

Le  Roy  vouloit  bien  que  le  Pape,  s'il  en 

avoit  envie,  luy  donnall  encore  une  abfolution 

qui  ne  luy  pouvoir  nuire,  quoy- qu'il  ne  cruft 

ihid. 6- lettre  pas  cn  avoir  -bcfoin.   Mais  il  ne  voulçit  nulle- 

card?  "'*     ment  fouffrir  qu'on  examinait  juridiquement 

'  e '.■■"■    .    s'il' avoit  eû  droit  de  punir  fes  Sujetscomme  il 

"_'  avoit  fait.  Sur  quoy  le  Cardinal  déjoyeufc  ne 

■  feignit  point  de  remontrer  au  Pape  avec  tout 

lUd.f.  6s9-  le  reipect  qui  eltoit  deû  à  Sa  Sainteté,  Que  les 

.,-;     ,1  .;,     meilleurs  çjT  pi i^  dévots  Catholiques  de  France  ^jiz 

"'  font  icy  les  propres  termes, we/e«o/f«/p^5 /'bwwj- /éi 

opinions  qu'on  a  à  Rome  en  ce  qui  n'eji  point  de  la 

Doéîrine  (^  de  la  Tradition  de  l'EgliJe,  en  quoj  il 

n'y  avoit  aucune  dijference  entre  Rome  ^  France i  mais, 

qu'en  France  on  tenoit  les  Droits  du  Roy  beaucoup  plui  ■ 

grands  qu'on  ne   les  faijoit  a  Rome  j.  (^-  -ou  on  /jjl- 

u  ejltmoit-ji  hien  fondé ,  qu'on  ne  s'en  départ iroit  pçuK 

rien 


1 


Livre     ï  I  Î.  -  xS^j 


rien  du  monde.  Qu'en  ce  fait  particulier  le  Roy  trou-  1588. 
^'eroif  des  plus  fèrvens  Catholiques  qui  foujiiendroient 
que  non  feulement  Sa  Adajefié ,  qui  a  un  Pn-vileze 
flecial  de  ne  bouioir  ejire  excommuniéeymais  le  moin- 
dre homme  du  monde  n'encourt  point  de  Cenfures ,  pour 
ftire  chofe  ncccffire  à  la  confervation  de  fa  liberté  CT 
de  fa  perfonne  ;  ^  en  tout  e'venement  que  Sa  Ma- 
jejlé  ejloit  ahfoute  par  autorité  de  Sa  Sainteté  mefme , 
fuinjant  le  Bref  quelle  ai  oit  offrojé. 

A  cela  le  Pape  ne  répondît  au.cre  chofe,  /i-  F^i-a^*- 
non  que  c'eftoit  à  luy  d'interpréter  Ton  Bref, 
&c  qu'il  ne  fe  devoir  entendre  que  des  crimes 
commis  avant  qu'on  l'euft  receû,  de  non  pas 
de  ceux  qu'on  feroit  après.  Mais  un  des  plus 
fçavans  Prélats  de  la  Cour  de  Rome  eût  l'af- 
feûrance  de  montrer  par'  un  écrit  qui  fut  en-  ^  "• 

voyé  au  Roy,  que  ce  Bref  eftant  conceû  com- 
me il  l'ef^oit  en  termes  généraux,  fans  aucune, 
reftritlion",  s'érendoit  aufli-bicn  fur  l'avenir 
que  fur  le  pafle.  Cependant  le  Pape,  comme 
par  une  foudline  inipiration,  changeant  tout- 
a-coup  contre  fon  humeur,  fe  mit  à  dire  au 
Cardinal,.^'//  reconnoiffoit  que  le  Ejyy  anjoit  eu 
de  grandes  occafcns  de  faire  ce  qu'il  aïoitfxit.  ^ue 
Dieu  avoit  permis  que  le  Cardinal  de  Guife  ^  k  ^^"^ 
Duc  fon  frère  mouruffent  ainf  pour  leurs  pcche:^.  ■ 
Que  la  Ligue  anjoit  ruiné  les  ajfaires  de  Franee ,  & 
mefme  de  la  Religion  Catholique.  Qjfjl  ne  faïloit  ja- 
mais Mendré  le ^  armes  contre  la  10  Ion  té  de  fon  Prin- 
xeiynuil  n'en  ave/wit  jamais  bien^  Qu'il  l'apptllois 

O  a 


i5)o     Histoire   de  la  Ligue. 


ijS8.  à  témoin  luy  Cardinal,  de  ce  qu'il  luy  en  dvoit  dit 
autrefois ,  ^  quaujji  il  a'voit  prédit  ce  qui  leur  efloit 
dxenu. 

Le  Cardinal  ravi  de  joye  de  l'entendre  par- 
ler de  la  forte,  luy  en  rendit  tres-humbles  ^ra- 
ces, &c  le  fupplia  tres-inftammcnt  de  perfif- 
ter  toujours  en  de  il  juiles  ientimens,  fans  fe 
laiffer  furprcndre  aux  artifices  des  Eipagnols  ôc 
xies  Ligueurs.  Mais  comme  il  vit  (Qu'après  tout 
ce  beau  difcours ,  ce  Pape,  qui  de  l'humeur 
dont  il  eftoit ,  ne  pouvoit  fe  réfoudre  à  re- 
culer après  s'eftre  engagé  ii  avant,  vouloit  tou- 
jours que  toutes  les  expéditions  fuffent  fuipen- 
ducs,  jufqu'à  ce  que  le  Roy  luy  euft  envoyé 
demander  ion  abiblution  :  il  eût  le  courage  de 
jbtd.f.éss.  jjjy.  ^-j-j,  £qj.j.  iiefj^cment,  Que^  cette fusj>enJîon ,  qui 

ejîoit  préjudiciable  au  fer-vice  de  Dieu,  au  Jalut  des 
âmes ,  f^  mefme  a  ï autorité  du  Saint  Siège ,  ne  char- 
geait que  la  confcience  de  Sa  Sainteté  ;  &  que  tous  les 
maux  qui  arrivent  de  la  longue  'vacance  des  Egliles 
luy  Jeroient  impute'^,  &  nullement  au  Roj,  qui  aïoit 
fait  de  Jon  cojié  ce  qu'il  dcvoit ,  en  nommant  aux 
E'vefche':^  çy  aux  Abbayes  félon  le  Concordat  :  (^  que 
cependant  les  nommex^  aux  Prélatures  Je  confoleroient 
aisément  de  leur  dif^ace ,  en  joui ffant  plus  long-temps 
de  leurs  Oeconomats ,  fans  fe  mettre  en  peine  de  trou- 
ver, ft)  d'ennjoyer  a  Rome  bien  de  l argent  pour  avoir 
des  Provi/ions  Apojloliques.  Et  qu'après  tout ,  il  pour- 
rait bien  arriver  que  le  Roj  touché  des  remontrances 
du  Clergé  de  France,  ç^  mefme  des  Efiats  qui  ejloient 


L    I    V    R    E       I  I  L  2.51 


encore  ajfemhle^  k  Blon ,  &  de  ce  c^uon  refufe  a  Ho-  i  j  8  ii. 
me  fis  nominations,  remift  les  chofis  fiir  le  pied  du 
droit  ancien ,  auquel  cas  on  n  irait  plus  de  France  à 
Rome,  que  pour  la  confirmation  de  trois  ou  quatre  Pri- 
maties  qu'il  fiaudroit  encore  expédier  oratis. 

Enfin  ce  lage&:  généreux  Cardinal  conclut 
fa  longue  dépcichc  par  l'avis  qu'il  donna  au 
Roy,  que  fclon  le  fentiment  des  plus  celai- iW.tf^s. 
rcz  &  des  mieux  affcdionnez  ,  plus  il  diffé- 
rera d'envoyer  ou  d'écrire  au  Pape,  au  cas  qu'il 
ait  réfolu  de  le  faire,  plus  il  aura  de  fadsfadiion, 
pourveiî  que  les  affaires  aillent  bien  en  France! 
Car,  ajoulle-t-il ,  ^oftre  Adajcflê  n'a  à  efferer  m  à 
craindre  de  rien ,  finon  autant  quelle  aura  du  bien  ou 
du  malche^fiy  dtn s  fin  propre  T^jaume.  Et  pour 
fif avoir  en  quel  prédicamcnt  l'ofire  Majefié  fiera  à  Ro- 
me,  elle  n'aura  befoin  d'attendre  a  lapprendre  par  la 
dépefiche  defion  Amhaffadeur  ou  par  la  mienne  i  elle  le 
trouvera  f^  lira  che':(^fioy  ^  jour  en  jour,  a  mcfiure 
quelle  avancera  ç;^  fira  progrès  en  fie fidite  s  affaires. 

L'événement  vérifia  cette  prédidion.  Car 
quelque  temps  après  Sixte  voyant  la  Ligue  très- 
puiilante,  6c  le  Roy  tres-foible  par  la  révol- 
te  de  la  plus  grande  partie  de  la  France,  fie 
afficher  à  Rome  contre  luy  le  foudroyant  Mo- 
nitoire  que  nous  verrons,  &  dans  lequel  il  dé- 
clare d'abord  que  ce  Prince  a  encouru  l'ex- 
communication portée  par  les  Canons,  pour 
le  meurtre  commis  en  la  pcrfonne  d'un  Car- 
(linal.  .,        . 

Oo   i| 


i5)i      Histoire   de   la    Ligue. 
jj8  8.        La  more  du  Duc  de  Guife  luy  fut  encore 
plus  funefte,  &  produiiit  un  effet  tout  contraire 
a  ccluy  qu'il  en  attendoit.  Il  crut  qu'ayant  cou- 
pé la  tefte  à  la  Ligue ,  elle  ne  feroit  plus  qu'un 
corps  fans  ame  ôc  fans  mouvement,  &  qu'il 
feroit  alors  maiftre  ablolu  ôc  vrayment  Roy, 
comme  il  le  difoit  très  -  fouvent.    Mais  il  vit 
bientoft  qu'il  s'efloit  trompé.  Ce  qu'il  croyoit 
peut  arriver ,  quand  une  fadlion  elt  foible  en 
îl's  commencemens ,  &  que  les  peuples  qui  y 
font  entrez  font  irréiblus ,  &  balancent  entre 
cette  première  fureur  qui  les  a  d'abord  empor- 
tez dans  la  rébellion ,  de  la  crainte  qu'ils  ont 
d'un  Maiilre  juftement  irrité  contre  eux.  Se 
qu'ils  voyent  puilTamment  armé  pour  les  punir 
aulTi  -  bien  que  leur  Chef,  s'ils  ont  l'audace  de 
vouloir  continuer  dans  leur  révolte.    Mais  on 
voyoit  icy  tout  le  contraire.    La  Ligue  eftoie 
enracinée  fi  avant  dans  les  cœurs  des  peuples, 
qu'il  n'y  avoir  nulle  apparence  qu'on  la  puft 
arracher  d'un  feul  coup ,  &c  ce  parti  avoir  de 
trop  puirtans  appuis  dedans  &:  dehors  le  Royau- 
me, pour  efperer  qu'on  le  puft  abbatre  fitoft. 
D'ailleurs,  l'amour  &  le  rcfpedk  que  les  Fran- 
çois ont  naturellement  pour  leur  Roy  eftoit 
prcfque  entièrement  éteint  dans  la  plufpart,  à 
l'égard  de  Henry  1 1 L  également  haï  des  Hu- 
guenots&  des  Ligueurs,  &  il  tort  mepriie,  prin- 
cipalement de  ccux-cy,  qu'il  n'eftoit  plus  craint 
de  perfonne. 


L   I  V    R    E      I  I  I.  l<)5  

Auffi,  au  lieu  de  monter  à  cheval  comme     i;8  8. 
il  le  devoir  faire  après  un  fi  terrible  coup,  ôc 
de  s'avancer  avec  tout  ce  qu'il  avoir  alors  de 
^cns  de  guerre  vers  Paris,  fans  donner  aux  Li- 
gueurs le  loiiir  de  fe  reconnoiftre  ôc  de  le  faire  ^''t  ^".'^''' 

O  /-        /-  1  -.  anche    ico 

un  nouveau  Chef,  il  s'amufa,  félon  fa  couitu-  contra  a  fu» 
me,  a  taire  de  crrandes Déclarations,  &  de  rorc  fmçruc.  Ce 
belles  Lettres  qu'il  cnvoyoit  par  tout,  &c  où  en-  ferr'havl?» 
trc  autres  choies  il  difoit  pour  fa  juftification  "''*  '^'  ^^i<= 

i  ^  ,  alcuna  cola 

ce  qu'on  ne  croyoit  gueres,  de  ce  que  le  Duc  contra  di  lar, 
de  Mayenne  nia  fortement  au  Cardinal  Légat,  cra'  quci'io  " 
fçavoir  qu'il  avoit  receû  de  ce  Duc  mefme  ôc  va  mind^o' 
de  la  Ducheffe  d'Aumale  un  avis  très- certain  ^  dnckCut 
de  la  confpiration  des  deux  frères  contre  fa  per-  Aipbonfo 
fonnc.  Il  ne  fçavoit  pas  fans  doute,  qu'après  qucHo'c'hc'u 
avoir  fait  une  adion  de  cette  nature,  un  Roy  R=hîveapu, 

'  /    blicato. 

ne  la  peut  jamais  mieux  iuftiner  que  quand  il  J^^f^'r.  d,t 
s  eit  mis  par  les  armes  en  ellat  de  taire  trouver  i,b.3.s.iu 
aux  vaincus  fes  raifons  bonnes. 

Et  certes,  en  faifant  ainfî  fon  Apologie  d'une 
autre  manière  qu'un  Souverain  ne  la  doit  fai- 
re, il  ne  perfuada  gueres  ni  fes  Sujets  m  les  Ef- 
trangers  y  &c  il  eût  le  malheur  que  non  feule- 
ment les  Ligueurs,  ôc  beaucoup  d'autres  qui  ne 
l'cftoient  pas  entre  les  Catholiques ,  mais  les  VAubignc, 
Huguenots  mefme ,  ôc  fur  tout  les  Gentilshom- 
mes, condamnèrent  en  des  termes  tres-fafcheux 
fon  adion,  qu'ils  ne  croyoient  pas  eftrc  du  gé- 
nie de  la  nation  Francjoife.  Cependant  il  fut 
bien  furpris,  lors  que  tandis  qu'il  perdoit  le 

Où   iij 


•- i5>4       Histoire    de    la    Ligue. 

ij88.  temps  à  écrire  de  à  continuer  les  Ertats,  com- 
me il  fît  encore  pendant  trois  femaines,  il  ap- 
prit qu'Orléans  s'ciloit  loulevé  contre  luy;  que 
le  Duc  du  Mayne ,  qui  fut  averti  à  Lyon  de  la 
mort  de  Tes  frères,  avant  qu' Alphonfe  d'Ornano 
qu'on  y  envoyoit  ou  pour  l'arrcfter  ou  pour  le 
tuer  y  fuft  arrivé,  s'eftoit  fauve  dans  fon  Gouver- 
nement de  Bour^ocrne,  où  il  eftoit  maiftre  de 
la  plufpart  des  villes  ;  &c  fur  tout  que  Paris  avoir 
fait  renaiftre  la  Ligue  avec  plus  d'ardeur  que 
jamais,  pour  venger  la  mort  des  deux  frères. 

Il  n'y  a  rien  dans    toute  l'Hilloire  de  plus 
étrange  que  ce  qui  fe  fit  en  cette  grande  ville, 
quand  on  y  apprit  une  ii  iurprenante  nouvelle. 
TiavrU.        Les  Seize  qui  l'eurent   les  premiers  ,  &c  avant 
jôarnaiMs.  quc  Ic  Parlement  en  rult  averti,  tant  il  y  avoïc 
journ'JJe     de  ncgligciice  à  la  Cour,  firent  auflitoft,  &:  le 
Mfnrj,  lïi.    ^Qjj.  jYiefnie  du  jour  de  Noël,  prendre  les  armes 
dans  tous  les  quartiers,  s'afle tirèrent  de  tous  les 
lieux  forts ,  mirent  de  bons  corps  de  garde  fur 
les  ponts  ôc  dans  les  places,  àc  garnilbn  dans 
les  maifons  des  Politiques  i  c'eil:  ainfi  qu'ils  ap- 
pelloient  ceux  qui  leur  eftoient  fufpedts,  &  ne 
fe  laiiToient  pas  entraifner  au  torrent  d'une  fi 
;     ;        furieule  fadtion.    En  luite,  fe  voyant  maiftres 
de  Paris,  où  le  peuple  emporté  juiqu  à  la  rage 
pour  la  mort  du  Duc  de  Guife,  elfoit  tout  dif- 
pofé  à  la  révolte,  ils  tiennent  l'Affemblée  gé- 
nérale à  l'Hofiel  de  Ville,  où  malgré  toute  la 
réllllance  du  Premier  Préfident  Achille  de  Har- 


Livre     III.    .   '  '        t.^^ 

lay,  qui  pcnHi  pcrir  en  cette  occafion,  ils  éli-  i  j8i>. 
lent  pour  Gouverneur  le  Duc  d'Aumale,  6c 
font  entre  eux  une  plus  étroite  union  que  ja- 
mais pour  la  dcfenfe,  à  ce  qu'ils  diioient,  de  * 
leur  vie,  de  leur  liberté,  &c  de  la  Religion  Ca- 
tholique. C'eft  ainfi  qu'Us  couvroient  d'un  fpe- 
cieux  nom  leur  révolte,  que  les  Prédicateurs ôi: 
les  DotSlcurs  de  la  Ligue  firent  éclater  tout  ou- 
vertement d'une  furieufe  manière. 

Car  les  Prédicateurs  ,  dont  les  plus  fianalez   '  ' 
cftoient   les  Curez  Pelletier,  Boucher,   Guin-    •  '    - 
ceftre,  Pigenat,  &c  Au'ory,  le  Père  Bernard  de    «'^'^l* 
Monrgaillard ,  iurnommé  le  Petit- Feuillant, 
&  le  fameux  Cordclier  Feu-ardent,  prcfchant 
dans  les  Paroifl'es  de  Paris  durant  les  Feftes  de 
Noël,  changèrent  leurs  fermons  en  inventives 
contre  la  perlonne  lacrée  du  Roy,  &c  décri- 
virent fi  pathétiquement  la  mort  tragique  des 
deux  frères,  lefquels  ils  élevoient  julqu'au  Ciel 
comme  des  Martyrs ,  qu'ils   faifoient  fondre 
en  larmes  &  éclater  en  foupirs  tout  leur  Audi- 
toire ,  auquel,  au  lieu  de  luy  propofer  l'exem-  c^y.t.  chr<H}, 
pie  de  Saint  Eftienne,  ils  infpiroient  un  ardent  J^^'J^;.^  ^■ 
defir  de  vengeance.  De  lorte  que  ceux  mefme  ■"^"""f- 
qui  navoient  pas  envie  de  pleurer  m  de  ion-  deiden»  i.s. 
pirer ,  &  qui  elîoient  fcandalifez  de  ces  manie-  "'  "*' 
res  tout-à-fait    indignes  d'un  aulTi  laint  mi-   . 
niftere  que  celuy  de  la  parole  de  Dieu,  eitoient       •    ' 
contraints  de  contrefaire  les  pleureurs,  de  peur 
d'eftre  aflbmmez. 


1588. 

Jturtt»l  de 
Henry  1 1 1. 
C-y»fj  t.i. 


jinn. 


îîemcf.  it 
Mercf.  l.  f. 

t.   21. 

Jmn»l  Ji 
Mtarj  m. 


1^6      Histoire    ce   la   Ligue. 

En  effet,  comme  Guinceftre  qui  avoit  pref- 
ché  l'Avent  à  Saint  Barthélémy  eût  dit  en  Tun 
de  fcs  fermons ,  après  avoir  bien  déclamé  con- 
tre le  Roy,  &:  déploré  la  mort  du  Duc  de  Gui- 
fe,  qu'il  falloit  que  Tes  Auditeurs  levaient  tous 
la  main,  pour  montrer  qu'ils  juroicnt  de  ven- 
ger cette  mort,  &:  de  vivre  &  mourir  dans  la 
fainte  Union  qu'on  venoit  de  renouveller  :  tous 
les  afTiftans  ne  manquèrent  pas  de  luy  obéir 
auflitoft,  excepté  le  premier  Préfident,  qui  ce 
jour-là  premier  de  l'an  mil  cinq  cens  quatre- 
vingts -neuf  cftoit  au  fermon   de  la  ParoifTe, 
dans  l'Oeuvre,  vis-à-vis  du  Prédicateur.  Alors  ce 
furieux  homme  ciit  l'audace  de  luy  dire,  Leve:^ 
la  main  njota  aujjt ,  comme  tons  les  autres  ^  Monjteuf 
le  Premier  Préjident.   Les  Ligueurs  avoient  fait 
courir  le  bruit  que  cet  illuftre  Magiftrat,  qu'on 
fçavoit  eftrc  grand  ierviteur  du  Roy,  cftoit  un 
de  ceux  qui  avoient  confeillé  la  mort  du  Due 
de  Guife  :  de  lortc  qu'il  fallut  necefTaircment 
obéir,  pour  ne  pas  s'cxpofer  imprudemment  à 
la  furie  du  peuple,  qui,  fur  le  refus  qu'il  en 
euft  fait,  cuft  cru  cette  impofture  ,  &  n'eufl 
pas  manqué  de  le    mettre  en  pièces.   Il  leva 
donc  la  main,  mais  fort  peu,  comme  il  n'agif. 
foit  que  par  un  mouvement  forcé  j  &  alors  cet 
effronté  Prédi<:ateur  eût  l'infolencc  de  luy  dire 
qu'il  la  levaft  plus  haut,  afin  que  luy  &  toute 
i'afTiftance  viflcnt  ^u'il  s'obligcoïc  comme  les 
autres. 

Le 


Livre    II!.  15)7 


Le  Curé  de  Saint  Nicolas  des  Champs  i;8^. 
FraïKjois  Pigenat  fut  encore  plus  impudent 
&  plus  impie  que  Ion  confrère.  Car  en  fai- 
fantl'Oraifon  Funèbre  du  Duc  de  Guife  dans 
la  Parroifl'e  de  Saint  Tean  en  Grève,  comme  7"""'"'' a'*- 

ri  I  T-     tr         1      T^       •  d'Jnt.LoyjH, 

on  en  ht  dans  toutes  les  hgliles  de  Pans,  & 
mcfme  à  Noftre-Dame,  avec  une  pompe  plus  :</?«.. 
que  Royale ,  il  en  vint  jufqu'à  cet  excès  de 
fureur,  que  de  demander  à  les  Auditeurs,  s'il 
ne  fe  trouveroit  pas  quelqu'un  qui  cntreprill 
de  venger  le  meurtre  du  Duc  en  donnant  la 
mort  au  Tyran.  Et  pour  émouvoir  le  peuple,., 
il  fit  parler  en  fa  place  la  DuchefTe  ,  veuve 
du  défunt,  qui  cftoit  prefte  d'accoucher,  & 
luy  fit  dire  ces  terribles  paroles  imitées  de 
Virgile  : 

Exoriare  aliauis  nojlm  ex  ojflhus  ultor 
^ui  face  f^iiltjios  fcrroque  fcquare  Tyrannos. 

Ces  Prédications  léditieules  cauferent  de 
très-grands  defordrcs  :  mais  ce  qui  acheva  de 
tout  perdre  fut  le  fcandaleux  Décret  des  Do- 
â:eurs ,  qui  s'eilant  laiiTé  aveugler  à  cette  fu- 
rieufe  paffion  qui  animoit  la  Ligue,  &  condui- 
fant  en  fuite  les  peuples  aveugles  ,  les  firent 
tomber  avec  eux  dans  le  plus  effroyable  abif- 
me  de  crimes  &  de  malheurs  qui  fut  jamais. 
Ceux  qui  compofoient  le  Corps  de  Ville,  qui 
cftoient  alors  tous  Ligueurs  ,  pour  autorilér 
l'horrible  révolte  qu'ils  méditoient,  s'aviferent 

pp 


__«..»„-.  i5> 8      Histoire    de   la    Ligue. 

1/8  c>.     de  piopofcr  à  Mcflieurs  de  Sorbonnc  non  feu- 
jMem.  de  u    lemcnc  de  vive  voix  ,  mais  auHi  par  un  Adle 
M.desevirs.  authentiquc  jfîgné   du  Magilb'at  ôc  fcclié  du 
friftdtsAr.    Sceau  de  la  Ville,  ces  deux  grands  cas  de  con- 
Icicnce  :  l'un ,  Si  les  François  cfloicnt  effvcîinjement 
délie:^  du  ferment  de  fidélité  (jr  d'ohéïjjance  que  l'on 
4'voit  prcjié  au  Roy;  l'autre,  s'ils  fe  pourvoient  Ar- 
mer fi)  unir ,  &  s'ils  pourvoient  lever  de  l'argent  0* 
contribuer  pour  U  défènfe  ^  confier-vation  de  l<^  Re~ 
^iTurcf.Tl.  ligjon  Catholique ,  ^pofiolique  cJt*  Romaine  en  Fran- 
e.  3s-  Qç  ^  pour  s'oppojêr  aux  détcjïables  defjeins  (^   aux  ef- 

forts du  Roj  (y  de  tom  Ces  adhtrans  j  depuis  qu'il 
avoit  violé  la  Foy  publique  à  Hlois ,  au  préjudice  de 
U  Religion  Catholique ,  d<!  lEdit  de  U  Sainte  Union, 
Cjsr  d:  la  liberté  naturelle  des  Ejlats. 

Sur  quoy  la  Faculté  s'eflant  afTembîée  le 
leptiéme  de  Janvier  au  nombre  de  loixante-dix 
Dodieurs,  après  une  Procefîion  folennelle  &  la 
MefTe  du  Saint  Efprit ,  conclut  pour  l' affirmative 
fur  ces  deux  points  j  d'un  commun  confentement,  ç^ 
fans  que  perjonne  s'y  oppofitfi,  ce  font  les  propres 
termes  du  Décret  ^g;^  qu'on  cnvojeroit  au  Pape 
cette  réfolution  j  afin  qu'il  l'approuvafi  ç^  confirmafi 
de  Jon  autorité  i^  qu'il  eufl  U  bonté  de  Je  courir  l'E~ 
glife  Gallicane  qui  fouffroit  beaucoup ,  f^  fe  trouvait 
fort  opprimée. 
t.um.  de  U        A  la  vérité  ce  Décret  fît  un  crrand  fcandalc, 

Ligne ,  '•  S-  ,  ^  .       . 

f.i92.â-fuiv.  Se  les  Huguenots  qui  ne  manquèrent  pas  de  le 
rapporter  mot  pour  mot,&  de  l'examiner  dans 
leurs  écrits,  en  tuèrent  grand  avantage  pour 


Livre    III. 


299 


infultcr  à  nos  Thcologiens,  dont  ils  avoicnr  1585» 
raifon  de  dire  que  la  Dodrine  &:  la  Morale ,  à 
cet  éc^ard ,  cft  directement  oppoféc  à  la  parole 
de  Dieu  qui  cnleigne  tout  le  contraire.  Mais 
il  cft  aile  de  les  iatisfairc,  en  leur  dilant  ce  qui 
cft  très -véritable,  que  ce  Décret  (e  fit  par  la 
fadlion  des  Docteurs  ieditieuï,  Boucher,  Prc- 
voft,  Aubry,  Bourgoin,  Pelletier,  de  icpt  ou  c^ytt.t.r. 
huit  autres  vieux  Docteurs  qui  eftoient  paillon- 
nez  Ligueurs,  de  melme  du  conieil  des  Seize, 
ôc  qui  entraiincrent  par  leur  cabale  &  par  leur 
violence  ces  cinquante  ou  loixante  Docteurs,. 
dont  la  plufpart  cftoient  de  ces  jeunes  empor- 
tez ôc  turbulens  dont  nous  avons  déjà  parlé  ^ 
6c  les  autres  craignant  pour  leur  vie  s'ils  leur 
réfiftoient,  ne  conicntirent  que  par  force  à  ce 
Décret,  que  la  Sorbonne  mefme,  quand  elle  a 
cfté  libre ,  a  toujours  tenu  pour  abominable  ,. 
àc  auquel  le  Docteur  Jean  le  Févre,  qui  eftoit 
alors  Doyen  de  la  Faculté,  s'oppoia  de  toute 
la  force,  lans  qu'il  puft  jamais  rien  gao^ner  fur  Thuan.1.9^. 
cette  malhcurcuie  faction,  qui  le  contraignit, 
malgré  qu'il  en  euft ,  de  conclure  comme  elle.  Condurum 

A      /r    1    \  .,',..  .  ,    eft  a  D.  De 

Aulli  le  Roy ,  q^ui  s  en  plaignit  extrêmement  a  ano  cmfdem 
Blois,  ayant  fait  alTembler  vingt  Evefques  &  mTn"e?efrà"^ 
douze  Dodicurs  de  Sorbonne  qui  le  trouvoient  î,*"^^ 
parmi  les  Députez,  comme  on  eût  tait  la  le- 
dure  de  ce  Décret,  tous  conclurent   fans  ba- 
lancer, qu'il  eftoit  exécrable  ,  &  ne  pouvoic -^-'''"^  "'^«'^ 
avoir  eite  tait  que  par  rorçe,  &  pour  le  ga- /.  5.  f.  s^- 

PP  '} 


te. 


500       Histoire  de    la   Ligue. 
158^.    rantir  de  la  fureur  de  de  la  rage  des  Ligueurs 
de  Paris. 

Cependant  il  faut  avouer  que  ce  Décret,  de 
quelque  manière  qu'il  ait  efté  fait,  cftant  de  la 
Sorbonne ,  dont  le  nom  de  l'autorité  eftoient 
en  (înguliere  vénération  dans  toute  l'Europe, 
&  prmcipalemcnt  en  France,  fut  comme  le  fi- 
gnal  de  la  révolte  générale  qui  fe  fit  dans  Pa- 
ris, &c  qui  de  là,  en  tres-peu  de  temps,  s'éten- 
dit dans  la  plufpart  des  villes  du  Royaume. 
Car  aufTitoft  qu'il  fut  publié  dans  cette  grande 
ville ,  fur  tout  par  les  plus  emportez  des  Prédi- 
cateurs forccnez  de  la  Ligue ,  qui  l'expoferent 
au  peuple  dans  leurs  furieufes  déclamations, 
l'on  paiîa  tout-à-coup  à  de  fi  horribles  extré- 
mitez,  &  à  de  fi  exécrables  excès  de  fureur 
contre  ce  que  des  Sujets  doivent  à  leur  Prince 
légitime,  qu'encore  que  nos  Ecrivains  lesayent 
rendus  publics,  je  crois  pourtant  qu'il  vaut 
mieux  les  fupprimer  que  de  profaner  mon  Hif- 
toire  par  un  récit  qui  la  rendroit  dcfagréablc 
ôc  odieufc. 

Je  diray  feulement,  qu'au  mefme  temps  qu'en 
vertu  de  ce  malheureux  Décret  on  luy  oita  le 
nom  de  Roy ,  pour  ne  luy  donner  que  celuy 
de  Henry  de  Valois,  \^n'y  a  forte  d'outrages 
qu'on  ne  luy  fift  en  toutes  les  manières  que  la 
rage  impuilfante  d'un  peuple  furieux  put  in- 
venter, pour  fe  répandre  en  fatyrcs,  en  invedti- 
vesj  eu  libelles,  çn  calomçiies,  en  toutes  fortes 


Livre     I  1 1.  r;i  '-■    -    301 


d'injures  atroces,  dont  la  moindre  elloit  celle    i;8^, 
de  Tyran  &  d'Apoftat;  &  pour  le  décharger,  par 
le  plus  brutal  de  tous  les  emportcmens,  iur  Tes  •  .  ,; 

Armes,  fur  les  Statues,  fur  fes  Portraits,  fur  fes  "■]  l!l^^ 
Tableaux  <^ui  furent  rompus,  déchirez,  fou-  *'•-'"  ■' -"^ 
lez  aux  pieds,  traiinez  par  les  boûës,  bruflcz, 
jcttez  dans  la  rivière ,  en  le  chargeant  de  mille 
malédictions,  tandis  qu'on  réveroit  le  Duc  de 
Guilc  ôc  fon  frerc  comme  des  Martyrs,  jufques 
à  mettre  leurs  images  fur  les  Autels,  Enfin  cette 
aveugle  fureur  alla  fi  loin ,  que  depuis  ce  Dé- 
cret les  Curez  &c  les  Confeffeurs  de  la  faction 
des  Seize,  abufant  facrileo-ement  du  pouvoir  ^'V*""""'' 

1  r         /i/-n  1  1  ri  Traite  de  la 

que  leur  lacrc  Minilterc  leur  donne  de  lier  &  ^r.fe  des  Arm^ 
de  délier,  rcfuioient  l'ablolution  à  ceux  qui  ^'  *  '" 
leur  avoûoient  en  Confefiion  qu'ils  ne  pou- 
voient  fe  réfoudre  à  ne  plus  reconnoiftre  Hen- 
ry  III.  pour  leur  Roy, 

Voilà  l'effet  que  produifit  d'abord  ce  Décret 
de  la  Faculté,  que  le  Roy  receût  avec  ces  trif- 
tes  nouvelles ,  en  mefme  temps  qu'il  eftoit  oc- 
cupé à  rendre  les  derniers  devoirs  à  la  Reine 
fa  mère ,  qui  mourut  au  Chafteau  de  Blois  le 
cinquième  de  Janvier,  à  la  foixantc  &  douzième 
année  de  fon  âge,  foit  du  chagrin  qu'elle  eût 
de  la  mort  des  Guiles,  ^  du  reproche  que  luy 
en  fit  le  vieux  Cardinal  de  Bourbon ,  foit  d'une  ^'""'"f""-. 
fièvre  lente,  ou  d'une  faulfe  pleurefie.Ileft  cer-  ^^'"^■ 
tam  qu  on  a  garde  très-  peu  de  melures,  loit  chanc.  d*. 
en  louant,  loit  en  blafmanc  cette  Princelle,  qui  ^*'*"'"-'- 

Pp    nj 


3oi       Histoire  de  la  Ligue. 


ne 

merv, 
vil 
de  MeM, 


ijS*).    certainement  a  fourni  aux  Hiftoriens  de  quoy 
^mntofmi.    en  dire  &:  beaucoup  de  bien  &:  beaucoup  de 
Henry  Eftien- TnsX.  On  peut  alicz  connoiitre  1  un  &1  autre 
t'nîTtia  P^^  ^^^  chofes  que  j'en  ay  dites  jufques  icy  dans 
de  cath.  cette  Hiftoire  &  dans  celle  du  Calvinifme.  T'a- 
joufteray  leulement,  pour  achever  fon  portrait, 
qu'on  ne  peut  nier  qu'elle  n'ait  eu  de  grandes 
perfections  de  corps  &  d'efprit,  un  port  extrê- 
mement majcftueux,  un  certam  air  de  grandeur 
&  d'autorité  digne  d^  l'Empire ,  des  manières 
nobles  &:  engageantes,  un  cfprit  poli,  délicat 
&  pénétrant,  un  talent  merveilleux  pour  la  né- 
V.  »-  gotiation,  &  une  finguliere  adrefle  pour  tour- 

^^x\Cx,^.-,.  ner  les  efprits  où  elle  vouloir,  une  ma2;nificen- 
•■«*•'■  ce  Royale,  une  conftance  &  une  fermeté  ex- 
traordinaire dans  une  femme ,  un  courage  vi- 
ril ,  &  une  grandeur  d'ame  qui  la  portoit  na- 
turellement à  tout  ce  qu'il  y  a  de  plus  éclatant 
(&  de  plus  relevé  dans  le  monde.  En  un  mot, 
elle  euft  pu  pafler  pour  une  Héroïne,  Ç\  tant 
de  belles  qualitez  n'cuflent  elle  flétries  par  de 
grands  vices,  qui  ont  trop  paru  dans  toute  fa 
conduite ,  pour  croire  que  l'Hiftoire  les  doive 
ou  les  puifle  diiTimuler. 

Car  on  n'y  voit  que  trop,  pour  fon  honneur,. 

la  prodigalité,  le  luxe,  la  diifolution  honteufe 

.•»•         qu'elle  fouffroit  dans  fa  Cour,  &  de  laquelle 

mcfme  elle  fc  icrvoit  pour  gagner  ceux  qu'elle 

avoit  envie  d'encracicr  dans  les  interefts,  le  pea 

-'■        de  unccrite  &  de  roy  qu  il  y  avoit  dans  les  pa- 


Livre     I  I  I.   ;  '  i  - 1 


303 


rôles,  le  trop  de  créance  quelle  donnoic  aux  i;Sp. 
aftrolocTues  ôc  aux  devins  qu'elle  confulcoit 
fur  l'avenir,  de  fur  tout  cette  ambition  demc- 
furce, à  laquelle,  pour  régner  toujours  abiolu- 
ment,  elle  ne  fît  point  de  difficulté  de  lacrificr 
les  intcrefts  de  l'Eftat  &:de  la  Religion,  qu'elle 
penfa  ruiner,  en  penchant  tantoft  du  colVé  des  • 
Huguenots,  ôc  tantoft  de  celuy  des  Catholi- 
ques ,  lelon  que  l'une  ou  l'autre  Religion  luy 
fembloit  plus  propre  pour  venir  à  bout  de  Tes 
defTeins.  Enfin,  pour  conclure  par  le  point  el- 
fentiel  de  cette  Hiftoire,  la  haine  qu'elle  por- 
toit  au  Roy  de  Navarre  ion  gendre,  ôc  l'amour 
qu'elle  avoit  pour  Ton  petit-fils  de  Lorraine, 
luy  firent  fous  main  favorifer  la  Ligue,  donc 
pourtant  elle  eftoit  la  dupe.  Car  elle  eût  ce 
malheur,  qui  arrive  ordinairement  à  ceux  qui 
veulent  trop  ménager  les  uns  &  les  autres,  qu'el- 
le fut  prelque  également  en  averfion  aux  Hu- 
guenots ôc  aux  Catholiques  des  deux  partis.         "     ; 

Voilà  quelle  fut  cette  PrincefTe,  quin'ciit  rien 
de  médiocre  ni  dans  le  bien  ni  dans  le  mal  :  heu- 
reufe  néanmoins  félon  Dieu  de  lelon  les  hom- 
mes, en  ce  qu'elle  mourut  en  un  temps  où  l'on 
crut  dans  le  monde  que  fa  vie  eftoit  neceffairc 
au  Roy  pour  le  tirer  par  fon  adrelîe  de  l'hor- 
rible embarras  où  il  eftoit ,  ôc  qu'elle  expira  Mtpicr.  di 
doucement  &i  Chreftiennement,  après  avoir  re-  f.^"//.  '* 
ccû  les  Sacremcns  avec  beaucoup  de  piété, 
quoy-que  les  Hiftoricns  Huguenots  qui  la  haïl- 


Jiurnal  de 

Henry.  211. 


304     HisTôïRK   DE   LA   Ligue. 

tjtp.  Toient  mortellement,  ayeiit  écrit  le  contraire. 
Et  parce  qu'elle  n'elloit  gueres  moins  haïe  des 
Ligueurs  de  Pans ,  qui  s'imaginoient  qu'elle  a- 
voiteû  part  à  la  mort  des  Guiies,  comme  d'au- 
tres aulTi  l'ont  cru,  après  ce  que  le  Médecin 
Miron  en  a  écrit  dans  la  Relation ,  ils  difoient 
hautement  que  fi  l'on  apportoit  Ion  corps  à 
Paris ,  quand  on  l'iroit  mettre  à  Saint  Dcms 
dans  le  magnifique  tombeau  qu'elle  y  avoit  fait 
drcfTcr  pour  elle  oc  pour  le  Roy  Henry  I L  fon 
mary,  ils  le  jetteroicnt  dans  la  Seine. 

Cependant  le  Roy  qui  croyoit  encore  qu'il 
les  pourroit  faire  rentrer  dans  leur  devoir  par 
les  voyes  de  la  douceur,  leur  avoit  envoyé 
la  Ducheffe  de  Nemours  merc  des  Guifes  6c 
du  jeune  Duc  de  Nemours  leur  frère  utérin, 
qui  s'eltoit  fauve  peu  après  que  le  Roy  l'eût 
fait  arrefter.  Cette  PrmcelTe,  qui  eftoit  fort  fa- 
gc,  préférant  le  bien  de  la  paix  à  une  ven- 
geance inutile  de  la  mort  de  fes  enfans,  avoit 
commencé  de  traiter  par  Lettres  avec  les  Ducs 
de  Nemours  &  de  Mayenne  fes  deux  autres 
fils,  pour  les  ramener  doucement,  en  leur  of- 
frant tous  les  avantages  èc  toutes  les  feûretez 
qu'ils  pourroient  railbnnablement  fouhaitcr; 
ce  qui  fit  croire  au  Roy  qu'elle  pourroit  adou- 
cir les  eiprits,^:  appaiier  les  troubles  de  Paris. 
c^jit.1.1.  Il  voulut  mefme  qu'elle  fuft  accompagnée  des 
Ekhcvins  Compan  ôc  Cotte-Blanche,  qui  pro- 
mirent d'agir  de  leur  jnieux  pour  cet  elfetj  ou 

de 


Mtmir.  a 

Meref.  l,  }. 
e.  23. 


Livre     1 1  L   -^      ^       50; 

de  retourner  à  Blois  dans  leur  prifon  s'ils  ne    i;8;j. 
pouvoicnt  rien  obtenir,  ôc  fit  porter  en  mef- 
mc  temps  au  Parlement  un  ordre  exprés  d'cn- 
rcgiftrcr  la  Déclaration  qu'il  avoit  envoyée  par 
tout,  aufTitoft  après  l'exécution  de  Blois. 

On  rcccût  à  Paris  la  DuchefTc  avec  toute 
forte  d'honneur  ,  &  une  joye  incroyable  du 
peuple,  c]ui  la  réveroit  comme  la  mère  de  deux 
laints  Martyrs  i  &  le  petit  Feuillant  prelchant  pur^Mii, 
un  jour  en  ia  prclencc,s  emporta  julqu  a  taire,  -^ 
en  ie  tournant  vers  elle,  une  apoll:rophe  au  feu 
Duc  de  Guile  en  ces  termes:  O  faint (^ glorieux 
Adartyr  de  Dieu,  bénir  ejl  le  ventre  qui  t'a  portée  ç^ 
les  mammelles  qui  t'ont  allaité l  Mais  après  tout, 
elle  ne  réiifTit  pas  en  fa  ncgotiation.  Les  deux 
Elchevins,  fauÂant  leur  ferment,  fe  joignirent^ 
comme  auparavant,  avec  les  Fadlieux  ;  &  fur  la 
Requefte,  dont  on  garde  l'original  dans  la  Bi- 
bliothèque de  M.  Colbert,&  que  j'ay  vcûe  li- 
gnée de  quarante  -  huit  d'entre  les  principaux 
Bourgeois  ,  on  leur  fit  dcfenfe  de  retourner 
àBlois,  &  leur  ferment  qu'ils  en  avoient  fait 


fut  déclaré  nul  par  Arreil  du  nouveau  Parle-  Journal  i» 
ment    que  les  Ligueurs  fe  firent    après   avoir"   '   '^  ' 
cafle  l'ancien  par  un  des  plus  horribles  atten- 


tats qu'on  ait  jamais  commis  contre  l'autorité 
Royale. 

Car  le  Duc  d'Aumalc  &  le  Confeil  des  Seize 
fe  défiant  de  cette  augurte  Compao-nic ,  dont  ^'"'''*',f' 
les  principaux  membres  çltQient  grands  icrvi- 


^ 


3o<*       Histoire  de  la  Ligue. 


1585?.  teurs  du  Roy,  réfolurent  de  s'en  faifir  Se  de 
tous  les  autres  Officiers  qui  leur  eftoienc  CnC- 
pe(5ts.  Jean  le  Clerc  ditBuflTy,  autrefois  Procu- 
reur en  Parlement,  l'un  des  plus  téméraires  & 
des  plus  impudcns  hommes  qui  fut  jamais,  & 
que  le  Duc  de  Guife,  le  connoifTant  déterminé 
Ligueur,  avoit  fait  Gouverneur  de  la  Baftillc, 
demanda  &  obtint  cette  Commiflion,  qu'il  exé- 
■  ''  cuta  le  ieiziéme  de  Janvier,  Car  s'eftant  faifi  le 
matin  des  portes  du  Palais ,  il  entre  tout  armé 
ûit  les  huit  heures  dans  la  Grand'  Chambre  où 
Meflieurs  eftoient  afTemblez,  6.:  leur  dit,  que 
les  bons  Catholiques  de  Paris  luy  avoient  don- 
^M^u^tl'*  né  charge  de  leur  prefenter  uneRequefle;  puis 
l'ayant  mil-c  entre  les  mains  d'un  des  Melîîeurs, 
il  fe  retire  au  Parquet  des  Huifîiers  où  fcs  gens 
l'attcndoient.  Cette  Rcquclle  portoit  ,  Qjt^d 
plujl  à  la  Cour  s'unir  avec  les  Prenjojl  des  Àdarchands, 
Efchevins  (^  hons  Bourgeois  de  Paris  powr  la  déjènfe 
de  la  lieligion  ^  de  la  Paille,  ^ue  conformément  an 
"Décret  de  la  Sorhonne ,  elle  déclaraji  que  les  François 
fjioient  délivre^  du  ferment  de  fidélité  ^  d'ohéïjjànce 
envers  leRoj,^  qu'on  ne  mijl plus  Jhn  nom  dans  les 
t^rrejïs. 

Voilà  la  voye  que  prit  ce  fcelerat,  pour  avoir 
Heu,  fous  un  prétexte  fpecieux  devant  le  peu- 
ple, de  traiter,  comme  il  fit,  le  Parlement,  qu'il 
îçavoit  fort  bien  qui  ne  confirmeroit  jamais 
un  Décret  (cmblable  à  celuy  de  la  Sorbonne. 
C'cft  ce  que  noftre  Hiftoirc  n'avoir  pas  encore 


Livre     1 1  T.      -  ■  *        307 ■ 

remarqué,  ôc  que  j'ay  appris  du   Journal  ma-    i  jS^. 
nufcrit  que  le  célèbre  M.  Antomc  Loyfel  Avo- 
cat en  Parlement,  qui  cftoit  alors  à  Paris,  a 
laiiTé  à  Tes  enfans  pour  leur  mll:ruâ:ion.  Il  m'a  *       ,  ,,„ 

,  1  jôHflîAl    M  S. 

cite  genereuiemcnt  communique  par  M.  Joly  •i'M.uyfti. 
Ton  petit-fils ,  Chantre  de  l'Eglile  de  Noihc- 
Damc,  fi  rccommandablc  pour  fon  infigae  pro- 
bité &  pour  fa  profonde  dodlrinc ,  U  a  qui  le 
Chapitre  de  la  Métropolitaine  de  Pans  ell  re- 
devable de  la  rare  Bibliothèque  qu'il  \\xy  a  don- 
née. Ce  fut  donc  là  le  piege  que  BufTy  le  Clerc 
tendit  au  Parlement,  pour  avoir  occalion  de  le 
traiter  le  plus  indignement  qu'il  le  pouvoir 
cftre. 

Car  fans  mcfmc  attendre  la  réponfc  à  fon 
inlolentc  Requeile,  voyant  qu'on  déliberoit 
là-deflus  plus  long- temps  qu'il  ne  l'euft  vou- 
lu, il  rentre  comme  un  furieux  dans  la  Grand' 
Chambre,  l'épée  à  la  main,luivi  de  vincrt-cinq  cy^ 

,    ^  I  ■       rC  \       Journal  dt 

ou  trente  nommes  armez  de  cuiralies  &  àzHinryiu. 
piilolctsj  &  après  avoir  dit  d'abçrd  que  c'ef- {"^^^i!' ''* 
toit  troD  différer,  &:  qu'on  voyoït  bien  qu'il  y 
en  avoit  dans  la  Compagnie  qui  crahiflbient  la 
Ville  &  s'entcndoicnt  avec  Henry  de  Valois, xi 
ajouita,  qu'il  avoit  ordre  de  s'en  affeûrcr,  & 
commanda,  parlant  en  Maiftrc,que  ceux  qu'il 
nommeroit  euffent  à  le  fuivrefur  le  champ  s'ils 
ne  vouloient  eftre  maltraitez.  Sur  quoy,  comr- 
me  en  liiant  fon  rôle,  il  eût  nommé  le  Premier 
PrcJident  Achille  de  Harlay,  les  Préfidens  à.z 


««»7  ^  '  ^- 


— — *- 308  Histoire  de  la  Ligue. 
lygp.  Blanc -Mcfnil  Potier,  &  de  Thou,  &c  les  plus 
y°^^"'\f*  anciens  Confeillers,  tous  les  autres  ie  lèvent 
comme  de  concert,  proteftant  qu'ils  ne  vou- 
ioient  point  abandonner  leur  Chef,  qu'ils  fui- 
virent  en  effet  au  nombre  d'environ  foixantc 
de  toutes  les  Chambres,  marchant  deux  à  deux 
après  Bufly  le  Clerc ,  qui  les  mena  comme  en 
triomphe  au  travers  d'une  multitude  innombra- 
ble de  peuple  juiqu'à  la  Baftille,  où  il  ne  fît 
entrer  que  ceux  dont  on  connoifToit  la  fidehté 
inviolable  au  fervicc  du  Roy. 

Le  plus  confiderable,  comme  le  premier  de 
tous  Tans  contredit  en  mérite  aulTi-bien  qu'en 
dignité,  fut  le  grand  Achille  de  Harlay,  dont 
le  feul  nom  peut  tenir  lieu  d'un  grand  éloge , 
par  la  haute  idée  qu'il  nous  forme  d'un  Ma- 
giltrat  tres-accompli  en  toutes  iortes  de  perfe- 
ctions. C'eftoit  le  digne  Chef  de  cette  augufte 
Compagnie,  que  la  fureur  de  la  Ligue  traita  fi 
indignement,  ôc  de  cette  illuftre  Maifon,  qui 
après  s'eftrc  fignaléc  plus  de  quatre  cens  ans  par 
les  armes,  a  joint  à  cette  gloire  toute  celle 
■  qu'on  peut  aquerirdans  les  plus  beaux  emplois, 
&  les  plus  grandes  dignitez  de  la  Robe  ôc  de 
l'Eglife. 

Je  ferois  fort  injuftc  fi  je  ne  rendois  juftice 
au  mérite  de  ces  lUuftres  Sénateurs  qui  fuivi- 
rent  leur  Chef,  &  fi  je  ne  faifois  connoiftrc  à 
la  polleritc  leurs  noms  qu'on  ne  lit  point  dans 
nolUe  Hiiloirc ,  &  que  j'ay  cii  le  bonheur  de 


Livre     III.    .^iH      509 

trouver  dans  le  MAnufcrit  de  M.  Antoine  Loy-  1589. 
lel ,  ce  fameux  Avocat  de  ce  temps -là  qui  les 
connoifl'oit  tous.  Outre  les  Préfidens  que  j'ay 
nommez,  les  Confcillers  qu'on  arrella  prifon- 
niers  avec  eux  dans  la  Ballille,  furent  Melfieurs 
Cliartier,  Spifame,  Malvault,  Perrot,  Fleury, 
le  Vuy,  Mole,  Scarron,  Gayant,  Amelot,  Jour- 
dain, Forget,  Hcrivaux,  Tourncbu,  du  Puy, 
Gillot,  de  MoufTy,  Pmney,  Godard,  Fortin, 
le  Meneur,  &  le  fleur  Denis  de  Hcrc. 

C'eftoit  un  homme  d'efprit  &:de  qualité,  ôc 
l'un  des  plus  forts  de  fa  Compaenie ,  qui  de  N'tesftru 
grand  Ligueur  qu  11  eltoit  auparavant  par  le  leul 
zèle  de  la  Religion ,  devint  grand  ferviteur  du 
Roy,  quand  il  eût  découvert  les  pernicieux  def- 
ieins  de  la  Ligue,  fur  tout  après  la  Converfîon 
de  Henry  I V.  qui  ayant  reconnu  fon  rare  mé- 
rite, en  fit  beaucoup  d'eftat.  De  forte  qu'il  eût  le 
crédit  de  fe  faire  oller  duCatholicon,  où  l'Au- 
teur de  cette  agréable  fatyre  ne  l'avoir  pas  trop 
bien  placé.  Gai  au  lieu  que  dans  la  première 
édition  de  l'an  mil  cinq  cens  quatre-vingt- 
quatorze,  page  fixiéme,  on  fait  promoteurs  de  la 
Ligue  Machaut  &c  de  Here^  on  a  mis  dans  toutes 
les  autres  Afachaut  &  Bajlon;  ce  furieux  Bafton, 
qui  fut  fi  pafTionné  Ligueur ,  qu'il  fio-na  la  Li-  ^ 'tu  fur  u 
gue  de  Ion  propre  lang  tire  de  la  mam,  la- 
quelle en  fut  eftropiée ,  de  qu'il  aima  mieux  fe 
retirer  avec  les  Efpagnols,  après  la  réduâiion 
de  Pans ,  &  mourir  de  m.ifere  en  Flandre ,  que 

Q^  iij 


310       Histoire  de  la  Ligue. 

I J85.  de  vivre  à  fon  aife  en  France  fous  robéïflâncc 
du  Roy.  Voilà  les  noms  des  principaux  d'entre 
Mefîîeurs  du  Parlement  qui  furent  mis  dans  la 
Baftille  avec  le  Premier  Préfident. 

Il  y  en  eût  encore  quelques-uns  dont  je  n'ay 
pu  f(javoir  les  noms ,  qui  meriteroient  d'eftrc 
connus  &  révérez  de  tout  le  monde.  Les  au- 
tres, foit  qu'ils  fuffcnt  tout-à  fait  Ligueurs,  foit 
qu'ils  craigniflent  pour  leur  vie,  ou  qu'ils  cruf- 
fent  qu'il  falloit  difTimuler  pour  avoir  lieu  de 
rendre  quelque  bon  fervice  au  Roy,  ayant  pro- 
mis d'eftrc  ndelles  au  parti  de  l'Union ,  furent 
renvoyez  libres  pour  rendre  la  juftice  avec  le 
Prcfîdent  Briflon ,  qui  dés  le  lendemain  tint 
l'Audiancc  comme  Chef  de  ce  nouveau  Parle- 
ment de  la  Ligue ,  avec  laquelle  on  crut  qu'il 
s'eftoit  entendu,  afin  de  pouvoir  occuper  cette 
place.  Cela  fut  tout-à-fait  indigne  d'un  hom- 
me de  fi  haute  réputation  pour  fa  rare  doctri- 
ne, &  qui  devoir  plûtoft  perdre  mille  vies  que 
d'à  bandonner  lafchemcnt  ion  Roy,  &  de  fc  faire 
honteufement  cfclave  de  la  paffion  de  fes  plus 
mortels  ennemis,  lous  prétexte  que  tout  ce  qu'il 
faifoit  n'eftoit  que  pour  fe  mettre  à  couvert 
de  la  violence  des  Factieux ,  comme  il  le  pro- 
■ÎM4r9ai  it  tefta  fecretement  devant  Notaire.  Mais  c'eft 
^ue  les  plus  grands  Doâieurs  ne  font  pas  tou- 
jours les  plus  grands  hommes  j  &  que  le  bon  fens 
accompagné  d'une  grande  fermeté  d'ame,  & 
d'un,  attachement  inviolable  à  fon  devoir^  vaut 


'kimry  JIJ. 


incomparablement  mieux,  pour  le  fervicc  de    1589. 
Dieu&  de  l'Ellat,  que  toute  la  fcicncedcs  livres 
&  des  Collèges  ramaflée  dans  un  cfprit  fans 
honneur,  fans  courage, &  fans  probité. 

Et  certes  il  parut  bien  que  toutes  ces  belles  c-«r«. 
qualitez  manquèrent  alors  à  ce  prétendu  Par- 
lement, lors  que  neuf  ou  dix  jours  après  cette 
a(Sl:ion  tous  fes  membres  au  nombre  de  Cix-  j.hthaIms. 
vingt  -  fîx ,  y  compris  les  Princes  &  les  Pré-  ''*  '^'^*'' 
lats,  jurèrent  fur  le  Crucifix  qu'ils  ne  fc  dépar- 
tiroient  jamais  de  leur  Ligue,  ôc  qu'ils  pour- 
fuivroient  par  toutes  fortes  de  voycs  la  juftc 
vengeance  de  la  mort  des  deux  Guifes,  contre 
tous  ceux  qui  en  eftoient  ou   les   auteurs  ou 
les  complices.   Cet    Ad:c  qui   fut   envoyé    à 
toutes  les  villes  qui  tenoient  pour  la  Ligue, 
augmenta  la  furemr  des  peuples ,  qui  firent  en- 
core pis  qu'auparavant:  jufques-là  mcfmc  qu'il 
y  en  eût  qui  par  un  abominable  mélange  du 
parricide,  du  facrilege,  &  des  enchantemcns  de  la  P"'"'^  f' 
magie,  mettoient  des  images  de  cire  a  la  reflem- 
blance  du  Roy  fur  les  autels ,  &  les  piquoient 
en  divers  endroits  ,  en  pronon<jant  certaines 
paroles  diaboliques  à  cnacune   des    quarante 
Meffcs  qu'ils  faiîbicnt  dire  en  pluiîcurs  Egli- 
fes ,  pour  donner  plus  de  force  à  leur  charme , 
&:  à  la  quarantième  ils  les  per(joient  à  l'endroit 
du  cœur  comme  pour  luy  donner  le  coup  de 
la  mort. 

Et  cependant  le  furieux  Guinceftrc ,  mon- 


.^Wb 


3it     Histoire    de   la  Ligue. 

ij8f>.    trant  en  plein  fermon  certains  petits  chande- 
liers d'argent  travaillez  délicatement,  il  y  avoit 
plus  de  cent  ans ,  en  forme  de  Satyres  portant 
des  flambeaux,  &  qu'on  avoit  trouvez  parmi 
les  riches  orncmcns  de  fes   oratoires  des  Ca- 
pucins, &  des  Minimes  du  Bois -de-Vincenncs 
qui  furent  pillez  par  la  populace ,  l'accufoit 
luy-mcfme  d'cftre  forcier,  difant  quec'cftoiçnr- 
-iv       là  les  idoles,  &  les  figures  des  démons  aufquels 
Henry  de  Valois  avoit  couftume  de  facrificr 
dans  les    retraites  de  Vmcenncs,   de  qui  luy 
avoient  ordonné  le  maflacre  du  Duc  de  Guife 
défenfcur  de  la  Foy.  Mais  enfin  ce  qui  acheva 
d'abbatre  entièrement  l'autorité  Royale,  Se  d'é- 
tablir puiiTammcnt  la  révolte^  en.  luy  donnant 
quelque    forme  réglée  de  gouvernement  po- 
pulaire, ou  pliitort  Ariftocratique  ,  contre  la 
Loy  fondamentale  de  la  Monarchie  Franc^oife, 
fut  l'arrivée  du  Duc  de  Mayenne. 
>v,  i:  '  Ce  Prince  n'avoit  pas  à  la  vérité  toutes  ces 

'^'^  '  grandes  de  héroïques  qualitez  qui  firent  ad- 
mirer de  tout  le  monde  le  Duc  de  Guiie  fon. 
aifné.  Mais  fi  l'on  s'arrcfte  à  le  regarder  luy 
feul,  &  fans  le  comparer  avec  fon  frère,  dont 
le  mérite  incomparablement  plus  éclatant  que 
le  ficn  ne  manqueroit  jamais  de  l'effacer ,  on 
fera  obligé  de  dire,  pour  luy  rendre  jullice, 
qu'il  avoit  autant  d'efpnt,de  coeur, de  lagcfTc, 
de  modération  ,  de  franchife  &c  de  probité 
qu'il  en  faut  pour  mériter  de  tenir  un  rang 

hoiio- 


Livre     III.  313^ 

honorable  parmi  les  grands  hommes  ;  mais  rjS^* 
non  pas  autant  de  réfolution,  de  fermeté,  de 
crrandeur  d'ame,  de  vuj;ueur  &c  d'adivité,  6c 
de  bonheur  qu'il  en  raudroit  pour  Touftenir 
un  auffi  puilîant  parti  que  celuy  dont  il  ic  fit 
chef  contre  deux  «grands    Rois. 

D'une  part  il  eftoir  fortement  folliciré  par 
le  Confeil  des  Seize,  &  par  la  Duchclfc  de  Mont- 
penfier  la  lœur  de  venir  prendre  la  place   de  c^jiet. 
fon  frère,  &  fe  mettre  à  la  telle  de  ceux  c\niiu7ff.i.!. 
eftoient  tout  prelf  s  de  fuivre  fes  ordres ,  &  de 
s'abandonner  à  la  conduite:  &:  de  l'autre,  il 
avoit  receû  des  Lettres  du  Roy ,  qui  l'alTeûroic 
en  des  termes  tres-obligeans,  qu'cllant  pcrfua- 
dé  de  ion  innocence ,  comme  il  l'ciloit  du  cri- 
me de  fes  frères ,  il  eifoit  prcil   à  luy  don- 
ner toute  la  part  qu'il  pourroit  louhaiter  dans 
fes  bonnes  2;raçes  &c  dans  les  bienfaits,  pour-         .».v-y.- 
veii  qu'il  periilfali  dans  la   fidélité   qu'il   luy     '^'^ ''■■■•■ 
dcvoit. 

Mais  l'extrême,  douleur  qu'il  avoit  de  la  ma- 
nière dont  on  avoit;- traité  fes  frères  j  après  tant^ 
de  promelles  &:  tant  de  proteilations  il  iolen*. 
nclles  d'avoir  oublié  le  pafle  ;  l'obligation  qù'it 
s'imagina  que  ion  honneur  luy  impoloit  de- 
venger  cette  mort  j&  lur  tout  cette  infurmon- 
table  défiance  qu'il  eût  du  Roy,  aux  promef- 
ies  duquel  il  ne  voulut  plus  le  fier  après  un  pa- 
reil coup,  le  firent  reioudre  à  prendre  les  ar-j  . 
mes,  quoy-qu'ii  fuit  naturellement  peu  diipo- 

Rr 


■  3H  Histoire  de  la  Ligue. 
ïjS^.  fé  à  fe  précipiter  aveuglémenr,  comme  il  fit, 
dans  cet  horibic  abylme  d'une  infinité  de  pé- 
rils &  de  defordres  qui  font  inféparables  des 
guerres  civiles.  Il  crut  qu'il  y  avoit  beaucoup 
moins  de  feûreté  pour  luy  a  fe  fier  au  Roy  qu'à 
la  fortune  toute  infidelle  &c  toute  inconilantc 
qu'elle  eft,  ôc  qu'il  ne  courroit  pas  tant  de  rif- 
quc  en  fe  déclarant  hautement  fon  ennemi, 
qu'en  s'affeûrant  fur  fes  promeffes  &  fur  fes  fer- 
.r.i  mens.  Ainfi  ce  ne  fut  d'abord  ni  la  haine,  ni 
l'ambition ,  mais  la  défiance  qui  l'entraifna 
comme  par  force  dans  la  guerre  civile,  ôc  il  ne 
s'eipofa  à  un  danger  fi  manifefte  de  fe  perdre , 
que  parce  qu'il  s'imagina  qu'autrement  il  eftoic 
perdu. 

Cependant  le  commencement  de  fa  malheu- 
reufe  entreprife  fut  fort  heureux.  Il  partit  de 
iDuviu.  Dijon  avec  un  bon  nombre  de  troupes  qu'il 
.ij/et,  'c.  j^^Q-j.  aj^^^f^çj  jç  Cqj-^  Gouvernement  de  Bour- 
gogne, &  de  la  Champagne  qui  s'eftoit  toute 
déclarée  pour  la  Ligue,  à  la  réferve  de  Chaa- 
lons ,  dont  les  Macriitrats  ayant  appris  la  mort 
du  Duc  de  Guife  avant  le  fieur  de  Rofne  que 
ce  Duc  y  avoit  établi  Gouverneur,  le  contrai- 
gnirent fur  le  champ  d'en  fortir.  Et  comme 
une  rivière  s'enfle  &  fe  grofiît  toujours  davan- 
tage à  mefure  qu'elle  s'éloigne  de  la  fource  dC 
qu'elle  s'avance  vers  la  mer  :  ainfi  les  forces  de 
ce  nouveau  Chef  des  Ligueurs  croiffent  fur  fa 
marche  par  le  concours  de  ceux  que  fa  repu- 


Livre     III. 


31; 


tation,  la  mémoire  du  feu  Duc  Ton  frerc,  la  ijS^. 
haine  qu'on  porcoic  au  Roy,  l'exemple  de  Pa- 
ris, le  faux  zèle  de  la  Religion,  &  fur  roucl'm- 
tereft  &  le  defir  de  s'avancer  pendant  les  trou- 
bles luy  attirent  dans  les  pais  par  ou  il  pafTc, 
6c  où  toutes  les  villes  à  l'envi  luy  ouvrent  les 
portes. 

Il  eft  receû  à  Troyes  avec  les  mefmes  hork- 
ncurs  que  l'on  rend  aux  Rois.  Il  y  agit  en  Sou- 
verain, envoyant  de  là  des  Commiiîions  aux 
créatures  du  Duc  de  Guife ,  ôc  fur  tout  à  Roi'nc 
&  à  Saint  Paul ,  aufquels  il  fait  expédier  des 
ordres  pour  commander  en  Champagne  &  en 
Brie,  il  s'afleûre  de  Sens,  où  les  partifans  l'a- 
voient  appelle  :  tout  plie  fous  fon  autorité  par 
tout  où  il  paile.  Il  entre  en  vidlorieux  dans 
Orléans ,  où  le  leul  bruit  de  fa  venue  obligea  ' 
les  Royahftes  à  rendre  la  Citadelle  aux  Bour- 
geois qui  l'afTiegeoient.  Il  le  rend  maiftre  de 
Chartres  par  l'intelligence  qu'il  y  avoir,  &  où 
le  peuple  changé  tout-à-coup,  comme  par  une 
efpece  d'enchantement,  &  devenu  tout  autre 
qu'il  n'efloit  lors  que  le  Roy  s'y  retira  après  les 
Barricades,  le  receût  avec  de  grandes  acclama- 
rions. 

Enfin  tout  glorieux,  &  beaucoup  plus  fier 
que  ne  portoit  fon  naturel  pour  tant  d'heu- 
reux fuccés  qui  fembloient  luy  répondre  de 
l'avenir,  il  entra  le  douzième  de  Février  à  Vd.-'fouma^Ms. 
iis>  où  comme  û  l'on  cuft  veù  le  Duc  de  Guife  "^^  ^''  ^-'^'^ 

Rr  Jj 


^lê  Histoire  de  la  Ligue. 
1585».  rclufcité  en  la  perfonne,  on  fît  éclater  la  joyc 
publique  avec  tant  de  tranfports  &  d'excès, 
qu'on  en  vint  metme  julqu'à  expolcr  Ton  Ta- 
bleau avec  la  couronne  fermée,  &  à  luy  drcf- 
journui  de     {^^  un  Trônc  Royal  ;  &  s'il  euft  eu  aflez  d'am- 

Henrj/  III.,..  .  -^  ,  ,  . ,  ^ 

bition  6c  a  audace  pour  s  y  placer,  il  euit  trou- 
vé peut-eftre  afTez  de  ^ens  qui  l'euflcnt  recon- 
nu ,  pour  tenir  ious  luy  des  Gouvernemcns 
qu'il  leur  euft  donnez  en  titre  de  Duchcz  ôc  de 
Comtez  avec  hommage,  comme  fît  Huçues 

r  1/"!  ••1/ 

Capet.  Mais  toit  qu'il  n'olalt  par  timidité,  ou 
que  par  prudence  il  ne  vouluft  pas  entrepren- 
dre.une  choie  où  il  prévoyoït  des  difficultez 
inlurmontables ,  qui  pour  avoir  voulu  monter 
trop  haut  l'euffent  fait  tomber  dans  le  préci- 
pice :  il  eft  certain  qu'en  réfutant  d'accepter 
cet  honneur  qu'il  ne  voulut  pas  dans  la  fuite 
qu'un  autre  pofTedail:,  il  fauva  l'Eftat,  &  que, 
fans  qu'il  en  euft  alors  l'intention,  il  confer- 
va  la  Couronne  au  Roy  de  Navarre  qui  en 
cftoit  le  légitime  héritier  préfomptif. 

Il  fe  contenta  donc  d'établir  d'abord  fon  au- 
torité, &  de  fe  rendre  plus  puiffant  que  le  Con- 
feil  de  la  Ligue  compofé  de  ces  fameux  qua- 
rante, entre  lefquels  eftoient  les  plus  feditieux  & 


plus  mutins  du  parti ,  qui  quelque  protef^  ^ 
on  qu'ils  eull'ent  faite  de  luy  obéir,  l'euf- 
fent  emporté  dans  les  délibérations  pardeiTus 
luy ,  ôc   n'eulTcnt  pas  manqué ,  quand  il  leur 
euft  plû,  de  luy  faire  la  Loy.    Pour  cet  effet. 


Livre     III.  517 


il  affoiblit  ce  Confeil,  en  l'aucin^cntant  d'un    i^S^. 

plus  crrand  nombre  des  plus  qualifiez  du  parti, 

lur  lelquels  il  pouvoir  s'aflciirer,  y  cftanc  tous 

mis  de  la  main.   Car  fous  prétexte  qu'il  fliUoit 

que  cette  AlTemblée,  qui  devoit  eftrc  le  Con- 

Icil  crénéral  de  l'Union,  fuft  plus  grande  &  au- 

torilee  de  tout  le  parti,  il  fit  arrefter  que  tous 

les  Princes  y  pourroient  aflifter  quand  ils  vou-  cajtt.  m. 

droient,  &  que  tous  lcsEvetques,lesPré{idens, 

les  Procureurs,  &c  les   Avocats  Généraux  des 

Parlemens,  quinze  Confeillers   qu'il  nomma,  .  ,  ... -. 

le  Pr^voll:  des  Marchands,  les  Efclievins,  Se  le 

Procureur  de  la  Ville ,  &c  les  Députez  des  trois 

Ordres  de  toutes  les  Provinces  de  la  Ligue  y 

auroient  iéance  ôc  voix  déliberative. 

Ainfi  ertant  toujours  le  plus  fort  dans  cette 
Ailemblée  par  le  plus  grand  nombre  des  voix 
qui  eftoient  à  luy,  il  y  faiioit  pafTcr,  malgré 
les  Seize,  tout  ce  qu'il  vouloit,  éc  il  s'y  fit  don- 
ner en  eftct  une  autorité  fort  approchante  du 
iouvcrain  pouvoir  des  Rois.  Car  la  première 
chofe  qui  iut  arreflée  dans  ce  nouveau  Confeil, 
fut  que  pour  marquer  ce  pouvoir  prelque  ab- 
folu  de  fouverain  qu'on  luy  laifTa  prendre ,  ou 
qu'on  luy  donna,  il  auroit  déformais,  jufqu'a la 
tenue  des  Eftats,  la  quaUté  toute  extraordinai- 
re, &:  de  laquelle  il  n'y  a  nul  exemple,  de  Lieu- 
tenant Général,  non  pas  du  Roy,  car  la  Ligue 
n'en  connoifToit  point  encore,  mais  de  l'Eilat 
ôc  Couronne  de  France.    Comme  fi  ccîuy  qui 

Rr  hj 


3i'       HisTOîRÊ  DE  LA  Ligue. 

1585).  commande  &  gouverne  pouvoit  reprefenteruti 
Royaume,  &  tenir  en  qualité  de  Lieutenant 
la  pLice  d'un  Eftat  qui  n'eft  pas  ce  qui  gouver- 
ne, mais  ce  qui  doit  eftre  gouverné. 

Il  prcfta  pourtant  le  ferment  de  cette  nou- 
velle &c  bizarre  dignité,  le  treizième  de  Mars,  au 

^JfZ'L^/fi  Parlement,  qui  en  vérifia  les  Lettres  fcellées  des 
nouveaux  Sceaux  qu'on  fit  au  lieu  de  ceux  du 
Roy  qui  furent  rompus  ;  &c  pour  commencer 
l'exercice  de  fa  Charge  par  un  ad:e  de  Souvc- 

çajit,  t.j.  rain,  il  fit  aufTitoft  publier  de  nouvelles  Loix 
contenues  en  vingt  6c  un  articles  pour  unir  fous 
une  mefme  forme  de  gouvernement  toutes  les 
villes  qui  cftoient  entrées  dans  la  Ligue,  Scel- 
les qui  y  cntreroient  encore ,  dont  le  nombre 
en  fort  peu  de  temps  fe  trouva  très-grand.  Car 
il  n'y  a  rien  de  plus  lurprcnant  que  devoir  avec 
quelle  rapidité  ce  torrent  de  rébellion  fe  répan- 
dant de  la  Capitale  dans  les  Provinces,  entraif- 
na  les  plus  grandes  villes,  qui  fous  prétexte  de 
venger  la  mort  des  prétendus  défenfeurs  de  la 
Foy,  &  de  conferver  la  Religion,  fe  liguèrent 
contre  l'Oingt  du  Seigneur,  ou  pour  fe  faire 
un  nouveau  Maiftre^ou  pour  n'en  avoir  point 
du  tout. 

Prelque  toutes  les  villes  de  Bourgogne,  de 
Champagne,  de  Picardie,  &  de  l'Ifle  de  France, 
lapluipart  de  celles  de  la  Normandie,  du  May- 
ne,  de  la  Bretagne,  de  l'Anjou,  de  l' Auvergne^du 
Dauphmé,  de  la  ProYence,  du  Berry,  &  les  plus 


t   I  V  R  E      I  T  I.  31^ 

crandcs  villes  du  Royaume  après  Paris ,  Rouen,  i  J  8  ^. 
Lyon,  Touloulc  &  Poitiers,  s'clloicnc  mifes 
du  parti  de  l'Union  avant  la  fin  du  mois  de 
Mars,  &c  par  tout  on  avoit  commis  à  peu  prés 
les  mefmes  delordres  qu'à  Paris  j  mais  fur  tout 
à  Toulouie ,  où  les  fadiicux  s'eftant  jcttcz  fur 
le  Premier  Préfidcnt  Duranti,&:  i'ur  Daphis  Avo- 
cat Général,  deux  hommes  d'une  haute  capa-- 
cité,  d'une  vertu  fînguhere,  &  d'une  rare  fidé- 
lité au  feryice  du  RoyjlesmaiTacrerent  en  plei- 
ne rue.  Après  quoy  la  Faculté  de  Théologie 
confirma  le  Décret  de  la  Sorbonne  qu'on  avoit 
propofé  dans  une  AfTemblée  générale  à  l'Hof- 
tel  de  Ville  pour  autoriler  la  révoke. 

La  plus  grande  partie  de  la  Provence  s'eftoic 
aufïi  jettée  avec  la  mefme  impetuofité  dans  ce 
parti,  fous  la  conduite  du  fameux  Hubert  de 
Garde  Seigneur  de  Vins,  qui  par  fon  courage 
&  par  fa  valeur  extraordinaire ,  fouftenuc  de 
beaucoup  d'efprit  &  de  prudence,  ôc  d'une 
merveilleufe  adrcffe  à  gagner  le  cœur  ôc  l'afFe- 
<Slion  des  peuples,  s'eftoit  aquis  plus  de  crédit 
&de  pouvoir  qu'aucun  Gentilhomme,  fans  of- 
fre appuyé  de  l'autorité  Royale,  n'en  eût  jamais 
dans  la  Province.  Il  avoit  autrefois  fauve  la  uip.fAix. 
vie  à  Henry  IlL  au  fiege  de  la  Rochelle,  lors £t J,' ^H«yf. 


dts  troubles 


que  ce  Prince,  qui  n'eftoit  encore  que  Duc  d'An-  ^^  ^^^^ 
jou,s'cllant  approché  trop  prés  d'un  retranche- /""-f- ^  si  ■h 
ment,  d'où  un  loldat  qui  le  choifit  entre  tous 
les  autres  i'avoit  couché  en  joûë^  de  Vins  qui 


$10       Histoire  de  la  Ligue. 

I  j8p.  s'en  apperceût  fe  jetta  promptement  au-devant 
de  luy,  &  le  couvrit  de  ion  corps,  où  il  receût 
la  mouiquetade  dont  il  penfa  perdre  la  vie.  il 
attendoit  toutes  chofes  du  Duc,  quand  il  fuc 
Roy,  pour  récompenfe  d'un  fi  grand  fervice: 
mais  comme  il  vit  que  tout  eiloit  pour  les 
Mignons  j  fans  qu'il  paruft  qu'on  fongeaft  feu- 
lement a  luy,  le  dépit  qu'il  en  eût  fit  qu'il  fe 
donna  tout  au  Duc  de  Guife,  &:  qu'il  engagea 
dans  la  Ligue ,  dont  il  fut  le  Chef  en  Proven- 
ce, le  Comte  de  Carces  fon  oncle,  fon  beau- 
frere  le  Comte  de  Sault,  une  grande  partie  de 
la  NoblclTe,  &  le  Parlement  d'Aix,  &:  qu'il  ex- 
pofa  la  Province  à  un  danger  évident  de  fe 
perdre  en  y  appellant  le  Duc  de  Savoye,  qui 
fut  pourtant  enfin  contraint  de  fe  retirer  chez 
luy  avec  honte. 

Cependant  le  Roy,  qui  fur  les  fafchcufes 
nouvelles  qu'il  recevoir  coup  fur  coup  de  la 
rébellion  des  peuples,  avoir  elle  contraint  de 
renvoyer  les  Députez  des  Eftats  dans  leurs  Pro- 
vinces, où,  comme  ils  ei\oient  la  plufpart  grands 
Ligueurs,  ils  aufimentercnt  encore  un  fi  grand 
.  mal,  le  vit  oblige  de  quitter  les  voycs  de  la 
douceur  pour  prendre  enfin ,  mais  un  peu  trop 
tard,  celles  de  la  rigueur  &  de  la  force.  Il  com- 
mence  par  envoyer  à  Pans  un  Héraut,  portant 

V  ,  injond:ion  au  Duc  d'Aumale,  prétendu  Gou- 

verneur, de  lortir  de  la  Ville,  interdi6tion  au 
Parlement,  à  la  Chambre  des  Comptes,  &  à  la 

Cour 


L   I  V   R    E      I  I  I.  3ZI 

Cour  des  Aydcs,  avec  dcfcnfcs  à  tous  autres  1585?. 
Officiers  de  plus  exercer  leurs  Charges  :  mais  il  pum^i  i* 
fut  renvoyé,  lans  cftre  ouï,  chargé  d'injures,  &  /.«"r^l/  i» 
menacé  de  la  corde  s'il  ofoit  encore  retourner.  ■**•  ^"J'^^*'- 
Il  déclare  les  Ducs  de  Mayenne  &  d' Aumalc,  ^^'^-  ''  ^* 
les  Boureeois  de  Paris,  d'Orléans,  d'Amiens,     . ,'  '.' 

I        1    1  11  1  11        I  /  1      ^^tUrtttitn 

a' Abbeville,  &  des  autres  villes  liguées,  criminels  ^"  Roy  entre 
de  leze-Majefté,  fi  dans  un  certain  temps  ils  ne  M^yîLne* 
rentrent  dans  leur  devoir.  Il  tranfportc  le  Par-  J^f/"*"'*' 
Icment  de  Paris  à  Tours,  &c  toutes  les  Cham-    , ,     . 

1  1        T     n  •  1  1 1  J     1      T  •  1  DeiUrata» 

bres  &c  les  J ultices  des  villes  de  la  Ligue  en  d'au-  ''»  r^^  "'»"■« 
très  qui  luy  eftoient  fidelles.   Mais  fans  fc  fou-  parl'.'doL 
cier  de  ces tranfports  ni  de  ces  déclarations,  on  ^""'-.à''- 
s'en  venge  par  le  mauvais  traitement  qu'on  fait  f«^""'- 

Î>ar  tout  à  ceux  qu'on  croyoit  encore  eftre  à 
uy.  Il  fait  au  mois  de  Mars  ce  qu'il  dévoie 
avoir  fait  au  mois  de  Décembre.  Il  mande  fa 
Gendarmerie,  de  aflcmble  le  plus  qu'il  peut  de 
troupes  aux  environs  de  Tours,  ou,  ne  le  trou- 
vant pas  en  ieûrcté  dans  une  ville  auITi  foibîe 
que  Biois,  il  s'eftoit  retiré,  après  s'cilre  alTeûrc  ••  . 
de  les  prifonniers  qu'il  fit  tranfportcr  du  Chaf- 
teau  d'Amboiie  en  diverfcs  priions.  Mais  le 
Duc  de  Mayenne  qui  avoit  plus  de  forces  que 
luy,  eftoit  déjà  fur  le  point  de  fortir  de  Paris 
avec  une  bonne  armée ,  rélolu  de  le  prévenir, 
&  de  l'aller  attaquer  juiques  dans  Tours, 

Or  ce  fut  cela  melme  qui  le  fit  enfin  réfou- 
dre  à  prendre  l'unique  voye  qui  luy  reftoit  de 
fe  mettre  à  couvert  de  la  dernière  violence,  Si 

Sf 


. $11       Histoire    de    la    Ligue. 

ij8<?.  de  coniervcr  fa  Couronne  &  Ta  perfonne.  La 
France  eftoit  alors  dans  le  plus  déplorable  ef- 
tac  qu'elle  fut  jamais,  fe  trouvant  diviiée  entre 
trois  partis  qui  la  defoloientj  celuy  de  la  Li- 
^ue,  qui  eftoit  tres-puilTant,  par  le  foulevemenc 
de  tant  de  villes  j  celuy  du  Roy  de  Navarre , 
qui  s'eftoit  extrêmement  fortifié  durant  ces  pre- 
miers troubles;  &  celuy  du  Roy,  qui  n'avoit 
prcfque  encore  alors  que  fa  Maifon,&tres-peu 
de  villes  fur  lefquelles  il  puft  s'afleûrer.  Il  ef- 
toit impollible  que  fe  trouvant  en  cet  eftat  il 
continuaft  la  guerre  qu'il  avoit  entreprife  con- 
tre les  Huguenots,  Se  qu'il  iouftint  en  mefme 
temps  celle  que  les  Ligueurs  luy  alioieiit  faire. 
Il  falloit  donc  neceflairement  qu'il  fe  réiinift 
avec  l'un  de  ces  deux  partis  pour  ranger  l'autre 
à  ion  devoir,  ou  du  moins  pour  ne  pas  périr 
s'il  demcuroit  feul  expofé  aux  infultes  de  tous 
les  deux.    Or  les  Ligueurs  ne  vouloient  point 

c^/et,  1. 1.    du  tout  de  paix  ni  de  trêve  avec  luv,  avant  ju- 

M<mor.  a  r  1       -n»  J      TV  f  C 

Morof.  i.  s.  re  dans  le  lerment  que  le  Duc  de  Mayenne  ht 
faire  à  toutes  les  villes  de  l'Union,  de  pourfui- 
vre  jufqu'au  bout  la  vengeance  de  la  mort  des 
Guifes.  Il  eft  en  fuite  manifefte  qu'il  eftoit  in- 
difpenfablemcnt  obligé  de  fe  joindre  au  Roy 
de  Navarre ,  &c  d'accepter  le  lecours  qu'il  luy 
offroit  de  la  manière  du  monde  la  plus  noble 
&c  la  plus  généreufe. 

;,    Depuis  la  mort  des  Guifes,  ce  Prince  profi- 
tant de  l'occaiion  qui  luy  eftoit  fi  favorable. 


L    I   V    R   E       I  I  I.  313  

lors  que  tout  cftoit  en  dcroidre  parmi  les  Ca-    i  j  8  9, 
tholiques,  avoit  fort  avancé  les  affaires  de  fon  M>m.  j>  u 
parti  par  la  pritc  de  Niort,  de  Saint  Maixent ,  ^yAui.'ini. 
de  MaïUczais,  &  de  quelques  autres  places  dans  crî!" &c 
le  Poitou;  puis  eftant  relevé  en  peu  de  temps 
d'une  dansjereufe  maladie  dont  il  penfa  mourir, 
il  avoit  pouffé  les  conqueftes  jufques  fur  les 
frontières  de  la  Touraine,  s'eftant  rendu  mail- 
trc  de  Loudun,  de  Thoûars,  de  Montreuïl- 
Bellay,  de   Mircbcau,  de  l'Ifle- Bouchard,  de 
Chaftelleraud ,  d'Argenton,&  de  Blanc  en  Ber- 
ry  :  lors  que  voyant  le  pitoyable  ellat  où  le 
Royaume  eiloit  réduit  par  ces  trois  partis  qui 
le  diviloicnt,  il  fit  publier  une  Déclaration  du  T)éciarat.  .if, 
quatrième  de  Mars  adrcffée  aux  trois  Ellats  de  ««a.-  imu 
France,  pour  les  exhorter  à  la  paix,  l'unique  lum' de  u 
remède  à  tant  de  maux  dont  elle  efl  affligée,     i'^»«''-  ^• 

Là,  après  avoir  remontré  qu'il  eft  impolfiblc 
que  le  Roy  réùffille  dans  la  guerre  civile  que 
quelques-uns  luy  conieiUent  de  faire  en  mef- 
me  temps  aux  Huguenots  &:  aux  Ligueurs,  il 
luy  oflre  Ion  iervice  &  toutes  les  forces  de  Ion 
parti,  non  pas  pour  punir  les  Ligueurs  6c  tant 
de  villes  qui  fe  font  révoltées  contre  luy ,  mais 
pour  les  réduire  aux  termes  de  demander  la 
paix,  laquelle  il  le  (uppUe  tres-humblement  de 
leur  vouloir  donner,  en  leur  pardonnant  tou-  ""■• 

tes  les  injures  qu'il  en  a  receûes,  lors  qu'ils  fe-    •  ■    ■  ^  ' 
ront  domptez  par  les  forces  unies  de  tous  ks 
bons  Fran<^ois  de  l'une  ^  de  l'autre  Religion^ 

S  l  1) 


514     Histoire  de  la  Ligue. 


I J85J,  marchant  fous  la  conduite  de  Sa  Majeflé  con- 
tre les  rebelles.  Apres  quoy  il  protefte  devant 
Dieu,  &  y  engage  fa  foy  ôc  Ton  honneur,  que 
cette  Union  des  fidelles  ferviteurs  du  Roy,  Ca- 
tholiques &  Protcftans,  ne  le  faifant  que  pour 
rétablir  en  France  l'autorité  Royale  avec  la  paix, 
il  ne  iouffrira  jamais  que  la  Religion  Catholi- 
que ôc  Romaine  en  re(^oive  aucun  préjudice, 
ôc  qu'elle  fera  confervée  dans  toutes  les  villes 
que  l'on  prendra  en  l'eftat  où  elle  s'y  trouve 
fans  y  apporter  aucun  changement. 

Cette  Déclaration  donna  lieu  à  la  négotia- 
tion  qui  le  fit  fort  fecrctcment  bientoft  après 
pour  cette  Union  des  deux  Rois.  Il  y  avoit  des 
gens  dans  le  Conleil  qui  s'y  oppofoient  fort, 
craignant  qu'elle  ne  fortifiaft  extrêmement  le 
parti  de  la  Ligue ,  par  la  créance  qu'on  auroic 
que  le  Roy  avoit  toujours  eil  une  fecrete  intel- 
ligence avec  les  Huguenots,  comme  les  Ligueurs 
l'avoient  iî  fouvcnt  publié  :  outre  que  le  Pape, 
dont  on  avoit  beloin,  en  feroit  très  -  fcandali- 
fe.  Luy-mefme  avoit  bien  de  la  peine  à  s'y  ré- 
foudrc,  ôc  cuft  fans  doute  mieux  aimé  s'accor» 
der,  s'il  l'euft  pu,  avec  les  Princes  de  la  Ligue, 
ôc  remettre  en  vigueur  fonEdit  de  réunion,  ce 
ll's'J^r^Z  qui  n'eftoit  pas  inconnu  au  Roy  de  Navarre, 
'î'XS'/''f  '  4*^^  voyoït  bien  que  l'on  ne  viendroit  à  luy 
t.i.f.6S2.     qu'au  défaut  des  autres. 

ca,,t.  1. 1.         £j^  effet,  le  Roy  en  avoit  écrit  dés  le  corn- 
M*r,f.         mencement  ou  mçis  de  Mars  au  Duc  de  Lor^ 


1    I  V    R    E      I  I  I.  31; 

raine.  Se  luy  avoic  envoyé  des  conditions  très-  is^p- 
avantageufcs  pour  les  Princes  de  fa  Maiion, 
avec  toute  forte  de  leûreté,  s'il  leur  pouvoit 
perfuader  de  recevoir  la  paix  &c  le  traité  qu'il 
leur  oifroit.  Mais  comme  il  ne  put  rien  obte- 
nir de  ce  cofté-là,  ceux  de  fon  Confeil  qui  ef- 
toient  d'avis  qu'on  receuft  les  offres  du  Roy  de 
Navarre  firent  Çi  bien  valoir  la  plus  forte  de 
toutes  les  raifons  qui  eft  la  ncceffitc  abfoluc, 
outre  les  exemples  qu'ils  alleguoient  de  tant  de 
Rois  &  d'Empereurs  trcs-Catholiques,  qui,  com- 
me le  Grand  Theodofe ,  le  font  fervis  des  Infî- 
délies  &  der  Hérétiques  contre  leurs  ennemis, 
que  le  Roy  fe  rcfolut  enfin  à  faire  ce  Traite. 

Il  fut  conclu  à  Tours  le  troifiéme  du  mois 
d'Avril  par  le  fieur  du  Pleflis-Mornay,  traitant 
pour  le  Roy  de  Navarre  à  ces  conditions:  Que  ^'"*-  ^'  '* 


fis.  .   .   , 

quelanes  difficulre^  qu'il  fallut  Jurmonter  pour  la  luy 
mettre  entre  les  mains.  Quil y  auroit  l'exercice  lilrrc 
de  Ja  lieligion,  f^  dans  quelques  petites  villes  qu'on 
luj  laijjèroit  pouf  la  feufeté  au  remhourfement  de  ce 
qu'il  aurait  dépensé  durant  cette  guerre. 

Cette  ncgotiation  de  du  Plcffis  ne  fe  pue 
faire  fi  fecretemcnt,  que  le  Légat  Morofini  n'en  ^»»-d>i. 
cuft  avis  :  fur  quoy  il  fie  tous  fcs  efforts,  par  de  «/  /.  s.  ' 
très -vives  remontrances,  pour  empefcher  ce 
coup  qu'il  croyoït  cftre  fatal  à  la  Religion,  fe»  ■ 

S  f  uj 


fit. 


'  ■ — $i6  Histoire  de  la  Ligue. 
jj8p.  Ion  la  faulTc  idée  qu'il  avoit  conceûe  du  Roy 
de  Navarre.  Et  comme  le  Roy  luy  eût  dit,  qu'a- 
prés  avoir  tenté  toutes  les  voyes  d'accommode- 
ment avec  le  Duc  de  Mayenne,  que  ce  Prince 
avoit  toujours  fièrement  refufées,  la  necefli- 
té  l'obligeoit  à  prendre  cet  unique  moyen  qui 
luy  reftoit  de  défendre  fa  propre  vie:  ce  Lé- 
gat le  conjura  de  luy  donner  encore  dix  jours, 
pour  avoir  le  temps  de  traiter  luy-melme  avec 
le  Duc,  auquel  il  elpcroit  faire  accepter  la  paix 
avantageuie  qu'on  luy  prefentoit.  Quoy-que 
le  Traité  fufl  non  feulement  conclu,  mais  fî- 
gné ,  comme  on  le  voit  dans  les  Mémoires  de 
du  Plcflis - Mornay ,  le  Roy  néanmoins,  pour 
montrer  que  ce  n'cftoit  que  par  neceflité  qu'il 
s'uniifoit  avec  les  Huguenots  contre  ceux  de  la 
Ligue,  voulut  bien  qu'avant  la  publication  de 
ce  Traité  on  fit  encore  ce  dernier  effort  furTef- 
prit  du  Duc  de  Mayenne.  Pour  cet  effet,  il 
donna  par  écrit  au  Légat  les  mefmes  articles 
qu'on  avoit  déjà  fait  propoier  par  le  Duc  de 
Lorraine,  &  qui  eftoient  les  plus  avantageux 
pour  fa  Maifon  qu'on  euft  pu  fouhaitcn 

Car  on  offroit  au  Duc  de  Mayenne  fon  Gou- 
verneraent  de  Bourgogne  ,  avec  pouvoir  de 
Memor.  di  mettre  dans  les  villes  tels  Gouverneurs  qu'il  luy 
piairoit,  de  donner  les  Charges  vacantes,  &  de 
prendre  fur  la  Province  quarante  mille  écus 
tous  les  ans  :  au  jeune  Duc  de  Guife  ion  neveu 
le  Gouvernement  de  Champa2;nej  deux  villes 


MoroJ.  lib.  3 


Livre     I  I  Î,  317 

à  Ton  choix  pour  y  mettre  telle  garnifon  qu'il    ijS?. 
voudroit,  vingt  mille  écus  de  pcnfion,  &  tren- 
te  mille    livres   de    rente  en   Bénéfices    pour 
Ton  frère  ,  au  Duc  de  Nemours  le  Gouverne- 
ment de  Lyon,  avec  une  peniion  de  dix  mille  ^ 
écus  5    au  Duc  d'Aumale  le  Gouvernement  de 
Picardie,  &  deux  villes  dans  la  Province  ;  au 
Duc  d'Elbeuf  un  Gouvernement  &  vingt-cinq 
mille  livres  de  penfion  ;  ôc  ce  qui  eftoit  le  plus 
important  pour  la  Mailon,  au  Marquis  du  Pont 
fils  aifué  du  Duc  de  Lorraine ,  le  Gouverne- 
ment de  Toul,  Metz  &c  Verdun,  avec  afleûrancc 
que  fi  Sa  Majefté  n'avoit  point  d'enfans  maf- 
les,  les  trois  Evefchez  pourroient  demeurer  au 
Duc  de  Lorraine.  A  tout  cela  le  Roy  fit  ajouC-  c^iyet.  t.r. 
ter,  que  pour  lever  les  difficultez  qui  pourroient 
naiftrc  fur  l'exécution  de  ces  articles,  il  s'en 
remettroit   à  l'arbitrage  de  Sa  Sainteté  ,  qui 
pourroit  prendre  pour  adjoints  le  Sénat  de  Ve- 
nife,  le  Grand  Duc  dcTofcane,  le  Duc  de  Fer- 
rare  ,  &  meime  le  Duc  de  Lorraine ,  qui  avoic 
tant  d'intereft  en  ces  articles. 

Ce  fut  avec  ces  conditions  que  le  Légat  par- 
tit de  Tours  le  dixième  d'Avril  pour  aller  vers 
le  Duc  de  Mayenne  qui  s'eftoit  déjà  avancé  avec 
fon  armée  jufqu'àChafteaudun.  Il  en  fut  receû 
avec  toute  lortc  d'honneur  i  &  il  n'y  a  point 
de  puiflante  coniideration  qu'il  ne  luy  propo- 
faft  durant  deux  jours  de  Conférence  qu'il  'Y,""'.^-,  * 
eût  avec  luy,  pour  robliger  à  conientir  a  un  f-  3?.ie. 


^it      Histoire   de   la   Ligue. 

3j85>.    accord  fi  avantageux  pour  toute  fa  Maifon^â? 

fi  ncccflaire  au  bien  de  la  Relig-ion  &c  de  l'Ef- 

c 

tat,  ou  du  moins,  s'il  vouloir  encore  quelque 
chofe  de  plus ,  à  remettre  fes  interefts  hc  ceux 
de  ion  parti  entre  les  mains  du  Pape,  comme 
le  Roy  de  fon  coflc  eftoit  tout  preft  d'y  remet- 
tre les  fîens.  Mais  après  tout,  il  ne  put  jamais 
rien  gagner  fur  fon  cfprit.  Et  quoy  qu'il  puft 
dire ,  il  rcpondoit  toujours  avec  beaucoup  de 
refpeâ:  pour  le  Pape  &  pour  le  Légat,  &  un 
extrême  mépris  pour  le  Roy,  lequel  il  appel- 
loit  prefquc  toujours,  ce  mijerahle:  ^ue  luy  (<r  les 
jiens  obéïroimt  toujours  au  Pa^e,  mais  au  il  ejioitjvrt 
ajfcûrê  que  Sa  Sainteté  ne  luy  cemmanderoit  jamais  de 
^'accorder  au  préjudice  de  la  Religion  avec  un  homme 
aui  nen  aïoit  points  (^  mi  s'ejfoit  uni  avec  les  Hu- 
guenots contre  les  Catholiques,  ^^i^il  ne  vouloit  point 
ouïr  parler  d'accord  avec  un  perfide  ,  qui  n'avoit  ni 
foy  m  honneur,  &  qu'il  ne  fe  ficroit  jamais  à  la  pa- 
role de  ce  luy  qui  avoit  fait  Jt  cruellement  majjacrer  fes 
Jreres  i  en  violant,  par  une  hornhle  perfidie ,  non  feule- 
ment la  fhy  publiqt4e ,  mais  aujft  le  ferment  qu'il  avoit 
fait  fur  le  très-  Saint  Sacrement  de  l'y^utel. 

Apres  cela,  le  Cardinal  voyant  de  plus,  ce 
qu'il  n'avoir  pas  cru,  qu'on  parloir  encore  plus 
indignement  du  Roy  dans  toute  l'armée  &  dans 
les  villes  de  la  Ligue,  où  l'on  n'euil  ofé  luy 
donner  le  nom  de  Roy,  luy  écrivit  qu'il  n'y 
avoit  plus  rien  à  faire  de  ce  collé -là;  ôc  n'o- 
iant  le  tenir  auprès  de  fa  perfonne  tandis  que 

le 


L  I  V  R  Ë     1  T  T.  31^   .  .. 

le  Roy  de  Navarre  y  cftoit,  il  s'en  alla  en  Bour-  ï  ;  8  5). 
bonnois,  où  il  attendit  l'ordre  qu'il  reccût  du 
Pape ,  peu  de  temps  après,  de  s'en  retourner  à 
Rome  pour  y  rendre  compte  de  fa  Légation. 
Ainii,  après  qu'on  eût  perdu  toute  cfperance 
de  faire  la  paix  avec  les  Ligueurs ,  le  Traité  du 
Roy  de  Navarre  fut  exécuté.  Il  fut  mis  en  pof-  P'chr»t.  du 
fcflion  de  Saumur,  dont  il  donna  le  Gouvcr-  ^tJ'd^lt' 
nement  au  fieur  du  Pleffis-Mornay ,  qui  avoic  ^'^'"'  ''  '' 
fi-bien  rtùlfi  à  faire  ce  Traité.  Et  ce  fut  de  là 
mefmc  qu'il  publia  fa  Déclaration  fur  fon  paf. 
fagc  de  la  nvierc  de  Loire  pour  le  fervicc  de 
Sa  Majefté,  où  il  protcfle  entre  autres  cliofes, 
qu'eftant  premier  Prince  du  Sang,  que  fa  naif- 
fance  oblige  plus  encore  que  tous  les  autres  à 
défendre  fon  Roy,  il  ne  tient  pour  ennemis 
que  les  Rebelles,  défendant  très -étroitement  à 
tous  fes  gens  de  guerre  de  rien  entreprendre  fur 
les  Catholiques  fidelles  Sujets  de  SaMajefté,&: 
(îngulierement  fur  le  Clergé,  qu'il  prend  en  fa 
protection. 

Le  Roy  fit  auffi  la  fîenne  très -ample,  où  il 
cxpofc  toutes  les  raifons  qui  l'ont  obligé  à  fc 
joindre  au  Roy  de  Navarre,  pour  fauver  la  per-  r>«/-«r4/.  du 
fonne  &c  fon  Ertat,  fans  que  cette  union puiiTc  ^'^  '  '  ■ 
apporter  aucun  préjudice  à  la  Religion  Ca- 
tholique qu'il  maintiendra  toujours  dans  fon 
Royaume  au  pcril  de  fa  vie.  Mais  enfin  ce  qui 
acheva  de  rendre  parfaite  la  joye  qu'on  eût  de 
cette  union  des  deux  Rols,  fut  leur  entrevcûe 

Te 


33©  Histoire  ce  la  Ligue. 
sç8  5>.  qui  fe  fit  dans  le  Parc  du  Plefl'is  le  trenticmc" 
d'Avril  parmi  les  acclamations  d'une  mfinitc 
de  peuple ,  avec  toutes  les  marques  d'une  en- 
tière confiance  de  part  de  d'autre  ;  quoy  -  que 
les  vieux  Capitaines  Huguenots,  qui  ne  pou^ 
voient  perdre  la  mémoire  de  la  Saint  Barthélé- 
my, eufTent  fait  tout  leur  pofTible  pour  empejT- 
cher  que  leur  Maiftre  ne  s'allaft  mettre  entre 
les  mains  du  Roy,  comme  il  fit  avec  une  fî 
généreufe  franchife. 

Il  fit  encore  beaucoup  plus  :  car  comme  il  fe 
fut  retiré  fur  le  ioir  avec  fes  Gardes  &  fes  Gen- 
tilshommes dans  le  fauxbourg  de  Saint  Sym- 
phorien  au-delà  des  Ponts,  le  lendemain  pre- 
mier jour  de  May  il  repaflTa  la  rivière  fuivi  d'un 
fcul  Page,  rentra  dans  Tours,  &:s'en  alla  don- 
ner le  bon  jour  au  Roy ,  qui  fut  ravi  de  cette 
générofîté,  &  connut  clairement  par  là  qu'il 
n'avoit  rien  à  craindre ,  &  qu'il  pouvoir  tout 
cfperer  d'un  Prince  qui  fe  fioit  fi  fort  à  fa  pa- 
role, quoy -qu'il  euil  plus  d'une  fois  manqué 
de  la  luy  tenir,  en  révoquant,  pour  contenter 
ceux  de  la  Ligue ,  les  Edits  qu'il  avoit  faits  en 
fa  faveur.  Ils  pafTerent  ainfi  deux  jours  enfem- 
ble  à  tenir  Confeil,  où  le  Roy  de  Navarre  fit 
réioudre,  que  pour  achever  promptement  cette 
guerre,  ils  affcmbleroient  au-plûtoft  toutes  leurs 
forces,  &c  qu'ils  iroient  droit  à  Paris,  d'où  tout 
le  refte  de  la  Ligue  dépendoit.  Apres  quoy, 
lâilTanc  les  quatre  à  cinq  mille  hommes  qu'il 


L    I   V   R   E      î  î  I.  331  

avoit  aux  enviions  de  Tours,  il  s'en  alla  à  Chi-  1585. 
non  &  dans  le  Loudunois  faire  avancer  le  rcfte 
de  Tes  troupes  qui  le  défïoient  encore  de  Ton 
union  avec  lesRoyaliftes.  Et  ce  fut  cela  mcfmc 
qui  donna  lieu  au  Duc  de  Mayenne  d'entre- 
prendre d'attaquer  Tours. 

Ce  Prince  eltoit  forti  de  Pans  au  commen-  c^jet.  t.  r. 
cernent  du  mois  d'Avril  avec  une  partie  de  Ion  D'2ibiirc, 
armée }  &  après  avoir  pris  Melun,  de  quelques  '^//^  j^  ^^ 
autres  petites  places  qui  pouvoient  empefcher  ^'S"''  (r-- 
l'abord  des  vivres  dans  cette  crrande  ville,  il 
alla  joindre  le  refte  de  les  troupes,  qui  avoient 
leurs  quartiers  dans  la  Beauce  j  puis  lailTant  à 
gauche  Baugency  &c  Blois  qu'on  croyoït  qu'il 
deuil:  attaquer,  il  s'avança  jufqu'a  Chafteau- 
dun  ,  pour  exécuter  le  dclfein  qu'il  avoit  iur 
Vendolme,  de  melmc  Iur  Tours,  par  l'intelli- 
gence que  ceux  de  la  Ligue  luy  avoient  prati- 
quée dans  ces  deux  villes.  Maillé  Benehard 
Gouverneur  de  Vendofmc ,  qui  avoit  vendu 
fa  place ,  en  ouvrit  les  portes  à  Rofne  Maref- 
chal  de  Camp  qui  y  fit  prifonnier  preique  tout 
le  Grand  Conleil  que  le  Roy  y  avoit  tranlpor- 
té."  Le  Duc  de  Mayenne  s'y  rendit  aulTitoft 
après,  &c  s'eftant  rejoint  aux  troupes  de  Rolnc, 
il  va  fondre  fur  les  quartiers  de  Charles  de  Lu- 
xembourg Comte  deBrienne,  qui  cftoitlocré  à 
Saint Oûïn& aux  environs,  à  une  lieue  d'Am- 
boile,  luy  taille  en  pièces  plus  de  fix  cens  hom- 
mes^ diilipe  le  refte,  le  prend  luy-melme  pri- 


35^       Histoire  delà  Ligue. 

ij8(?.  fonnier,  puis  Te  va  pofter  vis-à-vis  deSaumur,' 
pour  empetcher  le  paflage  au  refte  des  troupes 
du  Roy  de  Navarre. 

Or,  comme  peu  de  temps  après  il  eût  appris 
que  ce  Prince  s'eftoit  éloigné  de  Tours,  il  crut 
que  c'eilioit  là  le  temps  d'exécuter  fonentrcpri- 
fe  qu'il  croyoit  infaillible  par  l'intelligence 
qu'il  y  avoit.  Il  rebroufle  donc  promptement 
chemin,  marche  avec  une  extrême  diligence, 
contre  fa  couftume,  &  paroill  tout-à-coup  en 
bataille,  le  feptiéme  de  May  au  matin,  fur  les 
hauteurs  du  fauxbourg  de  Saint  Symphorien. 
Il  s'en  fallut  peu  que  le  Roy,  qui  elloit  allé  ce 
jour-là  de  fort  bonne  heure  à  Marmoutier,  ne 
fuftfurpris  par  les  Coureurs  qui  n'citoient  qu'à 
cent  pas  de  luy.  Ce  ne  fut  qu'avec  beaucoup 
de  peine  ôc  de  péril  qu'il  put  gagner  les  pre- 
miers Corps  de  garde,  d'où  il  repafla  dans  la 
ville,  ôc  il  y  donna  fi  bon  ordre  p^r  tout,  que 
ceux  qui  eftoient  d'intelligence  avec  l'ennemi 
n'oferent  branler.  C'eft  pour  quoy  le  Duc,  qui 
avoit  entretenu  alTez  lentement  l'efcarmouchc 
jufqucs  iur  les  quatre  heures  après  midy,  atten- 
dant toujours  que  les  Ligueurs  de  la  ville  fc 
foulevaflcnt,  voyant  que  tout  y  eftoit  fort  pal- 
fîble,  donna  de  toutes  fes  forces  û  vivement 
par  trois  endroits  dans  les  barricades  qu  oa 
avoit  faites  aux  trois  avenues  du  fauxbourg 
gardé  par  douze  cens  hommes ,  qu'il  s'en  ren- 
dit maiUrç  dans  une  demi -heure,  avec  penç 


L    I  V    R    E      I  I  L  535 

d'environ  cent  foldnts  des  Tiens,  &:  de  trois  à    ij8^. 
quatre  cens  de  ceux  du  Roy.  i. 

C'cft  là  où  aboutit  tout  ce  grand  effort  que 
la  Ligue  avoir  fait  pour  mettre  fur  pied  cette 
grande  armée,  qui  après  cela  ne  fit  plus  rien 
que  des  defordres  effroyables  par  tout  où  elle 
ne  trouvoit  point  d'ennemi  qui  puil  l'arrefter. 
Car  comme  le  Duc  de  Mayenne  vit  qu'une  par- 
tic  des  troupes  du  Roy  de  Navarre  eftoient  ar- 
rivées fur  le  foir  fous  la  conduite  du  brave 
Chaftillon,  qui  s'eftoit  déjà  retranché  dans  i'Iflc 
vis-à-vis  du  fauxbourg,  &  que  le  reilc  arrive^ 
roit  bientoit  avec  le  Roy  de  Navarre ,  qui  ne 
manqucroit  pas  de  luy  donner  plus  d'exercice 
qu'il  n'en  falloir  à  ces  nouveaux  foldats  qui  fai- 
foienc  la  plus  grande  partie  de  fon  armée  :  il 
prit  le  parti  de  fe  retirer  à  la  fourdinc  le  lende- 
main avant  le  jour,  après  que  fes  troupes  fe  fu- 
rent fîgnalées  par  toutes  lortes  de  crimes  les  .-- ^  : 
plus  exécrables  dans  le  pillage  du  fauxbourg.  '^'' 
De  là  il  fut  recueillir  dans  l'Anjou  &c  dans  Te 
Maine  quelques  Régimens  que  l'on  y  avoir  le- 
vez pour  la  Ligue  ;  puis  s'eftant  emparé  d' Alen- 
çon,  qui  fe  rendit  fans  réfiftance  faute  de  gar- 
nifon,  il  fut  contraint  de  retourner  prompte- 
ment  à  Paris,  où  l'on  eftoit  dans  une  grande 
confternation  pour  la  perte  de  la  bataille  de 
Senlis ,  dont  il  faut  maintenant  que  je  parle. 

Guillaume  de  Montmorency,  Seigneur  de 
Thoxçj  avoit  fi  bien  fceû  pratiquer,  tandiis  qu'il 


334     Histoire   de   la   Ligue. 
I  j  8  p.    eftoit  à  Chantilly ,  les  principaux  de  cette  ville- 

uem.^de  i»   j^  ^  ç^^  s'cftoicnt  kilTé  d'abord  entraifner  au 

v<iviu.  torrent  de  la  Ligue,  qu'il  s'en  eftoit  rendu  vn^xÇ- 
''^"'  tre  fur  la  fin  du  mois  d'Avril ,  &  y  avoit  fait 
entrer  après  luy  cent  Gentilshommes  de  fcs  amis, 
&  quatre  à  cinq  cens  hommes  de  pied  qu'il 
avoit  levez  dans  la  vallée  de  Montmorency. 
LesParifiens  étonnez  de  cette  Turprile^qui  leur 
oftoit  la  communication  de  la  Picardie,  vou- 
loient  abfolument  qu'on  reprift  au-plûtoft  cette 
place,  &  ils  prefTercnt  tellement  le  Duc  d'Au- 
male  &  le  fieur  de  Mayneville  Lieutenant  du 
Duc  de  Mayenne,  que  dans  trois  jours  ils  y 
furent  mettre  le  fiege  avec  quatre  à  cinq  mille 
Bourgeois  de  Paris  &  trois  pièces  de  canon,  auf. 
quels  Balagny  quelque  temps  après  ie  joignit 
avec  trois  à  quatre  mille  hommes  tant  des  vil- 
les des  Pais  -  Bas  que  de  celles  de  Picardie ,  &: 

cnyti.  1. 1.    fept  pièces  d'artillerie  qu'il  avoit  priies  de  Pc- 

^'  '^^'         ronne  &  d'Amiens. 

,  .  r:  Or,  en  mefme  temps  qu'on  formoit  ce  iîc- 
ge,  le  fage  &  vaillant  Seigneur  de  la  Noue  qui 
commandoit  les  troupes  de  Sedan ,  la  trêve 
eftant  faite  avec  le  Duc  de  Lorraine,  les  avoit 
jointes  à  celles  du  Duc  de  Longueville  à  Saint 
Quentin,  pour  aller,  félon  l'ordre  qu'Us  en 
avoient  du  Roy,  au-devant  des  Suiflfes  que  le 
fîeur  de  Sancy  luy  amenoit.  L'occafion  leur  pa- 
'  rut  belle  de  rendre  un  grand  fervice  au  Roy, 
en  faifant  lever  le  iîcge  avant  que  de  fe  met- 


I:  I  V  R    E     III.  335 


cre  en  marche.  Pour  cet  effet,  ils  s'avancèrent  ij8j?, 
JLilques  à  Compiegne  où  ils  avoicnt  donné  le 
rendez-vous  aux  Gentilshommes  Royaliftcs  de 
la  Picardie,  qui  ne  manquèrent  pas  de  s'y  ren- 
dre. De  forte  que  le  jour  meime  dix-feptiémc 
de  May ,  que  la  place  prcique  toute  ouverte  à 
coups  de  canon  le  devoit  rendre  fi  elle  n'ef- 
toit  lecouruc  avant  la  nuit,  ils  parurent  lur  le 
midy  a  la  veûë  de  la  ville  au  nombre  de  mille 
à  douze  cens  chevaux  &  de  trois  mille  hom-  c-y»*:. 
mes  de  pied,  tous  loldats  aguerris,  &  fort  ré- 
folus  de  forcer  le  pail'age  pour  y  entrer,  ou  de 
périr. 

Le  Duc  d'Aumalc  trompé  par  fes  efpions 
qui  l'avoient  alTeûré  que  l'ennemi  n'avoit  point 
de  canon,  Ôc  le  trouvant  deux  fois  plus  fort, 
ne  douta  point  qu'il  ne  le  deuft  défaire  avec 
fa  feule  Cavalerie.  Pour  cet  effet,  après  avoir 
ranc^é  avec  beaucoup  de  peine  Ion  Infanterie 
Parifîenne,  fort  lefte  à  la  vérité,  &c  très -bien 
armée,  mais  un  peu  étonnée  de  voir  qu'on  al- 
loit  faire  autre  choie  que  l'exercice ,  &c  qu'il  y 
alloit  de  la  vie,  il  s'avança  fi  fort  avec  fa  Ca- 
valerie divifée  en  trois  gros  Elcadrons,  ayant 
MayneviUe  à  fa  droite  &  Balagny  à  fa  gau- 
che, que  ces  deux  grands  corps  d'Infanterie  6c 
de  Cavalerie  ne  pouvoient  plus  tirer  aucun  fer- 
vice  ni  fecours  l'un  de  l'autre. 

La  Noué,  à  qui  pour  ion  expérience  le  jeune    ■'-'•' 
Duc  de  Lonsiueviile  avoit  confié  tout  le  fom 


33^       HisTôîm  CE   LA  Ligue. 


1^8^.  de  l'armée j  ayant  remarqué  ce  defordre,  &  la 
contenance  mal  afllûrée  de  l'Infanterie  Pari- 
fiennc,  ne  douta  point  qu'il  ne  deuft  battre 
l'ennemi  avec  ce  peu  de  troupes  qu'il  avoir,  &c 
qui  furent  rangées  en  cet  ordre.  Le  Duc  de 
LongueviUe  tenoit  le  milieu  avec  fon  Efcadron 
compofé  d'un  grand  nombre  des  plus  braves 
de  la  NoblefTe,  ayant  à  leur  tefte  le  Seigneur 
Charles  de  Humieres  Marquis  d'Encre,  Gou-^ 
verneur  deCompiegne,  qui  avoit  fourni  à  l'ar- 
mée du  canon  &  des  munitions,  ce  qui  fut  la 
caufe  du  gain  de  la  bataille. 

C'eft  ccluy ,  qui  après  avoir  bientoft  décou- 
vert les  pernicieux  dcffcins  des  Ligueurs,  fervic 
fî  bien  le  Roy  contre  la  Ligue,  que  Henry  IV. 
à  Ton  avènement  à  la  Couronne,  le  fit  fon 
rhuattf.  Lieutenant  en  Picardie,  en  luy  laiflant,  par  une 
très -rare  prérogative,  l'entière  diipofition  de 
toutes  choies  dans  cette  Province.  Ce  ne  fu- 
rent aulli  que  fes  grands  fervices,  fon  mérite 
extraordinaire,  fa  haute  réputation,  les  belles 
chofes  qu'il  fit  en  cette  grande  occafion,  &  cel- 
les qu'il  faifoit  encore  tous  les  jours  à  la  guer- 
re, qui  luy  firent  donner,  lans  autre  recomman- 
dation, le  Brevet  de  Général  de  l'Artillerie  qu'il 
eût  un  peu  avant  la  mort.  Et  il  elloit  en  palTe 
de  monter  encore  plus  haut,  fi  fon  trop  de  cœur 
ne  l'cull:  expofé  à  cette  fatale  moufquetade  dont 
^5  S»  j-  il  fut  tué  a  la  prife  de  Han  fur  les  Efpagnols, 
qui  furent  tousfacrifitz  à  la  juftc  douleur  qu'oa 

eut 


L  I  V  R  E     I  I  I.  337 

CLIC  de  la  perte  d'un  fi  grand  homme.  Ceux  ij8p» 
qui  fe  joignirent  au  Duc  de  Longueville  avec 
luy  furent  Louis  Dongniez  Comte  de  Chau- 
ne  fon  beaufrere,  les  fieurs  de  Mâulevricr,  de 
Lanoy,  de  Lonauevalj  de  Cany,  de  Bonni- 
vet,  de  Givry,  de  Fretoy,  de  Meivilier,  &c  de  la 
Tour. 

Cet  Elcadron  eftoit  flanqué  à  droit  &  à  gaii- 
che  de  deux  gros  Bataillons,  ayant  chacun  deux 
pièces  de  campagne,  qui  n'cll;oient  forties  de 
Compiegne  qu'aiTez  long-temps  après  l'armée 
pour  tromper  les  Efpions,  qui  rapportèrent  en 
cfFec  qu'il  n'y  en  avoir  point.  Il  jetta  fur  les 
ailes  à  droit  la  Cavalerie"  de  Sedan,  à  la  teftc 
de  laquelle  il  voulut  combatte,  &  à  gauche  les 
Cavaliers  que  l'on  avoir  tirez  des  places  qui  te- 
noient  pour  le  Roy  en  Picardie.  Le  Duc  d'Au- 
maie ,  qui  pour  courir  plus  vifte  à  la  vitloirc 
qu'il  croyoït  luy  eftre  afl'eûrée,  n'avoir  point 
mené  de  canon ,  fit  fonner  le  premier  la  char- 
ge ;  &  Balagny  avec  Ion  Elcadron  de  Cambre- 
iîens  &  de  Walons  s'avan(^a  fièrement  pour  don- 
ner dans  ccluy  de  la  droite  des  Royaliftes,  qui 
eiloit  incomparablement  plus  foible  que  le  lien  : 
mais  comme  il  en  approchoit,le  gros  Bataillon 
qui  couvroit  la  gauche  de  céc  Elcadron  s'el- 
tant  ouvert,  il  fut  bien  lurpris  de  fe  voir  faliié 
d'une  volée  de  canon ,  qui  luy  emporta  des 
rang-s  entiers  de  Ion  Efcadron,  &c  le  contraic^nit 
oe  reculer  tout  en  deiordre. 

Vu 


33^     Histoire    de   la  Ligue. 


?:> 


I  y  8  5.  Alors  le  Duc  d' Aumale  qui  vit  fort  bien  qu'il 
n'y  avoit  point  d'autre  remède  à  ce  mal  qu'il 
n'avoit  pas  prévcû,  que  de  gagner  promptement 
le  canon,  fe  mit  au  galop  iuivi  de  Maynevillc 
ôc  de  Balagny  mefme  qui  s'cftoit  remis  en  or- 
dre, &  vont  tous  trois  enlemble  attaquer  cette 
Infanterie.  Mais  ils  n'en  eftoient  pas  encore  à 
cent  pas,  que  l'autre  Bataillon  s'eftant  ouvert, 
une  féconde  volcc  qui  donna  au  travers  de  leurs 
troupes  éclaircit  encore  plus  les  rangs  que  la 
première.  Une  troifiéme  qui  fuivit  bientoft  la 
îecondc ,  les  ébranla  fort  ;  &c  comme  ils  furent 
un  peu  plus  avancez,  les  Moulquetaires  qu'on 
avoit  rangez  aux  flancs  des  Cavaliers  firent 
leur  décharge  fi  à  propos  fur  les  hommes  &  fur 
les  chevaux,  qu'ils  en  renverferent  un  très-grand 
nombre.  Et  en  mefme  temps  toute  la  Cavale- 
rie Royale  donnant  fur  des  gens  ébranlez  &c 
déjà  demi -défaits;  &  les  afïiegcz,  qui  fur  ces 
entrefaites  firent  une  fortie,  chargeant  en  queue 
l'Infanterie  Parifienne  abandonnée  de  la  Cava- 
lerie; ce  ne  fut  plus  un  combat,  mais  une  tue- 
rie &  une  déroute  générale. 

Il  n'y  eût  jamais  de  victoire  plus  complète 
avec  fi  peu  de  perte  du  colle  du  vidlorieux. 
Le  Champ  de  Bataille  luy  demeura  couvert  de 
plus  de  deux  mille  morts,  fans  compter  ceux 
qui  furent  tuez  par  les  paifans,  ou  qui  ne  fe 
purent  tirer  des  mareicagcs  qui  font  auprès  de 
J'Abbaye  de  la  Victoire.  Le  Camp  des  vaincus. 


Livre     III.         '  '       33<j  . 

les  denrées  ôc  les  marchandifes  qu'on  y  avoit  ap-    i  ;  8 p, 
portées  de  Paris,  le  canon,  les  munitions,  les 
drapeaux,  le  bagage,  &  douze  cens  prifonniers 
furent  la  récompenfe  des  vainqueurs ,  qui  peu  ^ 
de  jours  après,  comme  ils  marchoient  vers  la  di  m.  uyftL 
Bourgogne,  pour  y  joindre  les  Suifics,  laliié- 
rent  de  dellus  la  hauteur  de  Montfaucon  les 
Parifîcns  de  quelques  volées  de  canon,  pour 
leur  apprendre  leur  défaite  d'une  autre  maniè- 
re que  n'avoient  fait  le  Duc  d'Aumale  &  Bala- 
gny ,  dont  l'un  s'ei\oit  fauve  à  Samt  Denis ,  &: 
l'autre  à  Paris. 

Et  comme  il  arrive  ordinairement  qu'un  mal- 
heur en  attire  un  autre  à  ceux  qui  font  aban- 
donnez de  la  fortune,  celuy-cy  dés  le  lende- 
main dix -huitième  de  May   fut  fuivi  de   la 
perte  que  la  Ligue  fit  de  trois  cens  braves  Ca- 
valiers Picards  que   le  Gouverneur  de   Dour-  utm. 
lens  Charles  de  Tiercelin  Saveufe  menoit  au  *:7"'j  i. 
Duc  de  Mayenne,  àc  qui  cftant  rencontrez  dans  ^'i"'- 
la  Beauce,  vers  Bonneval,  par  le  Comte  de  Chaf. 
lillon  beaucoup  plus  fort  qu'eux,  périrent  pref- 
quc  tous,  après  avoir  combatu  comme  des  lions     •    ■    • 
fans  vouloir  demander  quartier,  ni  mefme  pro- 
mettre, pour  avoir  la  vie  fauve,  qu'ils  ne  por- 
teroient  plus  les  armes  contre  le  (ervice  du  Roy' 
Tant  ils  eftoient  pafTionnez  Ligueurs,  &  fur 
tout  Saveufe  leur  Capitaine,  qui  eftant  porté 
tout  couvert  de  playes  à  Baugency ,  où  le  Roy 
de  Navarre,  srand  amateur  des  vaiUans  honx- 

Vu  11 


^'  340  Histoire  de  la  Ligue. 
!j-85?.  mes,  fit  tout  ce  qu'il  put  pour  le  confoler,  rc- 
fufa  toutes  fortes  de  remèdes,  pour  avoir  le  fu- 
nefte  plaifir  de  mourir  en  exaltant  le  Duc  de 
Guife,  &  en  chargeant  de.maledidions  ceux 
qui  l'avoient  alTafïiné. 

Ces  heureux  fuccés  joints  à  ceux  que  le  Duc 
de  Montpeniier  avoit  eus  dans  la  Normandie 
contre  les  Ligueurs,  obligèrent  le  Roy  de  Na- 
varre, qui  s'elioit  avancé  jufqu  àBaugency  avec 
une  partie  de  les  troupes ,  de  retourner  à  Tours, 
pour  faire  entendre  au  Roy  qu'il  ne  falloir  plus 
s'amufer  à  ces  inutiles  negotiations  que  quel- 
ques-uns luy  conleiUoient  encore  d'entrepren- 
dre, conformément  à  fon  génie  ennemi  du  tra- 
vail, &  qu'il  elloit  temps  d'exécuter  la  géné- 
reufe  réfolution  qu'on  avoit  priie  d'attaquer 
l'ennemi  par  la  tefte ,  en  affiegeant  Paris.  Il  s'y 
-réfolut  donc  enfin,  mais  il  voulut  encore  au- 
paravant tenter  s'il  y  avoit  moyen  de  fe  rendre 
maiftre  d'Orléans,  pour  ofter  à  la  Ligue  cette 
ville  d'où  les  Panliens  pouvoient  tirer  de  grands 
fccours. 
jyAuhtgrti,  Pour  cet  effet,  ayant  fait  pafTer  au  commen- 
^'y^'  cernent  du  mois  de  Juin  fon  armée  fur  le  Pont 

de  Baugency  dans  la  Sologne ,  il  fit  attaquer 
Gcrgeau,  où  le  Gouverneur  qui  eût  la  téméri- 
té d'attendre  que  le  canon  cullfait  unebrefchc 
qu'il  ne  pouvoit  défendre,  fut  pendu.  Ceux  de 
Gien  épouvantez  par  cet  exemple  d'une  juftc 
fcvcrité ,  n'attendirent  pas  le  canon  pour  fe  rcn- 


Livre    I  T  I.  341 

dre;  &:  les  habitans  de  la  Charité  Ce  remirent  ij8^ 
en  fuite  de  bonne  î^race  fous  l'obciflance  du 
Roy,  qui,  à  la  rélcrve  de  Nantes,  fut  maiftrc 
de  tous  les  partages  de  Loire ,  au  dcflus  &  au 
dcflfous  dOrlcans  qu'il  enferma  de  tous  cof- 
cez. 

Le  fleur  de  laChaftre,  qui  après  la  mort  des 
Guifes  avoir  promis  fidélité  au  Roy,  ôc  s'efloic 
peu  après  de  nouveau  déclaré  pour  la  Ligue  en 
fon  Gouvernement  de  Berry ,  s'eftoit  jette  dans  -i  -  ■ 
cette  ville  avec  ce  qu'il  a  voit  de  forces  i  &  les 
habitans  animez  par  fa  prefence,  rejetterenc 
bien  loin  les  propofitions  avantageuies  que  le 
Roy  leur  fit  faire,  &  fe  moquèrent  de  toutes 
Tes  menaces,  fort  réfolus  de  le  défendre  juf- 
qu'à  l'extrémité.  De  forte  que  comme  on  vie 
que  l'on  perdroit  trop  de  temps  à  faire  ce  fie- 
ge,  on  reprit  le  premier  dclTcin  d'aller  droit  à 
Paris.  On  repaffa  Loire ,  &  l'on  prit  fans  beau- 
coup de  peine  fur  le  chemin  les  villes  de  Plu- 
viers, de  Dourdan  &  d'Eftampes',  où  le  Roy 
reccût  la  fafcheule  nouvelle  du  Monitoire  que 
le  Pape  Sixte  avoit  publié  contre  luy.  Voicy 
comment. 

Un  peu  après  la  mort  des  Guifes,  le  Roy,  qui 
vit  fore  ;bien  par  les  remontrances  que  k  Légat 
Morofiniluy  avoft  faites,  que  l'abloiution  qu'il 
avoit  receûc  en  vertu  de  fon  Bref  ne  (eroit  pas  ,.>,.,-,,. 
admife  à  Rome,  y  avoit  envoyé  Claude  d'An- 
genncs  Evefque  du  Mans,  pour  en  obtenir  une    . 

Vu   iij 


An  i   '.  s 


IJ 

85?. 

Ltttre 

d» 

Ci'-d 

Ut 

f'J""*y 

t. 

Ctyet. 


341  Histoire  de  la  Ligue. 
autre,  nonobftant  tout  ce  qu'on  luy  avoit  écrit 
de  Rome  pour  l'en  détourner,  ou  du  moins 
pour  l'obliger  à  diiïercr  encore  à  faire  une  dé- 
marche de  cette  nature  qui  luy  pouvoit  nuire. 
En  fuite  le  Marquis  de  Piiany  fon  AmbafTa- 
deur  &  le  Cardinal  de  Joycule  s'eftant  joints 
par  fon  ordre  à  cet  Evcique,  avoient  reprefen- 
té  à  Sixte  V.  toutes  les  railons  les  plus  fortes 
qui  le  pouvoient  porter  à  luy  accorder  cette 
M^em.  dt  u  arace.  A  quoy  ce  Pape  devenu  inflexible  fur 
ce  pomt-la,  leur  avoit  repondu  d  un  air  qui 
les  lurprit  extrêmement,  qu'il  vouloit  bien  ne 
prendre  pas  connoiflance  de  la  mort  du  Duc 
de  Guife  qui  cftoit  fujet  du  Roy  \  mais  que  le 
Cardinal  de  Guiie,  qu'il  avoit  fait  tuer,  &  le 
Cardinal  de  Bourbon  &rArchevefque  de  Lyon 
qu'il  tenoit  pnionnicrs  n'eftant  plus  fes  Sujets, 
puis  qu'il  n'y  avoit  que  les  Papes  qui  enflent  la 

Î)uiflance  fouvcraine  fur  les  Cardinaux  &  fur 
esEvclqucs,  il  ne  luy  donneroit  jamais  l'abfo- 
lution ,  qu'avant  toutes  chofes  il  ne  les  rcmill; 
en  liberté,  ou  qu'il  ne  les  mift  entre  les  mains 
de  fon  Légat  pour  les  luy  envoyer  a  Rome, 
afin  qu'il  en  fiiî  bonne  jufl:ice  s'il  trouvoit  qu'ils 
fuflent  coupables, 

■  D'autre  part,  le  Commandeur  de  Diou,  le 

jîeur  Coquelay  Confeiller  au  Parlement,  Ni- 

iwffrumoitd,!  colas  de  Piles  Abbé  d'Orbais,  &  le  fieurFrifon 

S?ri  /-    Doyen  de  l'Eglife  de  Reims,  Députez  de  la  Li- 

liisttjt.s.   gue  à  Rome,  pour  empefchcr  que  le  Pape  ne 


Livre     1 1  T.  543 


donnafl  cette  ablolution,  non   feulement  s'y     ifS^. 
oppofcrent  de  toute  leur  force,  mais  auHl  fi- 
rent tout  ce  qu'ils  purent  pour  obliger  le  Pape 
à  publier  l'excommunication  que  luy-mcfmc 
difoit  que  le  Roy  avoit  encourue  pour  le  meur- 
tre du  Cardinal  de  Guilc  5  &  entre  autres  rai- 
fons  qu'ils  produiioient  pour  le  porter  à  cette 
extrême  rigueur  contre  un  Roy  Tres-Chreftien, 
ils  ne  manquoient  pas  de  faire  valoir  les  Dé- 
crets de  la   Sorbonne ,  ôc   fur   tout  celuy  du 
cinquième  Avril,    Dans  ce  Décret  la  Faculté 
déclare   qu'on   ne  peut  prier  pour  Henry  de 
Valois  en  aucune  Oraifon  Ecclefiartique,  beau- 
coup moins  au  Canon  de  la  MefTe,  à  caufe  de 
l'excommunication  qu'il  a  encourue  i  &  qu'on 
doitofter  du  Canon  ces  paroles,  Pro  Rcge  mjhro, 
de  peur  qu'on  ne  croyc  que  l'on  prie  pourluy, 
quoy  -  que  le  Preftre,  dirigeant  ailleurs  Ion  in- 
tention, la  faffe  tomber  fur  ceux  qui  gouver- 
nent, ou  fur  celuy  à  qui  Dieu  réierve  le  Royau- 
me.   Elle  veut  qu'au  lieu  de  cela  on  dile  à  la 
Meffe,  hors  du  Canon,  trois   Oraiions,  />ro  f '"'• ''' 
Chrijiî<inis  Princï^ibus   nojîrtij  qui  furent  impri- 
mées, &  qu'on  voit  encore  aujourd'huy.   Elle 
ajouftc  enfin  que  ceux  qui  ne  voudront  pas  fe 
conformer  à  ce  (entiment,  feront  privez  des 
prières  de  des  droits  de  la  Faculté,  de  laquelle 
ils  feront  chalfez  comme  des  excommuniez  :  ce 
qui  fut  approuvé  d'un  commun  accord  de  tous 
les  Dodeurs. 


■ght.t.Sx 


544       Histoire  de  la  Ligue. 

158p.  A  la  vcrité  ces  Décrets  joints   à  ce  qu'on 

difoit  continuellement  au  Pape,  que  le  parti 
du  Roy  elloit  ablolument  ruiné,  ne  contribuè- 
rent pas  peu  à  luy  faire  prendre  fans  crainte 
les  voyes  de  la  rigueur.  Mais  ce  qui  acheva  en- 
fin de  le  déterminer,  fut  la  Déclaration  des  deux 
Rois  qui  s'eftoient  unis  contre  la  Ligue.  Car  ne 
pouvant  louffrir,  de  l'humeur  dont  il  eitoir, 
qu'on  le  fuft  joint  avec  celuy  qu'il  avoit  ex- 
communié comme  Hérétique  relaps  par  une 
foudroyante  Bulle  qu'il  avoit  fait  inférer  dans 
le  BuUaire  réimprimé  tout  exprés  pour  cela ,  il 
crut  aitément  la  plus  grande  partie  de  ce  que 
les  Ligueurs  publioicnt  audelavantage  du  Roy, 
ôc  ht  en  iuite  aihcher  dans  Rome  ion  Monitoi- 
re  contre  luy. 

Là  il  luy  commande  de  mettre  en  pleine  liberté 
le  Cardinal  de  Bourbon  ^  l Archenjcfaue  de  Lyon 
dans  dix  jours  après  la  publication  de  ce  Monitoire  ^ 
AUX  portes  de  deux  ou  trois  des  Jix  Eglifes  Cathédra- 
les qu'on  dêjîgnc,  (^  qui  Jorjt  celles  de  Poitiers  ^  d' Or- 
léans ^  de  Chartres,  de  A(Icaux,d'Agen,(;^  du  Aï  ans  j 
^  de  l'en  ajjeûrer  dans  trente  jours  par  un  Acle  au- 
thentique. A  faute  de  quoy  il  prononce  dés  àpfefent, 
comme  pour  lors ,  que  luy  (y  tous  ks  coniplices  du 
,  majpicre  du  Cardinal  de  Guife,  &  de  l'emprifonne- 

mcnt  des  autres  Prélats ,  ont  àamnablcmcnt  encouru 
l'excommunication  majeure  f^  autres  Cenfures  Eccle- 
JiaJJiques  portées  par  la  Bulle  In  Cocna  Domini , 
dont  ils  m  pourront  jamais  cjlre  abfous  que  par  le  Pa- 
pe j 


Livre    I  î  I. 


345 


pe,  f  ce  n'efl  à  l'article  de  la  mort,  en  donnant  eau-  1585», 
non  au  ils  obéiront  aux  Aiandemens  de  l'Eç-liJc.  T)e 
plus ,  il  les  cite  à.  comparoir  dans  Joixante  jours  devant 
[on  Tribunal,  Inj  Roj  en  perjonne  ou  par  Procureur ^ 
Cïr  les  autres  pcrjonncllement ,  pour  dire  pourquojy  ils 
a-oyent  n'ai'oir  pas  encouru  les  Cenjures  j  ^  les  Su- 
jets ncjlrepas  ahjous  dfi  ferment  de  fidélité;  ^  dérobe 
enfin  à  tous  les  privilèges  contraires  que  le  Roy,  ou  Ces 
Prédecefjeurs  pourroient  avoir  obtenus  du  Saint  Stege. 

CeMonitoire  fucaftiché  dans  Rome  le  vingc- 
quatriéme  de  May,&  les  Ligueurs  le  firent  im- 
primer à  Pans,  &  publier  avec  toutes  les  for- 
malitez  accouftumées,  à  Paris,  à  Chartres,  & 
à  Mcaux  le  vingt-troifiéme  de  Juinj  &  j'en 
ay  vcû  les  Adtcs  imprimez  auilitoft  après  à 
Paris,  avec  le  Monitoire,  chez  Nicolas  Nivel- 
le &  Rolin  Thierry,  Libraires  &  Imprimeurs 
de  la  Sainte  Union,  avec  privilège  de  Nleiïicurs 
du  Confeil  général  de  la  mefme  Sainte  Union, 
fîgné,  Senault,  leur  Secrétaire. 

Ce  fut  donc  à  Eftampcs  que  le  Roy  apprit /"«»''"•' '^* 
qu  on  i  attaquoit  de  la  iorte  a  Rome  &  en 
France  avec  les  armes  de  l'Eglife,  en  mefmc 
temps  que  les  Rebelles  le  lervoicnt  des  leurs  pour 
le  renvcrler  de  ion  Trône.  On  luy  dit  bien 
qu'il  y  avoit  dans  ce  Momtoire  plulieurs  chefs 
de  nullitcz  qui  luy  oi\oient  toute  fa  force, 
quand  melme  il  ne  feroit  que  contre  un  iim- 
ple  particulier.  Mais  comme  nonobilant  tou-  •  '  ' ''; 
tes  ces  raifons  il  temoignoïc  que  cela  l'inquié- 

Xx 


* 34<^       Histoire  de  la  Ligue. 

j^Sp.  toit  fort,  le  Roy  de  Navarre,  qui  ne  deman- 
doit  qu'à  exécuter  promptement  la  réfolution 
qu'on  avoit  prife  d'afTieger  Paris,  luy  dit  d'une 
manière  aulTi  agréable  que  force ,  qu'il  y  avoit 
à  cela  un  fort  bon  remède.  £f  c'fy?^  5/re,ajouI^ 
ta-t-il  avec  fa  promptitude  ordinaire,  que  mus 
fvdncmions  i  &  au  plûtoji;  car  fi  cela  efl,  'vous  aure:^ 
ajjeûrément  lojlre  abjolutton  :  mats  fi  nouf  fommes  bat- 
ttn,  nous  ferons  toujours  excommunie:^,  ^gg'^^'ve:^ ,  f^ 
reaggr<x've:;(^. 

Cela  ne  s'accordoit  pas  mal  avec  ce  que  !'£> 
vefque  du  Mans  avoit  écrit  de  Rome  au  Royj 
que  s'il  vouloit  avoir  l'abiolution  qu'on  refu- 
foit  de  luy  donner,  il  n'avoit  qu'à  fe  rendre  le 
plus  fort.  Ainiî  le  Roy  prenant  le  parti  de  dif- 
îîmuler,  &  de  prétendre  toujours  caufe  d'igno- 
rance de  ce  Monitoire  qu'on  ne  luy  avoit  pas 
iignifié,  alla  pafl'er  la  Seifie  fur  le  Pont  de  PoilTy 
qu'il  forçai  puis  ayant  pris  Pontoife,  qui  fc 
rendit  le  vingt -cinquième  de  Juillet,  après  un 
fîege  de  quatorze  jours  vigoureufement  fouf- 
tenu  par  les  fieurs  d'Alincour  qui  y  fut  griè- 
vement bleifé,  &  de  Hautcfort  qui  y  perdit  la 
vie,  il  alla  recevoir  vers  Confians  l'armée  des 
SuifTes  que  luy  amena  Nicolas  de  Harlay  Ba- 
ron de  Sancy,  qui  pour  rendre  en  cette  occa- 
fîon  cet  important  fervice  au  Roy  fonMaiftrc, 
fit  une  action  digne  d'une  gloire  immortelle, 
jiddit  étuK  Comme  au  commencement  de  cette  euerrc 
t. 2. f.  Six.  on  deliberoit  dans  le  Conieii  lur  les  moyens 


Livre     III.  34^ 

les  plus  prompts  ôc  les  plus  efficaces  qu'on  pour-  i  j8  «;. 
roit  trouver  de  la  loullenir,  dans  le  déplorable 
cftat  où  eftoient  alors  les  affaires  du  Roy  :  San- 
cy  qui  avoir  elU  AmbafTadeur  en  Suifle,  fouf- 
tint  qu'il  n'y  en  avoir  point  de  meilleur  que  de 
traiter  avec  les  Cantons  ;  &  que  pour  fc  mettre  à 
couvert  des  mfultes  du  Duc  de  Savoyc  qui  me- 
nac^oit  Genève,  &  prétendoit  les  enfermer  du 
collé  de  la  France,  ils  permettroient  volontiers 
qu'on  fift  une  grande  levée  de  leurs  Sujets  pour 
aller  au  fecours  du  Roy,  qui  feroit  en  fuite  en 
cflat  de  les  fecourir  eux-mefmes  au  befoin.  Mais 
parce  qu'il  n'y  avoir  point  d'argent  à  l'Epargne, 
ôc  que  point  d'argent  point  de  SuifTes,  tout  le 
monde  le  prit  à  rire  de  cette  proportion,  en 
luy  demandant  qui  fcroit  celuy  qui  voudroit 
entreprendre  de  faire  une  armée  fans  avoir  au- 
tre choie  que  du  parchemin.  Alors  Sancy,  qui 
avoir  un  cœur  de  lion  lous  l'habit  d'un  hom- 
me de  Robe ,  car  il  n'eftoit  encore  en  ce  temps- 
là  que  Maillre  des  Requêtes:  Puis  donc,  dît-il, 
aue  pas  un  de  ceux  qui  font  Ji  riches  des  bienfaits  du 
I{oy  ne  Je  bre fente  pour  cela ,  je  lous  déclare  que  ce 
fera  moy.  Et  là-dellus  il  accepte  la  Commiiîion 
tres-ample  que  le  Roy  luy  donna  fans  un  leul 
quart  d'écu,  de  traiter  avec  les  Suiffes  &lesAl- 
lemans  pour  luy  faire  une  armée. 

Il  engagea  pour  cela  tout  Ion  bien.  Se  em-  c<tjih 
ploya  tout  Ion  crédit  j  &  il  agit  en  fuite  avec 
tant  de  bonheur  ôv  de  conduite  avec  Meilleurs 

X  X  ij 


— — 34S       Histoire   de   la   Ligue. 
ij-Sfj.    de  Berne,  de  Baflc,  de  Soleurc  &  de  Genève^ 
qu'après    avoir  enlevé  au  Duc  de  Savoye  les 
Bailliacres  de  Gcx  &  de  Thonon,  le  Fort  de 
R  paille,  &  quelques  autres  places  pour  luy  don- 
ner loncT-temps  de  l'exercice,  &c  l'emperchcr  de 
troubler  fes  voifins,  il  fe  mit  à  la  tclte  de  l'ar- 
mée Royale,  compofée  de  dix  à  douze  mille 
hommes  de  pied,  Suilles,  Criions,  &  Genevois, 
avec  prés  de  deux  mille  Reitres  6c  douze  pie- 
ces  de  canon.   Ce  fut  avec  ces  forces  qu'il  tra- 
verfa  tout  le  pais,  depuis  Genève,  par  IcsSuif- 
fes,  juiques  au  Comté  de  Montbeliard,  d'où 
ayant  traverlé  la  Franche  Comté ,  &  paffe  la 
Saône  vers  Jonvelle,  il  fut  à  Langrcs  qui  tenoic 
pour  le  Roy,  &  alla  joindre  à  ChaltiUon  fur 
Mm.  ie  u    Seine  le  Duc  de  LongueviUc  &  la  Noue.  Delà 
^  SZ7.        traverfant  tous  eniemble  la  Champagne  avec 
Mtmur."^    environ  vinort  mille  hommes,  ils  pafl'erent  la 
Seine  à.  Poilfy,  &  arrivèrent  enfin  hcureufe- 
ment  à  l'armée  du  Roy.  Il  receilt  Sancy  en 
pleurant,  &  il  protefta  en  prefcnce  de  tous  les 
Officiers  de  fon  armée,  que  c'eftoit  de  joye,  6c 
tout  enfemble  de  regret  de  n'avoir  pas  prc- 
fentement  de  quoy  le  récompenler  du  plus  iî- 
CTnalé  fervice  qu'un  Sujet  pouvoir  rendre  à  fon 
Roy,  &L  que  les  proviiions  qu'il  iuy  avoir  don- 
nées de  la  Charge  de  Colonel  des  Suifies  n'ef- 
toient  rien  en  comparaiion  de  ce  qu'il  vouloir 
faire  en  fa  faveur,  eifant  rcfolu  de  le  rendre 
un  jour  il  grand,  qu'il  n'y  euil  rien  de  grand 


Livre     III.  345 

en  Ton  Royaume  qui  ne  luy  puft  porter  en-    ij8^, 
vie. 

Mais  la  fortune  qui  fe  plaid  aflez  fouvent  à 
pcrfecutcr  la  vertu, en  difpofa  tout  autrement, 
par  le  déplorable  accicienc  qui  arriva  trois  jours 
après,  &  par  une  dilgrace  que  fa  trop  grande 
franchile  luy  attira.  Car  au  lieu  de  ces  gran- 
des récompenies  qu'il  devoir  attendre  après 
avoir  fait  une  adtion  fi  héroïque,  il  fallut  en- 
fin qu'on  en  vint  jufques  à  vendre  tous  fes 
biens,  afin  de  payer  les  dettes  qu'il  avoit  faites 
pour  lever  à  fes  dépens  cette  belle  armée  qui 
acheva  de  niettre  le  Roy  en  ellat  de  domter 
les  Rebelles,  &  de  triompher  bientoft  de  la  Li- 
gue, En  effet,  ayant  fait  après  la  jonction  de 
cette  armée  la  reveûë  générale  de  toutes  fes 
troupes,  il  fe  vit  à  la  telle  de  plus  de  quarante- 
cinq  mille  hommes  tous  loldats  aguerris,  avec 
lefquels,  après  s'eftre  emparé  le  trentième  de 
Juillet  du  Pont  de  Saint  Clou ,  d'où  il  chaffa 
les  Ligueurs  à  coups  de  canon,  il  réfolut  d'at- 
taquer dans  deux  jours  les  fauxbourgs  de  Paris 
des  deux  coftez  de  la  rivière. 

Il  y  a  très-grande  apparence  qu'il  les  euft  d'a- 
bord emportez,  &  melme  en  fuite  la  ville,  où 
l'on  elfoit  déjà  dans  une  extrême  concerna- 
tion,  tous  les  paflages  des  vivres  eftant  fermez, 
&  le  Duc  de  Mayenne  n'ayant  plus  que  cinq 
ou  fix  mille  foldats,  qui  n'elloient  pas  le  tiers 
de  ce  qu'il  falloir  pour  défendre  des  retranche- 

Xx  iij 


— 3P       Histoire  de  la  Ligue. 

ijgj?.  mens  d'une  aufli  grande  étendue  que  ceux  qu'il 
avoit  fait  faire  à  tous  les  fauxbourgsj  outre 
que  le  grand  nombre  de  ferviteurs  que  le  Roy 
avoit  dans  Paris,  le  voyant  fi  proche, avoienc 
repris  cœur,  &  gagné  une  grande  partie  des 
bons  Bourgeois  qui  clloient  aflciirez  que  la  pu- 
nition ne  tomberoit  que  fur  les  Chefs  de  la  Li- 
gue ,  fi  le  Roy  vidorieux  fe  vouloir  refTentir 
de  la  Journée  des  Barricades.  De  forte  que  le 
Duc  de  Mayenne  avoit  fujet  d'appréhender 
qu'en  mefme  temps  qu'on  attaqueroit  les  faux- 
bourgs  ,  il  ne  fe  fill  tout-à-coup  quelque  grand 
foulevement  dans  la  ville  en  faveur  du  Roy,  & 
que  les  foulevez  s'eftant  rendus  maiftres  de 
quelqu'une  des  portes  qu'on  luy  ouvriroit,  ne 
s'allaflent  joindre  à  les  troupes. 

Aufii,  dit-on,  que  ce  Duc,  qui  avec  toute 
fa  modération  &  fa  lenteur  ne  laifToit  pas  d'ef. 
trefort  brave,  voyant  bien  l'extrême  danger  où 
il  eftoit,  quoy-qu'il  paruft  fort  affeûré,  ôc  qu'il 
fift  prefcher  mille  agréables  fauffetez  au  peuple 
pour  l'encourager,  avoit  réfolu,  avec  une  trou- 
pe choifie  des  plus  vaillans  hommes  de  fon  ar- 
mée qui  vouloicnt  iuivre  fa  fortune,  de  fe  jet- 
rer  l'épée  à  la  main  au  milieu  des  troupes  Roya- 
les, ou  pour  vaincre  contre  toute  efperance, 
par  un  généreux  dcfelpoir  que  le  fort  des  ar- 
mes a  rendu  quelquefois  heureux,  ou  pour  mou- 
^^  rir  en  prenant  l'unique  moyen  qui  luy  relloit 
de  venger  la  mort  de  fes  frères. 


Livre     I  I  L 


?Jï 


Voilà  le  floriflanc  cllat  où  fe  trouvoient  les  i  j8^. 
affaires  du  Roy,  Se  l'extrcmité  où  celles  de  la 
Ligue  eftoicnt  réduites,  lors  que  la  fortune,  qui 
fe  joue  de  la  vie  des  hommes,  dont  elle  fait 
tantoil  une  ridicule  comédie,  &  tantoll  une 
fanglante  tragédie,  changea  de  fcene  en  un  int 
tant,  comme  lur  un  théâtre,  par  le  coup  le  plus 
dételfable  qui  puft  partir,  je  ne  diray  pas  d'un 
homme,  mais  d'un  démon.  Il  n'ell;  pas  necef- 
fairc  que  je  raconte  icy  toutes  les  circonftances 
d'une  11  exécrable  action  qui  font  connues  de 
tout  le  monde.  Il  fulSt  que  je  dife,  pour  fitis- 
fairc  à  mon  devoir,  qu'un  jeune  Jacobin  nom-  Mem.  de  u 
me  Jacques  Clément,  homme  d'elprit  foible,  d^Z',u.'  ^' 
fuperlbtieux  dévot  Sc  vifionnaire,  s'eftant  pcr-  ^^y*-  é^/- 

r  '  r  Journal  lit 

fuadé  par  les  furieufes  déclamations  des  Prédi-  ^enryur. 

^    r-  1        1        T   •  n  Jâumal  M  S, 

cateurs  languinaires  de  la  Ligue,  ôc  par  certai-  deM.uyfei. 
ne  vifion  qu'il  croyoit  avoir  eue,  qu'il  feroit  chTvnny.'^' 
Martyr  s'il  perdoit  la  vie  pour  avoir  tué  Henry  t-*"""-    , 
de  Valois,  avoir  tellement  pris  cette  damnable 
réfolution,  qu'il  ne  feignoit point  de  dire  hau- 
tement qu'il  ne  falloit  pas  qu'on  fe  mill  en  pei- 
ne, &:  qu'il  fçauroit  bien  délivrer  Paris  quand 
il  en  feroit  temps.    Et  comme  on  fceût  que  le 
Roy  eftoit  à  Saint  Clou,  où  il  avoit  pris  fon 
quartier  &  fon  logis  dans  la  belle  maifon  du 
jieur  Jerofme  de  Gondy ,  il  fortit  de  Paris  dés 
le  lendemain,  qui  eftoit  le  dernier  de  Juillet, 
avec  une  lettre  de  créance   adreffante  au  Roy 
de  la  part  du  Premier  Préfident  de  Harlay  dé- 


— —  3;i  Histoire  de  la  Ligue. 
ij8p.  tenu  pnfonnier  en  la  Baftille ,  foit  que  cette 
lettre  fuft  en  effet  de  cet  lUuftre  Prélident  trom- 
pé par  ce  Religieux  qu'il  crut  eftre  fort  pro- 
pre pour  porter  au  Roy  les  avis  qu'on  avoit  à 
luy  donner,  Toit  qu'on  l'euft  contrefaite  pour 
donner  moyen  à 'ce  malheureux  de  faire  fon 
coup  de  la  manière  qu'il  le  fit. 

Car  eftant  introduit  le  jour  fuivant,  fur  les 
fept  à  huit  heures  du  matin,  dans  la  chambre 
du  Roy,  comme  ce  bon  Prince,  qui  recevoir 
toujours  favorablement  les  Religieux,  lifoit  at- 
tentivement cette  Lettre,  3c(c  baiiloit  pour  en- 
tendre ce  qu'il  avoir  à  luy  dire  en  fecret,  ainfi 
que  portoit  fa  créance  ;  ce  parricide  qui  s'eftoit 
mis  à  genoux  devant  luy,  tirant  de  fa  manche 
un  couteau ,  le  luy  plonge  dans  le  petit  ven- 
tre, &  le  laifl'e  dans  la  playe,  d'où  le  Roy  fe  le- 
vant de  deffus  fa  chaife,  &  jcttant  un  grand 
cry,  le  retire,  de  luy  en  donne  dans  le  front.  Il 

/f',7s'jJ*k'j.  n'y  avoit  encore  dans  la  chambre  queBellegar- 

ftnrf.  ^g  premier  Gentilhomme,  <k  la  Guefle  Procu- 

reur Général,  qui  après  avoir  fort  interrogé  cet 

cvcji,.  homme  exécrable  le  jour  précèdent,  lans  rien 
trouver  qui  luy  puil  donner  le  moindre  foup^on, 
l'avoir  amené  par  ordre  du  Roy.  Mais  auilitolt 
pluiieurs  des  Quarante -cinq  eilant  entrez  à  ce 
grand  cry  que  le  Roy  fit,  fe  précipitent  aveu- 
glément, &  tout  en  furie,  fur  ce  dételfable  af- 
làfiin,  le  percent  en  un  moment  de  plufieurs 
coups ,  (2c  fans  écouter  la  Gueile ,  qui  après  l'a- 
voir 


cUi*. 


Livre     III.        -    \      355 

voir  frapc  de  la  garde  de  fon  cpée,  crioic  de    ijSp. 
toute  la  force  qu'on  ne  le  tuait  pas,  l'achèvent,  g7/'//J'i, 
&  jettent  par  les  fenellres  Ion  corps  tout  lan-  J"""»»'. 
glant,  que  le  Grand  Prcvoft  de  l'Hoftel  fit  ti- 
rer à  quatre  chevaux. 

Il  y  en  eût  qui  ne  pouvant  croire  qu'un  Re- 
ligieux pull  eilre  capable  d'une  (î  détellable 
aâ:ion,  doutèrent  fi  ce  monftre  n'eftoit  pas  ou  A-'^rfci/». 
quelque  Ligueur,  ou  melme  quelque  Hugue- 
not travefti  en  Jacobin;  ôc  un  Ecrivain  moder-  l,  fatalité 
ne  ,  pour  fauver  l'honneur  des  jacobins,  a  taf-  '^'^''"^ 
ché  depuis  peu  de  renouveller,  tk  de  fornner  ce 
doute  le  mieux  qu'il  a  pu.  Mais  outre  que  le 
parricide  fut  reconnu  par  des  gens  qui  le  connoif-  ^'"^'^"■ 
foient:  il  eft  certain  que  le  mefme  Jacques  Clé- 
ment, qui  fut  examiné  le  loir  précèdent  par  la  ^""''  *'  '* 
Guelle,  comme  on  en  convient,  tut  introduit 
par  luy-mclme  le  lendemain  dans  la  chambre 
du  Roy,  puis  qu'on  ne  peut  pas  dire  que  cet 
Officier,  homme  d'efprit.  Te  loit  trompé  en 
prenant  un  autre  pour  celuy  qu'il  avoïc  tant 
interrogé.    D'ailleurs,  comme  le  Roy,  dans  la 
Lettre  qui  fut  envoyée  aux  Gouverneurs   de  ^"*"  '^"  ^'y 
Provinces  ô*:  a  les  Alliez  aulhtolt  après  la  blel-  c-.^»,  t. ,. 
feûrc,  dit  pofitivement ,  que  quand  il  fut  fra-  J^^^/,!'"' 
pé  par  le  Jacobin,  il  n'y  avoit  dans  la  cham- 
bre que  Bellegarde  ôc  la  Guelle,  qu'il  avoit  fait 
retirer  aflez  loin  de  luy ,  pour  entendre  ce  que 
ce  trailfre  avoit  à  luy  dire  en  lecret:  il  fau- 
droit  neccflaircmem  que  l'un  ou  l'autre  eull  fait 


5^4      Histoire    de    la    Ligue. 


i;8p,  un  coup  il  détcftablcjfi  ce  n'avoit  efté Jacques 
Clemenr.  Et  c'eft  ce  qui  ne  peut  jamais  entrer 
dans  l'eTprit  de  qui  que  ce  foit,  s'il  n'a  perdu  le 
fens  &  la  raifon. 

C'til  pour  quoy,  fans  s'obftiner  à  vouloir  inu- 
tilement ou  détruire,  ou  rendre  douteux  un 
fait  rapporté  conftamment  par  tous  les  Ecri- 
vains de  ce  temps-là,  &  confirmé  par  une  in- 
finiié  de  témoignages  authentiques  :  je  crois 
qu'il  vaut  mieux  en  tomber  d'accord  de  bonne 
foy,  avec  la  voix  publique,  de  quelque  profef- 
fion  que  Ton  foit,  veû  principalement  que 
l'honneur  des  Jacobins  n'en  fouffre  nullement. 
Car  enfin  les  fautes  font  perfonncUes;  &  il  n'y 
a  point  d'homme  de  bon  fens  qui  s'aviie  ja- 
mais de  reprocher  le  crime  d'un  particulier  à 
un  Ordre  aulTi  faint  &c  aulTi  rempli  d'cxcellcns 
hommes  en  dotStrinc  ôc  en  vertu  que  celuy  de 
Saint  Dominique. 

Or  quoy-que  le  coup  fuft  grand,  &:  qu'il  euft 
pénétré  bien  avant,  les  Chirurgiens  pourtant 
crurent  d'abord  que  le  couteau  ayant  glifle 
entre  les  inteftins  fans  les  offenlcr,  la  playe  du 
Roy  n'cftoit  pas  dangereufe,  ôi.  mefme  l'afTcu- 
Ltttrt  du  uoy  rerent ,  comme  il  le  Ht  fçavoir  aux  Princes  fes 
alliez,  que  dans  dix  jours  il  pourroit  monter 
à  cheval.  Mais  foit  qu'on  euft  mal  reconnu  la 
playe,  ou  que  le  couteau  dont  il  fut  frapé  fuft 
cmpoilonné,  on  s'apperceiit  bientoft  après  que 
fa  blelfeûre  eftoit  mortelle. 


L  I  V  R  £     î  I  ï.  5^5 

Jamais  Prince  ne  parut  moins  furpris  que  i;8^. 
îuy  à  la  veûë  de  la  more,  ni  ne  la  reccût  d'une 
manière  plus  tranquille,  plus  chrcfticnne,  ôc 
plus  fainte.  Il  fe  confefla  jufques  à  trois  fois 
au  fieur  de  Boulogne  Chapelam  du  Cabinet  ic  ^7/ 
&  comme  celuy-cy  Tcût  averti  qu'il  y  avoir  ^["J^"'-  ^'" 
un  Monitoirc  contre  Iuy ,  ôc  qu'il  l'eût  exhor- 
té à  fatisfaire  à  ce  que  l'Eglife  demandoïc  de 
Iuy  pour  fe  mettre  en  cftat  de  recevoir  Ton  ab- 
folution  ,  Je  fun  y  repondit  -  il  lans  héiiter, 
îe  premier  Fils  de  l'EgltJe  Catholique,  ^pcfiolique 
(^  I{omaine,  r^  'veux  mourir  tel.  je  promets  devant 
Dieu  ^  dci-ant  tous,  que  mon  dejir  n'ejl  autre  que  de 
contenter  Sa  Sainteté  en  tout  ce  quelle  peut  dejifer  de 
moy.  Sur  quoy  le  ConfefTeur  eftant  pleinement 
fatisfait,  Iuy  donna  i'abfolution.  Tout  le  refte 
du  jour  il  ne  s'entretint  que  de  Dieu,  àc  ne 
s'occupa  que  des  peniées  du  Ciel,  jufques  à  ce 
que  le  Roy  de  Navarre  eîtant  arrivé  de  fon 
quartier  de  Meudon  bien  avant  dans  la  nuit, 
&s'eftant  jette  à  genoux  devant  Iuy  tout  cou- 
vert de  larmes,  Ôc  fans  pouvoir  proférer  un  ' 
feul  mot,  il  fe  courba  doucement  iur  fa  tellc^ 
le  déclarant  fon  légitime  Succe(feur,  ordonnant 
a  tous  les  Seigneurs  qui  rempiifloient  la  cham- 
bre de  Iuy  obéir  comme  à  leur  Roy,  &  Iuy 
difant  en  mefme  temps,  que  s'il  vouloir  régner 
paifiblement,  il  falloïc  qu'il  rentrail  dans  l'E- 
glife ,  &  qu'il  proteffall:  la  Religion  de  tous  les 
Rois  Tres-Chreiiiens  les  Predecefleurs. 

Yy  ij 


~ 3;^       Histoire    de   là   Ligue. 

ijSp.  Comme  il  crut  fentir  les  approches  de  lâ 

mort  fur  les  deux  heures  après  minuit ,  il  réi- 
téra la  Confeilion ,  après  laquelle  il  fe  fit  ap- 
porter le  tres-Saint  Sacrement  qu'il  reccût  pour 
Viatique  avec  une  dévotion  incroyable.  Il  fit 
en  fuite  tous  les  a6les  les  plus  fervens  de  foy, 
d'erperance  &  de  charité,  mettant  toute  fa  con- 
fiance aux  mérites  infinis  de  laPaiTion  dejefus- 
Chrift,  pardonnant  de  tout  fon  cœur  à  tous 
fes  ennemis,  particulièrement  à  ceux  qui  avoient 
procuré  Ta  mort  ;  &  U-defTus  il  voulut  encore 
recevoir  l'abfolution,  priant  Dieu  de  luy  par- 
donner fes  péchez,  comme  il  leur  pardonnoit 
tout  le  mal  qu'ils  luy  avoient  fait.  Puis  il  fc 
mit  à  dire  le  Mifererc,  qu'il  ne  put  achever,  ayant 
perdu  la  parole  à  ce  verfet ,  K.(ààc  mïhï  Utitiam 
falutaris  tut;  &c  après  avoir  fait  encore  deux  fois 
le  fignc  de  la  Croix ,  il  expira  fort  doucement 
fur  les  quatre  heures  du  matin,  le  lecond  jour 
du  mois  d'Aouft,  en  la  trente-ncuviémc  année 
de  fon  âge. 

Ainfi  mourut  Henry  III.  Roy  de  France  Se 
de  Pologne ,  le  dernier  de  la  race  des  Valois , 
faifant  voir  à  fa  mort  qu'il  avoit  eii  durant  fa 
vie  dans  l'ame  un  véritable  fonds  de  pieté ,  &c 
que  les  actions  extraordinaires  qu'il  en  faifott 
de  temps  en  temps,  quoy- qu'elles  ne  fuffent 
pas  dans  la  dernière  régularité,  ni  conformes 
a  fon  eftat,  ne  partoient  point  pourtant  de 
cette  bafle  hypocrifie  que  ceux  de  la  Ligue  luy 


L  I  V  R  E     1 1  L  357 

ont  fauffemcnt  reprochée.  Prince  au  reftc  qui  ij  8^. 
polTcdant  toutes  les  belles  qualitez  que  Ton  a 
vcûës  dans  le  portrait  que  j'en  ay  fait  au  com- 
mencement de  cette  Hiltoirc,  cull  efté  l'un  des 
plus  parfaits  Monarques  qui  fut  jamais,  s'il 
cuft  pu  les  faire  valoir  quand  il  fut  Roy,  com- 
me il  avoit  fait  avant  que  de  l'eftre. 

Les  HuQ-uenots  &c  les  Ligueurs  qui  ont  pref-  Mdit.^  n>^ 
que  toujours  également  hai  ce  Prince,  le  re-  d,Frar,cif*r 
jouirent  de  {a  mort ,  &c  en  parlèrent  comme  ^'"^'"^ 

•  ULccHttl    des 

d'une  efpccc  de  miracle ,  &  d'un  coup  de  la  tmq  rcU. 
main  de  Dieu.  Les  premiers  ont  écrit  qu'il  fut  ^^^*  '^'  ^'^- 
blciTé,  &c  qu'il  mourut  dans  la  chambre  mcC- fin  Mintjiri. 
me  où  il  avoit  fait  conclure  le  maffacre  de  la 
Saint  Barthélémy  ;  &  cependant  il  eft  certain 
que  la  maifon  où  le  Roy  fut  bleife  à  mort,  ne 
fut  baftic  par  le  lieur  Jérôme  de  Gondy  qu'en  ^'y*'- 
l'année  mil  cinq  cens  foixante  &  dix-fept,  cinq 
ans  après  la  Saint  Barthélémy.  C'cil:  pourquoy, 
comme  l'impofture  eftoit  manifefte,  le  Parle- 
ment, fur  la  plainte  qu'en  fit  le  Procureur  Gé- 
néral, ordonna  qu'elle  fuft  rayée  de  l'Addition 
faite  par  Monliard  à  l'Inventaire  de  l'Hiftoirc 
de  France.  Mais  ceux  de  Genève  n'ont  pas  man- 
qué de  la  rétablir  toute  entière  dans  l'impref- 
iion  qu'ils  ont  faite  de  ce  Livre. 

Pour  les  Ligueurs ,  ils  firent   éclater   leur  iHd. 
joye  par  des  marques  fi  fcandalcufes,  qu'on  ne 
les  peut  lire  fans  en  concevoir  une  extrême  hor- 
reur. Ils  publièrent  mefme  dans  leurs  écrits  ira- 

Yy  iij 


— — — 358  Histoire  de  la  Ligue. 
1J85).  primez  a  Paris  &  à  Lyon,  qu'un  Ange  avoir 
déclare  à  Jacques  Clément  que  la  Couronne  de 
Martyr  luy  cfloit  préparée  quand  il  auroit  dé- 
livré la  France  de  Henry  de  Valois  ^  &:  qu'ayant 
communiqué  fa  vifion  à  un  fqavant  Religieux, 
celuy-cy  l'avoit  approuvée,  l'aflcûrant  qu'en 
faifant  ce  coup,  il  feroir  aufli  acrréable  à  Dieu 
que  le  fut  Judith  en  tuant  Holopherne.  Et  par- 
ce que  Ton  Prieur,  nommé  le  Père  EdmeBour- 
going ,  fut  accufé  d'eftre  celuy  de  tous  les  Pré- 
aicatcurs  de  la  Ligue  qui  s'emporta  le  plus  a 
loûër  cet  abominable  parricide  fon  fujet,  Ta- 
poftrophant  en  pleine  chaire  ,  &  l'appellanc 
bienheureux  enfant  de  fon  Patriarche  &  Saint 
Martyr  de  Jefus-Chrift,  &  le  comparant  à  Ju- 
dith :  on  ne  douta  point  que  ce  ne  fuft  luy 
auquel  ce  jeune  homme  qui  eftoit  fous  fa  con- 
duite s'eftoit  confeiUé,  &c  qu'il  ne  l'euft  en  fuite 
confirmé  dans  fon  exécrable  dcffein.  C'eft  pour- 
quoy  ayant  efté  pris  les  armes  à  la  main,  trois 
mois  après,  à  J'attaque  des  fauxbourgs  de  Paris, 
on  iuy  fit  fon  procès.  Et  quoy- qu'il  cufl  tou- 
jours nié  juiques  à  la  mort,  laquelle  il  louffrit 

TitHM.i.ft.  avec  une  merveilleufe  conftance,  ce  dont  on 
l'accufoit ,  comme  toutefois  il  ne  put  récufer 
les  témoins  qui  le  luy  foulHnrent ,  il  fut  jugé 
félon  les  formes,  à  ce  qu'il  reconnut  luy-melme, 
&c  tiré  à  quatre  chevaux  par  Arreil  du  Parle- 
ment féant  à  Tours. 

Qupy  qu'il  en  foit_,il  eft  certain  que  la  plul^ 


Livre     T  T  I.         \      5j^  — 

part  de  CCS  Prédicateurs   forceriez  de  la  Lio;uc    1/85?. 
en  dirent  pour  le  moins  autant  que  ce  qu'on 
reprochoit  à  ce  Prieur.    Car  le  fieur  Antoine 
Lorfel  a  laifTé  par  cent  dans  Ton  Journal,  que  J'>«rH»i  u, 
le  jour  melme  que  le  Roy  fut  blclfc,  &  avant    °^  '  ' 
que  l'on  euil  reccû  la  nouvelle  de  fa  blclleûrc, 
il  ouït  à  Saint  Merry  le  fermon  du  Docleur 
Boucher,  qui  dit,  pour  conlolcr  fes  Auditeurs, 
que  comme  ce  jour-là  premier  du  mois  d'Aoull 
qu'on  célèbre  la  fclte  de  Saint  Pierre  aux  Liens, 
D;cu  avoir  délivré  cet  Apoftrc  des  mains  d'He- 
rode  ,  on  devoir  efperer  qu'il  leur  feroit  une 
pareille  grâce.  Sur  quoy  il  ne  feignit  point  d'à-      '  _    -^  ' 
vancer  cette  damnablc  propofition ,  que  c'ef- 
toit  un  z€ic  de  grand  mente  de  tuer  un  Roy 
Hérétique,  ou  fauteur  d'Hérétiques. 

Les  autres  Prédicateurs  agiflant  de  con- 
cert avec  luy  prcichoient  enmcfmc  temps  avec 
plus  d'emportement  &  de  fureur  qu'ils  n'avoienc 
jamais  fait  contre  Henry  de  Valois,&donnoienc 
au  peuple, dit  le  mefme  témoin  irréprochable, 
une  efpcrancc  comme  certaine  que  Dieu  les  en 
delivreroit  bientoll  :  ce  qui  fit  croire  à  bien  des 
gens  qu'ils  avoient  eu  communication  de  l'a- 
bominable delTein  du  parricide.  Et  quand  on 
fceût  que  le  coup  eftoit  fait,  on  ordonna  des 

I;    prières  publiques  par  toutes  les  Ec^lifes  de  Pa- 
ris, pour  en  rendre  à  Dieu  de  folenucUes  actions 
'     de  grâces.  On  ht  durant  toute  une  femaine  des 
ProcelHons  qui  alloienc  de  toutes  les  Parroifl'es 


3^o      Histoire  de  la  Ligue. 


ijSçf.  à  l'Egliie  des  Jacobins.  On  exhorta  les  pcu-^ 
pics  à  y  faire  de  grandes  aumofnes  en  confî- 
deration  de  Frère  Jacques  Clément,  &  à  éten- 
dre leurs  charitables  liberahtez  fur  fes  pauvres 
parens. 

Enfin,  le  Dodeur  Roze  ancien  Evefquc  de 
Senlis,  &c  Ligueur  à  toute  outrance,  y  prefcha 
conformément  au  billet  qui  fut  envoyé,  par 
ordre  exprés  des  Seize,  le  Dimanche  fixiéme 
jour  d'Aoult,  à  tous  les  Prédicateurs  auiquels 
on  marquoit  les  trois  points  qu'ils  dévoient 
prefcher,  &c  que  je  veux  rapporter  icy  comme  ils 
^liH'lfX  fori':  exprimez  dans  ce  billet,  afin  qu'on  voyc 
de  quel  horrible  aveuglement  cette  furieufc  ca- 
bale de  Ligueurs  fut  frapée.  Voicy  les  propres 
termes  du  Billet.  /".  J^flifier  le  fait  du  Jacobin  ^ 
pource  cjue  ceji  un  pareil  fatr  que  celuy  de  Judith  tant 
recommandé  dans  U  Sainte  Scfiture  :  Qui  cnim  Ec- 
clcfiam  non  audit,  débet  effe  tanquam  Ethni- 
cus  &c  Holopherncs.  2.°.  Crier  contre  ceux  qui  di- 
fent  qu'il  faut  rece'voir  le  Roji  de  Navarre  s'il  ta  à  U 
j\de(Je,  pource  qu'il  ne  peut  ufurper  le  Royaume  ejlant 
excommunié ,  ^  mejme  ejlant  exclus  de  celuy  de  Na- 
'varre.  3°.  2xhomr  le  Magijlr^t  de  faire  publier  con- 
tre tous  ceux  qui  foujlicnd)ont  le  Hoj  de  Navarre  j 
qu'ils  font  atteints  du  crime  d'Hétefie^  ^  comme  tels 
Procéder  contre  eux. 

Mais  après  tout,  cette  brutale  joyc  que  les 
Ligueurs  firent  paroiftre  pour  la  mort  de  Hen- 
ry n  L  fut  bicncoit  après  changée  en  ciUlclfe,  &c 

puis 


L   I  V   R  Ê      I  I  î.  ^(^i 

puis  en  dcfcfpoir,  par  la  fagc  conduite ,  &  par 
la  valeur  incomparable  de  Ton  Succcflcur  Henry 
de  Bourbon,  à  qui  Dieu  avoir  deltinc  la  gloi- 
re qu'il  a  eue  de  rétablir  le  bonheur  de  la  Fran- 
ce, en  dctruilant  entièrement  la  Ligue  qui  la 
defoloit.  C'elt  ce  qu'il  faut  maintenant  que 
je  fa  lie  voir  en  cette  dernière  partie  de  mon 
Hiftoirc. 


liSi). 


Zz 


HISTOIRE 

DE 

LA    LIGUE. 


LIVRE     QJJATRIÉME. 

NcoRE  QiJE  Henry  Roy  de 

Navarre,   que   le    Roy  défunt     ^nn. 

avoit  déclaré  en  mourant  ion    x/8^. 

légitime  Succc(rcur,cuil  pris  d'i- 
__^_^__^^_^^^^^_  bord  l'auguftc  qualité  de  Roy 
deFrance,ilftc  futpas  néanmoins  furie  champ 
reconnu  de  toute  l'armée.  Les  Huguenots  qu'il 
avoit  amenez  au  fecours  de  ion  PrédecciTcur  fu- 
rent les  premiers  à  luy  rcadre  hommage,  ne  dou^ 

Zi  1} 


3^4  HISTOIS.E    DE   LÀ    LiGU'E. 

jjSp.  tant  point  qu'ils  ne  dcuflent  cftrc  les  Maiftrcs, 
&  que  le  Calvinirmc  ne  dcvinll:  bientoft  en 
France  la  Religion  dominante  fous  un  Roy 
Proteilant.  Mais  cela  mcimc  donnoit  beaucoup 
d'inquiétude  à  ce  fage  Prince,  qui  voyoït  bien 
que  les  Catholiques  prévoyant  ce  malheur  qu'ils 
traignoicnt  extrêmement,  le  pourroicnt  tous 
réunir  contre  luy,  &quelcs  Huguenots  incom- 
parablement plus  foibles  qu'eux,  ne  fcroient 
jamais  capables  de  le  maintenir  iur  le  Trône. 

En  effet,  il  y  eût  tout  ce  jour-la,  5c  toute 
la  nuit  luivante  une  crrande  diveriité  d'avis  par- 
mi les  Seigneurs  Catholiques  de  l'armce.  Plu- 
fleurs  d'entre  eux,  qui  Tongeoient  beaucoup 
plus  à  leur  intereft  qu'au  bien  public,  vouloient 
tirer  avantage  d'une  conjondturc  il  favorable 
pour  l'établiffement  de  leur  fortune,  de  vendre 
leur  obéïiTancc  au  plus  haut  prix  qu'ils  pour- 
voient,  en  faifant  érificr  leurs  Gouvernemens 
en  Principautezj  ce  qui  euft  efté  démembrer 
la  Monarchie.  Il  y  en  avoit  un  grand  nom- 
bre, qui  par  de  diffcrcns  motifs,  les  uns  par  un 
vray  zclc  de  Religion,  les  autres  par  l'avcrfîon 

V  «<^i.>  (_:  qu'ils  avoicnt  pour  ce  nouveau  Pvoy,  &  qu'ils 
couvroicnt  de  ce  prétexte  fpecieux  de  zclc, 
vouloient  abfolumcnt  qu'il  fc  déclarait  à  l'inf- 
tant  mefme  Catholique  j  ce  qui  ne  fc  pouvoir 
faire  ni  avec  honneur  pour  le  Roy ,  ni  avec 
fcûretc  pour  les  Catholiques,  parce  qu'il  euft 
paru  trop  de  contrainte  dans  cette  adion.  Quel- 


.3-        r  I  A'    R    E      IV.  $6^ 


quc5-uns  fouftcnoicnt  que  puis  que  fa  naillan-  ijS^v 
Ce,  &  la  Loy  fondamentale  du  Royaume  le 
porcoient  lur  le  Trône,  dont  fes  qualitcz  hc- 
roiqucs  le  rcndoicnt  trcs-diçne ,  il  falloit  le  rc- 
connoiftre,  &  luy  obéir  de  bonne  grâce,  lans 
aucune  condition.  Et  c'dl  ce  que  la  plufpart 
croyoïent  eilre  trop  dangereux  pour  la  Reli- 
gion qu'ils  ne  Youloicnt  pas  bazarder  de  la 
lortc.  ■'•  •■-      ■•""    •    •• 

Enfin,  après  que  cette  grande  affaire  eût  eflc  ^«r^     , 

1-  /l  1  r-11  I  D'uluhifsé. 

bien  examinée  dans  leConleil  du  Roy,  &  dans  Mtm  àa  u 
l'Aflembléc  eénérale  des  Princes  &  des  Sei-  '^•'"■'*' 
gneurs  Catholiques  qui  ie  tint  chez  Francjois 
de  Luxembourg  Duc  de  Piney,  on  tomba  d'ac- 
cord dés  le  lendemain  d'un  fort  jufte  tempé- 
rament qu'on  prit  entre  les  deux  cxtrémitez. 
Car  fans  plus  parler  d'intercft  particulier  pour 
agir  généreufcment,  il  fut  arrcfté  que  le  Roy 
feroit  reconnu ,  mais  à  condition  qu'il  ie  fcroic 
inftruire  dans  fix  mois  par  les  plus  habiles  Pré- 
lats de  fon  Royaume  \  qu'il  rétabliroit  l'exer- 
cice de  la  Religion  Catholique  dans  tous  les 
lieux  d'où  elle  avoit  efté  bannie,  &  remcttroic 
les  Ecclefiaftiques  dans  la  pleine  &  entière  joiiïd 
fance  de  tous  leurs  biens  \  qu'il  ne  donncroit 
iiucun  Gouvernement  aux  Huguenots,  &:  que 
l'Ailcmblée  pourroit  députer  vers  le  Pape  pour 
luy  rendre  compte  de  fa  conduite. 

Cet  accommodement  fut  fio-né  de  tous  Les 
Seigneurs,  excepte  du  Duc  d'Elpernon  ^  du. 


$6è     Histoire   ce   la   Ligue. 


;/8^,  fieur  de  Vitry,  qui  rcfufcrcnt  abfolumcnt  d'y 
confcntir.  Vitry  fc  jctta  mcfmc  dans  Pans  pour 
y  fcrvir  la  Ligue,  qu'il  croyoit  eftrc  alors  le 
parti  de  la  Religion.  Pour  le  Duc  d'Efpernon, 
il  n'avoir  garde  de  fe  mettre  du  code  de  la  Li- 
gue qui  avoit  tant  de  fois  demandé  Ton  éloi- 
gnemenr  de  la  Cour.  Mais  foit  que  n'ayant  plus 
la  protc6tion  de  Ton  défunt  Maillre,  il  craignift 
l'indignation  &  le  reiTentimcnt  des  plus  grands 
de  la  Cour,  &:  du  Roy  mefme,  qu'il  avoir  fort 
ofFenfez  pendant  fa  faveur  qu'il  n'avoir  ména- 
gée que  pour  s'enrichir  j  foit  qu'il  euft  peur 
qu'on  ne  luy  demandait  par  emprunt  une  par- 
tie de  ces  grands  trefors  qu'il  avoir  amaflcz  :  il 
fit  à  contre  temps,  &  d'afTcz  mauvaife  grâce, 
lefcrupuleux}  &fous  prétexte  de  mettre  à  cou- 
vert fa  confcience,  qu'on  ne  crut  pas  qui  l'in- 
quietaft  fort,  il  prit  dans  peu  de  jours  congé 
du  Roy,  &  fc  retira  en  ion  Gouvernement 
avec  deux  à  trois  mille  hommes  de  pied,  &  quel- 
que cinq  cens  chevaux  qu'il  avoir  amenez  au 
feu  Roy. 

Un  il  pernicieux  exemple  fut  fuivi  de  tant 
d'autres,  qui  ious  prétexte  d'aller  donner  or- 
dre à  leurs  maifons  demandèrent  leur  congé 
qu'on  ne  leur  oioit  rcfufer,ouqui  fe  laiifoient 
gagner  aux  follicitations  de  la  Ligue  :  que  le 
Roy  n'eftant  plus  en  eftat  d'affieger  Pans,  fut 
contraint  de  divifer  ce  qui  luy  rclloit  de  trou- 
pes, y  compris  les  Suiiles  que  Saocy  luy  coA- 


L  I  V  R  E     T  V.  5<f7  '■ 

fcrva.  Il  en  fie  donc  trois  petits  Corps;  l'un  ijS^. 
pour  la  Picardie,  fous  la  charge  du  Duc  de  Lon- 
gucville  \  l'autre,  pour  la  Champagne,  comman- 
de par  IcMarefchal  d'Aumonti&:  il  mena  luy- 
mefme  le  troifiéme  en  Normandie,  où  il  dévoie 
recevoir  le  fecours  d'Angleterre,  &  ou  avec  le 
peu  de  forces  qu'il  avoir  il  donna  le  premier 
cchec  à  la  Ligue,  qui  eftoit  alors  plus  puiflantc 
qu'elle  n'avoit  encore  eflc,  &  qu'elle  ne  fut  ja- 
mais depuis. 

En  effet,  ceux  qui  après  les  Barricades  avoient 
ouvert  les  yeux  pour  reconnoiftre  que  la  Ligue 
où  ils  fe  trouvoicnt  engagez,  n'elloit  qu'une 
manifefte  rébellion  contre  leur  Roy,  le  voyant 
mort,  crurent  qu'il  ne  s'agiffoit  plus  que  de  la 
Religion,  &  fe  réiinirent  avec  tous  les  autres 
pour  cmpefcher  qu'un  Hérétique  ne  fuft  Roy 
de  France.  Et  certes  ce  prétexte  devint  alors 
fi  plaufible,  qu'une  infinité  de  Catholiques 
de  toutes  les  conditions,  éblouis  par  une  fi 
belle  apparence,  ne  doutoient  point  qu'il  ne 
fallufl  plûtoft  périr  que  de  fouffrir  que  ce- 
luy  qu'ils  croyoïent  eflre  obftiné  dans  l'Hcrc- 
fic  montaft  fur  le  Trône  de  Saint  Louis,  àc 
vouloicnt  qu'on  choifiif  un  autre  Roy.  Il  y  en 
eût  mefme  qui  prirent  cette  oceafîon  de  folli- 
citer  encore  un  coup  le  Duc  de  Mayenne  de  Mem<,;m  is 
prendre  cette  auguitc  qualité ,  qu'il  luy  leroit 
aifé  de  maintenir  avec  toutes  les  forces  de  l'U- 
nion des  Catholiques  dont  il  eftoit  déjà  le  Chef, 


r»4i-R«r. 


-^ 3^§^     Histoire    ôë   la    L'aiguë. 

ïjSp.  Mais  ce  Prince,  qui  eftoit  Tagc,  craignant  Icà 
dangercules  fuites  d'une  ii  hardie  entrcprife,  ai- 
ma mieux  d'abord  retenir  pour  foy  tout  le  fo- 
lide  delà  Royauté,  ôc  en  laifTcr  le  titre  au  vieux 
Cardinal  de  Bourbon  qui  eftoit  prilonnier,  ôi 
qu'il  fit  déclarer  Roy  fous  le  nom  de  Charles  X. 
par  le  Confeil  de  l'Union. 

Ce  fut  pour  lors  qu'on  fit  courir  par  tout  le 
Royaume  autant  qu'on  put  cette  multitude 
d'écrits  fcandalcux,  dans  lelquels  on  prétend 
prouver  que  Henry  de  Bourbon  eft  légitime- 
ment exclus  de  la  Couronne ,  &  fur  tout  ceux 
des  deux  Avocats  Généraux  de  la  Lieue  au  Par- 
lement  de  Paris,  Loiiïs  d'Orléans  &  Antoine 
Hotman.  Le  premier  ell  l'auteur  du  Libelle  ex- 

i^eusfur  le    tjémement  feditieux,  intitulé,  le  Catholique  ^n^ 

zloisi  &:  le  Iccond  écrivit  XcTraïte  du  aron de  ion- 
ci 

de  contre  le  nenjeu  pour  fucceder  à  la  Couronne.  Mais 
il  arriva,  par  une  heureule  &  allez  plaifante 
rencontre,  que  le  Jurifconfulte  François  Hot- 
man frerc  de  l'Avocat,  voyant  ce  Livre  qu'on 
débitoit  en  Allemagne  où  il  eiloit  en  ce  temps- 
la,  fouftint  avec  beaucoup  de  force  &  de  do- 
â:rine  le  droit  du  neveu  contre  l'oncle,  &  fit 
voir  manifcilement  dans  un  Içavant  écrit  qu'il 
publia  iur  ce  fujet,  le  foible  &  tous  les  faux 
.;  raifonnemens  du  Traité  de  ion  adverlaire,  ians 

fçavoir  que  ce  fuil  Ion- frère,  qui  n'y  avoit  pas 
mis  fon  nom. 

La  Ligue  ayant  un  Roy  à  qui  la  Couronne 

devoiE- 


L   I  V  R    E      I  V.  5<î^ 


vir;, 


devoit  appartenir  après  Henry  IV.  Ton  neveu,    i;8^. 
s'il  luy  euil  iurvefcu,  en  devint  beaucoup  plus 
puiflantc,  parce  que  le  Roy  d'Efpagne,  &c  les 
Ducs  de  Lorraine  &  de  Savoye ,  qui  durant  la 
vie  du  feu  Roy  leur  allié  n'ofoient  fe  déclarer 
ouvertement  contre  luy  pour  les  Sujets  rebelles, 
reconnoiflant  alors  ce  Cnarles  X.  pour  Roy,  ne 
firent  nulle  difficulté  d'envoyer  du  fecours  au  M.diKe 
Duc  de  Mayenne.  De  forte  qu'après  avoir  fait  Jr,jJdfs'Jf„, 
publier  dans  toute  la  France  au  mois  d'Aoult  ^'"""''^^• 

/    1  1  11        I         1  L'y/tl. 

une  Déclaration ,  par  laquelle  il  cxhortoit  tous  aï"»,  d*  u 
les  Catholiques  Franc^ois  à  fc  réiinir  avec  ceux  Ded»'r,ut» 
qui  ne  vouloient  point  de  Roy  Hérétique,  il  t.^Z.%c. 
eût  au  commencement  de  Septembre  une  ar-  Af""'"-"  ''* 

1  ni  II  SuUy.e.iS. 

mee  de  vingt -cinq  nulle  nommes  de  pied  bc  c^r'- 
huit  mille  chevaux. 

Ce  fut  avec  ces  forces  qu'il  palTa  la  Seine  à  *^"»-  ''  '* 
Vernon  pour  aller  tout  droit  au  Roy  de  Na-  ÀièZôirn^t 
varre,  qui  après  avoir  cfté  receû  dans  le  Pont-  D-Aubif^é. 
de  .-l'Arche  &c  dans  Dieppe,  que  le  Capitaine  '-jj^-  '■  ^ 
Rolet  &  le  Commandeur  de  Chates  luy  rendi- 
rent, faifoit  mine  de  vouloir  alVieger  Roiicn, 
n'ayant  pas  plus  de  fept  à  huit  miDe  hommes. 
Une  fi  puiflante  armée  de  Ligueurs,  compoféc 
de  François,  d'Allemans,  de  Lorrains  &c  de  Va- 
lons ,, qu'il  n'avoit  pas  cru  que  l'onpuft  alTcm- 
blcr  fi-toft,  &  qui  luy  alloit  tomber  fur  les 
bras,  l'obligea  de  le  retirer  bien  ville  vers  Die- 
pe,  où  il  couroit  nique  d'ellre  envelopc,  lans 
pouvoir  cchaper  qu'en  fc  lauvant  par  mer  en 

AAa 


370  Histoire  de  la  Ligue. 
i./8_9.  Angleterre,  fî  le  Duc  de  Mayenne  cuft  eu  la 
réfolution  qu'il  devoir  avoir  prife  du  moment 
qu'il  le  mit  en  campagne,  de  le  pouriuivre  fans 
relafche.  Mais  comme  klon  fa  lenteur  natu- 
relle, qui  luy  tenoit  lieu  de  prudence,  il  s'amu- 
fa  long-temps  à  délibérer  lors  qu'il  falloir  agir, 
il  donna  le  loifîr  au  Roy  de  fortiher  fonCamp 
d'Arqués  à  une  lieue  &c  demie  de  Dieppe,  en- 
fermant par  de  bons  retranchemens  le  Chafteau 
ôc  le  Bourg  fîtué  fur  le  penchant  d'un  coftau 
qui  aboutit  à  la  petite  rivière  deBethune,dont 
l'cmbouchcûre  fait  le  port  de  Dieppe. 

A  peine  avoit  -  on  achevé  ce  grand  travail ,' 
où  toute  l'armée  s'eftoit  occupée,  à  l'exemple 
du  Roy,  pendant  trois  jours  avec  une  incroya- 
ble diligence,  que  le  Duc  de  Mayenne,  qui 
avoit  encore  perdu  beaucoup  de  temps  à  re- 
prendre les  petites  places  d'alentour  dont  le 
Roy  s'eftoit  emparé ,  s'approcha  d'Arqués  pour 
l'en  déloger.  Mais  comme  il  vit  qu'on  eftoit 
trop  fort  de  ce  cofté-là, il  tourna  fur  la  droite, 
pafla  la  Bethune  plus  haut,  &  s'alla  pofter  fur 
l'autre  coftau,  qui  eft  vis-à-vis  d'Arqués,  la 
rivière  entre  d'eux ,  d'où  il  pouvoir  plus  aifé- 
mcnt  attaquer  le  Bourg  par  le  bas,  ôc  s'aller 
faifir  du  Polct  fauxbourg  de  Dieppe  de  ce 
cofté-là. 

Mais  la  prévoyance  du  Roy  avoit  pourvcii 
à  tout ,  ayant  poufle  fes  retranchemens  julqu'à 
une  Maladerie  prés  de  la  rivière^  di  inis  Chaf- 


L   I  V  R   E      I  V.  371 

tillon  Colonel  de  Ton  Inflmterie  avec  neuf  cens  i  ;  8  p. 
hommes  dans  le  Polct,  qu'on  avoir  aufli  retran- 
ché. Cependant  le  Duc  réfolu  d'emporter  ce 
fauxbourg,  &c  de  forcer  le  logement  d'Arqués, 
parut  en  bataille  le  feizicmc  de  Septembre  fur 
fa  hauteur,  fit  marcher  dés  la  pomte  du  jour  la 
moitié  de  les  troupes  vers  le  Polet,  &  logea 
l'autre  au  village  deMartmghle,dansle  vallon, 
pour  attaquer  la  Maladcne  retranchée. 

Ces  deux  tentatives  qu'il  fit  ce  jour-Uréùf- 
fîrent  tres-mal.  Le  Roy,  qui  courut  au  Poler, 
s'eftant  mis  à  la  telle  de  fes  troupes  hors  des 
retranchemens  ,  fouftint  bravement  Tefcar- 
mouche  durant  tout  le  jour,  fans  que  les  en- 
nemis ofaffent  jamais  l'enfoncer  ,  ni  puffenc 
le  faire  reculer  d'un  feul  pas^  &:  il  les  con» 
traignit  enfin  de  le  retirer  nonteufemcnt  pen- 
dant la  nuit  dans  les  ruines  d'un  village 
bruflé,  après  en  avoir  tué  &c  fait  prifonnier 
aux  efcarmouches  un  grand  nombre  des  plus 
échauffez.  Et  dés  le  lendemain  fes  gens  en- 
couragez par  fa  prefence  ,  &  par  le  mépris 
qu'ils  faifoient  de  leurs  lalches  ennemis,  les  allè- 
rent attaquer  jufques  dans  leur  village  barricadé^ 
où  ils  en  tuèrent  encore  plus  de  cent,  fans  avoir 
perdu  qu'un  ieul  homme. 

Ceux  qu'on  avoit  logez  à  Martinglife  firent 

beaucoup  mieux,  &  il  leur  en  coufta  aufli  plus 

•qu'aux  autres  pour  avoir  elle  plus  vailians.  Car 

ayant  fait  durer  quelque  temps  l'efcarmouche 

AAa  ij 


BT^-       Histoire  de  la  ticui. 

iS'^P'  pour  déloger  ceux  qui  elloient  dans  les  haycs 
les  plus  proches  de  la  rivière,  ils  firent  forcir  en 
bataille  une  grande  partie  de  leurs  gens,  qui 
donnèrent  tclte  bailTéc  dans  le  Corps  de  garde 
delà  Maladerie,  pour  emporter  ce  logement. 
Mais  le  Marcfchal  de  Biron  qui  commandoit 
dans  Arques,  &  qui  s'eftoit  avancé  jufqu'à  la 
Maladerie,  pour  louftcnir  ceux  qui  la  défcn- 
doient,  fit  donner  avec  l'élite  de  Tes  braves  fur 
CCS  hardis  Li2;ucurs  par  le  Grand -Prieur  de 
France  &  par  Damvillc,  qui  leur  firent  une  fi 
furie ufe  charge,  qu'ils  les  contraignirent  de  rc- 
pafTer  tout  en  defordre  à  MartingUfe,  après 
leur  avoir  tué  cent  cinquante  de  leurs  meilleurs 
.  hommes.  Il  y  en  eût  encore  un  plus  grand 
nombre  de  blelTcz.  La  Cornctc  du  Duc  de  Ne- 
mours fut  prifc  en  ce  combat,  &  vingt  Gen- 
tilshommes de  marque  y  furent  faits  prifon- 
nicrs. 

Ces  mauvais  fuccés  ayant  rebuté  les  foldats 
de  la  Ligue,  le  Duc  de  Mayenne  demeura  qua- 
tre ou  cinq  jours  dans  fes  quartiers ,  pour  leur 
donner  loifir  de  fe  remettre  de  l'étonnemenc 
ou  ils  eftoicnt  :  après  quoy  ayant  raffcmblé 
toutes  fes  forces ,  il  les  fit  palier  la  rivière  un 
peu  après  minuit,  pour  attaquer  au  point  du 
jour  avec  toute  l'armée  trois  fois  plus  forte  que 
celle  du  Roy,  les  rctranchemens,  dont  une  par- 
tic  de  fes  gens  avoicnt  cfté  vigourcuicment  rc- 
pouffez,  &  qu'il  croyoit  alors  furprcndrc.  Mais 


L  I  V  R  E      I  V.  373 

le  Roy,  qui  avoir  cfté  bien  averti  de  foti  deflcin,  i  ;  8  ;>. 
s'cftant  rendu  dans  les  tranchées  deux  ou  trois 
heures  avant  le  jour,  avoir  diipofc  toutes  cho- 
ies pour  les  bien  recevoir,  ayant  e;arni  de  Ion 
Infanterie  tout  le  dedans,  &C  jette  hors  des  li- 
gnes la  Cavalerie  pour  rompre  les  premiers  ef- 
forts de  l'ennemi. 

Cela  n'empefcha  pas  le  Duc  de  Mayenne  de 
pourfuivre  fon  entrcprife,  &  d'aller  au  com- 
bat, qui  fut  ôc  très -long  &  tres-afpre.  La  Ca- 
valerie Royale  eût  d'abord  de  l'avantage  fur 
celle  de  la  Ligue.  Le  Grand-Prieur,  qui  fut  de- 
puis Comte  d'Auvergne  &  Duc  d'Angouleime, 
ayant  tué  d'un  coup  de  piilolet  le  fieur  de  Sa- 
gonne  Colonel  de  la  Cavalerie  Légère  de  la 
Ligue,  poufla  cet  Elcadron  de  quatre  à  cinq 
cens  chevaux  juiqu'à  la  Cornette  blanche  de 
l'Union  ;  &  le  Duc  d'Aumale  ,  qui  avec  un 
Sros  de  iix  cens  chevaux  l'avoit  remené  bat- 
tant  luy  ôc  trois  Compagnies  d'Ordonnances 
qui  le  fouif  cnoient  julqu'au  pied  des  retranche- 
mens,  fc  vit  aufTi  contraint  de  reculer  un  peu 
en  defordre,  pour  fc  mettre  à  couvert  du  ca- 
non qui  donnoir  dans  Ion  Elcadron.  Mais  la 
féconde  attaque  que  fit  faire  le  Duc  de  Mayen- 
ne par  les  Lanfquenets  de  Colalte  de  de  Trem- 
blccour,  ayant  à  leur  tefte  le  Comte  de  Belin, 
fouftcnu  à  droit  par  le  Duc  de  Nemours ,  qui 
avoit  amené  de  ion  Gouvernement  de  Lyon 
trois  mille  hommes  de  pied ,  &  une  Cavalerie 

AAa  iij 


374       Histoire  de  la  Ligue. 


ij2p.  fort  lefte,  &  à  gauche  par  le  Duc  d'Aumalc 
avec  douze  cens  chevaux,  fut  beaucoup  plus 
lieureufe. 

Car  tandis  que  l'on  combatoit  furieufement 
à  droit  &  à  gauche  contre  les  Franc^ois  &  con- 
tre les  SuifTes  de  Galati  &  de  Meru  Montmo- 
rency  Damvillc   leur   Colonel  ,  les  Lanfque- 
nets  de  la  Ligue  ,  foit  par  ftratagême ,    foit 
^ar  lafcheté,    le   mirent    à  crier    à   ceux    du 
Roy    qui  défendoicnt  ce    quartier -là,    qu'ils 
■youloient  paffer  de  leur  coftc  ,   &  furent  rc- 
ceûs  dans  les  lignes.    Leurs  Capitaines  mefme 
promirent  folcnnellement  au  Roy  de  le  fervir 
iidellement  ,  pourveii  qu'on  leur   afleûraft  le 
■payement  de  leurs  montres,  ce  qu'on  fît.  Mais 
pendant  que  ce  brave  Prince  couroit  par  tout, 
"  ?        donnant  Tes  ordres  pour  repoufler  les  ennemis, 
ces  perfides  voyant  que  le  Duc  de  Nemours 
-avoit  rompu  le  bataillon  des  Suiflcs,  tournè- 
rent tout-a-coup  leurs  armes  contre  ceux-là 
mefmes  qui  les  avoient  reccûs,  &  s'emparèrent 
de  cette  partie  des  lignes  qu'ils  livrèrent  aux  Li- 
gueurs ,  qui  le  rendirent  enfuite  maiilres  de  la 
Maladerie.    De  lorte  que  comme  on  avoit  à 
combatte  l'ennemi  &  au  dedans  de  au  dehors, 
fi  le  Duc  de  Mayenne,  qui  devoir  foullenir 
avec  tout  le  gros  de  l'armée  ceux  qui  faifoient 
l'attaque,  eull  pris  cet  heureux  moment  pour 
donner  après  eux  avec  toutes  les  forces  dans 
les  lignes,  il  y  a  bien  de  l'apparence  qu'il  euit 


Livre     I  M., .  : ,  37; 

accablé  le  petit  nombre  par  la  multitude,  &     IJ89, 
qu'il  euft  remporte  ce  jour -là  une  entière  vi-     • 
cl:oirc. 

Mais  comme  il  ne   fe  halloit   jamais   que 
quand  il  eftoit  contraint  de  fuir ,   la  marche 
trop  lente  dans  une  ii  belle  occafion,  ou  tout    • 
dépendoit  de  la  promptitude  ,  luy  fit  bientoft 

f)erdrc  fon  avantage.  Car  le  Comte  de  Chaftil- 
on  cftant  accouru  d'une  part  au  lecours  du 
Roy  avec  les  deux  Regimens  qui  eiloient  dans 
Arques,  &c  de  l'autre  le  Duc  de  Montpenfier 
&  le  brave  la  Noue  s'eftant  rangez  avec  leurs 
Gendarmes  à  (es  collez,  ce  vaillant  Prince, qui 
avoit  déjà  rallié  la  pluipart  de  Tes  gens  que 
cette  iurprife  avoit  effrayez  &  mis  en  defordre, 
chargea  fi  furieufement  les  Regimcns  de  Co- 
lalte  &deTrcmblecour,  qu'ils  furent  contraints 
de  fortir  des  retranchemens  ôc  de  la  Maladerie 
plus  ville  qu'ils  n'y  eiloient  entrez,  &  de  fe 
retirer  vers  le  Duc  de  Mayenne,  qui  iembloic 
ne  s'eflre  avancé  au  petit  pas,  que  pour  les  re- 
cevoir, &c  non  pas  pour  les  loutlenir,  &c  pour 
les  féconder.  Et  en  mefme  temps  le  Canon  du 
Challeau  qui  i'avoit  en  but  ,  donnant  dans 
fon  armée,  l'obligea  de  reprendre  le  chemia 
de  fes  quartiers ,  en  laifTant  la  vidoire  au  Roy, 
qui  garda  ion  logement  d'Arqués  qu'on  pré- 
tendoit  luy  enlever. 

Ce  qu'il   y    eût  encore  de    plus   honteux 
pour  le  Duc  de  Mayenne,  fut  que  quatre  oii 


37^     Histoire   de   la  Ligue. 


î/85.  cinq  jours  après  s'eftant  allé  poftcr  par  un 
long  détour  devant  D'eppc  pour  rafTicger,!! 
fe  trouva  luy-mcfme  afliegcpar  la  petite  armée 
du  Roy ,  qui  s'eftant  loge  hors  de  la  ville  vis- 
à-vis  de  Ton  camp,  luy  donnoit  nuit  &c  jour 
de  continuelles  alarmes,  fans  qu'il  en  ofaft  for- 
tir  une  feule  fois  pour  faire  fes  approches.  De 
forte  que  dix  jours  après ,  fans  avoir  rien  fait, 
il  leva  ce  prétendu  liege  ,  rcpafTa  la  rivière,  ôc 
fe  retira  dans  la  Picardie,  fous  prétexte  que  fa 
prefencc  y  cftoit  neceffairc,  pour  empefchcr 
que  les  villes  ligueufes  de  cette  Province  ne  fc 
mifient  fous  la  protection  des  Elpagnols,  qui 
tafchoient  fous  main  de  furprendre  la  fîmpli» 
cité  de  ces  peuples. 

Voilà  quel  fut  le  fuccés  de  cette  entreprifc 
de  11  Ligue ,  qui  avec  fes  trente  mille  hommes 
fe  vantoit  de  prendre  le  Roy  de  Navarre ,  ou 
le  Biarnoii ,  comme  le  peuple  Ligueur  parloit 
inlolemment,  &  de  l'amener  à  Paris,  où  la 
Duchcflc  de  Montpenficr  &  les  autres  Dames 
avoient  déjà  loiâé  des  fencftres  à  la  rue  Saine 
Denis,  pour  avoir  le  plaifir  de  le  voir  honorer 
par  fa  captivité  le  triomphe  du  Duc  de  Mayen- 
ne. Mais  Dieu  en  avoitdifpofé  tout  autrement  i 
&  ce  célèbre  combat  d'Arqués,  où  lelon  tou- 
tes les  apparences  le  Roy  avec  une  poignée 
de  gens  devoir  iuccomber  fous  l'effort  d'une 
Ç\  formidable  puiffancc,  fut  le  point  fatal  de 
ia  décadence  de  la  Lisuc.  Car  encore  que  fon 

^  Chef 


L  I  V  R  E     I  V.  377  

Chef  n'y  cuft  pas  perdu  plus  de  fept  à  huit  cens  1587, 
hommes,  il  y  perdit  l'honneur  &c  la  réputation 
du  parti,  qui  depuis  ce  temps -là  ne  fit  plus 
rien  qui  ne  iervift  à  la  gloire  de  Ton  vainqueur^ 
en  luy  donnant  lieu  de  faire  éclater  en  toutes 
les  occafions  fa  clémence  en  luy  pardonnant, 
ou  fa  valeur  en  le  domtant,  comme  on  le  vie 
bicntoft  après 


Car  auîfitoft  qu'il  eût  rcceû  le  fecours  qu'il  uim.  dt 

"  ■  '       Ligut ,  t.  • 

Ctiytt ,  »,  i. 


attendoit  de  quatre  mille  Anglois  ,  &  que  le  ^'^"'-'-^ 


Duc  de  Lonsueville  &  le  Marefchal  d' Aumône 
l'eurent  joint  avec  leurs  troupes  qu'ils  luy  ame- 
nèrent de  la  Champagne  &  de  la  Picardie ,  il  re- 
monta le  long  de  la  Seine  jufqu'à  Meulan,  où 
voyant  que  le  Duc  de  Mayenne,  qui  pouvoir 
venir  droit  à  luy  pour  le  combatte  fl  le  cœur 
luy  en  euft  dit,  ne  paroiffoit  point,  il  paffa  la 
rivière,  &  s'alla  loger  le  trente  &  unième  d'O- 
diobre  à  la  veûe  de  Paris  ,  dans  les  villages 
d'Iffy,  de  Vaugirard,  deMontrouge  &  deGen- 
tilly ,  ■  réfolu  d'attaquer  dés  le  lendemain  les 
fauxbourgs,  que  les  Parificns  avoient  retran- 
chez. 

A  cet  effet,  il  diftribua  toute  fon  Infanterie 
en  trois  Corps ,  pour  donner  en  mefme  temps 
par  trois  divers  endroits  i  l'un,  ious  le  Maref- 
chal de  Biron,  du  coite  des  fauxbourgs  Saint 
Marceau  &  Saint  Victor  j  l'autre,  fous  la  con- 
duite du  Marefchal  d'Aumont,ailii-lé  de  Dam- 
ville  Colonel  des  Suiifes,  &  de  BcUegarde  Grand 

BBb 


' 37^       Histoire  de  la  Ligue. 

ïjSp.  Eicuyer,  à  la  tefte  du  fauxbourg  Saint  Jacques 
6c  de  ccluy  de  Saint  Michel  ;  &  le  troifiémc, 
commandé  par  lesiiems  de  la  Noue  &  de  Chat 
tillon,  vis-à-vis  des  Portes  de  Saint  Germ.ain, 
de  Bufl)',  &  de  Neile.  Ils  eftoient  fouftenus 
d'autant  de  gros  Efcadrons  de  Cavalerie ,  à  la 
tcftc  defquels  eftoient  le  Comte  de  Soiflbns  à 
droit,  le  Duc  de  Longueville  à  gauche,  ôc  le 
Roy  mefme  au  milieu,  du  cofté  du  fauxbourg 
Saint  Jacques  :  &  quatre  pièces  de  canon  fui- 
voient  chacun  de  ces  trois  grands  Corps,  pour 
donner  dans  les  portes  de  la  ville,  après  qu'on 
auroit  cTa2;né  les  fauxbourcrs. 

Il  n'y  avoir  rien  de  mieux  concerte  que  cette 
cntrcprile,  dont  l'heureux  luccés  fembloit  cftrc 
infaillible.  Car  outre  la  force,  on  avoir  dans 
la' ville  une  fccrcte  intellicrencc  adroitement 
conduite  par  le  Préfidcnt  Nicolas  Potier  de 
Blanc -Mefnil,  qui  s'eftant  tiré  des  mains  de 
Bufly  à  force  d'argent,  avoir  gagné  un  bon 
nombre  de  ceux  que  les  Ligueurs  foupc^onnoicnc 
d'cflre  Royahft.cs,  &c  qu'ils  appclloient  Politi- 
ques ,  avec  lefquels  il  le  devoit  rendre  maiftrc 
d'une  des  portes,  5c  la  livrer  au  Roy. 

Le  couraec  invincible  de  ce  Préfidcnt,  &c  fa 
fidélité  inviolable  au  fervicc  des  Rois  fesMaif^ 
très  en  ces  temps  de  troubles  ôc  de  révolte, 
rendront  éternellement  fa  mémoire  &:fon  nom 
vénérables  à  toute  la  France,  de  fingulicrcment 
i  Paris  fa  Patrie^  qu'il  honora  du  moins  autant 


L  I  V  R  E      I  V.  37/)  ■, 

par  fa  vertu,  qu'il  en  fut  honoré  par  Ci  naiH    1585». 
Tance,  eftant  ibrti  d'une  des  plus  illuftrcs  mai- 
fons  de  cette  grande  ville.  Il  eût  la  gcnérofité, 
pour  fervir  Ion  Prince,  ^fauver  l'Eftat,  de  s'ex- 
pofer  au  danger  évident  de  périr  par  la  fureur 
des  Seize.    Car  ces  brutaux  craignant  refprit, 
le  cœur  5i  la  vertu  de  ce  grand  homme,  qu'ils 
connoiflbient  eftre  incapable  de  fe  détourner 
d'un  feul  pas  du  droit  chemin  que  doit  tenir 
un  honneile  homme,  qui  ne  manque  jamais  à, 
fon  devoir  pour  tout  ce  qu'il  pourroit  efpercr 
ou  craindre  ^  ils  le  mirent  deux  fois  en  prifon, 
dans  laBaftiUe,  &  dans  la  Tour  du  Louvre  ou. 
il  couroit  fortune  de  perdre  la  vie,  s'il  n'euft 
cfté  délivré  par  les  bons  offices  que  luy  rendi- 
rent ceux  qui  eurent  la  force  de  s'oppofer  à  la 
rage  de  ces  Tyran?.    Et  comme  il  vit  en  fuite 
qu'il  ne  pouvoit  plus  fervir  à  Pans,  il  fe  retira 
vers  le  Roy  fonMaiftre,  qui  le  fit  Chef  de  cet- 
te partie  de  fon  Parlement  qui  fut  établie  à 
Chaalons.  Il  avoit  le  bonheur  d'eftre  fils  d'un 
ConfeiUer,  qui  aquit  tant  de  gloire  dans  l'e- ><■?«"  p*"'" 
xercice   de  fa  Charge ,  que  le  Chancelier   de  VArUm'Jnî^ 
l'Hofpital  a  dit  de  luy,  dans  un  de  les  Poèmes,  dignumquc 
qu'il  avoit  mente  que  la  Cour  luy  fift  ériger  in  mcâio  (la. 
une  ftatuc  au  milieu  du  Temple  de  la  Juftice  ;  ôc    à"  cu"!"' 
il  a  maintenant  encore  après  fa  mort  l'honneur  Tan^io. 
d'eftre  l'ayeul  d'un  autre  Nicolas  Potier,  que 
le  plus  lage,  comme  le  plus  grand  des  Rois, 
qui  f^ait  également  coimoiibe  6c  récompenfcr 

^3b  II 


3^0       Histoire  DE  LA  Ligue. 
,  -B  j8j?.    le  mérite,  a  mis  à  la  telle  de  ion  augufle  Par- 
lement des  Pairs. 

Tout  cftant  donc  bien  difpofé ,  par  l'intel- 
ligence que  l'on  avoit  avec  le  Prcfident  de  Blanc- 
Meinil,  pour  faire  réiillir  l'entreprife  du  Roy,  le 
jour  de  la  Toulfaint,  de  grand  matin,  durant 
un  brouillard  fort  épais,  les  retranchemens  &  la 
telle  des  faux  bourgs  furent  attaquez  tout  à  la 
fois  de  ces  trois  collez ,  avec  tant  de  vigueur 
&  de  furie,  qu'ils  furent  tous  emportez  de  vive 
force  en  moins  d'une  heure.  Sept  à  huit  cens 
hommes  de  ceux  qui  les  défendoient  y  furent 
tuez.  On  y  prit  treize  pièces  de  canon  ;  &  fi 
celuy  du  Roy  fuft  arrivé  au  temps  qu'il  avoit 
ordonne,  il  eft  certain  que  ce  grand  Prince, 
qui  entra  fur  les  fept  à  huit  heures  dans  le 
fauxbourg  Saint  Jacques  où  il  fut  reccû  avec 
de  grands  cris  de  yive  le  Roy^  fe  fuft  rendu 
maiftre  fans  beaucoup  de  peine  de  tout  le 
quartier  de  rUnivcrlîté. 

Mais  le  fieur  de  RoFne,  qui  commandoit  alors 
dans  Paris,  ayant  eu  par  ce  retardement  le  loi- 
fii  de  remparer  les  portes,  &  le  Duc  de  Mayen- 
ne ,  auquel  il  avoit  donné  promptement  avis 
des  approches  de  l'armée  Royale ,  y  cftant  en- 
tré le  lendemain  avec  toutes  les  troupes,  le  Roy 
fe  contenta  d'avoir  appris  aux  PariHensque  les 
nouvelles  qu'on  leur  débitoit  tous  les  jours  de 
fa  défaite  prés  de  Dieppe,  pour  les  amufer, 
cftoient  faullcs.  Et  aptes  avoir  demeuré  plus 


Livre     IV  3S1 


de  trois  heures  en  bataille  à  la  vcûe  de  la  vil-  ijSp. 
le,  pour  leur  faire  connoillre  ou  la  foiblcfle, 
ou  la  lafchcté  de  leurs  Chefs  qui  n'ofcrent  ja- 
mais paroiftre,  il  alla  reprendre  pendant  l'hi- 
ver dans  la  Beaucc ,  dans  le  Vendofmois,  dans 
la  Tourraine,  dans  l'Anjou,  dans  le  Maine, 
dans  le  Perche,  &c  dans  la  BaiTe- Normandie, 
la  plufpart  des  villes  &  des  places  fortes  qui 
tenoicnt  pour  la  Ligue,  laquelle  commençoit 
à  fe  détruire  encore  par  les  meimes  voyes  dont 
elle  prétendoit  fc  fervir  pour  fe  conlervcr.  Voi- 
cy  comment. 

Elle  fît  tous  fes  efforts  pour  obliger  le  Saint  c-r'»  '■  '- 
Père  &  le  Roy  d'Efpagne  à  s'engager  ouverte-  t,j«r.  ' 
ment  dans  fon  parti;  &  elle  y  rcuiîit  enfin  par  ^'''■''*'  ^'' 
les  protellations  que  fes  Agens  firent  à  Rome 
&  à  Madrit,  que  fi  l'on  n'cftoit  promptement 
&:  puiflamment  fecouru  de  l'un  &  de  l'autre, 
on  feroit  contraint  de  s'accommoder  avec  le 
Roy  de  Navarre:  ce  que  le  Saint  Père  &le  Roy 
Philippe  ne  vouloient  nullement  fouffrir;  l'un, 
de  peur  que  la  France  ne  tombait  lous  la  do- 
mination d'un  Prince  Hérétique j  &  l'autre, 
parce  qu'il  vouloir  entretenir  cette  grande  di- 
vifion  dans  le  Royaume,  efperant  bien  en  pro- 
fiter, pour  s'en  rendre  le  maiilre ,  ou  du  moins 
pour  en  occuper  une  bonne  partie,  Ainfi  le 
Pape  Sixte  trompé  d'ailleurs,  tout  habile  hom- 
me qu'il  cftoit,  par  le  Commandeur  de  Diou, 
&c  par  fes  Collègues ,  qui  luy  firent  accroire 

PBb  li^ 


3^2,       Histoire  de   la  Licite. 

ïj8^.  que  leNavarrois  ne  pouvoir  échapcr  des  mains 
du  Duc  de  Mayenne  qui  le  tenoic  invefti,  &: 
cnvelopé  dans  un  coin  de  la  Normandie,  en- 
voya Légat  en  France  le  Cardinal  Caïetan  Su- 
jet du  Roy  d'Elpagne,  &  grand  Efpagnol  d'in- 

clination  &  d'engagement,  qui  fe  rendit  à  Pa- 

ylnn.     ^is  au  commencement  de  Janvier,  avec  des  rc- 
j  J.50.    mifcs  pour  trois  cens  mille  écus,  &  ordre  ex- 
prés de  travailler  à  faire  élire  un  Roy  bon  Ca- 
tholique. 

D'autre  part ,  Bernardin  de  Mendoze  Am- 
bafladcur  du  Roy  Philippe,  Touitenu  de  la  fa- 
ction des  Seize,  des  Prédicateurs  de  la  Ligue, 
&c  des  Moines,  dont  la  plufpart  eftoient  alors 
tout  dévouez  à  l'Efpagnol,  fit  dans  le  Confeil 
général  de  l'Union,  de  la  part  de  ion  Maiftrc, 
des  propofitions  trcs-plaulibles  ôc  tres-avanta- 
geufes  pour  le  foulagemcnt  des  peuples,  avec 
promefl'e  de  les  fccourir  de  toutes  les  forces  de 
la  Monarchie,  protcllant  au  relie  que  Ton  Roy 
qui  pofTedoit  tant  de  Royaumes,  dont  il  fit 
un  fuperbe  dénombrement,  ne prétendoit  point 
du  tout  à  celuy  de  France  ni  pour  luy,nipour 
fon  fils,  &:que  pour  récompenle  de  ces  grands 
fccours  qu'il  vouloir  donner  aux  Catholiques, 
il  ne  demandoit  autre  choie  que  l'honneur  d'ef^ 
tre  déclaré  lolennellement  ProtecSteur  du  Royau- 
me de  France.  Or  c'ell-là  juftement  une  des 
chofcs  qui  contribua  le  plus  à  ruiner  la  Ligue, 
j6i  à  fauYci  i'Llht,  parce  que  cette  propoluion 


L  r  V  R  ï    I V.  '      3S3 


artificicufc,  jointe  à  l'inlkuâiion  du  Lcgat,fic  iji?o. 
ouvrir  les  yeux  au  Duc  de  Mayenne,  pour  dé- 
couvrir l'intention  des  Efpagnols ,  qui  ne  (on- 
gcoient  qu'à  s'établir  lur  les  ruines  de  ion  au- 
torité j  de  en  fuite  il  prit  une  forte  réiolution 
de  s'oppofer  à  leur  deifein ,  comme  il  fit  tou- 
jours depuis  ce  temps -là,  par  le  conleil  des 
plus  gens  de  bien  d'entre  (es  confidens,  &c  fin' 
gulicrement  de  M.  de  ViHe-Roy. 

Ce  fage  &:  habile  Miniftre,  qui  a  fervi  avec 
tant  de  fidélité  &:  de  gloire  cinq  de  nos  Rois, 
voyant  que  par  les  mauvais  offices  qu'on  luy 
avoit  rendus  auprès  du  feu  Roy  fon  Mailtre,  P,'uTji!J.  * 
il  ne  pouvoir  demeurer  avec  feûretc  dans  les 
villes  de  ion  obéïilancCjni  dans  ia  maifon  du- 
rant la  guerre,  &  qu'il  n'avoir  pas  meime  pii 
obtenir  un  paiTeport  pour  fortir  du  Royaume, 
fut  contraint  de  fe  retirer  à  Pans  avec  ion  pè- 
re, ôz  d'entrer  dans  le  parti  de  l'Union.  Mais 
on  peut  dire  fort  véritablement,  qu'il  y  entra 
comme  fit  l'adroit  èc  le  iage  Chufaï  dans,  ce- 
luy  d'Abfalon  à  Jcruialem  ,  pour  y  détruire 
tous  les  artifices  &c  les  pernicieux  confeils  du 
méchant  Achitophel,  qui  ne  tendoient  qu'à  la 
ruine  entière  du  Roy  légitime  David,  contre 
lequel  la  Capitale  de  Ion  R^oyaume  s'cftoit  ré- 
voltée. Ainii  le  fieur  de  ViUc-Roy  n'embraifa 
par  pure  neceffité  le  parti  de  la  Ligue,  6c  ne 
le  mit  auprès  du  Duc  de  Mayenne  dans  Pans 
^ui  faifoit  la  guerre  à  fon  Roy ,  que  pour  em- 


-^  3§4      Histoire  de  la  Ligue. 

ijpo.  pefcher  par  fes  bons  confeils  qu'on  ne  fuivift 
ceux  des  Efpagnols ,  qui,  fous  prétexte  de  vou- 
loir confervcr  en  France  la  Religion ,  ne  fon- 
geoient  qu'à  ruiner  l'Eftat. 

Aufli  comme  David  trouva  bon  que  le  fidel- 
le  Chufaï  demeuraft  toujours  à  Jerufalem  fans 
quitter  Abfalon,  parce  qu'il  fc^avoit  bien  qu'il 
luy  feroit  là  beaucoup  plus  utile  que  s'il  elloit 
auprès  de  fa  perionne  :  de  mefme,  Henry  IV. 
qui  connoilToit  l'adreiTe  &  la  fidélité  de  Ville- 
Roy,  ne  voulut  point  qu'il  fortiil  de  Paris, 
après  la  mort  de  fon  PrédeceiTeur,  pour  fe  rendre 
auprès  de  luy ,  parce  qu'il  eftoit  alfeûré  que  ce 
grand  homme  luy  rcndroit  bien  plus  de  fervicc 
en  demeurant  avec  le  Duc  de  Mayenne,  pour 
rompre,  par  fes  fagcs  remontrances,  &par  le  cré- 
dit qu'il  s'eftoit  aquis  auprès  de  ce  Prince,  toutes 
les  mefurcs  des  Efpagnols  &  de  leurs  partifans. 
C'eft  ce  qu'il  fit  adroitement  jufqu'à  la  fin, 
&c  principalement  en  cette  occafion  d'où  dé- 
pendoic  ou  le  bonheur  ou  le  malheur  de  ce 
Royaume,  félonie  parti  qu'on  prendroit.  Car 
le  Duc  de  Mayenne  luy  ayant  demandé  fon 

Suite  du  viai.  avis  fur  ce  que  le  Le^at  &c  Mendoze  avoient 

du  Manant  r^       •  1    l  r       T  }    ■  » 

é"^"jwf«^f«- propoie,  il  luy  ht  rort  bien  comprendre  que 
c%it.  toutes  ces  belles  propofitions  ne  fe  faifoienc 

par  le  Légat,  par  Mendoze,  ôc  par  les  Seize, 
que  pour  le  dépouiller  de  fon  autorité,  &pour 
le  foumcttre  luy  ôc  tout  le  parti  de  l'Union 
aux  Efpa2;nols,  qui  ne  manqueroient  jamais 

d'uiurper 


L   I    V   R  E      I  V.         ^  38;  

d'ufurpcr  la  domination  fur  les  François,  &r  de  i  j^  o. 
rendre  la  guerre  immorcelle  pour  s'y  mainte- 
nir :  qu'en  l'cftat  où  il  Te  trouvoit ,  &c  fans 
fouffrir  un  Chef  audcflus  de  luy,  il  pouvoir 
faire  la  guerre  &c  la  paix  quand  il  le  faudroit, 
avec  la  gloire  d'avoir  (oullenu  luy  fcul  la  Re- 
ligion &  l'Eltat  ;  mais  qu'en  reconnoiflant  pour 
Protecteur  du  Royaume  le  Roy  d'Efpagnc,  il 
fc  loumettoit  fous  ce  lupcrbc  titre  à  un  puif- 
fant  Mairtre,  qui  fçauroit  bien  luy  ofter  les 
moyens  de  faire  m  l'une  ni  l'autre  à  l'avantage 
de  la  France 

Il  n'en  fallut  pas  davantage  pour  pcrfuadcr 
un  homme  aulli  éclairé  &  auffi  prudent  que  le 
Duc  de  Mayenne.  Il  s'aimoit  à  la  vérité,  ce 
qui  eft  naturel  à  tous  les  hommes  j  mais  il  ai- 
moit  auffi  l'Eftat,  ce  qui  eft  propre  d'un  hom- 
me de  bien.  S'il  ne  pouvoir  prétendre  à  la  Cou- 
ronne, comme  il  le  voyoït  parfaitement  bien 
par  plus  d'une  raifon,  il  ne  vouloir  pas  auilï 
qu'elle  full  à  un  Ellrangcr,  non  pas  melme  à 
un  autre  qu'à  celuy  à  qui  elle  dévoie  eftre  de 
droit,  la  Religion  fauve.  Il  réfolut  donc  for- 
tement dés  ce  temps-là,  pour  fon  intereft  par- 
ticulier joint  à  celuy  de  i'Ellac,  de  s'oppoler 
à  tous  les  efforts  que  fcroient  les  Efpagnois,  & 
fes  parens  mclmes  les  plus  proches,  pour  ulur- 
per  la  Couronne,  fous  quelque  prétexte  que  ce 
puil  eftre  :  ce  qui  alfcûrément  fut  en  partie  cau-- 
tè  du  faiuc  de  i'Eitat. 

CCc 


iy5>o. 


3S(?      Histoire   de   la    Ligue. 

C'eft  pourquoy,  pour  ofter  aux  Efpagnols 
toute  erperance  de  pouvoir  jamais  faire  décla- 
rer leur  Roy  Protcdeur  du  Royaume  de  Fran- 
ce, &  de  le  rendre  Maiftre  du  Gouvernement, 
&  des  affaires  de  la  Ligue,  fous  ce  nouveau 
Titre,  comme  les  Seize,  qui  eftoient  déjà  tout 
à  iuy,  le  prétcndoient  :  il  dît  fort  adroite- 
ment en  pleine  AfTemblce,  que  comme  il  ne 
s'agifToit  que  de  la  Religion  dans  cette  guer- 
re que  la  Sainte  Union  avoir  entreprife,  ce 
leroit  faire  injure  au  Pape,  que  de  fe  mettre 
lous  une  autre  protcdlion  que  la  fienne.  Ce 
qui  fut  fi  agréablement  rcceû  de  tout  le  mon- 
de, excepté  de  la  faiStion  des  Seize,  qu'il  fallut 
enfin  que  les  Elpagnols  défîftaiTent  de  leur  pour- 
fuite. 
>/*«.  it  u  £t  pour  empefcher  qu'on  ne  parlail  plus  d'é- 
lire un  autre  Roy  que  le  vieux  Cardinal  de  Bour- 
bon, fous  le  nom  duquel  il  cftoit  le  maiftre,  il  fit 
vérifier  au  Parlement  l'Ordonnance  du  Confeil 
Général  de  l'Union,  par  laquelle  ce  Cardinal  ef- 
toit  déclaré  Roy,  &  il  le  fit  proclamer  dans  tou- 
tes les  villes  du  parti,  en  retenant  toujours,  par 
cet  Arreft  du  Parlement,  la  qualité  &  le  pou- 
voir de  Lieutenant  Général  de  la  Couronne, 
jufqu'à  ce  que  ce  Roy  fuft  délivré  de  fa  prifon. 
Et  en  mefme  temps  pour  ruiner  la  faction  des 
Seize  qui  eftoit  toute  Eipagnole,  il  calTa  le  Con- 
feil de  l'Union,  diiant  que  puis  qu'il  y  avoitun 
Roy  proclamé,  duquel  il  eltoit  auili  Lieutenant, 


L   I  V    R    E       I  V.  38-7  

il  ne  devoir  plus  y  avoir  d'aucrcConfeil  que  le     1^90. 
fien,  qui  le  devoir  fuivre  par  tout. 

Ainfî    le   Duc  de   Mayenne    ayant    pris 
fous  le  nom  d'un  Roy  chimérique,  toute  l'au- 
torité Royale,    &  rcnverie   tous   les  deflcins 
des  Efpagnols,  le  remit  en  campagne  ;  de  après 
avou-  enrin  receû  à  compofition  le  Chafteau 
du  Bois-dc-Vmcennes  qu'on  avoit  invefti  de- 
puis plus  d'un  an,  il  reprit  Pontoife  &  quel- 
ques autres  places  qui  empefchoient  la  liberté 
du  commerce.  En  fuite  voulant  regagner  tous 
les  pafTages  de  la  Seine,  pour  avoir  par  eau  la 
communication  de  Rouen  &  de  la  mer,  il  alla 
mettre  le  fiegc  devant  le  Fort  dcMeulan,  où  il 
perdit  inutilement  bien  du  temps,  tandis  que 
le  Légat,  contre  lequel  le  Parlement  féant  à 
Tours  fît  un  fanglant  Arreft,  travaiUoit  à  Pa- 
ris de  toute  la  force,  pour  empefcher  qu'on  ne 
s'accommodaft  avec  le  Roy ,  quand  mefme  il 
fe  convertiroit. 

Pour  cet  effet,  comme  il  vit  que  la  fadion 
des  Seize  &  des  Eipagnols  eftant  fort  affoi- 
blie  depuis  ce  que  le  Duc  de  Mayenne  avoit 
fait  contre  eux,  les  Royaliftes,  que  l'on  appel- 
loit les  Politiques,  avoient  repris  cœur,&  corn- 
mencjoient  à  dire  hautement  qu'on  efloit  obli- 
gé de  fe  réiinir  avec  les  Catholiques  qui  fui- 
voient  le  Roy  :  il  leur  oppofa  ce  que  les  Do- 
âieurs  fatlieuxvcnoient  de  déclarer  contre  eux 
danslaSorbonnc  le  dixième  de  Février  de  cette 

C  C  c  ij 


388        HiSfOTRE     DE     LÀ     LiGUE. 
fjj?o.     année  mil  cinq  cens  ouarrc-vingt-dix.  Carpar 
ce  D:crct  on  ordonne  aux  Dodteurs  &:  aux  Ba- 
cheliers, d'avoir  en  horreur,^  de  combatre  fortement 
lii   opinions  pejii lentes  ,  CT    is  damnabbs  Jentimens 
que  les  ouxr.ers  d'i'iiciMte  s'ejf.rçoient  tous  les  jours  de 
f^ire  z''(J-^  d-i'^s  les  <imes  /impies,  principalement  ces 
propojit.om  :  ^^e  Henry  de 'Bourbon  pouioit^  devoit 
ejire  honoré  du  titre  de  Roji  :  Qu^il  tji  permis  en  con^ 
Cctence  de  tenir  fon  pc.rti ,  ^  de  luy  payer  les  Tailles; 
Qr  a'ion  le  powvoit  reconnoijlre  pour  Koy,  a  condition 
qu'il  Je  fit  (Catholique  ^  /^c.   Ec  l'on  ajouftc ,   Que 
Ji  q-'.el.u'un  refdfe  d obéir  a  ce  Décret,  la  Faculté 
le  déclare  pernicieux  à  l'Eglife  de  Dieu ,  parjure   ^ 
dt/obe'ifjant    à  Ja  Ad  ère ,  ç^   enfin    le   n  tranche    de 
fon  co'ps  comme  un  membix  pourri  qui  gaj}e  les  aU" 
très. 

Un  Décret  de  cette  force  fut  d'un  grand  fe- 
cours  aux  zelcz  de  la  Ligue ,  pour  oller  aux  plus 
fages  la  liberté  qu'ils  avoient  prifc  de  porter  le 
peuple  à  faire  la  paix.  Et  le  Légat,  pour  empef- 
chcr  qu'on  n'olall  plus  la  prendre,  s'avila  de 
faire  jurer  de  nouveau  fur  les  Saints  Evangiles, 
entre  fes  mains,  dans  l'Eglile  des  Augullins,  aux 
OHiciers  de  la  Ville  &c  aux  Capitaines  des  quar- 
tiers. Qu'ils  perfenjereroiet.t  toujours  dans  U  Sainte 
Union;  qu'ils  ne  jèroient  jamais  m  paix  m  tréije  axec 
le  Hoji  del\lavarre,  ^  qu'ils  emplcycroient  Lurs  biens 
^  leur  njie  pour  U  deliirance  de  leur  Rc^y  Charles  A', 
ce  que  l'on  fît  pareillement  jurer  à  tous  les  Ofti- 
cicrs  du  Parlement  &  des  autres  Conipagnics, 


Livre     TV.  395? -. 

fans  que  pcrfonnc  olalt  s'y  oppofcr.  Tanc  la  ij^o< 
crainte  avoïc  prévalu  en  ce  temps-là  fur  le  cou- 
rage &  la  vertu  de  ceux  qui  connoilïlmt  &  dc- 
tcllant  en  leur  amc  l'injultice  de  ce  Icrincnt, 
dévoient  plûtoft  mourir  que  de  le  faire  Llchc- 
ment  contre  leur  conlcicnce. 

Mais  la  proipcntc  des  armes  du  Roy  prépa- 
roit  cependant  les  voycs  de  les  mettre  un  jour 
en  citât  d'cllre  heureuienicnt  difpcniez  par  luy- 
mefme  du  malheureux  ferment  auquel  il  cil 
tour  évident  qu'ils  ne  pouvoicnt  cllre  oblicrcz. 
Car  après  s'ertre  rendu  maiitre  de  toute  laBalFe- 
Normandie,  il  accourut  au  lecours  du  Fort  de 
Mculan,  où  il  jetta  plus  de  troupes  qu'il  n'en 
falloit  pour  le  défendre,  &  contraignit  par  là 
le  Duc  de  Mayenne  d'en  lever  le  liège.  Puis 
ayant  pris  de  vive  force,  à  fa  vcûe,  le  Pont  de 
Poifly,  il  mena  fon  armée  vidloneufe  devant 
Dreux  5  ce  qui  donna  heu  à  la  fameufc  Bataille 
d'Ivry. 

Comme  la  prife  de  cette  ville  euft  extrême-  vi'ccurs  ve^ 
-       -  e  Pans,  en  luy  rermant  par  la  ,^,ii^  ^.^^,^_ 

l'entrée  &  le  commerce  de  la  Normandie,  de  '^^""  *' '* 
la  Beauce,  &  du  Pais  Chartrain,  le   Duc  de  L,t>r,^uKojf 
Mayenne  réfolut  de  la  fecourir  de  toutes  les  "langr'Htd' 
forces.  Pour  cet  effet,  ayant  receû  le  lecours  de  ''^12'"'"''^ 
quinze  cens  Lances  &  de  cinq  cens  Carabins,  t)' Auhigr.û 
que    le    Roy  Philippe,  qui  publia  en  melmc 
temps  fon  Manifeite  pour  jultifier  fes  armes, 
fie  donner  à  la  Ligue  par  le  Duc  de  Parme ^ 

CCc  iij 


3po       Histoire    de   la    Ligue. 


I  j5)  o.  fous  la  conduite  du  Comte  d'Egmont,  il  pafla 
la  Seine  fur  le  Pont  de  Mante,  &  s'avantja  vers 
Di'eux ,  en  réfolution  pourtant  d'y  jetter  ieule- 
ment  du  fecours,  &  de  Te  tenir  toiàjours  au- 
dec^à  de  la  rivière  d'Eure,  pour  ne  pas  s'cxpofer 
au  hazard  d'une  bataille.  Mais  fur  le  faux  avis 
qu'il  rcceiic  de  fes  Coureurs ,  que  le  Roy ,  qui 
avoir  effetStivemcnt  quitté  le  iîege  pour  le  com- 
batte,  eftoit  parti  de  Nonancour,  en  prenant 
à  gauche  la  route  de  Verneuïl ,  comme  s'il  euft 
voulu  retourner  dans  la  Bafl'e  -  Normandie ,  il 
fut  obligé,  malgré  qu'il  en  cuft,  par  les  clameurs 
des  hauts  Officiers,  &  fur  tout  du  jeune  Comte 
Philippe  d'Egmont,  de  palTcr  fur  le  Pont  d'I- 
vry,  pour  le  pourfuivrc,  &  pour  le  combatte  en 
cette  prétendue  retraite. 

Mais  fî  le  Roy ,  qui  ne  fouhaitoit  rien  tant 
que  de  le  pouvoir  joindre  en  raze  campagne, 
&  ne  le  croyoït  pas  fi  prclTé,  fut  agréablement 
furpris  d'apprendre  qu'il  avoir  déjà  paffé  la  ri- 
vière :  ce  Duc  le  fut  aufli  bien  fort,  &  d'u- 
ne autre  manière,  voyant  que  bien  loin  de 
tourner  le  dos,  il  venoit  droit  à  luy  en  bon 

;  J  ■ ,  ordre  pour  donner  bataille ,  &c  qu'il  n'y  avoir 
'  '  plus  moyen  de  s'en  dédire.  Mais  comme  il  ef- 
toit déjà  tard;  que  de  moment  en  moment  il 
vcnoit  au  Roy  de  laNoblelfe  &  des  foldats  qui 
accouroient  des  garnilons  voifincs,pournepas 
manquer  à  un  jour  de  Bataille  ;  Se  que  le  Duc 
de  Mayenne  faifoit  ferme  de  fon  cofté  pour 


L   I  V  R   E      I  V.  3<)l  

remarquer  tous  les  avantages  qu'il  pourroit  prcn-  i  ;  ;>  o. 
dre  :  les  deux  armées  qui  n'clloient  éloicrnccs 
<jue  d'une  lieue  l'une  de  l'autre ,  après  quelques 
Jec^eres  cfcarmouches,  fc  retirèrent  dans  leurs  lo- 
gcmens,  rélolues  d'en  venir  aux  mains  le  jour 
fuivantj  qui  fut  un  Mecredy  quatorzième  du 
mois  de  Mars. 

Entre  la  rivière  d'Eure  &  celle  d'Itton  qui  *<■""•  <''  i* 
pafle  par  Evreux,  il  y  a  vis-à-vis  d'Ivry  une  L'fn'/JuZ/ 
belle  plaine  d'environ  une  lieuë  de  lareeur,  fans  r"  ^"'"i  t' 
hayes,  fans  roiTcz,  fans  buiiTons  qui  puifTent  ''^""'•'■"  '» 
cmpefcher  qu'on  ne  la  traverie  aifément  de  tous  VAr-bi^'î. 
collez ,  eftant  bornée  à  l'Orient  d'un  petit  bois  ^'^"'  ^'' 
&  de  la  rivière  d'Eure,  fur  laquelle  eft  le  bourg 
d'Ivry,  &:  à  l'Occident  des  villages  de  Saint  An- 
dré &  de  Fourcanville  ou  le  Roy  s'eftoit  logé 
cette  nuit -là.  Ce  fut  en  cette  plaine  que  l'ar- 
mée Royale  &  celle  de  la  Ligue  fe  rangèrent  prefl 
cjue  en  meime  temps  fur  les  huit  à  neuf  heures 
en  cet  ordre.  Le  Roy  s'ellant  avancé  cinq  à 
/îx  cens  Das  devant  les  villages  de  Fourcanville 
&  de  Saint  André  qu'il  avoit  à  dos,  forma  fon 
gros  Eicadron  de  fîx  cens  chevaux  en  cinq  rangs 
chacun  de  fix-vingts,  au  premier  defquels,  ou 
luy-mefme  voulut  combatte,  il  n'y  avoit  que 
Princes,  Ducs,  Comtes,  Marquis,  Cordons 
bleus  &  Grands  Seigneurs,  la  pîufpart  Catho- 
liques, comme  l'eftoit  aufh  la  plus  grande  par-    . 
ne  de  Ton  armée. 

Car  depuis  qu'on  eût  vcûquela  Ligue,  pour 


3pl        HiSTOîkE     DE     LA     LiGUE. 


h       S^7: 


ïj5?o.  fe  maintenir,  vouloir  qu'on  fe  fill  Efpagnol, 
la  Nobicfle  Franc^oife  qui  avoit  le  cœur  trop 
généreux  pour  fouffrir  qu'on  luy  pult  jrimais 
faire  ce  reproche,  abandonnant  ce  parti,  fe  jet- 
toit  tous  les  jouis  dans  celuy  du  Roy.  Il  fc  vit 
ainfi  bientoit  en  ei\at  de  triompher  avec  ces  for- 
ces  de  celles  de  la  Ligue  &  de  l'Efpagne,  quand 
mefme  lî  n'cuft  pomt  eu  de  Huguenots,  qui 
n'eiloient  qu'en  fort  petit  nombre  dansfon  ar- 
ceyit,  t.  /,  mée ,  en  comparaifon  de  cette  grande  multitu- 
de de  foldats,  &  fur  tout  de  Gentilshommes 
Catholiques,  qui  accouroient  à  luy  de  toutes 
parts,  &:  en  faifoient  prefque  toute  la  force. 
Et  ce  qui  attira  fur  elle  la  protection  du  grand 
Dieu  des  Armées,  fut  que  le  jour  précèdent, 
comme  on  vit  que  l'ennemi,  qui  avoit  pafle  la 
rivière,  ne  pouvoir  plus  éviter  la  bataille,  cz% 
2hid.  Princes ,  ces  Seisneurs ,  ces  Gentilshommes  Ca- 
tholiques,  &:  les  foldats  à  leur  exemple,  affiflc- 
rent  tous  à  la  Me{fc  à  Nonancour,  &  y  com- 
munièrent, pour  fe  préparer  au  combat,  en  (c 
mumilant  du  Pain  des  forts  &:  des  héros ,  com- 
me ce  divin  Sacrement  eft  appelle  dans  l'Ecri- 
ture. Le  Roy  de  fon  cofté,  qui  avoit  déjà  dans 
l'ame  de  grandes  dilpoiitions  à  le  convertir, 
proteiH  ce  jour -là  meime  à  ces  Princes  &:  a 
jiid.  ces  Seigneurs,  qu'il  prioit  ce  grand  Dieu,  qui 
feul  pénètre  dans  le  fond  des  cœurs  pour  en 
découvriras  intentions,  de  diipoler  de  luy  en 
cette  fatale  journée  comme  il  jugeroic  eilre  nc- 

ccifaire 


L    I  V    R    E      I  V.  353 

ccfTiirc  pour  le  bien  de  route  la  Chrcftienré 
6c  en  particulier  pour  le  falut  6j  pour  le  repos 
de  la  France.  ^ 

Ce  fut  avec  ces  beaux  fentimens  qu'il  fe  mit 
le  lendemain  à  la  telle  de  Ton  gros  Efcadron  de 
fix  cens  chevaux.  Il  cftoit  flanqué  a  droit  d'un 
gros  Bataillon   de  deux  Régimens  SuilFes  du 
Canton  de  Soleure,  &  du  Colonel  Baltazard, 
&  à  gauche  d'un  autre  Bataillon  des  deux  Ré- 
gimcns  du  Canton  de  Clans  &  des  Grifons  j 
ces  Bataillons  ayant  pour  les  Touftenir,  l'un  i 
h  main  droite  les  Régimens  des  Gardes  &c  de 
Brigncux ,  &  l'autre  à  la  gauche  ceux  de  Vi- 
gnolles  &  de  Saint  Jean.  Le  Duc  de  Montpen- 
iier  les  fuivoit  en  tirant  fur  la  gauche,  avec  Ton 
Efcadron  de  cinq  à  fix  cens  chevaux  entre  dcus: 
Régimens,  l'un  de  Lanfquenets,  &  l'autre  de 
Suiffes,  couverts  de  deux  troupes  choifies  en- 
tre l'Infanterie  Françoife.  Le  Marefchal  d'An- 
mont  fermoit  cette  gauche,  ayant  dans  fon  Ef 
cadron  trois  cens   bons  chevaux,  deux  Récri^ 
mens  Francjois  à  les  coftez,  &c  devant  luy  îes 
Chevaux-Légers  en  deux  troupes  de  deux  cens 
chevaux  chacune ,  commandées  par  le  Grand- 
Prieur  leur  Colonel ,  &  par  Givry  leur  Maref^ 
chai  de  Camp.     Et  ceux-cy  avoient   à  leur 
droite ,  fur  la  mefme  ligne ,  le  Baron  de  Ei^ 
ron,  qui  avec  fon   Efcadron    de   deux   cens 
cinquante  chevaux  couvroit  celuy  du  Duc  de 
Montpenficri  &  l'Arullene  de  quatre  canons 

DDd 


i;5>o. 


3^4       Histoire  de  la  Ligue. 
lypo.    &c  deux  coulcvrincs  cftoit  placée  fur  leur  gau- 
che. 

De  l'autre  cofté,  leMarefchal  de  Biron,  avec 
deux  cens  cinquante  chevaux  &c  deux  Régimcns 
François  à  fes  codez,  eftoic  à  la  droite  du  gros 
Efcadron  du  Roy,  après  les  Régimens  des  Gar- 
des &  de  Brigneux,  mais  un  peu  en  arrière, 
pour  fervir  de  Corps  de  réferve  i  &  le  Comte 
Thcodonc  de  Schomberg,  qui  commandoit 
l'Efcadron  desReitres,  flanqué  pareillement  de 
deux  petits  Corps  d'Infanterie  Françoife,  fai- 
foit  la  pointe  droite  un  peu  courbée  en  forme 
de  croilTant  comme  la  o-^uche.  Ainfî  fut  dif- 
pofée  l'armée  Royale  qui  eftoit  de  neuf  à  dix 
mille  hommes  de  pied,  &  de  deux  mille  fept  ou 
huit  cens  chevaux  divilez  en  fcpt  Elcadrons, 
ayant  chacun  à  leur  tcfte  un  peloton  d'enfans 
perdus. 

Celle  de  la  Ligue  parut  en  mefme  temps,  mais 
en  des  poftcs  un  peu  plus  relevez  &  plus  recu- 
lez vers  la  rivière  que  ceux  où  elle  eftoit  le  jour 
précèdent,  &  fut  rangée  a  peu  prés  en  mefmc 
ordre  que  l'armée  Royale,  excepte  que  comme 
elle  cftoit  plus  nombreufe,  eftant  de  quatre  à 
cinq  mille  chevaux,  &  de  douze  mille  hommes 
de  pied.  Ces  pointes  beaucoup  plus  épaiffes  s'a- 
vançoient  &  fe  courboientun  peu  plus,  en  fai- 
fant  un  plus  grand  croifTant.  Le  Duc  de  Mayen- 
ne avec  la  Cornette  d'environ  trois  cens  che- 
vaux, auquel  le  Duc  de  Nemours  [on  frcrc  utc» 


L   I   V    R   E       I  V.  55>; 

rin  Ce  joignit  avec  un  pareil  nombre  de  Gen-  ij5>o. 
darmes,  le  mit  vis-à-vis  de  celle  du  Roy,  au 
milieu  de  Ion  croisant ,  entre  deux  eros  Efca- 
drons,  chacun  de  fix  à  lept  cens  lances  de  Fla- 
mands &  de  Valons  commandez  par  le  Comte 
d'Egmont.  Ils  eftoient  flanquez  à  droit  &c  à 
gauche  de  deux  gros  Bataillons  de  SuifTes  des 
Cantons  Catholiques  couverts  d'Infanterie  Fran= 
çoife,  &  ayant  à  leurs  flancs  deux  Efcadrons  de 
Carabins  Valons. 

Ceui-cy  cftoicnt  fuivis  de  deux  autres  Efca- 
drons,  l'un  de  cinq  cens  chevaux  a  la  main 
droite,  &  l'autre  de  trois  à  quatre  cens  à  la  / 
gauche,  où  eftoit  leur  Artillerie,  coniifl:ant  en 
deux  coulevrincs  &  deux  baftardes.  La  Cava- 
lerie Légère  commandée  par  le  Baron  de  Rof- 
ne,  s'étendoit  fur  la  mcfme  main,  devant  un 
gros  Efcadron  de  Gendarmes  qui  la  fouftenoir, 
&  deux  Efcadrons  de  Reitres  conduits  par  le 
Duc  de  Brunfvic  êc  par  BaiTompierre ,  eftoicnt 
à  la  pointe  droite  avec  le  Régiment  de  Cava- 
lerie du  Chevalier  d'Aumalc,  qui  le  laiflâ  com- 
mander à  Ton  Lieutenant,  pour  fe  ranger  au- 
près du  Duc  de  Mayenne,  dans  ce  formidable 
gros  de  plus  de  dix  -  huit  cens  Lances  qui  de- 
voit  affronter  l'Eicadron  Royal  plus  toible 
d'hommes  de  plus  des  deux  tiers ,  &:  qui  n'a- 
voit  que  le  piltolet  &  l'épée,  n'y  ayant  pas  en 
toute  l'armée  du  Roy  une  ieule  lance.  Les  Lanf^ 
qucnets  de  la  Ligue,  &  le  rcfte  de  ion  Infante- 

DDdiji 


—  BP'î       Histoire  de  la  Ligue. 

r;5)o.  ne  FraïK^oile,  furent  partagez  en  pluiîcurs  Ba- 
taillons ,  qui  comme  ceux  du  Pvoy  furent  mis 
aux  tl.incs  de  leurs  Elcadrons ,  entre  leiquels  Se 
ces  Bataillons  on  ne  lailla  pas  alfcz  d'intervalle 
pour  donner  lieu  aux  Reitres  de  faire  libre- 
ment leur  caracol  :  ce  qui  leur  caufa  du  defor- 
die. 

Les  deux  armées  rangées  de  la  forte  fur  les 
dix  heures  ,  le  meiurerent  quelque  temps ,  fc 
confiderant  l'une  l'autre  en  deux  eftats  bien 
diiïerens.  On  ne  voyoït  en  celle  de  la  Ligue 
qu'or  &  argent  en  broderie  iur  de  magnifiques 
cafaques  d'écarlate  &  de  velours  de  toutes  for- 
tes de  couleurs,  &:  qu'une  infinité  de  banderol- 
les  attachées  a  cette  épailTeforeft  de  lances  qui 
menaçoient  de  renverier  du  premier  choc  ceux 
qui  en  feroient  rudement  atteints,  avant  qu'ils 
pulfcnt  s'approcher  chacun  de  ion  homme,  pour 
hiy  décharger,  à  coup  feûr,  ou  pour  luy  appuyer 
le  piif  olet.  Celle  du  Roy  tout  au  contraire  n'a- 
voit  pour  tout  ornement  que  le  fer,  la  joye  qui 
brilloit  dans  les  yeux  de  tous  les  foldats  allans 
au  combat  comme  à  une  vidoire  certaine,  &c 
fur  tout  cette  troupe  invincible  de  deux  à  trois 
mille  Gentilshommes  qu'il  y  avoit  en  cette  ar- 
mée, ôc  à  qui  le  Roy;  armé  comme  eux  de 
fimpics  armes,  infpiroit  par  fa  leulc  preicncc 
ôc  par  fes  regards  autant  d'ardeur  ôc  de  coura- 
gc  qu'il  en  failoit  pour  marcher  fur  le  ventre 
2.  tout  le  rcile  de  la  terre. 


L  I  V  R  E     I  V.  3<)7 

Cependant,  comme  il  vit  cpc  s'il  ne  s'appro-  ijpo» 
choit  plus  prés  des  ennemis,  il  n'y  auroit  point 
de  Bataille,  parce  qu'ils  eftoient  réiolus  de  ne 
pas  quitter  l'avantage  de  leur  polie,  il  s'avança 
vers  eux  de  plus  de  cent  cinquante  pas,  ne  hiC- 
fant  entre  les  deux  armées  qu'autant  d'cfpacc 
qu'il  en  faut  pour  aller  à  la  charge  ;  &c  par  ce 
mouvement  qu'il  fit  avec  beaucoup  de  juge- 
ment &  d'adrclTe,  en  tirant  un  peu  fur  la  gau- 
che afin  de  prendre  le  dcflus  du  vent,  qui  euft 
pu  rcjetter  toute  la  fumée  des  arqucbulades 
iur  Ton  armée,  il  engagea  tellement  la  partie, 
qu'il  falloïc  neceflaircmcnt  en  fuite  qu'elle  fc 
joLiaft. 

Ce  fut  pour  lors  qu'ayant  pris  fon  cafque," 
fur  le  cimier  duquel  il  y  avoit  trois  grandes 
plumes  blanches,  qu'on  pouvoit  aiiément  re- 
marquer de  loin,  ellant  monté  fur  un  grand 
ôc  très-beau  •cheval  de  Naplcs  bay-brun  parc 
d'un  luperbe  panache  qui  le  diftinguoit  de  tous 
les  autres,  il  fit  une  courte  prière  à  Dieu,  la- 
quelle fut  fuivie  de  grands  cris  de  f^i've  le  Roy, 
Car  pour  ces  belles  ôc  longues  harangues  que 
nos  Hiftoriens  font  faire  en  ce  moment  à  ce 
grand  Prince  6c  au  Duc  de  Mayenne  à  la  telle 
de  leurs  armées,  elles  ne  fe  firent  alIcLuémcnt 
jamais  que  dans  les  cabinets  de  ces  Auteurs.  Car 
un  de  ceux  qui  combatirent  à  cette  Bataille 
nous  affcûre  qu'il  ne  parla  que  du  gcile  &  des 
yeux  à  ceux  qui  eftoicnt  trop  éloignez  de  iuy^ 

DDd    li^ 


— — - — 3p8       Histoire   de  la    Ligue. 

jjpo.  pour  le  pouvoir  entendre,  &c  ne  dit  aux  Sei- 
gneurs du  premier  rang  de  Ton  Efcadron  que 
ce  peu  de  mots.  Aies  Compagnons,  icilà  nos  enne- 
mi que  nous  cherchions ^  allons  à  eux;  Dieu  eji  pour 
nous.  Si  i/ous  perdc^  la  'veûë  de  'vos  Cornettes ,  ral- 
lie:^-'Vous  a  mon  panache  blanc ,  'vous  le  trowvereT^ 
AU  chemin  de  l'honneur  f0  de  la  'vi^oire. 

Pour  le  Duc  de  Mayenne,  qui  cftoit  hc  grand 
Capitaine,  &  malgré  toute  la  lenteur  naturelle 
brave  foldat,  quand  il  avoit  une  fois  pris  le  par- 
ti de  combatte ,  il  ne  fit  que  montrer  aux  pre- 
miers rangs  de  ion  armée  le  Crucifix  qu'un  bon 
Cordclier,  qui  fit  la  prière,  portoit  devant  luy. 
ïl  voulut  faire  entendre  par  ce  geftc,  fans  per- 
dre dc3  paroles  qu'on  n'euft  point  du  tout  en- 
tendues, que  c'cftoit  pour  la  Religion  qu'ils 
alloient  combatte  contre  les  Hérétiques ,  &:  leurs 
fauteurs  ennemis  déclarez  de  Jefus-Chrift  &  de 
Ton  Eglife. 

Il  n'eftoit  pas  loin  de  midy,  lors  qu'on  vint 
dire  au  Roy  que  Charles  de  Humiercs  Marquis 
«d'Encre,  celuy  qui  fut  en  partie  caufe  de  la  vi- 
ctoire de  Senlis,  n'cftoit  qu'à  un  bon  quart  de 
licu'é  du  Champ  de  bataille  avec  deux  à  trois 
cens  Gentilshommes  qu'il  amenoit  de  Picardie, 
ou  prefque  toute  la  Noblefle  qui  avoit  efté  la 
première  à  fîgner  la  Ligue,  l'avoir  abandon- 
née. Mais  pour  ne  pas  laiifer  ralentir  l'ardeur 
des  foldats,  qui  ne  demandoicnt  qu'à  joindre 
au  pliitoil  l'ennemi^  il  fe  contenta  de  marquer 


L  I  V  R    E      I  V.  35)9  

l'endroit  ou  le  (îeur  de  Vie  Scrcrcnt  de  bataille  i /5?  o. 
pollcroit  ce  nouvel  efcadron,  qui  arriva  encore 
afl'ez  toft  pour  fe  iîgnaler  en  cette  journée. 
Gela  fait ,  fans  plus  différer  il  donne  le  fignal , 
&  le  jeu  commence  par  le  canon,  qui  fut  fi 
promptcment  &  fi  bien  exécuté  par  l'ordre  du 
Grand  -  Maillre  Philibert  de  la  Guiche ,  qu'a- 
vant que  ccluy  de  la  Ligue  joûaft  on  tira  neuf 
canonades  qui  firent  grand  fracas,  principale- 
ment dans  les  Elcadrons  des  Reitres. 

Ainfi,  après  qu'on  eût  encore  tiré  trois  ou 
quatre  volées  de  part  &c  d'autre,  deux  c^ros  Ef- 
cadrons  de  François  èc  d'Italiens,  ayant  les  Lanf- 
quenets  à  leurs  flancs ,  s'avancent,  &  vont  à  la 
charge  contre  la  pointe  gauche  de  l'armée  Roya- 
le, pour  fe  mettre^à  couvert  de  cette  tempclte. 
Mais  leMarefchal  d'Aumont  qui  cftoit  à  cette 
pointe,  ayant  fait  plus  de  la  moitié  du  chemin 
pour  les  rencontrer,  les  repouirc,leur  fait  mon- 
trer la  croupe,  &  les  mené  toujours  battant 
jufqu'à  l'entrée  de  ce  petit  bois  qui  bornoit  la 
plaine,  puis  fc  va  remettre  à  Ion  polie  com- 
me il  en  avoir  ordre  du  Roy. 

Tandis  que  ceux-cy  (ont  fi  mal  menez ,  les 
Reitres  de  leur  droite  voulant  gao-ner  le  canon, 
duquel  ils  avoient  elle  les  plus  maltraitez,  vont 
charger  les  Chevaux-Légers  du  Roy  avec  tant 
de  furie,  qu'ils  les  font  d'abord  reculer;  ôc  au 
mefme  temps  deux  autres  cfcadrons  de  Flamans 
Se  de  Valons  les  voyant  ébranlez  s'avancent 


4<^o     Histoire   de   la    Ligue. 

J50  pour  les  enfoncer.  Mais  le  Baron  de  Biron  d'un 
cofté,  &c  de  l'autre  le  Duc  de  Montpcnfier  les 
ayant  pris  par  les  flancs,  les  aricllent,  les  cn- 
fcncenr,  les  percent;  &  les  Chevaux-  Lcgers, 
aufquels  ils  avoient  donné  le  temps  de  Te  ral- 
lier, eftanc  retournez  à  la  charge,  les  Reitres 
reculent,  abandonnant  laichen.ent  les  Valons  i 
&  n'ayant  pu  fe  retirer,  ou  plijtoft  fe  fauver 
par  les  intervalles  qui  elloient  trop  étroits,  ils 
fe  renvcrfenr  fur  leurs  gens,  &  mettent  tout  en 
defordre,  malgré  tous  les  foins  du  Duc  deBrunf 
vie  leur  Colonel,  qui  ne  put  jamais  les  rallier, 
&:  s'alla  jetter  en  fuite  dans  cet  Efcadron  de  Va- 
lons, aimant  mieux  périr  glorieufemcnc  avec 
ces  vaillans  hommes  qui  furent  envelopez  &c 
taillez  en  pièces,  que  de  fuir  avec  les  fiens. 

On  combatit  ainfi  avec  afTez  d'opiniaftrcté 
de  part  &  d'autre  durant  quelque  temps,  &  tous 
les  Efcadrons  des  deux  ailes  furent  à  la  charg-e. 
ôc  fe  méfièrent,  excepté  ccluy  du  Marefchalde 
Biron ,  qui  avec  fon  Corps  de  rélerve  fe  tcnoit 
toujours  preft  pour  empefcher,  comme  il  fit, 
que  l'ennemi  ne  puft  faire  aucun  rallîmcnt.  Mais 
ce  qui  acheva  de  décider  de  la  fortune  de  cette 
grande  journée,  &  d'afleûrer  une  pleine  victoi- 
re au  Roy,  fut  cette  valeur  héroïque  qu'il  fit 
paroiftre  en  combatant  ce  formidable  Efca- 
dron de  dix -huit  cens  Lances,  que  le  Duc  de 
Mayenne  n'avoit  rendu  fi  fort  que  pour  don- 
nci  avec  un  fi  grand  avantage  fur  celuy  du  Roy, 

ne 


I 


Livre    TV.  401 

ne  doutant  point  que  s'il  le  pouvoir  rompre,  la    i  ;  ^  o. 
vicVoire  ne  fuft  à  luy. 

Comme  il  vit  donc  fcs  Rcitres  en  déroute, 
pour  empefcher  qu'ils  ne  le  mifTent  luy-mcfmc 
en  dcfordre  en  tombant  fur  Tes  gens,  il  entraif- 
na  tout  ce  çrand  corps  après  luy,  &  fît  avan- 
cer quatre  cens  Carabins  choifis  armez  de  plal- 
trons  &  de  morions,  aufqucls  le  Comte  de  Ta- 
vannes  qui  les  conduifoit  fit  faire  une  déchar- 
ge de  vingt -cinq  pas  lur  le  premier  rang  de 
l'Efcadron  Royal  pour  Téclairciri  &  en  mcfmc 
temps  le  Duc ,  qui  paroifToit  à  la  telle  du  ficn 
fur  un  cheval  Turc ,  le  plus  beau  qu'on  vit  ja- 
mais, donne  de  furie, la  lance  baillée,  fuivi  de 
toute  cette  groffe  troupe,  fur  ceux  qu'il  croyoit 
déjà  bien  fort  ébranlez  par  une  fi  foudaine  ôc 
fi  furieufe  décharge.  Ils  fouftinrent  pourtant 
ce  rude  choc,  demeurant  toujours  fermes  fur  la 
felle;  6c  il  s'en  trouva  tel  lur  qui  trois  lances 
rompirent,  fans  qu'il  en  quittait  pour  cela  les 
eftriers. 

Mais  ce  qu'il  y  eût  de  plus  admirable,  fut 
que  le  Roy  qui  partit  du  front  de  fonEicadron 
deux  fois  la  longueur  de  fon  cheval  avant  tout 
autre,  s'alla  jetter  tefte  baiffee ,  le  pillolet  au 
poing,  dans  cette  épaifle  &c  horrible  foreft  de 
lances ,  &  fe  mcfla  parmi  les  ennemis  avec 
tant  de  courage,  qu'il  leur  fit  bien  ientir  que 
s'il  fqavoïc  donner  les  ordres  en  grand  Capi- 
taine, il  les  f(^aYoit   exécuter    en  combatanc 

EEc 


401     Histoire   de   la  Ligue. 
ij^  o.    comme  un  des  plus  vaillans  hommes  du  mon* 
de. 

AufTi  fut -il  G.  bien  fuivi  de  tous  Tes  braves 
4]u'un  exemple  fî  merveilleux  rendoit  plus  forts 
que  des  lions,  qu'après  un  bon  quart  d'heure 
de  combat  à  grands  coups  d'épée  &  de  pifto- 
let,  dans  cette  fanglantc  mcllée  où  les  lances 
croient  inutiles,  tout  ce  gros  fut  percé,  rom- 
pu, difïipé,  taillé  en  pièces,  ou  mis  en  fuite, 
fans  que  le  Duc  de  Mayenne ,  qui  fit  ce  jour- 
là,  au  jugement  mefmc  du  Roy,  tout  ce  que 
l'on  pouvoit  attendre  d'un  grand  Général  ôc 
d'un  brave  foldat,  les  puft  jamais  rallier,  quel- 
que effort  qu'il  fift  pour  les  arreller.  De  forte 
que  le  voyant  fur  le  point  d'eftre  cnvelopé,  il 
fe  retira  des  derniers  vers  le  Pont  d'Ivry,  qu'il 
fit  rompre ,  après  l'avoir  pafle  avec  la  plus  gran- 
de partie  des  fuyards  pour  fe  fauver  à  Mante  j 
les  autres ,  avec  le  Duc  de  Nemours ,  le  Cheva- 
lier d'Aumale,  Rofne,  Tavannes  ôc  Baffom- 
pierre ,  ayant  pris  le  chemin  de  la  plaine  pour 
gagner  Chartres, 

Cependant  les  vi<5torieux  eftoicnt  fort  en 
peine  du  Roy ,  qui  avoit  difparu  dans  ce  gros 
de  dix -huit  cens  lances  qu'il  avoit  enfoncé  le 
premier ,  lors  que  l'ayant  apperceii  revenant 
i'épée  haute  toute  fanglante,  après  avoir  en- 
core défait,  au  fortir  d'une  fi  furieufe  méfiée, 
trois  Cornctes  de  Valons  qui  eftoient  rcftcz 
çntre  les  deux  Bataillons  de  SuilTcs,  ôc  s'en  vc- 


L   I  V  R    E      I  V.  405  

noient  droit  à  luy  en  dcfelperez,  tout  le  Champ  i  y  5?  o. 
de  Bataille  retentit  auflitoft  d'une  infinité  de 
cris  de  Vi've  le  Rfiy.  Alors,  comme  la  viâ:oirc 
cftoit  afTeûrée  àc  complète ,  n'y  ayant  plus  fur 
le  champ  que  ces  Suiflcs  en  eftat  de  combatrc, 
car  tout  le  reftc  des  gens  de  pied ,  &  fur  tout 
les  Lanfqucnets,  abandonnez  de  la  Cavalerie, 
avoient  elle  hachez  en  pièces,  excepté  ceux  qui 
s'eftoient  fauvez  de  bonne  heure,  le  Roy,  pour 
gratifier  les  Cantons ,  leur  fit  grâce ,  à  condi- 
tion qu'ils  garderoicnt  déformais  plus  fidelle- 
ment  le  Traité  d'alliance  qu'ils  avoient  fait  avec 
la  Couronne  de  France,  &  ne  ferviroicnt  plus 
contre  luy.  Après  quoy  il  fe  mit  avec  le  Prin-^ 
ce  de  Conty,  le  Duc  de  Montpenfier,  le  Com- 
te de  Saint  Paul,  le  Marefchal  d'Aumont,  tous 
les  autres  Seigneurs  &  Gentilshommes,  à  la  pour- 
fuite  des  fuyards  jufqu'à  Rofny,  laiffant  le  reftc 
de  l'armée,  qui  iuivoit  au  petit  pas,  ious  la  con- 
duite du  Marelchal  de  Biron. 

Telle  fut  liiTuë  de  la  fameufe  Bataille  d'Ivry, 
où  la  Ligue  perdit  &  fa  réputation  &  fcs  for- 
ces. Prefque  toute  l'Infanterie  de  ce  parti  y  fut 
taillée  en  pièces,  ou  fe  rendit.  De  la  Cavalerie 
il  y  en  eût  plus  de  quinze  cens  de  tuez  lur  la 
place,' ou  de  noyez  au  gué  d'Ivry,  qui  eft  tres- 
daneereui.  Le  Comte  d'Eo;mont  Général  des 
troupes  Elpagnoles,  &  Guillaume  de  Brunfvik 
Colonel  des  Reitres,  fils  naturel  du  Duc  Henry^ 
furent  reconnus  entre  les  morts ,  &  peu  après 

EEe  13 


404       HISTOIÊ.E    DE   LA    LiGUE. 

1/50.  honorablement  enterrez  par  l'ordre  du  Roy 
dans  l'Eglife  d'Evreux.  Outre  les  foldats  Fran- 
çois que  le  Roy  voulut  qu'on  épargnait ,  &  qui 
prirent  quartier  parmi  les  troupes,  on  fit  plus 
de  quatre  cens  pnionnicrs  de  marque,  entre 
lefquels  eftoient  un  Comte  d'Oort-Frife  qui 
combatit  parmi  les  Reitres,le  Baron  d'Huren, 
les  fleurs  de  Medavid,  de  Bois -Dauphin,  de 
Cafteliere,  de  Fontaine  Martel,  de  Sigognc, 
qui  ie  rendit  avec  la  Cornette  Blanche  àRofny, 
qui  fut  depuis  Duc  de  Sully,  &  plufieurs  au- 
tres Seigneurs  &c  Gentilshommes  Eftrançcrs  &C 
Fran(^ois. 

Le  canon,  les  munitions,  le  bagage,  le  grand 
Etendard  des  Flamands,  vingt  Cornetes,  la  Co- 
lonelle des  Reitres,  &  plus  de  foixante  Enfei- 
gnes  de  gens  de  pied ,  ians  compter  les  vingt- 
quatre  Drapeaux  des  SuifTes  que  le  Roy  fit  rap- 
porter à  leurs  Supérieurs,  furent  les  illuftres 
marques  d'une  fi  glorieufe  vidoire,  qui  ne  couf^ 
ta  que  très -peu  de  fang  au  vainqueur.  Car  il 
ne  demeura  de  perfonncs  confiderablcs  du  coi^ 
te  du  Roy,  queClermont  d'Entragues  Capitai- 
ne des  Gardes,  qui  fut  tué  prés  de  Sa  Majefté, 
le  Comte  de  Schomberg,  les  fieurs  de  Feuquie- 
res,  de  Crenay  Cornete  de  Montpenfier,  &  de 
Longaunay  vieux  Gentilhomme  Normand  de 
ioixante  &  douze  ans,  qui  fut  l'unique  que  le 
canon  de  la  Ligue  emporta,  &  vingt -cinq  à 
trcnce  autrçs  Gentilshommes  qm  furent  la  plui- 


L  I  V  ».  1     I  V.  405 

part  tuez  dans  rElcadron  du  Roy.  Il  n'y  en  cûc  i  j^  o. 
de  blefl'cz  que  Franc^ois  de  Ddillon  Comte  du 
Lude,  fils  de  ce  faire  &  vaillant  Guy  de  Dail- 
Ion  Gouverneur  de  Poitou,  qui  défendit  avec 
tant  de  aloire  Poitiers  contre  l'Admirai  de  Go- 
ligny,  &  conlcrva  la  Province  au  Roy  avec 
tant  de  fidélité  &c  de  valeur  contre  les  Hugue- 
nots &  les  Ligueurs  dont  il  fut  toujours  le 
grand  ennemi  i  Henry  de  Laval  Marquis  de 
Nèfle,  le  Comte  de  Choify ,  les  iieurs  d  O,  de 
Rofny,  Lauver^ne,  Monloûet,  &c  une  vingtaine 
d'autres  Gentilshommes  qui  cchaperent  tous  de 
leurs  blefleûres. 

Ce  qu'il  y  eût  encore  de  plus  merveilleux, 
&  qui  marque  le  loin  tout  particulier  que  le 
Ciel  prenoit  de  favorifcr  le  bon  droit  de  Sa 
Majefté,  c'efl  que  le  mefme  jour  Jean  Loûïs 
de  la  Rochefoucaut  Comte  de  Randan,  Géné- 
ral des  troupes  de  la  Ligue  en  Auvergne,  qui 
afliegeoit  la  ville  d'Ifloire,  perdit  la  vie  &:  (a 
petite  armée ,  laquelle  fut  entièrement  défaite 
par  le  Marquis  de  Curton  Chef  des  Royaliltcs, 
&  que  le  fieur  de  Lanilac,  qui  vouloir  furpren- 
dre  le  Mans  pour  la  Ligue,  au  parti  de  laquel- 
le, après  l'avoir  abandonné,  il  s'eftoit  de  nou- 
veau rangé,  en  fut  bravement  repouflé.  Enfin 
depuis  ce  temps-là  le  parti  Royal  remporta  tou- 
jours de  grands  avantages  dans  toutes  les  Pro- 
vinces en  une  infinité  d'occafions  que  je  ne 
dois  pas  décrire  en  particulier,  puis  que  iwoïx 

EEe  iij 


4o6       Histoire    de    là    Ligue. 

Spo.  deffein  n'a  eftc  que  de  m'attachcr  feulement 
aux  parties  les  plus  cflcntielles  de  la  Ligue,  pour 
ne  me  pas  engager  trop  avant  dans  l'Hiftoirc 
de  France ,  qui  embrafle  bien  plus  de  chofcs 
que  celle  que  j'écris. 

Suivant  donc  toujours  ce  deflein,  ce  que  je 
dois  maintenant  remarquer,  c'eft  que  cette 
grande  victoire  euft  attiré  dcilors  la  ruine  en- 
tière de  la  Ligue,  fi  après  que  Vcrnon  &  Man- 
te fc  furent  rendus  le  lendcmam  de  la  Bataille 
au  Roy,  qui  eftoit  Maiftrc  de  tous  lespaflagcs 
de  la  Seine  jufqu'à  Paris ,  il  fe  fuft  prcfenté  avec 
fon  armée  vidtorieufe  devant  cette  Capitale  de 
fon  Royaume,  où  il  n'y  avoit  alors  ni  vivres, 
ni  munitions,  ni  Gouverneur,  ni  crcns  de  euer- 
re,  &  où  le  peuple  ie  voyant  dénué  de  toutes 
chofes,  eftoit  fort  ébranlé.  Car  il  y  a  grande 
apparence  que  les  Politiques  encouragez  ôc  par 
fa  vidioire  Se  par  fa  prclence  l'euffent  emporté 
fur  les  Seize,  &c  qu'on  luy  euft  ouvert  les  por- 
tes. Auiîi  c'eftoit-là  le  conieil  que  le  fage 
la  Noûë  luy  donnoit  :  mais  loit  que  le  Ma- 
refchal  de  Biron ,  qui  n'avoit  pas  envie  d'al- 
ler fi  toft  planter  des  choux  dans  fon  jardin  ^ 
voulant  tirer  la  guerre  en  longueur,  luy  euft 
fait  prendre  une  autre  rélolution ,  ou  qu'il 
i'euft  prife  deluy-meime,  ne  fe  croyant  pas 
encore  afl'ez  fort,  il  demeura  quinze  jours  à 
Mante  lans  rien  entreprendre  contre  les  Li- 
gueurs, aufqucls  il  donna  le  loifir  de  fc  recon- 


Livre     IV.  407 

noiftrc,  Se  de  fe  mettre  en  cftat  de  luy  ré/îlicr.    i;p  0. 

En  clïct,  les  faufles  nouvelles  qu'on  fcmoic 
parmi  le  peuple ,  pour  luy  faire  accroire  que  la 
perte  qu'on  avoit  faite  n'eftoit  pas  fi  grande 
qu'on  l'avoit  crue  j  les  Sermons  des  Prédica- 
teurs, les  promcflcs  des  Efpagnols,  la  prefence 
du  Légat  &c  de  l'Archevefque  de  Lyon  qui 
s'eftoit  depuis  peu  racheté  de  faprifon,  &  qui 
fut  fait  Chancelier  de  la  Ligue  ;  &  le  bon  or- 
dre que  le  Duc  de  Mayenne  fit  mettre  à  Paris, 
où  il  jetta  des  troupes  avant  que  de  fortir  de 
Saint  Denis,  pour  s'approcher  des  Païs-Bas  d'où 
il  attendoit  du  fecours:  toutes  ces  chofcsjdis- 
jc,  firent  fi  bien  revenir  les  efprits  de  la  frayeur 
où  ils  eftoient  auparavant ,  qu'il  ne  parut  plus 
d'émotion  dans  la  ville,  que  tout  y  fut  tran- 
quille, &c  qu'on  s'y  réfolut  à  le  défendre  juf- 
ques  à  la  dernière  extrémité. 

C'eft  ce  que  l'on  fit  peu  de  temps  après  du- 
rant le  fieo-e  de  Paris  de  la  manière  du  monde 
la  plus  étonnante,  &  qu'on  peut  mettre  au 
nombre  de  ces  évenemcns  extraordinaires  & 
merveilleux,  qu'on  doit  appeiler  les  miracles 
del'Hiftoire, &  que  Tonne  croiroit  jamais, s'ils 
n'cftoient  appuyez  d'une  infinité  de  témoigna- 
ges irréprochables.  Car  enfin,  le  Roy  connoif^ 
Tant  fort  bien  que  la  fin  de  la  guerre,  de  de  la 
Ligue  dépendoit  de  la  prifc  de  Paris,  réfolut 
de  ne  plus  diftcrer  à  prendre  cette  occaiion  qu'il 
croyoit  avoir  encore  entre  fcs  mains,  ne  voyant 


— —  4oS     Histoire  de  la  Ligue. 

iS9  o.  pas  qu'il  l'avoit  déjà  laifTé  cchaper  par  un  trop 
long  retardement.  Il  fortit  donc  de  Mante  le 
dernier  jour  du  mois  de  Mars  avec  Ton  armée 
qui  eftoit  alors  de  douze  mille  hommes  de  pied 
&  de  trois  à  quatre  mille  chevaux ,  &  dans  le 
mois  d'Avril  il  le  rendit  maiftre  de  Corbcil, 
deMelun,  deBray,de  Montereau-faut-Yonne, 
de  Lagny ,  de  Beaumont  fur  Oife  ,  de  Provins, 
&  des  Ponts  de  Saint  Maur  &  de  Charenton. 

Une  intelligence  qu'il  avoit  dans  Sens  n'ayant 
pas  rcùfli,  il  y  fit  donner  aifez  brufquement  deux 
afTauts,  où  fcs  e^ns  furent  visoureufement  rc- 
pouflcz  par  le  Seigneur  deChanvallon  Jacques 
de  Harlay  qui  y  commandoit  pour  la  Ligue.  Ce- 
la pourtant  n'empcfcha  pas  que  ce  grand  Prince, 
qui  aimoit  tous  les  grands  hommes,  ayant  depuis 
reconnu  la  force  de  fon  efprit,&:  fa  fidehté  invio- 
lable à  fon  fervice,  ne  prift  une  trcs-grande  con- 
fiance en  luy  \  de  forte  mefme  qu'il  le  mit  auprès 
du  Duc  de  Lorraine,  pour  le  maintenir  tou- 
jours, comme  il  ht  par  fcs  fages  confcils,  dans 
les  interefts  de  la  France.  Or  le  Roy  ne  voulant 
pas  perdre  plus  de  temps  devant  une  ville  fi  bien 
détendue,  &  dont  la  prife  ne  fcrvoit  de  rien 
pour  l'exécution  de  fon  delTcin,  voyant  d'ail- 
leurs, qu'avec  les  places  &:  les  ponts  dont  il  vc- 
noit  de  s'emparer,  il  tenoit  fermées  les  quatre 
rivières  qui  font  les  nourrices  de  Paris,  il  y  vint 
mettre  le  liegc  fur  la  fin  du  mois,  fans  plus 
s'arreiler  à  certaines  Conférences  donc  il  crut 

que 


I 


Livre     IV.  405) 

que  la  Ligue  l'amuloic.  Et  pour  avoir  la  liberté     ijpo. 
de  courir  la  camv)ac;nc  des  deux  coftcz  de  la  ^'■'^'j":f''y 
Seine,  afin  d'empclcher  le  paflap;c  des  vivres  ■«/"'•««y. 

...  ^  11  DHLtt4t/ivte 

par  terre,  il  jetta  un  pont  de  battcaux  un  peu  i,c»ràin,u, 
au  defTous  de  Conflaas.  Ainfi  Pans  fut  bien-  î;;^,!,'.', 
tofl  invefti  de  tous  coftez.  *  ^■'"-^• 

Quelques-uns,  bc  entre  autres  la  Noue  ^ 
la  pluipart  des  Huguenots  qui  n'aimoicnt  point 
du  tout  les  Panllcns,  vouloient  qu'on  Tatta- 
quaft  de  vive  force,  s'imaginant  qu  onTempor- 
teroit  aifément  au  premier  aflaut,  que  le  Bour- 
geois, qui  n'eftoit  bon  que  derrière  des  barri- 
cades, ne  pourroit  jamais  fouftenir.  Mais  il  pa- 
rut alîcz  aux  elcarmouches  qui  le  firent  au  com- 
mencement du  ficgc,  &  à  certaines  tentatives 
qu'on  voulut  faire  après  en  plus  d'un  endroit, 
éc  qui  ne  réuflirent  pas,  que  ces  Mefîicurs  pre-  ^^i't'«>»  /.- 

11  /•  T       -VT      "■•   1  r  Pierre  Cit. 

noient  mal  leurs  melures.  La  Noue  luy-melme,  n„o 
qui  voulut  d'abord  infulter  le  fauxbourg  Saint  a^'/ti". 
Martin ,  en  fut  rudement  repoufle  ;  &  il  ap-  «'/*"'""  ^' 
prit  par  une  bonne  moulquetade  qu'il  rcceûc/"-' 
a  la  cuille,  de  qui  le  mit  hors  de  combat,  qu  on  /«r,,^,  ?ark. 
avoir  affaire  à  de  braves  gens,  qu'on  n'cuil  pas  t''^"'/^/^ 
emportez  par  alTauc  à  la  breiche ,  ni  par  cica- 
lade  auili  facilement   qu'il  le  croyoit.   Il  n'y 
avoit   alors  dans  Paris  qu'environ  deux  cens 
trente  mille  perionnes,  parce  que  prefquc  la 
moitié  des  habitans,iur  l'appréhcnfion  du  fie- 
ge,  en  elf  oient  fortis,  &:que  les  plus  riches  Bour= 
gcois,  qui  avoicnt  eu  le  courage  d'y  demeurer^ 

FFf 


4ÎO  Histoire  de  la  Ligue. 
ijpo.  a  voient  envoyé  leurs  femmes  &  leurs  enfans 
ailleurs.  Mais  une  garnilon  que  les  Parifiens  y 
avoient  receûè  de  cinq  à  fix  mille  vieux  (ot- 
dats  Efpagnols ,  Laniqucncts ,  Suiffes  6c  Fran- 
çois, &c  cinquante  mille  Bourgeois  bien  armez, 
èc  fort  réfolus  de  périr  pour  la  défenfe  de  leur 
Ville  6c  de  la  Religion,  pour  laquelle  ils  cftoicnt 
perfuadez  qu'ils  combatoient,n'euflcntpas  cite 
aifcment  forcez  par  cette  petite  armée  qui  les 
bloquoit  pliuoft  qu'elle  ne  les  afliégeoir. 

Et  puis  le  jeune  6c  vaillant  Duc  de  Nemours 
leur  Gouverneur  avoit  admirablement  bien 
pourveû  à  tout  durant  plus  d'un  mois  qu'il 
avoit  eu  pour  ie  préparer  à  foultenir  ce  célè- 
bre fiege,  où  il  aquit  par  ion  courage  &par  fa 
bonne  conduite  toute  la  sloirc  d'un  vieux  Gé- 
néral.  Car  il  avoit  fortifié  les  endroits  les  plus 
foiblcs ,  réparé  les  breichcs  des  murailles ,  re- 
levé les  remparts  &c  les  terralTes ,  tiré  de  grands 
rerranchemens  &  dedans  6c  dehors  à  la  telle  des 
fauxbourgs,  préparé  des  chaiines  &  des  ton- 
neaux remplis  de  terre,  pour  faire  des  barrica- 
des à  toutes  les  rues,  afin  de  pouvoir  arrefter 
par  tout  les  ennemis  qu'on  alTommcroit  cepen- 
dant à  coups  de  moufquet  6i  de  pierre  par  les 
feneftres,  après  qu'ils  leroient  entrez  dans  la 
ville.  Il  avoit  fait  terraifcr  la  plufpart  des  por- 
tes, abbatre  les  maifons  qui  eulfent  pu  fervir 
à  l'ennemi ,  fondre  6c  monter  plus  de  foixantc 
pièces  de  canon,  qui  furent  diipofécs  fur  les 


L'  I   V   R   E      I  V.  4ri  

remparts,  &  fermé  la  rivicre  au  de  {lu  s  &  au  1590, 
de/Tous,  par  de  grofles  chailhes  louilcnues  de 
fortes  ellacadcs,  &c  dcfcnducspar  de  bons  corps 
de  f^arde ,  pour  cmpclcher  qu'on  ne  pufl  fur- 
prendre  la  ville,  &  y  entrer  par  là  quand  l'eau 
Icroit  bafie.  Enfin,  il  n'avoir  rien  oublie  de 
tout  ce  qui  pourroit  cllre  necelfaire  pour  fc 
bien  défendre,  &  pour  repoufTer  la  force  par  la 
force. 

C'eil  pourquoy  le  Roy  qui  l'entcndoit  mieux 
que  ceux  qui  écoutoient  plus  en  cette  rencon- 
tre leur  paiTion  que  la  raifon,  ne  jugeant  pas 
que  cette  entrepriic  puft  rciiflir  dans  l'eftat  où 
cftoient  les  chofes,  rejetta  toujours  leur  confcil  ; 
outre  qu'aimant  en  père  les  Sujets  comme  fes 
enfans,  ôc  finguliercment  Pans,  comme  il  a 
coiâjours  fait,  il  ne  put  jamais  fe  réfoudre  à 
vouloir  perdre  le  plus  riche  fleuron  de  la  Cou- 
ronne, &  la  plus  belle  ville  du  monde,  en  la 
prenant  par  cette  voye,  qui  l'eull  expofée  à  la 
fureur  des  crcns  de  o-uerrc,  ôc  lur  tout  des  Hu- 
guenots,  qui  pour  le  venger  de  la  Saint  Bar- 
thélémy l'euflent  dcfolce  par  le  fer  &  par  le 
feu. 

Il  rcfolut  donc  de  la  prendre  par  famine , 
ne  doutant  point  que  tous  les  partages  des  vi- 
vres eftant  fermez,  elle  ne  fuit  bientoll:  con- 
trainte de  fc  rendre  faute  de  pain.  A  la  vérité 
fa  penice  cftoit  fort  raiionnablc,  &c  ce  qu'il 
imaginoit  dcvoit  cllre  félon  toutes  les  apparen- 

FFf  1; 


»«  412-       Histoire  de  la  Ligue. 


i/^o.  CCS,  fi  Ton  attente  n'cuil  eilé  trompée  par  un 
des  plus  admirables  prodiges  de  conltance  &c 
de  fermeté,  &  d'invincible  patience  dans  des 
excès  inconcevables  de  miferes,  que  l'Hilloire 
nous  ait  jamais  reprefentez. 

Je  n'en  feray  pas  icy  une  fort  exa£tc  defcri- 
prion.  C'eft  allez  que  je  dife  ce  que  toute  la 
terre  à  fceû,  que  les  vivres  ordinaires,  qu'on 
avoir  ménasez  ôc  diftnbuez  avec  grande  œco- 
nomie ,  furent  confumez  dans  le  mois  de 
■  Juin  ;  que  les  fauxbour^s  ayant  elle  pris  au 
mois  de  Juillet,  on  fut  refferré  dans  la  ville 
fans  en  pouvoir  plus  fortir  pour  chercher  des 
herbes,  des  feuilles  &c  des  racines  à  la  campa- 
gne &  dans  les  foflez;  qu'après  qu'on  eût  man- 
gé les  chevaux,  les  afnes,  les  chiens  &les  chats, 
on  fut  réduit  dans  le  mois  d' Aouil  aux  rats,  aux 
fouris,  aux  peaux  ôc  aux  cuirs,  à  une  eipccc 
mefme  abominable  de  pain,  qui  au  lieu  de  fa- 
rine cftoic  fait  de  la  poudre  des  oflcmcns  du 
Cimetière  Saint  Innocent  ;  qu'il  y  en  eût  enfin 
que  cette  horrible  famine,  qui  fit  mourir  plus  de 
vingt  mille  perfonnes,  porta  jufqu'à  renouvel- 
1er  les  horreurs  des  fieges  de  Samarie  &c  de  Je- 
rufalem.  Et  néanmoins,  ce  que  l'on  ne  peut 
ailez  admirer,  ces  Parifiens  accouftumez  à  vi- 
vre dans  l'abondance,  &  mefmc  dans  la  dcli- 
catefTe,  aimèrent  mieux  foulfrir  jufqu'à  la  fin 
une  fi  cruelle  famine ,  ôc  s'expofer  à  une  mort 
foincftc  y  dont  ils  avoient  à  tout  moment  de- 


Livre     I V.    ■»  415     "• 

vant  les  yeux   les  ima2;cs  aftrcufes  dans  ceux    i;po« 
qu'ils  voyoïent  étendus  dans  les  rues  ou  morts 
ou  mourans,  que  d'oûïr  parler  de  fe  rendre. 

Il  y  a  fans  doute  beaucoup  de  choies  qui 
contribuèrent  à  leur  faire  prendre  une  il  forte 
réiolution,  &  à  iouifrir  avec  tant  de  courage  &c 
n  lonç^- temps  ces  extrêmes  miferes.  L'exemple 
des  Princeffes  &  des  plus  grandes  Dames,  qui 
fe  contentant  d'un  peu  de  pain  d'avoine ,  les 
cxhortoient  à  fupporter  génereufement  un  mal 
qu'elles  louffroient  elles -mefmes  fî  conilam- 
mcnt  6c  il  gayment.  Le  grand  foin  que  prc- 
noient  les  Chefs  d'empefcher  lesfeditions  3c  les 
tumultes ,  qui  eftoient  punis  fur  le  champ  par 
l'exécution  des  plus  mutins.  La  crainte  qu'on 
avoit  des  Seize  ,  qui  avoient  repris  dans  la 
ville  leur  première  autorité ,  èc  ne  manquoient 
pas  de  faire  jetter  aufTitoft  dans  la  Seine,  fans 
autre  forme  de  procès ,  ceux  qui  eftoient  fuf- 
ped:s  d'intelligence  avec  le  Roy ,  ou  quiofoient 
parler  d'accord.  Les  grandes  aumofnes  qu'on 
diftnbuoit  tous  les  jours  au  pauvre  peuple,  par 
l'ordre  &  aux  dépens  du  Légat  Caietan,  de  -,  .: 
l'Archevcfque  deLyon,de  l'Ambaifadeur  d'Et 
pagne,  des  plus  riches  Communautez,  Se  du 
Cardinal  de  Gondy  Evefquc  de  Pans,  qui  s'ei- 
toit  volontairement  enfermé  dans  la  ville  pour 
foulager  ion  pauvre  troupeau.  Les  fauffes  nou- 
velles que  la  DucheUe  de  Montpeniier,  tres- 
f(^avante  en  cet  art,  faifoic  adroitement  courir 

FFfiij 


4H       Histoire  de  la  Ligue. 

ijpo.  tous  les  jours  dans  Paris,  &l  les  afleûrances  que 
les  lettres  véritables  ou  fuppolécs  de  ion  frerc 
le  Duc  de  Mayenne  donnoient  de  temps  en 
temps  d'un  prompt  fccours.  Tout  cela,  dis-je, 
JUe  fervit  pas  peu  à  faire  réfoudre  le  peuple  à 
une  fî  merveiileufc  patience. 

Mais  après  tout,  il  faut  avouer  franchement 
que  ce  qui  produifit  plus  que  toute  autre  cho- 
fe  ce  grand  effet,  fut  le  zcle  de  la  Religion 
qu'on  infpira  facilement  aux  Parifîens,  &c  le 
grand  loin  qu'on  prit  de  leur  pcrfuader,  com- 
me on  fît,  que  c'elloit  la  trahir  &c  s'expoicr  à 
un  danger  inévitable  de  la  perdre,  comme  on 
avoit  fait  en  Ansleterrc,  que  de  fe  foumcttrc 
a  un  Roy  qui  raiioit  encore  hautement  prorel- 
(îon  du  Calviniime.  Car  enfin  que  ne  Ht -on. 
pas  pour  les  faire  entrer  dans  ce  ientiment,  & 
pour  les  animer  en  iuite  à  périr  plûtoil  mille 
fois  que  de  fe  rendre  à  un  Roy  Hérétique? 
D'abord  on  le  fervit  de  la  Sorbonne ,  dont  les 
jarif  foBui.  principaux  membres  cltoicnt  les  plus  paliion- 
tw.'rV-    ^cz  Ligueurs,  qui,  comme  ils  avoient  opprimé 
^.?^   _,  ,     fa  liberté,  firent  faire  un  nouveau  Dccret  du 
Uitte.t.^.    lepticmc  de  May,  par  lequel  on  déclare:  Qite^ 
comme  Henry  de  Bourbon  ejlant  Hérétique ,  fcUps,  ^ 
nommément  excommunié  par  noflre  Saint  Père  ,   // 
j>  aurait  danger  évident  qu'il  ne  trompaj}  l'EgliJe ,  ^ 
ne  ruiTuJi  la  Religion  Catholique ,  s'il  impetroit  exte- 
rieurementjon  alJblution ,  les  François  font  oblige:^  en 
çonjcience  d'empejcher  de  toute  leur  forte,  qu'il  ne  par- 


L    I   V   R   E       I  V.  415 ^ 

mienne  à  la  Couronne ,  au  cas  aue  le  Roy  Charles  X.  1590. 
lienne  à  mourir ,  ou  mejme  qu'il  luj  cède  (on  droit  ; 
^  que  comme  tous  ceux  qui  favorijfènt  Jbn  parti  font 
dejert:urs  de  U  Religion ,  &  continuellement  en  pcché 
mortel  oui  les  rend  dignes  des  jeux  éternels  ,  aujj'i 
ceux  qui  perfe'vereront  jufques  à  la  mort  À  luy  réfflerj 
comme  dêjènfeurs  de  U  Foy ,  emporteront  la  palme  du 
Aiartyre. 

Sur  ce  nouveau  Décret  on  tint  une  Afièm-  ».tUù,nt  di 
bléc   générale  à  iHoftel   de    Ville ,    ou  tous  ;:;;.  *^"  " 
ceux  qui  en  furent  jurèrent  qu'ils  mourroient 
plûtolî  de  mille  morts  que   de  confentir  ja- 
mais  à  recevoir  un   Roy  Hérétique.  On  rc- 
nouvclla  ce  ferment  beaucoup  plus  folennel- 
Icmcnt  encore  fur  les  Saints  Evangiles  entre 
les  mains  du  Légat,  au  pied  du  grand  Autel, 
de  l'Eglifc  de  Noftre- Dame,  après  une  Pro-  ^^ 

cefîîon  générale,  à  laquelle,  outre  tous  lesEc- 
cleliaftiques ,  afliftercnt  tous  les  Princes  &:  tou- 
tes les  Princeffes,  toutes  les  Compagnies,  les 
Evefqucs  &  les  Abbcz,  les  Colonels,  les  OflS- 
cicrs,  &  toutes  les  perfonnes  de  qualité,  fuivies 
d'une  infinité  de  peuple ,  &  où  l'on  porta  les 
Châfics  de  toutes  les  Eglilcs  de  Paris.  Ce  fer- 
ment rédigé  par  écrit  fut  porté  dans  toutes 
les  mailons  par  les  Dixeniers  qui  obligèrent 
tous  les  particuliers  à  le  prefter.  Le  Parlement 
fit  en  fuite  un  Arreft  portant  défcnfe  ,  fur 
peine  de  la  vie,  de  parler  d'aucune  compoiî- 
tion  avec  le  Roy  de  Navarre.  Et  fur  tout  les 


«" 4'ié       Histoire  de    la   Licue. 

ijpo.  Prédicateurs  de  laLi2;ue,aur(qucls  le  joignirent 
le  célèbre  Panigarole  Cordclier  Evelque  d'Aft, 
6c  le  itjavant  Jciuire  Bcllarmin_,  Théologiens  du 
Légat Caïe tan, qui  ne  manquèrent  pas  depref- 
chcr  comme  les  aucrcs  tous  les  jours  durant  le 
flege ,  encourageoicnt  leurs  Auditeurs  à  tout 
fouffrir  plûtoft  que  de  fe  foumettrc  à  un  Héré- 
tique, les  afllûrant,  conformément  au  Décret 
de  Sorbonne ,  que  s'ils  mouroient  en  cette  oc- 
cafion,  ils  mourroicnt  pour  laFoy,&  auroicnt 
la  couronne  du  martyre. 

Il  arriva  mclmc  une  chofc ,  qui  toute  ridi- 
cule &  bizarre  qu'elle  paroift,  ne  lailTa  pas  pour- 
tant d'animer  le  peuple,  &  de  le  fortifier  dans 
la  créance  où  il  eftoit  qu'on  devoit  combatte 
c-»y«.  iufqu'à  la  mort,  pour  empefcher  qu'un  Hérc- 

r//i>/»  Fi-  tique  ne  ruit  Roy  de  France.  Car  plus  de  douze 
cens  tant  Ecclefiaftiques  feculiers  que  Religieux, 
entre  leiqucls  clloient  les  plus  aufteres  &c  les 
plus  réformez ,  comme  les  Chartreux ,  les  Mi- 
nimes, les  Capucins,  &  les  FeuïUans,  firent  une 
clpece  démontre,  marchant  en  ordre  par  les 
rues,  portant  lur  leurs  habits  ordinaires  les  ar- 
mes dont  fe  fervent  les  tantailîns,  ayant  à  leur 
terte  Guillaume  Rôle  Evclque  de  Senlis,  &  dans 
un  grand  Etendard  les  images  du  Crucifix  &c 
de  la  Sainte  Vierge ,  pour  montrer  que  comme 
il  s'agiffoit  de  la  Religion  en  cette  guerre,  leur 
protelfion  toute  pacifique  ne  les  difpenibit  pas 
de  l'obligation  qu'ils  avoicnt  de  combatrc  en 

ce 


iiftrt. 


L  I  V  R   E      I  V.  417  

ce  cas  comme  les  autres,  ôc  qu'ils  efloient  fort    i;po. 
réfolus  de  mourir  avec  eux  pour  la  défcnfe  de 
h  Foy. 

Tout  Paris  accourut  à  ce  fpecftacle,  qui  fail- 
lit a  eftrc  funcfte  à  M.  le  Lccrat.  Car  s'eftant 
arreftc  dans  Ton  carrolfe  au  bout  du  PontNolVre- 
Dame,  pour  voir  paflcr  cette  efpece  d'Eglifc 
Militante ,  comme  on  luy  voulut  faire  une  fal- 
ve  pour  l'honorer,  un  de  ces  bons  Pères,  qui 
ne  f(^avoit  pas  fans  doute  que  le  mouiquet  qu'il 
avoit  emprunté  de  quelque  Bourgeois  ciloit 
chargé  à  balle,  tua  bonnement  &  Tans  y  pen- 
fer  un  de  fes  hommes  qui  eftoit  à  la  portière  j 
ce  qui  obligea  ce  Prélat  à  fe  retirer  bien  vifte. 
Cela  n'cmpefcha  pas  néanmoins  que  les  Pari- 
fîens  voyant  que  leurs  Confeil'eurs  ôc  leurs  Di- 
recteurs avoicnt  pris  les  armes,  ne  cruflcnt  qu'ils 
ne  le  faifoient  que  parce  qu'ils  cftoicnt  periua- 
dez  qu'il  s'agiiToit  de  la  Religion  pour  laquelle 
il  falloïc  mourir. 

Mais  ce  qui  les  confirma  encore  plus  dans 
cette  créance,  fut  que  le  Roy,  dont  l'heure  n'ef. 
toit  pas  encore  venue,  ne  voulut  jamais  qu'on 
parlall:  de  fa  converfion  dans  quelques  pour- 
parlers qu'on  fift  inutilement  pour  la  paix.  Et 
quoy-que  le  Duc  de  Nemours,  qu'il  avoir  in- 
vité par  une  lettre  fort  obligeante  à  le  foumct- 
trc,  puis  qu'il  avoir  pleinement  fatisfait  à  Ion 
honneur,  euif  protcité  qu'il  ieroit  le  premier  à, 
luy  cmbrailer  les  genoux,  &c  qu'il  feroit  en  loi- 

GGg 


4i8      Histoire   de    la    Ligue. 

î  ;  9  o.  te  que  tout  Paris  le  rcconnuft ,  pourvcû  qu'il  fc 
fift  Catholique,  il  rejetta  toujours  une  propo- 
Ction  (i  raifonnable.  C'cft  pourquoy,  quelque 
promefTe  folenncUc  qu'il  filt  de  maintenir  la 

,  Religion  Catholique,  les  Parifiens  à  qui  les  Pré- 

dicateurs ,  qui  avoient  tout  pouvoir  fur  leurs 
cfprits,  reprefentoient  fans  cefTe  l'exemple  d'An- 
gleterre ,  ne  purent  jamais  fe  rcfoudrc  à  s'y 
ner. 

Ainfi,eftantperfuadez  qu'ils  ne  fc  pouvoient 
rendre  i'ans  perdre  la  Religion,  ils  eurent  le 
couraee  d'attendre,  en  foutfrant  les  dernières 
cxtrémitez,  le  grand  fecours  que  le  Duc  de 
Parme  leur  amena  lur  la  fin  du  mois  d'Aouft. 
Et  cet  habile  Prince,  fans  donner  bataille,  à  la- 
quelle le  Roy,  qui  fut  contraint  de  retirer  tou- 
tes fcs  troupes  de  devant  Paris,  ne  le  put  ja- 
mais obliger,  tant  il  s'eftoit  bien  retranché  à 
Claye,  eût  la  gloire  d'avoir  exécuté  en  grand 
Capitaine,  de  la  manière  qu'il  luy  plut,  en 
prenant  Lagny  à  la  veûc  du  Roy,  &  délivrant 
Pans,  ce  pour  quoy  il  cftoit  venu.  C'eft  à  l'Hil- 
toire  générale  de  France  de  décrire  tout  le  dé- 
tail de  cette  fameufc  expédition  :  je  diray  feu- 
lement, pour  ne  rien  omettre  de  ce  qui  appar- 
tient préciiement  à  celle  que  j'écris ,  qu'avant 
que  le  Roy  congédiait  fa  NoblefTe  &  partageait 
fes  troupes,  comme  il  fit,  en  pluiieurs  petits 
Corps ,  il  voulut  faire  encore  une  dcmicre  ten- 
-tative  fur  Pans. 


L   I  V   R    E      I  V.  4i«> 

Pour  cet  effet,  la  nuit  duSamcdy  auDiman-    ïji>o. 
che  neuvième  de  Septembre,  il  fit  couler  trois 
à  quatre  mille  foldats  choifis,  avec  une  bonne 
troupe  de  Cavalerie  dans  les  fauxbourc^s  Saint 
Jacques  5c  Saint  Marceau,  fous  la  conduite  du 
Comte  de  ChaftiUon ,  pour  donner  l'efcaladc 
entre  ces  deux  portes  après  minuit,  tandis  que 
tout  le  monde  dormiroit.  Car  il  ne  croyoit  pas 
que   les  Pariiiens,  qui  fçavoient   que  l'armcc 
avoir  cfté  tout  le  Samedy  en  bataille  dans  la 
plaine  deBondy,  deulTent  fc  tenir  fur  leur  gar- 
de de  ce  collé -là.    Mais  comme  on  avoir  eu 
quelque  avis  de  ce  deflein,  ôc  que  d'ailleurs  les 
troupes  ne  purent  entrer  dans  ces  fauxbourgs 
fans  faire  bien  du  bruit,  on  en  prit  auffitoil 
l'alarme,  on  fonna  le  tocfîn  par  tout,  ôc  le 
Bourgeois  accourut  en  foule  lur  les  remparts ^ 
principalement  en  cet  endroit-là.  Mais  enfin, 
comme  après  avoir  attendu  long-temps  rien  ne 
parut,  &:  qu'on  n'entendoit  plus  aucun  bruit, 
parce  que  les  ennemis  couverts  des  fauxbourgs 
gardoient  un  profond  filcnce  fans  remuer  j  on 
prit  cela  pour  une  faulfe  alarme.    On  ceiTa  de 
îonner,  ôc  chacun  fe  retira  dans  fa  maiion,  ex- 
cepté dix  Jcfuites ,  qui  plus  vigilans  que  les  au- 
tres demeurèrent  fermes  tout  le  reftc  de  la  nuit  fJ.T'&f/^' 
dans  ce  pofte,  qui  n'ell:  pas  loin  de  leur  Collège.  ^^'^"'■ 

Cependant  les  foldats  de  ChaftiUon  s'cftant 
fort  doucement  coulez  dans  le  foflé,  commen- 
cèrent fur  les  quatre  heures  du  matin  à  planter 

GGgij       ^ 


4^'^     Histoire   de  la   Ligue. 

ï  j  5)  o.  leurs  échelles,  à  la  faveur  d'un  grand  brouillard 
qui  les  couvroit,  de  forte  qu'il  eftoic  impolli- 
blc  qu'on  les  découvnft.  La  partie  cftoit  fort 
bien  faite  ;  car  on  n'avoit  befoin  que  de  dix 
ou  douze  foldats,  qui  s'eftant  jettcz  dans  la 
ville  euflent  ouvert  la  Porte  Saint  Marceau  à 
leurs  troupes,  par  l'intelligence  que  l'on  avoit 
avec  un  Capitaine  de  ce  quartier-là.  Apres  quoy 
l'on  fe  full  aifément  rendu  maillre  de  i'Univer-i 
fîtéi&  en  fuite  la  Ville  &  la  Cité  euflent  mieux 
aimé  s'accorder  avec  le  Roy ,  que  de  voir  Paris 
devenu  la  proye  de  deux  grandes  armées,  en 
recevant,  pour  eftre  fecourues,  celle  du  Duc  de 
Parme  par  la  Porte  Saint  Martin. 

Mais  la  vigilance  des  dix  Jefuites  rompit  de 
fî  juftes  mefurcs.  Car  ayant  entendu  le  bruit 
que  faifoient  dans  le  fofle  ceux  qui  appuyoienc 
leurs  échelles  contre  la  muraille,  Us  fe  mirent 
à  crier,  y4ux  armes,  de  toute  leur  force.  Les  fol- 
dats  néanmoins  ne  laiflcrent  pas  de  monter  j& 
le  premier  qui  fe  fit  voir  tout  preft  à  fe  jetter 
fur  le  rempart,  parut  jullcment  à  l'endroit  où 
cftoit  un  de  ces  bons  Pcrcs,  qui  luy  donna  un 
fi  grand  coup  d'une  vieille  hallebarde  qu'il  te- 
noit  eftanc  là  en  fentinelle,  qu'il  la  luy  rom- 
pit en  deux  fur  la  tefte ,  &c  le  renverfa  du  haut 
de  l'échelle  dans  le  fofle.  Les  Compagnons  de 
ce  vaillant  Jefuitc  en  firent  autant  à  deux  au- 
tres, &  un  quatrième  qui  cftoit  déjà  monté, 
^  tcnoic  d'une  main  fon  échelle  pour  dcfcen- 


I'  ï  V  R  ï     I  V.7 .  ^  :  il        411 

drc  dans  la  ville,  &  de  l'autre  un  grand  couce-  i  5po. 
las  pour  fendre  la  teltc  au  premier  qu'il  ren- 
contrcroit,  fut  arreftc  par  deux  de  ces  Pères, 
cjui  avec  chacun  une  pcrcuiianc  le  pouflcrent  fi 
vigourculement ,  que  malgré  tous  les  coups 
qu'il  leur  portoit  inutilement  de  trop  loin,  de 
peur  d'cftre  enferré  de  ces  pertuiianes,  ils  le 
contraignirent  enfin  de  quitter  Ton  échelle,  & 
l'ayant  blefle  à  la  ^orge,  le  firent  tomber  après 
fcs  compagnons  dans  le  fofle. 

Les  deux  premiers  Bourgeois  qui  accoururent 
au  iecours,  furent  l'Avocat  Guillaume  Balden, 
&  le  fameux  Libraire  Nicolas  Nivelle.  Ceux- 
cy  trouvant  un  de  ces  Jeiuitcs  aux  prifes  avec 
un  foldat  qui  montoit  malgré  tous  les  foiblcs 
efforts  que  ce  pauvre  Pcrc  falloir  pour  l'en  em- 
pefcher,  fc  joignirent  à  luy,  &c  l'aidcrent  à  le 
tucrj  ôc  l'Avocat  fe  tournant  prelque  en  mcf- 
me  temps  vers  un  autre  qu'il  apperceût  déjà 
monté,  luy  déchargea  d'un  revers  de  Ion  cou- 
telas un  fi  grand  coup  fur  la  main  droite,  qu'il 
la  luy  coupa  tout  net ,  &  luy  fit  fauter  la  mu- 
raille. Cependant  comme  l'alarme  avoir  recom- 
mencé fort  chaudement,  on  courut  de  tous  les 
quartiers  en  cet  endroit  de  la  muraille.  On  jet- 
ta  force  paille  allumée  dans  le  foflé,  où  l'on 
découvrit  aifément  les  troupes  du  Roy,Liqucl- 
les  abandonnant  leurs  échelles  &:  leur  entrepri- 
fc  qui  ne  pouvoir  plus  réulfir,  fc  retirèrent  au 
gros  de  l'armée.  .  . 

"GGgiij 


4^1     Histoire    de   la  Iigue. 

:  j  «>  o.  Ainfî  peu  de  chofc  cmpelcha  qu'on  ne  vint 
à  bout  d'un  fort  grand  defTcin.  Car  il  eft  cer- 
tain que  fi  CCS  dix  Jciuitcs  euffent  fait  comme 
les  Bourgeois,  &c  qu'ils  s'en  fuflcnt  retournez 
dormir  dans  leur  Collège  après  la  première  alar- 
me qu'on  tint  pour  faufle ,  le  Roy  fuft  entre  ce 
jour-là  dans  Pans.  Mais  la  Providence  Divine 
avoir  réfervé  ce  bonheur  pour  un  temps  plus 
favorable  à  la  Religion  &:  à  la  Ville,  où  le  Roy- 
vainqueur  de  la  Ligue  devoir  entrer  paifible- 
ment,  après  avoir  fait  folcnnellcment  profeflion 
de  la  Foy  Catholique. 

•  :•  Cependant  les  aftaires  de  la  Ligue  bien  loin 
de  s'avancer  en  fuite  de  cette  expédition  qui 
fut  très  -  gloriculc  au  Duc  de  Parme,  furent 
bientofl  après  réduites  en  plus  mauvais  cftat 
qu'auparavant,  par  l'horrible  divifion  qui  fc 
mit  dans  le  parti,  &  par  la  fage  conduite  du 
Roy.  Car  voyant  que  c'cftoit  en  vain  qu'il  cf- 
peroit  de  pouvoir  attirer  à  la  bataille  l'enne- 
mi ,  qui  depuis  la  prife  de  La^ny  s'eftoit  fort 
à.  fon  aifc  &  en  feûretc  étendu  dans  la  Brie, 
il  renvoya  une  partie  de  fcs  troupes  fc  ra- 
fraifchir  dans  les  Provinces  voifines,  ôc  il  mit 
l'autre  en  garnilon  dans  les  places  qui  pou- 
voient  encore  empelcher  le  commerce  avec  les 
Parifiens ,  &c  principalement  à  Saint  Denis, 
qu'il  avoit  pris  durant  le  fiege  de  Paris,  ôc  où 
le  Chevalier  d'Aumale,  qui  faillit  à  repren- 
dre cette  place  peu  de  temps  après,  fut  tué 


L   t   V   R  E      IV. 


4î3 


comme  il   en    cftoic   déjà   prelquc    le    maii-    ij^o. 
trc. 

Luy  cependant,  avec  un  Camp  volant,  bat- 
toit  la  campagne  pour  couper  les  vivres  auxPa- 
riilcns  &  à  l'armée  du  Duc  de  Parme  ,  qui 
après  avoir  perdu  bien  du  temps  à  prendre  Cor- 
beil,  qu'on  reprit  bientoft  fur  la  Ligue,  fut 
contraint  de  s'en  retourner  en  Flandre ,  ayant 
toujours  à  les  trouflcs  le  Roy  qui  le  liarccloic 
fans  cefl'e ,  &  qui  luy  fit  fouffrir  de  grandes  in- 
commoditez  jufques  fur  la  frontière  d'Artois, 
où  il  prit  la  peine  de  le  reconduire.  Il  fit  en 


fuite  une  autre  tentative  fur  Pans ,  qu'il  penfa     ^^^ 

furprendre  par  la  Porte  Saint  Honoré  avec  for-    j  ^  „  j 

ce  charcttes  chargées  de  farines ,  &:  conduites 

par  de  vaillans  hommes  déguifez  en  paifans. 

Le  ftratagême  n'ayant  pu  réiiflir,  parce  qu'on 

fe  douta  de  l'entreprife ,  il  ramafTa  toutes  fes  ^""-  ^'  ^* 

troupes,  &  alla  mettre  le  liege  devant  Chartres, 

qui,  après  une  vigoureufe  dcfenfe  de  plus  de 

deux  mois,  n'ayant  pu  recevoir  aucun  iecours 

du  Duc  de  Mayenne, fut  enfin  contraint  de  fc 

rendre. 

Ce  fut  particulièrement  par  la  valeur,  &:  par 
l'adrefTe  &  l'indullne  du  vaillant  Comte  de 
ChaftiUon  Colonel  de  l'Infanterie  Françoife, 
■que  cette  ville  importante  fut  prile.  Car  ce  jeu- 
ne Seigneur,  qui  avoir  autant  d'elprit  que  de 
courage,  &c  s'eftoit  rendu  tres-habilc,  fur  tout 
dans   les  Mathématiques ,  trouva  l'invention 


4^4     Histoire    de   la   Ligue. 
1 55»  I.    d'un  pont  de  bois ,  qu'il  fit  jcttcr  par  une  nou- 
cs^tt.  yçjiç  {onc  de  machine  fur  le  fofle ,  &  par  Ic- 

quel  on  alloit  a  couvert  &ians  danger  julqu'au 
pied  d'une  grande  brciche  qu'il  avoir  faite  du 
codé  de  Galardon.  Apres  quoy  le  ficur  de  la 
Bourdaificre,  qui  s'cftoit  bravement  défendu 
^jufques  alors,  ne  voyant  plus  d'apparence  de 
pouvoir  réfifter  fans  témérité,  fit  la  capitula- 
tion, que  le  Roy  toujours  généreux  &  toujours 
grand  amateur  de  la  vertu  dans  fes  ennemis 
mefmes,  Juy  accorda  très -honorable. 

Ainfi  Chaftillon,  qui  avoir  toujours  fi-bicn 
fervi,  fournit  glorieulement  la  carrière  dans  la 
fleur  de  fon  â^e.  Car  enfin  ce  fut-là  la  dernière 
des  belles  actions  de  ce  brave  Colonel  de  l'In- 
fanterie Françoife,  qui  mourut  peu  de  temps 
après  dans  fa  maifon  de  Chaftillon  fur  Loin, 
de  la  maladie  que  luy  avoient  caufé  les  fati- 
gues d'un  ficge  où  il  avoit  aquis  tant  de  gloi- 
re. Il  fut  extrêmement  rco;retc  mefme  des  Ca- 
tholiqucs,  qui  luy  trouvoicnt  de  grandes  dif- 
pofitions  à  renoncer  bientoft  au  Calvimfmc 
dont  il  commcnçoit  à  le  defabuier,  quoy-quc 
l'Admirai  deColigny  Ion  père,  très-grand  Hu- 
guenot, l'y  euft  Ibigneuiement  inftruit.  Mais 
ce  bonheur,  dont  il  ne  jouît  pas, fut  pour  fon 
cadet  le  Seigneur  d'Andeiot,  à  qui  Dieu  l'a- 
voit  réicrvé,  &:  qui  comme  un  autre  Jacob 
receût  la  bcncdi(^ion  qui  ne  fut  pas  pour  ion 
aifnc. 

AuiTi 


L  I  V  R  E     I  V.  4iy 

Auflî  a-t-il  cflé  heureux  dans  Ta  pofteritc,  i  jpi. 
qui  en  Icrvant  avec  beaucoup  de  zèle  le  Roy 
Se  la  Religion,  a  réparé  le  mal  que  l'Admirai 
avoit  fait  par  fa  révolte  contre  l'un  &  l'autre. 
Et  c'eft  afleûrément  une  grande  marque  de  ce 
bonheur,  que  nous  ayions  veû  de  nos  jours  les 
troupes  du  Roy  commandées  par  le  Comte  de 
CoUgny  pour  le  fecours  de  l'Empereur  contre 
les  Turcs  ,  remporter  fur  eux,  à  la  mémora- 
ble journée  de  Saint  Godard,  cette  glorieufc 
vidloire  qui  délivra  l'Empire  du  danger  évident 
où  il  le  trouvoit  de  tomber  enfin  fous  la  do- 
mination de  ces  Infidelles. 

Au  rerte ,  ce  dernier  fervice  que  Chaftillon 
rendit  au  Roy  fut  très  -  important  pour  l'heu- 
reux fuccés  des  affaires  de  ce  grand  Prince,  Car 
comme  il  tenoit  déjà  les  paffages  de  toutes  les 
rivières  qui  fe  déchargent  dans  la  Seine  pour 
amener  des  vivres  à  Pans,  s'eftant  de  plus  ren- 
du  maillre  ablolu  de  la  Beauce  par  la  rédu- 
ction de  Chartres  &  des  autres  petites  places 
de  la  mefme  Province ,  cette  grande  ville  fe 
trouva  tout -à-coup  comme  invel^ie  de  tous 
coflez  en  mcfme  temps  qu'il  recevoit  de  toutes 
parts  les  nouvelles  des  grands  avantages  qu'a- 
yoicnt  eus  fur  les  Ligueurs,  Lcldiguiercs  en 
Dauphiné,  où  il  fut  receû  dans  Grenoble  j  la 
Valette  en  Provence  ;  le  Marefchal  de  Matignon 
en  Guyenne,  où  Bordeaux  qui  s'eiloit  mamte- 
nu  jufqu'alors  dans  une  certaine  efpecc  de  ncu- 

HHh 


,  ^i6       Histoire  de  la  Ligue. 

ijtfi.     traliré,  rendit  obéïflance  au  Roy,  &c  les  Ducs 
de  Montpenfier  &  de  Nevers  en  Normandie  & 
en  Champagne, 
CMjtt.  Mais  enfin  ce  qui  acheva  de  ruiner  entière- 

ment la  Ligue ,  que  les  armes  du  Roy  avoient 
déjà  fî  fort  affoiblie,  fut  la  furieufe  divifion 
qui  fe'  mit  parmi  Tes  Chefs  à  cette  occafion  que 
je  vais  dire.  Le  Duc  de  Parme  avoir  fort  bien 
reconnu  que  le  Duc  de  Mayenne,  dont  il  n'ef. 
toit  pas  déjà  trop  fatisfait,  vouloit  bien  fe  fer- 
vir  des  Efpagnols  pour  fe  maintenir  luy-mefmc 
Se  fon  parti  contre  le  Roy ,  mais  non  pas  les 
fervir  pour  les  rendre  maiftres  du  moins  d'une 
partie  de  la  France,  comme  ils  le  prctendoient, 
ou  pour  faire  élire  un  nouveau  Roy  qui  dé- 
pendit d'eux ,  parce  que  le  vieux  Cardinal  de 
Bourbon  eftoit  mort  depuis  peu  dans  fa  prifon 
de  Fontenay  le  Comte.  C'eil  pourquoy  il  ne 
manqua  pas  de  faire  entendre  au  Roy  Philippe 
qu'il  ne  falloit  plus  compter  lur  ce  Prince,  qui 
d'ailleurs  avoir  perdu  beaucoup  de  Ion  crédit 
pour  le  mauvais  fuccés  de  (es  affaires,  &  qu'il 
eftoit  bien  plus  expédient  de  gagner  les  Com- 
munautez  des  grandes  villes,  &  fur  tout  les 
Seize  de  Paris,  qui  pour  fc  remettre  &c  le  main- 
tenir dans  l'autorité  que  le  Duc  de  Mayenne 
leur  avoit  oftée  de  nouveau,  fcroicnt  aifémcnt 
tout  ce  qu'on  voudroit. 

Philippe  luivit  ce  confeil,  ôc  les  Seize,  qui 
haïlloient  morrellemenc  le  Duc  de  Mayenne , 


I 


Livre     IV.  417 


Ce  voyant  appuyez  des  Elpagnols,  avec  Icfqucls     i  j 5?  i. 
ils  prirent  de  très -fortes  &  très -particulières 
liaiibns,  entreprirent  tout  ouvertement,  quel- 
que mépris  qu'il  fill  de  ces  gens-la,  de  le  réta- 
blir, malcrré  qu'il  en  cuft,  dans  leur  première 
autorité.  Et  ce  qui  leur  haufla  le  courage,  &c 
les  rendit  encore  plus  hardis  à  exécuter  les  ré- 
lolutions  violentes  qu'ils  prirent,  fut  que  Gré- 
goire XIV.  qu'on  venoit  d'élever  au  Souve- 
rain Pontificat,  le  déclara  pour  eux,  imitant  en 
cela  les  Efpacrnols,  &  prenant  tout  le  contre- 
pied  de  Sixte  V.  ' 
Ce  Pape  Sixte  ^  qui  avoit  fi  maltraité  le  cajfet.  t.T. 
Roy  de  Navarre  par  cette  Bulle  foudroyante           ^ 
qu'il  fit  publier  contre  luy  ,  &  qui  ne  vouloit 
pas   enluite  qu'il  fuft  Roy  de  France,   avoit 
bien  changé    de    Icntiment    après    qu'il    eût 
clf  é  bien  informé  des  affaires  de  ce  Royaume., 
Car    ayant  fait    de  folidcs  réflexions  fur   le 
palfé,  fans  fe  laiffer  préoccuper,  il  avoit  clai- 
rement connu  le  grand  mente  du  Roy ,  qu'ii 
tafchoit  alors  de  regagner  àrEgliic  par  la  dou- 
ceur i  l'ambition  àcs  Chefs  de  la  Ligue  y  les 
fourberies  de  leurs  Agens ,  qui  l'avoient  h  fou- 
vent  trompé  par  leurs  faufles  relations;  &  fur 
tout  les  pernicieux  deilcins  des  Elpagnols,  qui 
pour  l'engager  tellement  avec  eux  qu'il  ne  s'en 
puil  dédire,  vouloient  à  toute  force  qu'il  ex- 
communiaft  tous  les  Catholiques  qui  iuivoienc 
le  Roy,  ôc  qu'il  s'obligeaft  par  ferment  à  ne 

HHh  ij 


■  ...—"■  4-iî     HisToi6.fi  CE  tA   Ligue. 
I  j5  I,    le  recevoir  jamais  dans  le  fein  de  l'Eglife, quel- 
que foumiffion  qu'il  luy  puft  faire. 

Ils  en  vinrent  mefme  jurquà  le  menacer,  s'il 
ne  le  falloir ,  de  protefter  en  pleine  AlTembléc 
contre  luy ,  de  de  pourvoir  par  d'autres  voyes 
à  la  confervation  de  l'Eglife  puis  qu'il  l'aban- 
donnoit.  Cela  le  mit  fi  fort  en  colère,  comme 
c'eft  celuy  de  tous  les  Papes  qui  a  efté  le  moins 
capable  de  fouffrir  de  pareilles  iniultcs,  qu'op- 
poiant  menace  à  menace,  il  dît  nettement  à 
A,'T>ot  fur  i'AmbalTadeur  Olivares,  qu'il  luy  feroit  tran- 
cher la  tcfte,  s'il  avoit  l'audace  de  pafTer  outre  : 
ce  qu'il  fe  garda  bien  de  faire ,  f(^achant  que  de 
«  l'humeur  dont  eftoit  Sixte,  il  ne  l'euftpas  man- 

qué. 

Il  y  en  a  mefme  qui  croyent  que  bien  loin 
de  fe  vouloir  joindre  à  la  Ligue  contre  le  Roy, 
comme  les  Efpagnols  l'en  foliicitoient  fans  cef- 
fe,  pour  leur  intereft,  il  avoit  réfolu  d'employer 
les  cinq  millions  d'or  qu'il  avoit  amaffez  du- 
rant fon  Pontificat  dans  le  Chafteau  Saint  An- 
ge, à  leur  faire  la  guerre,  pour  les  chafTer  du 
Royaume  de  Naples.  Mais  la  mort  qui  l'enle- 
va foudainement  le  vingt-feptiéme  d'Aouft  de 
l'année  précédente ,  luy  rompit  toutes  fes  me- 
furcs. 

Les  Ligueurs,  qui  ne  gardoient  aucune  bien- 
fcance,  diffimulerent  fi  peu  la  joye  qu'ils  en  eu- 
rent, que  la  nouvelle  en  eilant  arrivée  a  Paris  le 
cinquième  de  Septembre,  Aubry  Curé  de  Saint 


L   I  V   R  E      I  V.  42<) 

André  des  Arcs,  homme  écralcment  foible  &    155)1. 
étourdi,  l'annonçint  au  peuple  dans  ion  Icr- 
monjOla  dire  que  cette  mort  clloit  arrivée  par 
miracle  entre  les  deux  Fcftcs  de  Noitrc-Damc, 
&C  ajoufta  ces  propres  mots:  Dieu  noi^s  a  dt4i- Thu/,>t.i.i»o: 
'vre'Z  d'un  méchant  Papc^  ç^r  Politique:  s'îleuj}  njefcu  Annot.fui  h 
^lus  long-temps,  on  eufi  ejlê  bien  étonné  d'ouir  prejcher'''"^*"'' 
dans  Paru  contre  le  Pape,  ^  il  l'eujl  fillu  faire.  Voi-~ 
là  comment  ces  Prédicateurs  de  la  Ligue  avoient 
l'eiprit  garté  par  leur  pallion  qu'ils  communi- 
quoient  ailément  au  peuple,  qui  fuivoit  bon- 
nem.ent  en  aveugle  ces  malins   aveugles  auf- 
quels  il  fe  lailloit  conduire ,  &  qui  le  faifoienc 
milerablemcnt  tomber  avec  eux  dans  le  pré- 
cipice. 

Grégoire  XIV.  Milanois,  qui  fut  élevé  au  cayn: 
Souverain  Pontificat  après  Urbain  VIL  lequel 
ne  tint  le  Siège  que  treize  jours,  prit  une  con- 
duite toute  contraire  à  celle  de  Sixte  V.  Il  fe 
joignit  aux  Efpagnols,  &  fe  déclara  hautement 
en  faveur  de  la  Ligue  de  la  manière  qu'ils  vou- 
lurent. Car  laifTant  là  le  Duc  de  Mayenne  & 
les  autres  Princes  de  la  mailbn  dont  les  Eipa- 
gnols  fe  foucioient  peu ,  il  écrivit  d'abord  aux 
Seize  pour  les  encourager  à  perievercr  conf- 
ramment  dans  la  rélolution  qu'ils  avoient  tou- 
jours témoignée  de  ne  vouloir  jamais  fe  fou- 
mettre  à  Henry  de  Bourbon.  Il  leur  promit 
quinze  mille  écus  par  mois,  pour  tout  autant 
de  temps  qu'il  jugeroit  qu'ils  en  auroient  be- 

HHh  11] 


430     Histoire   de   la    Ligue. 

ij5)i.  foin,  &  une  armée  de  douze  mille  hommes  en- 
tretenue a  fcs  dépens,  qu'il  leur  envoya  peu  de 
temps  après  fous  la  conduite  d'Hercule  Sfon- 
drate  fon  neveu,  qu'il  fit  Duc  de  Montemar- 
ciano. 

Et  pour  joindre  les  armes  fpirituelles  aux 
temporelles,  il  fit  porter  en  France  par  le  Ré- 
férendaire Marcelin  Landriano  Ton  Nonce,  un 
Monitoirc,  par  lequel  il  excommunioit  tous 
les  Prélats  &  tous  les  autres  Ecclefiaftiques  du. 
parti  du  Roy,  de  les  privoit  de  leurs  Bénéfices, 
il  dans  un  certain  temps  fort  court  ils  ne  l'a- 
bandonnoient,  le  retirant  mefme  des  terres  de 
fonobéifiance^  il  obligeoit  laNoblcfTe,  lesgens 
de  Robe  &c  le  peuple  à  faire  le  mefme  ■■,  &  en- 
fin déclaroit  Henry  de  Bourbon  relaps,  excom- 
munié ,  ôc  décheû  du  Royaume  ôc  de  toutes  fes 
Seigneuries, 

Il  y  a  quelquefois  des  tonneres  qui  font  grand 
bruit  &c  ne  font  point  du  tout  de  mal ,  parce 
que  l'exhalaifon  enflammée  qui  fort  de  la  nue 
s'évapore,  (oit  par  fon  peu  de  conlillence,  foit 
par  une  violente  agitation  de  l'air  qui  la  difii- 
pe  avant  qu'elle  arrive  jufques  à  nous.  De  tous 
les  foudres  qui  ont  eif  é  lancez  du  Vatican  con- 
tre les  Princes,  il  s'en  tr-ouvera  peu  qui  ayentfait 
autant  de  bruit  que  celuy-cy ,  qui  fut  accom- 
pagné d'une  armée  quij'e  devoit  joindre  aux 
forces  de  la  Ligue  6c  de  rEtpagne.  Et  néan- 
moins il  ne  fit  prcfque  nul  eifcr,  par  le  foin 


L    I   V    R    E      I  V.  431  

qu'on   prit  de  faire  voir,  en  pluficurs  écrits     i;5)i. 
qu'on  fit  courir  par  tout,  les  nullitez  de  cette  ■;^'"^,  1' 'f 

1  I         .  -  /  ,  .  Cour  de  TarU- 

Bulle,  &  par  les  visjoureules   reiolutions  du '»"''/'•'«' * 
Conlcil  du  Roy ,  du  Parlement  féant  à  Tours  Arreft  it  u 
&  à  Chaalons,  &  du  Clergé  de  France  aflcm-  ""ZtVct':. 
blé  à  Mante,  qui  la  condamnèrent  comme  abu-  '"""'  '"J*»» 
iîvc  chacun  en  fa  manière.    De  forte  que  pas 
un  des  Catholiques  n'abandonna  pour  cela  le 
parti  du  Rov,  dont  on  efperoit  toujours  la  con- 
verfion  auflitoil:  qu'il  auroit  la  commodité  de 
fe  faire  inftruirc.    Tant  nos  Anceilres  eftoient 
perfuadez  que  la  puilfance  des  Papes  comme 
chefs  de  l'Êglife  ne  s'étend  point  du  tout  fur 
le  temporel ,  &  beaucoup  moins  fur  les  droits 
des  Couronnes,  &  qu'elle  ne  peut  rien  ordon- 
ner au  préjudice  de  l'obéifTance  &  de  la  fidé- 
lité qu'on  doit  aux  Rois  en  toutes  les  chofes 
qui  ne  font  point  manifeftement  contre  Dieu. 

Il  efl;  vray  que  ce  Parlement,  qui  eftoit  à  Paris 
pour  la  Ligue,  receijt  cette  Bulle,  ôc  qu'il  caifa 
les  Arreits  de  Tours  &  de  Chaalons.  Mais  il  ■••"'- 
cft  évident  qu'il  n'eftoit  pas  libre ,  le  trouvant 
opprimé  par  la  tyrannie  des  Seize,  qui  l'avoienc 
comme  enchaifné  par  la  crainte  d'eftre  mené 
encore  un  coup  captif  &  en  triomphe  à  la  Baf- 
tille.  Ainfi  ces  efprits  turbulens  qu'on  peut  jui- 
tement  appeller  les  Seize  Tyrans  de  Pans,  fc 
voyant  appuyez  de  la  protection  du  Pape  d'une 
manière  \\  éclatante,  en  devinrent  beaucoup 
plus  fiers  &  plus  hardis  à  entreprendre  contre 


453^       Histoire  de  la  Ligue. 

«j^i.  l'autorité  du  Duc  de  Mayenne  ^  &  leur  fierté 
s'accrut  encore  par  une  réponfe  fort  furpre- 
nante  que  le  Roy  d'Efpagne  fit  aux  Députez 
des  Princes  Lorrains. 

Ces  Princes  s'eflant  aflemblez  à  Reims ,  ou 
fe  trouva  le  Cardinal  de  Pelvé,  que  le  Duc  de 
Mayenne  avoir  fait  pourvoir  de  rArchevefché 
de  cette  ville, ne  trouvèrent  point,  dans  l'im- 
puifLince  où  ils  eftoient  de  réfillcr  tout  feuls 
au  Roy,  d'autre  moyen  de  fe  fauver,  que  d'ob- 
tenir du  Roy  Philipe, qu'il  les  aiTiilail  de  tou- 
tes fes  forces,  afin  qu'ils  fuffent  en  eftat  de 
maintenir  le  Roy  qu'on  avoit  réfolu  d'élire  dans 
les  Ertats  Généraux  qu'ils  dévoient  faire  affem- 
blerpour  cet  effet,  chacun  d'eux  prétendant  en 
fon  particulier  à  cet  honneur,  fans  toutefois 
que  pas  un  d'eux  ofall  fe  déclarer  ouvertement, 
de  peur  de  s'attirer  l'inimitié  de  fes  rivaux  , 
qui  ne  manqueroient  pas  de  s'unir  tous  enfem- 
ble  contre  luy  pour  luy  donner  l'exclufion. 
Mémoires  de  Celuv  QUc  l'on  choifit  Dout  iieçTotier  en  EC 
pagne,  rut  ie  célèbre  Pierre  Jannin  Prelident 
au  Parlement  de  Bourcroane  ,  homme  d'une 
grande  probité ,  d'un  fens  exquis ,  d'une  rare 
prudence,  &:  d'une  fidélité  inviolable,  qui  luy 
avoit  aquis  toute  la  confidence  du  Duc  de 
Mayenne,  auquel,  &  en  fuite  au  parti  de  la  Li- 
gue, il  s'ell:oit  attaché  de  bonne  foy  pour  le 
bien  de  la  Religion  ^  de  l'Eftat.  Car  d'une 
part  il  ne  croyoït  pas  qu'on  puil  conferver  en 

France 


L  I  V  R  E      I  V.  433 

France  la  Religion  fi  le  Roy  n'cfloit  Catholi-  i  jp  i. 
que,  il  prétcndoit  donc  qu'il  le  fuftj  &  de 
l'autre eftant  bon  François,  il  vouloit  bicncom- 
me  Ton  Maiftre,  fe  fervir  des  Efpagnols  pour 
venir  à  fes  fins ,  mais  non  pas  les  fervir  pour 
favoriier  dans  la  moindre  chofe  leurs  injuftes 
prétentions  au  préjudice  de  l'Eftar. 

Eftant  tel  que  je  viens  de  dire,  il  ne  luy  fut  ' 
pas  difficile  de  découvrir  les  intentions  de  Phi- 
lippe, qui  fe  tenant  affeilrc  des  Seize,  dont  il 
croyoit  la  faction  bien  plus  puiflante  qu'elle 
ne  l'eftoit  en  effet,  s'avanc^a  jufqu'à  faire  enten- 
dre fort  clairement  ce  que  cette  prudence  ex- 
quife  dont  il  le  piquoit  le  devoit  obliger  en 
bonne  politique  de  tenir  encore  caché,  en  at- 
tendant l'occafion  de  le  faire  connoiiVc,  quand 
il  auroit  dilpofe  toutes chofes  pour  exécuter  ce 
qu'il  prétendoit.  Après  que  le  Préfident  luy  ciit 
xeprefenté  dans  les  audiances  qu'il  cîlt,  les  necet 
iitez  de  la  foibleffe  de  la  Ligue,  les  forces  &  les 
progrés  du  Roy,  l'extrême  danger  où  eftoit  la 
Religion,  de  la  gloire  immortelle  qu'il  auroit 
de  l'avoir  confervée  dans  le  Royaume  Tres- 
Chreftien,  par  les  fccours  qu'on  attendoïc  de 
fon  zèle  &c  de  fa  puiffance  :  ce  Prince  qui  vou- 
loir vendre  ion  fecours  à  un  plus  haut  prix  que 
celuy  de  la  gloire  fans  profit,  s'ouvrit  là-dellus 
fans  façon  d'une  manière  affez  furprenante. 
Car  il  luy  fit  dire  par  le  Secrétaire  Dom  Jean 
d'Ydiaqucz,  qu'il  ayçit  réfolu  de  marier  l'Ia-. 

^     '  .       Ili 


fyfi^ 


—- — — 434     Histoire   oe   la  Ligue. 

ijpi.  fante  Ifabelle  fa  fille  unique  à  l'Archiduc  Er- 
neft,  &c  de  luy  donner  en  doc  les  Païs-Bas  j  & 
puis  que  pour  conferver  en  France  la  Religion 
il  falloir  avoir  un  Roy  Catholique ,  qu'on  ne 
pouvoir  mieux  choilir  que  cette  PrinceiTe,  qui 
comme  nièce  des  trois  derniers  Rois,  &  peti- 
te fille  de  Henry  1 1,  eftoit  fans  contredit  plus 
proche  d'eux  que  les  Bourbons  j  qu'avec  elle  on 
réiinifToit  tous  les  Païs-Bas  à  la  Couronne  j  & 
qu'ayant  outre  cela  toutes  les  forces  de  la  Mai- 
fon  d'Auftriche  pour  la  fecôurir  ,  on  auroit 
bientoft  exterminé  les  Hérétiques,  &  chafTé  du 
Royaume  le  Prince  de  Bearn. 

Le  Préfident  ravi  d'avoir  dans  cette  étran- 
ge propofition  de  quoy  defabufer  entière- 
ment le  Duc  de  Mayenne,  &  le  confirmer  dans 
les  bons  fcntimens  que  le  fieur  de  Ville  -  Roy 
luy  avoir  infpircz,  répondit  avec  tant  d'adreflè 
au  Roy  Philippe ,  qu'en  luy  oppofant  affez  dou- 
cement la  Loy  Sahque ,  il  ne  luy  ofta  pas  pour- 
tant l'efperancc  de  réiiflir  en  fon  delfein.  De 
forte  qu'il  tira  de  luy  la  promclfe  d'un  grand 
fecours  d'hommes  &  d'argent,  qu'il  ne  manqua 
pas  de  fournir  peu  de  temps  après.  Et  le  Duc 
apprenant  que  félon  cet  ambitieux  deflein  des 
Efpagnols  il  ne  pourroit  jamais  prétendre  à  la 
Royauté,  fit  en  fuite  tout  ce  qu'il  put  pour 
rompre  toutes  leurs  mcfures,  &pour  empeicher 
qu'on  n'éleuft  pour  Roy,  non  pas  mefme  un 
Prince  de  fa  Maifon  qui  pull  époufcr  cette  la- 


.yitviit. 


L   I  V  R    E      I  V.  43; 

fantc.  Au  contraire,  les  Seize  qui  s'eftoient  tout    i  y  5»  i. 
dévouez  aux  Elpagnols  pour  en  eftre  puiflam-  ^'"'-^  ''/  '* 
ment  protégez  contre  luy ,  écrivirent  au  Roy  f-  ***• 
Prulippe,  par  un  certain  Père  Matliieu,autrc  que  jf/uiuicontri 
le  Jeiuite,  une  grande  Lettre,  dont  l'origmal  ÏX»â«^* 
intercepté  prés  de  Lyon  fut  apporté  au  Roy,  c»y^"-^> 
de  dans  laquelle ,  après  avoir  rendu  très  -  hum- 
bles grâces  à  Sa  Majefté  Catholique  pour  tant 
de  bienfaits  qu'ils  en  ont  receûs,  ilsla  lupplient, 
il  elle  réfute  d'accepter  la  Couronne  de  Fran- 
ce, de  leur  donner  un  Roy  de  fa  Maifon,  ou 
quelque  autre  Prince  qu'il  luy  plaira  de  choifîr 
pour  ion  gendre. 

De  plus,  la  divifion  qui  fe  mit  entre  le  Duc 
de  Mayenne  ôc  les  plus  proches  parens  accrut 
de  beaucoup  la  puiffance,  de  en  fuite  la  har- 
dielTe  &c  l'iniolence  de  ces  fatlieux.  Car  d'une 
part  le  Duc  de  Nemours  extrêmement  irrité 
de  ce  qu'après  avoir  fi  bien  défendu  Paris ,  il 
luy  avoit  refufé  le  Gouvernement  de  Nor- 
mandie, où  il  prétendoit  s'ériger  en  Souverain, 
comme  le  Duc  de  Mercœur  en  Bretagne,  s'en 
eftoit  retourné  avec  une  bonne  partie  des  trou- 
pes dans  le  Lyonnois^  &  par  l'intelligence  qu'il 
entretenoit  avec  les  Seize,  il  faiioit  tout  Ion 
pollible  pour  le  iupplanter,  &  occuper  fa  place 
en  fe  faiiantChcf  du  parti.  D^  l'autre, le  jeune 
Duc  de  Guiie,  qui  s'elloit  fauve  du  Chalteau 
de  Tours  où  il  elloit  détenu  pnfonmer,  ayant 
efté  rcceû  avec  de  grandes  acclamations  des 

lli  ij 


■ •  43<î       Histoire   de   la   Ligué. 

ijpi-  Ligueurs,  qui  crurent  avoir  retrouvé  dans  luy 
fon  défunt  pcre  leur  grand  Protedeur,  luy  don- 
na beaucoup  d'inquiétude  &:  de  jaloufie,  prin- 
cipalement quand  il  vit  que  ce  grand  nom 
de  Guife,  fi  révéré  des  Parifîens,  luy  attiroit 
en  foule  non  feulement  le  peuple ,  mais  aulïï 
la  Noblefle  de  la  Ligue,  &  fur  tout  qu'il  s'ef- 
toit  lié  très -étroitement  avec  la  fadion  des 
Seize ,  qui  furent  ravis  de  l'avoir  à  leur  teftc , 
pour  l'oppoier  à  fon  oncle  leur  ennemi.  Tout 
cela  mis  enfemble  leur  enfla  tellement  le  cœur, 
&  les  rendit  ii  excefTivement  audacieux,  qu'ils 
réfolurent  de  fe  défaire  de  tous  ceux  qui  pou- 
voient  empefcher  qu'ils  ne  fuffent  abfolument 
les  Maiftrcs  dans  Paris. 

Pour  cet  effet,  ils  s'avifcrent  de  drcffer  une 
nouvelle  forme  de  jurement  qui  excluoit  de 
la  Couronne  tous  les  Princes  du  Sang,  &c  le 
prefcntant  à  ceux  qu'ils  fcjavoient  elfre   trop 
gens  de  bien  pour  le  figner,  ils  s'emparoicnc 
de  leurs  biens,  &  les  banniffoient.  Enfin,  après 
avoir  chaffé  par  cette  déteftable  voye  tous  ceux 
qui  leur  eftoient  fufpedts,  &:  mefme  le  Cardi- 
nal de  Gondy  leur  Evcfque ,  qui,  avec  les  Cu- 
^V'  jt  h    ^^^  ^^  S:\.mt  Merry  àc  de  Saint  Euftache,  tal^ 
ug.  t.  s.       choit  de  difpofer  doucement  le  peuple  à  ren- 
^tjt.  ,  rxn.  ^^^^  j^^^  ^^^  devoir  :  ils  firent  l'adtion  du  mon- 
de la  plus  inhumaine  &  la  plus  barbare,  &  qui 
par  un  jufte  jugement  de  Dieu  &  des  hommes 
fit  enfin  pcrir  une  ii  malheureufe  fadion. 


L   I  V  R   E      I  V.  437  

Car  pour  intimider  le  Parlement  qui  s'on-  ijpr. 
pofoit  à  leurs  injuiles  &:  violentes  entrcprifcs. 
Se  qui  venoit  d'abloudre  un  de  ceux  qu'ils  avoicnt 
acculé  d'intelligence  avec  les  Royalilles,  &  pour 
fe  venger  du  Préiident  BrilTon  qui  avoit  aver- 
ti le  Duc  de  Mayenne  que  ces  fcelerats  avoient 
écrit  au  Roy  d'Efpagne  pour  luy  déférer  la 
Couronne  :  ils  le  faiiircnt  le  quinzième  de  No- 
vembre de  srand  matin  de  cet  illurtre  Préfî- 
dent,  &c  des  iieurs  LarchcrConleiiler  au  Parle- 
ment, &  Tardif  ConfeiUer  auChalfelet  fescon- 
iidens,  les  menèrent  l'un  après  l'autre  au  petit 
Challclet  -,  &c  là,  les  ayant  déclarez  de  leur  au- 
torité privée,  fans  autre  forme  de  procès,  at- 
teints &  convaincus  de  trahifon,  pour  avoir 
favorifé  le  parti  du  Roy  de  Navarre,  ils  les  fi- 
rent pendre  à  une  poutre  de  la  chambre  du 
Confeil,&:  les  firent  attacher  le  lendemain  à  trois 
potences  en  la  place  de  Grève,  ayant  chacun 
un  écriteau  portant  qu'ils  eftoient  traiftrcs  à  • 
la  patrie  &c  fauteurs  d'Hérétiques. 

Ils  crurent  par  là  faire  en  forte  que  le  peuple 
s'imaginant  qu'on  l'auroit  voulu  vendre  aux 
ennemis,  approuvait  leur  aélion.  Mais  au  con- 
traire ,  il  frémit  d'horreur  à  la  veiié  d'un  fi  pi- 
toyable fpcdbacle.  Ceux  mefmc  de  leur  faction 
détciterent  une  fî  horrible  cruauté ,  &  il  n'y 
eût  perionne  qui  ne  crult  avoir  heu  de  crain- 
dre pour  fa  propre  vie,  qui  feroit  cxpofée  à 
tous  momcns  à  la  fureur  de  ces  Tyrans,  fi  l'eu 

II 1   iij 


43^  Histoire  DE'  LA  LfcuE. 
I  j^  I.  n'arreftoit  promptement  le.  cours,  ou  plûtoft  le 
débordement  d'une  fi  effroyable  violence.  C'eft 
pourquoy,  comme  le  Duc  de  Mayenne,  qui  ef^ 
toit  à  Laon,  eût  appris  qu'on  eftoit  fî  fort  ir- 
rité contre  ces  furieux,  qui  difoient  mefmc  hau- 
tement qu'il  luy  en  falloit  faire  autant  qu'aux 
autres:  il  crut  enfin  qu'il  pourroit  les  punir, 
fans  crainte  que  le  peuple  fe  foulevaft  en  leur 
faveur.  Sur  quoy  il  entre  dans  Paris  avec  ce 
qu'il  avoir  de  troupes,  contraint  BufTy  le  Clerc 
de  luy  remettre  la  Baftille  entre  les  mains ,  6c 
après  avoir  endormi  durant  quelques  jours  ces 
factieux,  qui  crurent  qu'il  ie  contenteroit  d'une 
réprimande  qu'il  leur  lit  dans  l'Hoftel  de  Ville, 
leur  ordonnant  d'eilre  plus  modérez  à  l'avenir, 
il  en  condamna  neuf  à  la  mort  fans  garder  les 
formalitez. 

Quatre  de  ceux-cy,  fqavoir  Amelinc,  Emo- 
nor,  Anroux,  &  le  Commiffaire  Louchard  qu'on 
alla  prendre  le  quatrième  de  Décembre  de  grand 
matin  dans  leur  mailon,  furent  menez  au  Lou- 
vre, où  le  Duc  de  Mayenne,  à  ce  qu'on  leur 
dit,  leur  vouloit  parler:  mais  en  y  entrant  ils 
trouvèrent  le  fieur  deVitry  qui  leur  fit  lire  leur 
Sentence,  de  en  mefme  temps  le  Bourreau  qui 
cftoit  là  tout  preft  avec  fes  valets,  les  cordes ô^ 
fon  échelle,  les  pendit  tous  quatre  à  une  des 
poutres  de  la  falle  des  Suiiles.  Les  autres  cinq, 
entre  lelquels  eftoitBully  le  Clerc,  ayant  eu.  le 
vent  qu'on  les  vouloir  prendre,  fe  fauvcrent  en 


L   I  V  R  1     I  V.  43^  

Flandres,  où  ils  périrent  de  miferes,  abandon-    1551. 
nez  de  tout  le  monde. 

On  le  contenta  de  punir  les  autres  par  la 
bourle,  &  l'on  tira  d'eux  l'argent  qu'ils  avoienc 
volé  en  exerçant  leur  tyrannie  avec  autant  de 
brigandage  que  de  cruauté.  Et  pour  couper  la 
racine  du  mal  qui  provenoit  de  la  liberté  que 
les  Seize  prcnoient  de  s'afTembler  comme  ils 
faifoient,  particulièrement  chez  les  Curez  Bou- 
cher &  Pelletier,  &  de  faire  prendre  les  armes 
aux  Bourgeois  qui  n'ofoient  leur  contredire,  il 
fît  vérifier  au  Parlement  &  publier  une  Ordon- 
nance, par  laquelle  il  eftoit  défendu,  fur  peine 
de  la  vie ,  à  toutes  fortes  de  perfonnes ,  ôc  fur 
tout  à  ceux  qui  s'eftoient  appeliez  le  Confeil 
des  Seize,  de  tenir  aucune  Affemblée.  Et  tous 
les  officiers, Colonels,  Capitaines,  Lieutenans, 
Enfeignes  de  la  Ville,  &  les  plus  notables  Bour- 
geois s'ellant  joints  à  luy,  pour  ofter  à  cette 
maudite  race  de  factieux  tout  pouvoir  de  nuire 
au  public  &c  aux  particuliers,  ils  jurèrent  tous, 
ôc  promirent  à  Dieu  fur  les  Saints  Evangiles, 
de  ne  prendre,  ni  foufïrir  qu'on  prenne  les  ar- 
mes, ou  qu'on  s'afTemble,  finon  de  l'autorité 
du  Duc  de  Mayenne,  du  Gouverneur  de  Paris, 
ou  des  Prevoll:  des  Marchands  &  Elchevins 
qui  eftoient  tout  à  luy  ■■,  de  courir  fus  à  ceux 
qui  oferoient  s'armer  ou  s'afTembler,  &c  de  les 
traiter  comme  des  traiflres,  des  fediticux  ÔC 
des  criminels  de  leze-MajclU  divine  &  humai- 


— ^—  440  Histoire  dé  la  Ligue. 
ij^i.  ne;  &  s'ils  découvrent  quelque  entreprife  & 
conjuration  fecrcte,  d'en  avertir  les  M-igiftrats, 
afin  qu'on  en  punilTe  les  auteurs  &  les  compli- 
ces, &  qu'on  puifTe  vivre  en  repos  &  enfeûretc 
fous  la  crainte  de  Dieu  &  des  Loix. 

J'ay  veû  dans  la  Bibliothèque  de  M.  Colberr, 
remplie  d'une  infinité  d'excellens  manufcrits  ôc 
de  pièces  très -authentiques,  l'Original  de  ce 
ferment  en  parchemin,  figné  de  cinq  cens  cin- 
quante-huit perfonnes,  dont  deux  cens  foixante- 
quatre  fignerent  le  cinquième  de  Décembre, 
le  lendemain  de  l'exécution  des  quatre  qu'on 
pendit  au  Louvre,  &  le  refte  figna  le  vingt- 
troifiéme  de  Décembre  &  le  dixième  de  Janvier 
de  l'année  fuivante.  Ce  fut- là  le  coup  fatal 
qui  abbatit  la  faction  des  Seize,  laquelle  depuis 
ce  temps-là  fut  fi  bien  delarmée  &c  affoiblic, 
qu'elle  ne  put  ou  n'ofa  plus  rien  entreprendre; 
ce  qui  fut  une  des  principales  cauies  de  la  li- 
berté, &  en  fuite  de  la  réduction  paifiblc  de 
Paris  à  l'obéiflance  du  Roy, 

C'eft  pourquoy  je  croy  qu'on  fera  bien-aifc 
de  fcjavoir  les  noms  de  quelques-uns  de  ceux 
qui  par  le  grand  zelc  qu'ils  témoignèrent  en 
cette  occafion ,  pour  aifeûrer  le  repos  Se  la  li- 
berté de  Paris,  eurent  le  bonheur  &  la  gloire 
d'avoir  beaucoup  contribué  à  l'accomplifTe- 
jnent  d'un  fi  grand  bien.  Je  ne  pourrois  mettre 
icy  plus  de  cinq  cens  noms  fans  ennuyer  mon 
Ic^eur,  qui  fc  cojitcntera  de  ce  peu  que  j'ay 

choifij 


Livre     IV.  '441 


choi/is  parmi  un  fi  gond  nombre,  parce  qu'ils  ijpi. 
m'ont  icmblc  les  plus  connus  &  les  plus  diftin- 
C^ucz.  NicolaVjThicrdiult,  le  Fcvrc,  Lhuillier, 
Parfait,  RouïUard,  Pafquicr,  Boulanger, Blon- 
del,  Rolland,  Hébert,  de  Comingcs,  Amelot, 
d'Aubray,&:  P.  le  TcUier. 

Le  Duc  de  Mayenne  ayant  ainfi  rétabli  Ton  viovin.  dt 
autorité  &  la  leûreté  dans  Paris,  par  l'abbaillc-  ""'"' 
ment,  ou  plûtoft  par  la  ruine  entière  desSeize^ 
voulut  auiïi  réparer  la  perte  que  le  Parlement, 
qui  n'avoit  plus  de  Chef,  avoit  faite  de  fon 
unique  Préfidcnt  ;  &  agiflant  en  Maiftre  abiblu 
&  en  Souverain,  il  en  créa  quatre  nouveaux 
entre  ceux  qu'il  croyoit  eftre  entièrement  àluy, 
ne  doutant  point  qu'Us  ne  dcuifent  s'employer 
en  toutes  les  occafions  pour  maintenir  toujours 
cette  Compagnie  dans  les  intcrefts.  Apres  quoy 
il  fut  obligé  de  fe  mettre  en  campagne,  &  de 
mendier  comme  auparavant  du  fecours  des 
Elpagnols  contre  le  Roy,  qui  après  avoir  fait 
de  grands  progrés  pendant  les  troubles  &  les 
divifions  qui  penferent  deflors  ruiner  le  parti 
de  la  Lio;ue,  avoit  mis  le  fiese  devant  Rouen, 

Il  avoit  déjà  pris  Noyon  à  la  veûë  de  l'ar- 
mée ennemie  qui  cftoit  alors  plus  forte  que  la 
fiennc.  Et  comme  il  eût  rcceû  le  fecours  d'ar- 
gent &  de  trois  mille  Anglois  que  le  Comte 
d'Efl'ex,  favori  de  la  Reine  d'Angleterre,  luy 
avoit  amenez,  il  alla  joindre  avec  douze  cens 
cheva4ix ,  fur  la  frontière ,  dans  les  plaines  de 


' 44"^     Histoire    de   la   Ligue. 

I  j5>  I,  Vandy ,  cinq  à  fix  mille  Reitres  &  plus  de  dfx 
mille  Lanfquenets  que  le  Vicomte  de  Turen- 
ne  luy  avoit  amenez  d'Allemagne,  où  il  nego- 
tia  fî  bien  avec  les  trois  Eledeurs  Proteftans, 
3c  Guillaume  Lantgrave  de  HelTe,  qu'il  en  ob- 
tint un  fecours  fi  confiderable ,  malgré  tous 
les  efforts  que  l'Empereur  Rodolphe  fit  inuti- 
lement pour  l'empelcher.^  Aufli  cet  important 
fcrvice,  joint  à  ceux  qu'il  avoit  toujours  ren- 
dus en  mille  autres  occafions  depuis  plus  de  dix- 
huit  ans  qu'il  fervoit  le  Roy,  fut  récompenfé 
iur  le  champ  par  ce  grand  Prince,  qui,  après 
luy  avoir  donné  le  bafton  de  Marefchal  de  Fran- 
ce, le  fit  Duc  de  Bouillon  &c  Prince  Souverain 
de  Sedan,  en  luy  faiiant  époufer  la  Princefle 
Charlotte  de  la  Mark,  fccur  de  héritière  du  dé- 
funt Duc.  Et  pour  faire  connoiftre  au  Roy 
qu'il  vouloir  mériter  l'honneur  que  Sa  Majefiic 
luy  faifoit,  &  ce  qu'on  dcvoit  attendre  de  luy 
dans  fa  nouvelle  dignité,  il  fit  comme  David,  qui 
n  époufa  la  fille  de  Saiil  qu'après  avoir  tué  cent 
..Philiftins.  Car  pour  fe  préparer  à  fon  mariage 
d'une  manière  à  peu  prés  femblable  à  celle  de 
ce  Héros  facré,  il  alla  prendre  la  ville  de  Stenay 
.par  cfcalade  la  veille  de  fes  nopces. 

Le  Roy  donc  le  trouvant  fortifié  d'un  fe- 
cours fi  confiderable,  s'alla  rejoindre  au  gros 
de  fon  armée  devant  Rouen  que  le  Marefchal 
de  Biron  avoit  invefti.  Si  cette  ville  fut  bien 
attaquée,  elle  fut  encore  mieux  défendue  du* 


Livre     IV. 


445 


rant  pies  de  fix  mois  par  André  Braficas  de     ijpi. 
A^illars ,  qui  fur  depuis  Admirai  de  France ,  &  ^/'"f"  ''." 
ciloic  alors  Lieutenant  General  en  Normandie,  a^"»  <''  '- 
&  Gouverneur  de  Rouen  &  du  Havre  pour  la  c»y'tt'.  '&i. 
Ligue.    Il  fit  en  cette  occafion  tout  ce  qu'on 
peut  louhaiter  d'un  grand  Capitaine  pour  la 
dcfenfe  d'une  placer  &  par  une  fi  longue  &  fi 
vitroureuic  réfiilance,  il  donna  deux  fois  le  loi- 
fir  au  Duc  de  Mayenne  de  luy  amener  le  ie- 

cours  qu'il  avoir  obtenu  des  Elpagnols.  Ce  fut — 

avec  bien  de  la  peine  qu'il  l'obtint:  mais  en-  Ann. 
fin  comme  il  eût  adroitement  donné  aux  Mi-  ^;5  J-- 
niftres  du  Roy  d'Etpagne  une  faulTe  efperance 
de  faire  tomber  l'élection  qu'on  prétendoit 
faire  d'un  Roy  lur  leur  Infante,  ce  qu'ils  fou- 
haitoient  pafTionnément ,  le  Duc  de  Parme  re- 
ceût  des  ordres  il  précis  d'entrer  une  féconde 
fois  en  France  pour  fecourir  Rouen,  qu'il  luy 
fut  impoÏÏible  de  s'en  dilpenfer,  comme  il  l'euil 
bien  voulu. 

Il  marcha  donc,  mais  lentement ^  avec  une 
fort  belle  armée  de  treize  à  quatorze  mille 
hommes  tous  vieux  foldats  Efpagnols  &:  Va- 
lons, &  fept  à  huit  mille  Franc^ois ,  Lorrains,  & 
Italiens,  de  ce  qui  relloit  de  troupes  aux  Ducs 
de  Mayenne  6>:  de  Montmarcien.  Le  Roy  vou- 
lut aller  au-devant  d'eux  avec  une  partie  de  fa 
Cavalerie  pour  les  harceler  fur  leur  marche,  &; 
s'avan<^a  jufqu'à  Aumale  pour  leur  difputer  ce 
pafTagc.  Mais  comme  il  vit  qu'il  n'avoit  pas>. 

K  K  k  ij 


444  HistoïRE  Di  LA  Ligue. 
ijpi.  affcz  de  gens  pour  le  défendre,  &  que  toute 
l'armée  qu'il  efloit  allé  reconnoiftre  luy-mefl- 
me,  61:  qui  s'en  venoit  fondre  fur  luy  le  pou- 
voir aifément  envelopcr  en  paffant  le  ruiffeau 
au  defTus  &c  au  delTous  de  ce  Bourg,  il  fallut  fc 
retirer  bien  ville.  Il  eft  vray  que  cette  retraite 
qu'il  fit  à  la  veûë  d'une  grande  armée  fut  fort 
belle,  &:  qu'il  ne  montra  jamais  mieux  la  gran- 
deur de  fon  courage  intrépide  qu'en  cette  oc- 
cafion  la  plus  dangereufe  où  il  le  fuft  encore 
trouvé  j  mais  les  gens  du  meftier  convinrent 
tous  en  ce  temps-la  qu'il  la  fit  bien  plûtoft  en 
vaillant  homme,  dont  la  valeur  fut  fécondée 
de  la  fortune,  qu'en  grand  Capitaine,  qui  doit 
prendre  par  fa  prudence  ôc  fon  habileté  de  fi 
juftes  mclures,  qu'il  ne  dépende  pas  abfolu- 
ment  de  cette  incon{lante,quipar  un  leulcoup 
de  hazard  pourroit  ruiner  en  un  moment  le 
parti  le  mieux  établi. 

Car  pour  donner  à  fcs  gens  le  loifir  de  fc 
retirer  avec  le  bagage ,  il  plaça  cent  Arquebu- 
fiers  à  l'entrée  du  Bouro-j  &  s'eflant  mis  à  la 
tcfte  de  deux  cens  chevaux ,  il  s'avança  prés  de 
demi-licuë  vers  l'ennemi  jufques  à  la  portée 
du  pirtolet ,  &c  fit  plulîeurs  charges  fur  les  Ca- 
rabins qui  marchoient  à  la  tefte  de  l'armée  qu'il 
arrefta  d'abord.  Mais  le  Duc  de  Parme  ayant 
reconnu  qu'il  efloit -là  avec  fî  peu  de  troupes 
hors  de  la  place  que  doit  occuper  un  Général, 
poulTc  contre  luy,  après  fcs  Chevaux -Légers, 


L  I  V  n.  E     IV.  44J — 

le  (^ros  de  fa  Gendarmerie  qui  le  repouflc  jui-  i  jpi. 
quesdans  Aumale.  Ses  cent  Àrqucbuficrs  y  tu- 
rent prefque  tous  taillez  en  pièces  ;  Se  il  cou- 
roit  rilque  d'yeilrc  envelopé,  &  pris  ou  tue,  il 
la  nuit  ne  fuft  lurvenue ,  pendant  laquelle  les 
ennemis  ne  voulant  pas  s'engager  plus  avant 
fans  avoir  bien  reconnu  le  pais,  il  acheva  de  • 
faire  heureulement  cette  dançrereufe  retraite . 
en  laquelle  il  fut  blcffe  d'un  coup  de  piftolec 
dans  les  reins,  qui,  pour  avoir  efté  tiré  de  trop 
loin,  ne  luy  fit  qu'effleurer  la  peau.  Les  enne- 
mis meime,  &  fur  tout  le  Duc  de  Parme,  ad- 
mirèrent en  ce  combat  fa  valeur ,  ion  couracrc 
&c  fon  bonheur,  mais  ils  ne  louèrent  pas  fa 
conduite  j  &  le  Marefchal  de  Biron ,  qui  s'ef- 
toit  mis  en  pofldfion  de  luy  parler  un  peu  bien 
librement,  ne  put  s'empeicher  de  luy  dire  à 
fon  retour,  qu'un  grand  Roy  ne  devoir  pas  faire 
le  meftier  de  Carabin. 

Cependant  Villars  voulant  profiter  de  fon 
abfence ,  fit  une  des  plus  belles  adtions  qui  fc 
foient  faites  durant  cette  guerre.  Car  s'eftant 
fait  informer  par  fcs  Eipions  de  la  dilpofition 
du  Camp  des  alTicgeans,  il  fit  le  vingt-fixiéme 
de  Février,  par  toutes  les  portes  qui  font  op- 
poiées  à  celles  du  quay,une  furieufe  fortie,  qu'on 
peut  dire  qui  luy  valut  le  gain  d'une  bataille. 
Car  ayant  lurpris  rcnnemi ,  ôc  enlevé  d'abord 
brufquement  Se  tout  à  la  fois  tous  les  quar- 
tiers qui  regardoient  ces  portes,  il  s'empara  des 

KKkiij 


=— 4^6     Histoire  de  la  Ligue. 

ij^i.  tranchées  Se  de  tout  le  Camp  de  ce  codé -là, 
où  durant  prés  de  deux  heures  qu'il  en  fut  maiC- 
tre,  Ion  Infanterie  abbatit,  renverfa,  gafta,  brû- 
la tout,  tentes,  gabions,  bateries,  outils,  mu- 
nitions, poudre,  bagage,  combla  les  tranchées, 
éventa  les  mines,  encloiia  le  canon,  &  rendit 
inutiles  prefque  tous  les  travaux,  tandis  que 
s'eftant  avancé  avec  quatre  Eicadrons  de  gens 
choifis  contre  le  Maretchal  de  Biron  qui  el- 
toit  accouru,  mais  un  peu  tard,  de  Ton  quar- 
tier de  Dernetal  au  fecours  de  fes  o-ens ,  il  com- 
batoit  bravement  en  retraite,  retournant  fou- 
vent  à  la  charge ,  pour  donner  à  fon  Infante- 
rie le  temps  d'achever  le  degaft ,  puis  de  fe  re- 
tirer avec  luy,  comme  il  fit,  rentrant  dans  la 
ville  en  triomphe  avec  plus  de  cent  prifonniers 
&  cinq  groffes  pièces  de  canon,  après  avoir 
tué  plus  de  cinq  cens  hommes ,  douze  Capitai- 
nes, deux  Colonels,  &  mis  en  delordre  &  en 
déroute  la  plus  grande  partie  du  Camp,  fans 
avoir  perdu  dans  ce  grand  combat  gueres  plus 
de  trente  foldats. 

Après  ce  bon  fucccs,  Villars  le  tint  tellement 
alfeûré,  qu'il  envoya  prier  les  Ducs  de  luy  four- 
nir feulement  de  l'argent  pour  payer  fa  garni- 
fon,  s'imaginant  qu'il  n'auroit  plus  befoin  de 
leur  lecours.  Mais  le  Roy ,  qui  à  fon  retour  re- 
mit bientoft  le  fiege  en  bon  eftat,  ayant  fer- 
me le  haut  &  le  bas  de  la  rivière  par  un  grand 
nombre  de  barques  équipées  en  guerre,  ^  par 


Livre  I  V.  i  .  .- 
dix  grands  vaifTeaux  Hollandois  que  le  Comte 
Philippe  de  Nadlm  luy  amena,  les  vivres  man- 
cjuerent  aux  afTiegez  deux  mois  après.  De  forte 
que  Villan  fut  oblige  de  faire  f^avoir  aux  Ducs 
qui  ratraiichifloient  leur  armée  au-delà  de  la 
Somme  que  les  Bourgeois  n'eftant  pas  difpo- 
lez  a  le  laiiTer  mourir  de  faim  comme  les  Pari- 
iiens,il  feroit  contraint  de  capituler  s'iln'eftoit 
lecouru  dans  huit  jours. 

A  cette  nouvelle  les  Ducs,  qui  fçavoient  d'ail- 
leurs que  larmée  Royale  elloit  fort  affoiblic 
par  les  grandes  fatigues  dun  fi  lone  fieg-e,  raf- 
iemblent  en  un  jour  toutes  leurs  troupes,  mar- 
chent  fans  bagage,  repaflent  la  Somme,  font 
trente  lieues  en  quatre  jours,  3z  le  fixiéme,qui 
tut  le  vingtième  d'Avril,  paroilfent  en  batail- 
le a  une  lieuë  de  Rouen.   Les  principaux  Chefs 
y  entrèrent  fur  le  foir,  parce  que  le  Roy,  qui 
navoitpas  alors  de  quoy  réfifter  tout  à  la  fois 
a  une  grande  armée  au  dehors,  &  à  ceux  de 
dedans,  animez  par  la  prefence  d'un  fi  arand 
iecours,  fe  crut  obhgé  de  lever  le  fiege,  &  de 
fe  retirer  au  Pont  de  l'Arche,  où  la  Noble/Te 
&  les  troupes  qu'il  avoit  auparavant  envoyées 
le  ratrailchir  aux  environs ,  fe  raffemblerent 
dans  cinq  ou  fix  jours  au  nombre  de  trois  mil- 
le chevaux  &  de  fix  mille  fantaffins.   Alors  fe 
trouvant  plus  fort  que  les  Ducs,  qui  après  avoir 
pris  la  petite  ville  de  Caudebec,  s'eftoient  allé 
loger  a  Yvetoc  pour  la  couvrir,  il  marcha  droit 


ijpz. 


44S        Histoire  de  la  Ligue. 


j5?z.  à  eux,  réfolu  ou  de  les  forcer  au  combat,  ou 
de  les  enfermer  dans  ce  petit  canton  du  Païs 
de  Caux,  en  leur  coupant  le  chemin  des  vivres 
&:  de  la  retraire. 

Et  certes,  fon  delTein  devoit  réiilTïr  félon  tou- 
tes les  apparences.  Car  les  ayant  contraints, 
après  plufîeurs  petits  combats ,  où  ils  avoient 
cfté  fort  mal  menez ,  d'abandonner  leur  loee- 
ment  d'Yvetot,  &c  de  fe  retirer  de  nuit  en  un 
pofte  plus  avantageux  à  un  quart  de  lieue  de 
Caudebec  :  il  les  y  enferma  fi  bien,  qu'ils  ne 
pouvoient  ni  lubiifter,  tous  les  paffages  des  vi- 
vres leur  eftant  fermez,  ni  fe  retirer,  ayant  à 
dos  un  bras  de  mer,  ôc  en  tefte  un  ennemi  plus 
'  puiffant  qu'eux,  ni  le  combatte  fans  s'expofer 
viliblement  à  cilre  entièrement  défaits.  Mais 
le  bonheur,  l'adrelTe  &  la  force  du  erandeenie 
du  Duc  de  Parme  les  tnerent  dans  une  nuit  de 
cet  extrême  danger  où  ils  eitoient  de  périr  fans 
reffource. 

Car  à  la  faveur  de  deux  grands  forts  qu'il 
avoit  faits  fur  les  deux  bords  de  la  rivière , 
;     avec  des  redoutes  qui  commandoient  fur  l'eau, 
$c  de  grands  dehors,  qui  de  fon  cofté  s'avan- 
çoient  vers  l'armée  du  Roy ,  comme  s'il  euft 
voulu  l'attendre  dans  fes  retranchemens ,  il  fit 
paffer  durant  la  nuit   du  vingtième  de  May 
toute  fon  armée,  fon  bagage  &  fon  canon  fur 
un  grand  nombre  de  grands  batteaux  couverts 
.  de  poutres  ôc  de  planches  qu'il  avoit  donné  or- 
dre 


L  I  V  n  E    IV.  449 


di'C  qu'on  fift  dcfccndrc  tic  Rouen.  De  forte  qu'à    i  ;  p  z. 
lapomte  du  jour  tour  fut  en  icûrcté  de  l'autre 
collé  de  la  Scme,  fans  que  le  Roy,  qui  s'apper- 
ccûc  trop  tard  de  ce  merveilleux  ftratagcme,puft 
empelchcrquc  le  Pruicc  RaynuccFarnele,  qui     '' 
avec  quatorze  à  quinze  cens  hommes  avoir  cou-     •  -   •  •  - 
vert  cette  retraite  dans  le  er'indFort&  dansfcs 
dehors,  ne  fe  retiraft  à  la  file,  &  ne  fift  palfer 
tous  fes  gens  &  fes  quatre  pièces  de  canon  fur 
les  batteaux  &  les  pontons  aufquels  il  mit  le  feu. 
Ainfî  le  Duc  de  Parme  trouva  le  moyen  de 
mettre  en  une  nuit  une  grande  rivière,  large 
de  demi-lieuë  en  cet  endroit,  entre  fon  armée 
&  celle  du  Roy,  qui  admira  cette  a6tion  com- 
me le  chef-d'œuvre  d'un  des  plus  grands  Ca- 
pitaines du  monde.   Et  fans  donner  au  Roy  le 
temps  de  le  pouvoir  luivre  par  le  Pont  de  l'Ar- 
che, il  le  prévint  tellement  par  fa  diligence, 
qu'en  quatre  jours  il  fe  rendit  dans  la  Brie,  en 
repaifant  la  Seine  fur  un  pont  de  barques  vis- 
à-vis  de  Charcnton.  Puis  ayant  jette  dans  Pa- 
ris quinze  cens  Valons,  pour  renforcer  la  gar- 
niion  que  les  Efpagnols  y  a  voient,  &  pris  la 
ville  d'Efpernay  où  il  pafla  la  Marne,  il  ramena 
fes  troupes  dans  les  Païs-Bas,  ayant  aquis  une 
gloire  immortelle  pour  avoir  fait  deux  fois, 
contre  un  il  grand  Roy,  ce  qu'il  prétendoit, 
fans  rien  hazarder ,  en  luy  faifant  lever  le  iiege 
des  deux  plus  grandes  villes  du  Royaume,  Pa- 
ris &  Rouen. 

LLI  •    . 


4JO      Histoire    de    la    Ligue. 
159  2.       Or,  comme  on  voit  allez  louvcnt  qu'un  mal 
Memo.r.dtdu  deyicnt  l'occafion  qui  fait  naiftre  un  bien  qu'on 

rltJfis-Morn.  i.  ri  ^ 

t.  2.  n'attendoit  pas:  aulli  ce  iiege  de  Rouen,  qui 

viUeRoy.      Hc  reuiiit  pas  au  Roy,  donna  lieu  a  unenego- 
r«f«/<-rf«p/«/- tiation,  laquelle  dilpoia  fi  bien  les  choies  à  la 
f,i-Morn>iy.     ^-onveifion  ,  qu'on  peut  dire  qu'elle  jetta  les 
femences  qui  produiiirent  peu  de  temps  après 
un  fi  beau  fruit.    Le  Duc  de  Mayenne  haïlToit 
fort  les  Efpagnois ,  qui    luy  avoient  déclaré 
nettement  qu'on  ne  pou  voit  le  fecourir  qu'il  ne 
promirt  de  faire  en  forte  que  les  Eitats  éleulTent 
i'Infante  avec  celuy  qu'on  luy  donneroit  pour 
mari,  ce  qu'il  avoit  elle  contraint  de  leur  faire 
efperer,  quoy-qu'il  eull:  rélolu  de  n'en  rien  faire. 
D'ailleurs  il  s'eiloit  joint  contre  quelque  reftc 
de  la  faéiion  des  Seize  aux  Politiques  de  Paris, 
qui  eftoient  alors  les  plus  forts,  àc  vouloient 
bien  l'avoir  pour  Chef,  mais  à  condition  qu'on 
traiteroit  avec  le  Roy,  pourveû  qu'il  fe  filt  Ca- 
tholique :  à  quoy  ce  Duc,  qui  voy  oit  bien  qu'il 
ne  pouvoit  prétendre  à  la  Royauté,  s'eftoit  en- 
fin déterminé. 

D'autre  cofté ,  le  Roy  fe  trouvoit  fort  cm- 
barralfé  entre  les  Huguenots  &  les  Catholiques 
de  fon  parti.  Car  les  premiers  craignant  tou- 
jours qu'il  ne  leur  échapaft,  Tobledoient  éter- 
nellement, 6c  fongeoient  mefme,  le  défiant  de 
luy,  a  fe  choifir  un  autre  ProtecSteur.  Et  la  pluf- 
part  des  Catholiques,  les  uns  véritablement  in- 
<.iiencz,&les  autres  faifant  du  moins  femblant 

iàsi 


L    I   V  R    E      I  V.  '         4JI  

dé  l'cftre, de  ce  qu'il  diffcrok  trop  long-temps  ijpi. 
à  fe  fane  inlhuirej  &:  à  fe  convertir,  avoicnt 
fait  entre  eux  une  nouvelle  Ligue ,  qu'on  ap- 
pclloit  le  Tiers  Parti,  dont  le  jeune  Cardinal 
de  Bourbon  s'eftoit  déclaré  Chef,  efperant  que 
fî  enfin  le  Roy  continuoit  à  s'obftiner  en  fbn 
Héiefie,  ceux  qui  ne  l'avoicnt  luivi  que  fur  l'ef 
perance  de  fa  converfion  l'abandonneroient , 
èc  qu'on  le  mettroit  en  la  place  fur  le  Trône.  Et 
certes,  il  y  avoit  fujet  de  craindre  que  le  Duc  de 
Mayenne  qu'on  lollicitoit  fortement  de  le  join- 
dre à  ce  parti  avec  le  lien,  pour  faire  un  Roy 
de  la  Mailbn  Royale ,  ne  s'y  réfoluit  enfin,  plû- 
toll  que  de  ibuftrir  que  les  Elpacrnols  fiifent 
élire  celuy  qui  épouferoit  leur  Infante,  fuft- 
ce  un  Prince  de  la  Maifon. 

Les  choies  eftant  donc  ainfi  difpofées  de  parc 
&  d'autre  à  conclure  une  bonne  paix ,  les  fieurs 
duPlefiis-Mornay  Se  de  Ville- Roy  furent  choi- 
lis  pour  travailler  à  ce  Traité  qu'on  vouloit  qui 
fulî  fort  fecret.  Il  y  eût  d'abord  une  grande 
difficulté  qu'il  fallut  furmonter  avant  que  de 
rien  propoler  touchant  les  conditions  &  les  ar- 
ticles du  Traité  qu'on  prétendoit  faire.  Car  Ville- 
Roy  n'y  vouloir  point  entrer  qu'avant  toutes 
chofes  le  Roy  ne  donnaft  alfeiirance  qu'il  cm- 
braiferoic  la  Foy  Catholique  aulîitoit  après 
qu'il  auroit  receû  fon  inftruclionj  &c  duPlclTis 
remontroit  que  cela  choquoitôc  l'honneur  &  la 
confcience,  parce  qu'à  moins  que  de  tenir  tou^ 

LLl  i^. 


452-      Histoire   de   la   Ligue. 

I55>z.  tes  les  Religions  pour  indifférentes,  èc  pafTer 
amfî  pour  Athée,  on  ne  pouvoir  s'engager  à 
en  choilir  une  en  particulier,  avant  que  de  s'efl 
tre  éclairci  pour  fc^avoir  fi  c'eft  la  vraye  Reli- 
gion. Mais  enfin  on  trouva  un  tempérament, 
qui  fut  que  le  Roy,  fans  blefier  fon  honneur 
éc  fa  confcience,  fe  feroit  inftruire  dans  fix  mois, 
avec  un  vray  defir  de  fe  convertir;  qu'il  per- 
mettroit  cependant  aux  Princes  &  aux  Seigneurs 
Catholiques  de  fon  parti  de  députer  vers  le  Pa- 
pe ,  pour  le  fupplier  de  confirmer  par  fon  au- 
torité une  fi  fainte  réfolution;  &c  qu'en  atten- 
dant qu'elle  s'accomplift,  on  traiteroit toujours 
de  la  paix,  laquelle  eftant  conclue,  le  Roy  ie- 
roit  reconnu  par  les  Princes  de  la  Ligue.  Il  con- 
fentit  fans  peine  à  ces  deux  importans  articles, 
fans  lelquels  on  ne  pouvoit  entrer  en  negotia- 
tion.  On  tomba  mefme  alfez  facilement  d'ac- 
cord fur  les  articles  qui  concernoient  le  géné- 
ral du  parti  de  la  Ligue.  Mais  quand  on  vint 
aux  interefts  particuliers  de  chacun  des  Seigneurs 
confcdercz ,  le  Duc  de  Mayenne  fit  demander 
pourluy  &  pour  eux  des  chofes  fi  avantageu- 
ïes  &  fi  cxcefiives,  qui  tendoient  manifefte- 
rnent  au  démembrement  de  l'Eftat,  qu'on  fut 
enfin  contraint,  voyant  qu'on  ne  fe  vouloit 
pas  rclafcher,  de  rompre  après  deux  mois  de 
négotiation  cette  Conférence. 

Elle  produifit  toutefois  un  grand  bien,  en  ce 
^uc  le  Roy  ^.emeura  ferme  dans  Ja  réfoiution 


Livre     IV.  453 

qu'il  avoit  priie  de  le  faire  inltruiic  de  bonne  i^^^i. 
foy,  &  de  permettre  aux  Sei^^neurs  Catholiques 
d'envoyer  vers  le  Pape  leurs  Députez ,  qui  fu- 
rent le  Cardmal  de  Gondy ,  &  le  Marquis  de 
Pifam.  Innocent  I  X.  qui  avoit  iuccedé  Tan- 
née précédente  à  Grégoire  XIV.  s'eftoit  com- 
me luy  déclaré  hautement  pour  la  Ligue.  Il 
avoit  mefme  créé  Cardinal  Se  Légat  en  France 
Philippe  Se^aEvefquc  de  Plailance,  que  le  Car- 
dmal Caïetan,  retournant  à  Rome  après  la 
mort  de  Sixte  V.  avoit  laiifé  à  Pans  en  la  pla- 
ce pour  y  fervir  la  Ligue ,  comme  il  fit  de  toute 
fa  force.  Clément  VIII.  ayant  Iuccedé  à  ce 
,  Pape  qui  ne  jouît  du  Pontificat  que  deux  mois, 

!  fuivit  d'abord  les  traces  de  les  deux  derniers 

PrédecclTeurs  ;  ôc  s'eftant  lailfé  prévenir  par  les 
Efpagnols,nc  voulut  pas  feulement  écouter  ces 
Députez.  Mais  cette  députation  ne  lailTa  pas, 
comme  on  le  verra  en  fon  temps ,  de  produire 
1  l'heureux  effet  qu'on  s'en  eftoit  promis,  &:  qui 

fut  fatal  à  la  Ligue. 

Cependant  le  Roy  pourfuivant  toujours  fa  n<>v«.  t. . 
pointe  alla  reprendre  la  ville  d'Efpernay,  après 
que  le  Marefchal  de  Biron  qui  avoit  commen- 
cé d'en  former  le  fiege,  eût  efté  emporté  d'un 
coup  de  fauconneau  qui  luy  enleva  la  telfe  com- 
me il  rcconnoifloit  la  place.  En  fuite,  pour  fc 
rendre  maiftre  de  la  Brie,  il  alliegca  &  prit  en 
trois  jours  Provins  qui  en  eft  la  capitale  ;  puis 
il  baftit  dans  l'iHe  de  Gouinay,  entre  Meaux 

L  L 1  iJ  j 


— - — 4T4       Histoire  de    la   Ligue. 

;5P2,  &  Paris,  à  quatre  lieues  de  cette  grande  ville, 
un  Fort,  pour  cmpefcher  qu'elle  ne  puft  rien  re- 
cevoir par  la  Marne,  qui  luy  apporte  une  gran- 
de partie  des  biens  de  la  Champagne  &c  de  la 
Brie, 

D'autre  cofté  le  Duc  de  Mayenne,  qui  n'ayant 
pas  affez  de  forces  pour  s'oppoler  à  ces  progrés 
du  Roy,  n'avoit  pu  faire  autre  choie  pour  fou- 
lager  Paris,  que  de  prendre  Crefpy  en  Valois,  ré- 
folut  enfin  d'employer  contre  le  Roy  la  gran- 
de machine  dont  il  cftoitmenacé  depuis  fi  long- 
temps, je  veux  dire  l'AlTemblée  générale  des 
Eftats,  pour  y  procéder  à  l'éleclion  d'un  nou- 
veau Roy  qui  fuft.  de  la  Religion  Catholique 
Romaine,  dont  tous  les  Rois  de  France,  com- 
me Fils  aifnez  de  l'Eglife,  avoient  toujours  fait 
Gonftamment  profeilion  depuis  le  Grand  Clo- 
vis ,  qui  après  Ton  Baptelme  mérita  le  glorieux 
furnom  de  Très  -  Chreliien ,  qu'il  a  tranfmis 
fans  aucune  interruption  à  tous  fes  Succeflcurs 
dans  l'elpace  de  prés  de  douze  cens  ansjufques 
au  défunt  Roy  Henry  1 1 1. 

Le  Duc  s'elloit  folennellement  eng-aeé  plus 
d'une  fois  a  convoquer  cette  Aiîemblée  ;  mais 
il  avoir  toujours  adroitement  différé  de  le  faire 
&  pour  l'intereft  de  l'Ellat  &c  pour  le  fien  par- 
ticulier. Car  d'une  part  il  craignoit  toujours 
que  les  Efpagnols,  qui  n'épargneroient  rien  pour 
gagner  malgré  luy  les  Députez ,  partie  par  ar- 
gent j  èc  partie  par  la  prefence  d'une  grande 


L    I  V    R   E      I  V.  4;;  

armce  qu'ils  vouloicnt  encore  envoyer  en  Fran-  1 5  5>  2.. 
ce  Tous  le  Duc  de  Parme,  pour  favoriler  les  El- 
tats,  à  ce  qu'ils  diloient,  ne  vinfl'cnc  enfin  à 
bouc  du  dellcin  qu'ils  avoient  de  fliire  élire  leur 
Infante:  &  de  l'autre,  voyant  fort  bien  qu'il 
ne  pourroïc  élire  éleû,  parce  qu'il  ne  pourroit 
cpoulcr  l'Infante,  il  ne  vouloit  point  qu'on  en 
choifill  un  autre,  pour  ne  pas  perdre  cette  au- 
torité louvcraine,  qu'il  ne  pouvoir  retenir  que 
juiques  à  ce  que  les  Eilats  euflent  fait  l'éledtion 
d'un  nouveau  Roy. 

Mais  après  tout,  il  ne  pouvoir  plus  réfifter 
aux  prelTances  loUicitations  que  les  grandes  vil- 
les de  fon  parti,  les  Elpagnols,  le  Pape  meime 
êc  Ion  Légat,  faifoient  continuellement  pour 
l'obliger  à  tenir  la  parole  qu'il  avoir  fi  fouvenc 
donnée  de  convoquer  cette  Aflemblée.  Et  ce 
qui  enfin  acheva  de  l'y  déterminer,  fut  que  le 
Duc  de  Parme,  qui  airembloit  les  forces  pour 
entrer  en  France  une  troifiémc  fois,  mourut  fur 

ces  entrefaites  le  cinquième  de  Décembre.  Car     

il  crut  que  les  Elpagnols  n'ayant  point  de  Gé-  -  ''^■ 
néral  qui  fuit  à  beaucoup  prés  de  la  force  de  f.  ", 
ce  grand  homme,  ou  luy  lailTcroient  le  com^ 
mandement  de  leurs  armées,  ou  que  ne  failant 
pas  de  grands  progrés ,  ils  ne  luy  feroient  pas 
extrêmement  redoutables  comme  il  arriva.  Sur 
quoy  il  ne  fit  plus  nulle  difficulté  de  faire  af- 
fembler  les  Députez  que  l'on  avoir  déjà  choiiis 
dans  les  Provinces  Ôc  dans  les  villes,  ne  doutanc 


45^       Histoire  de  la  Ligue. 

ijpi.  point  que  comme  il  avoit  pour  foy, outre  une 
grande  partie  de  ces  Députez,  le  Parlement, 
THoftel  de  Ville,  lapluipart  des  Colonels,  &  le 
parti  des  Politiques,  il  ne  deuft  rompre  aifément 
toutes  les  mclures  &  les  brigues  des  Efpagnols  &c 
de  ce  peu  de  mutins  qui  relloient  de  la  facStion 
des  Seize,  qu'il  ne  regardoit  que  comme  des  ca- 
nailles dont  il  mépnfoit  la  fureur  impuiflante. 
Etc'elt  pour  cela  mefme  quil  fit  enfin  réfoudre 
que  l'Allemblée  fe  ticndroit  à  Paris,  malgré 
tous  les  artifices  des  Efpagnols,  qui  vouloient 
qu'elle  fe  tinft  à  Reims  ou  à  Soiifons,  où  le 
Duc  ne  pourroit  avoir  tous  ces  2:rands  avanta- 
gcs  qu  il  auroit  a  Pans. 

L'All'emblée  fut  donc  intimée  pour  le  mois 

de  Janvier.    Et  tandis  que  les  Députez  (c  ren- 

doient  à  Pans  les  uns  après  les  autres ,  le  Duc 

M'IeDu/di  "^^  Mayenne  fit  publier  une  ample  Déclaration 

Ma}frj>,e,t.s.  du  cinquième  de  janvier,  par  laquelle,  après 

^,s  Mer,.  ■  \l  C    ]  J       1       T  • 

cajis,  1. 1.    avoir  jultihe  les  armes  de  la  Ligue  par  toutes 

' les  raifons  les  plus  plaufibles  qu'il  put  employer, 

Jlnn.  &  fur  tout  par  le  grand  motif  de  la  Religion 
ïji>3-  qui  cederoit  enfin  à  l'Hérefie  fi  on  recevoir  un 
Roy  Hérétique,  il  invite  tous  les  Princes,  Pré- 
lats, Seigneurs  &  Officiers  Catholiques  du  par- 
ti contraire  à  fe  trouver  avec  eux  dans  leur 
Affemblée,pour  travailler  tous  enlemble,  fans 
autre  veûé  que  de  la  gloire  de  Dieu  6c  du  bien 
public ,  à  choifir  les  moyens  qu'on  trouveroit 
les  plus  utiles  pour  confervcr  la  Religion  & 

l'Elhti 


L   I  V  R  E       I  V.  4^j  . 

l'Eftat  ;  protcftant  contre  ceux  qui  rcfufcroicnt    i  ;;»  5. 
une  voye  U  railonnable,  qu'ils  (croient  la  cau- 
Ic  de  tous  les  malheurs  qui  pourroicnt  en  fuite 
arriver. 

Le  Légat  en  fit  une  aufli,  mais  d'une  manie- 
re  bien  plus  odieufc,  en  ce  qu'au  lieu  de  le  te- 
nir dans  les  termes  généraux  du  bien  de  la  Re- 
ligion &:  de  l'Eftat,  comme  le  Duc  de  Mayen- 
ne avoit  fait,  il  invitoit  les  Catholiques  à  fe 
rendre  aux  Eftats  pour  y  élire  un  Roy  qui  fuil 
de  nom  &  d'effet  Catholique,  ôc  qui  pulf  main- 
tenir par  la  puiffance  la  Religion  ôc  l'Eftat,  en 
quoy  il  fembloit  affez  clairement  dcfigner  le 
Roy  d'Eipagne. 

Il  ne  fut  pas  difficile  au  Roy  de  répondre 
folidement  à  ces  deux  Déclarations ,  &  de  faire  vid^rat.  du 
unefemblablcprotell:ation  contre  leurs  Auteurs  fmlo/Jj," 
par  un  Edit  du  mcfme  mois.  Et  cependant  les  t/     .  , 

j  ^  1  Mem.  de  IM 

Députez  eftant  prefque  tous  arrivez,  ils  allèrent  ^'s-  f-  *• 
en  Procelnon  a  Noitre-Dame,  ou  après  avoir 
receil  la  faintc  Communion  ils  entendirent  le 
Sermon  que  le  célèbre  Genebrard  leur  fit,  avec 
un  très-grand  fcandale  de  tout  ce  qu'il  y  avoit 
encore  de  véritables  François  dans  cette  Com- 
pagnie. 

Ce  Docteur  eftoit  à  la  vérité  l'un  des  plus 
habiles  hommes  de  fon  ficelé,  iur  tout  dans  la 
connoiffance  des  iaintes  Lettres,  &  de  la  Lan- 
gue Hébraïque,  dont  il  fut  Profcffeur  Royal  à 
Paris.  Mais  par  cette  malheureufe  fatalité ,  o« 

M  Mm 


45§       Histoire  de  la  Ligue. 

jjj)3.  plûtoft  par  cet  excès  d'un  zèle  immodéré  qui 
entraifna  la  plufpart  des  Dodeurs  de  Paris  dans 
la  Ligue ,  il  s'y  attacha  avec  tant  de  paflion , 
qu'il  en  fut  toujours  un  des  plus  ardens  &  plus 
opiniaftrcs  défenfeurs  :  ce  qui  joint  à  fa  pro- 
fonde do^bnne ,  fut  caufe  que  le  Pape  Grésjoi- 
re  XIV.  grand  Protedteur  de  la  Ligue  luy 
donna  l'Archevefché  d'Aix  après  la  mort  d'A- 
lexandre Canigrany  qui  mourut  à  Rome, 

Or  comme  il  citoit  un  des  principaux  Dé- 
putez pour  l'ordre  du  Clergé,  &  qu'il  avoic 
aquis  beaucoup  de  crédit  &c  d'autorité  pour 
fon  rare  fc^avoir ,  on  le  pria  de  faire  ce  Sermon, 
dans  lequel,  au  lieu  d'exhorter  par  la  parole  de 
Dieu  les  Députez  à  n'avoir  dans  leurs  délibé- 
rations devant  les  yeux  que  la  confcrvation  de 
l'Eftat  &  de  la  Religion  qui  en  eft  le  plus  fer- 
me appuy,  il  s'efforça^He  prouver;^ar  de  tres- 
méchames  raifons  , Jflîe  leur'.AfTembléc  pou- 
voir changer  &c  abolS^la  Loy  Salique,  qui  eft 
la  Loy  fondamentale  de  l'Eitat,  qu'on  a  tou- 
jours inviola blement  obiervée  depuis  l'établif. 
"""^  lement  de  la  Monarchie  Franc^oife  juiqu'à  main- 
tenant: comme  fî  les  Eftats,  qui  n'ont  point 
d'autre  pouvoir  que  de  reprefcnter  dans  leurs 
Cahiers  ce  qu'ils  croyent  eftre  necefTairc  pour 
le  bien  &  la  contervation  de  l'Eftat ,  le  pou- 
voicnt  détruire,  en  ruinant  &c  en  fappant  le 
fondement  qui  le  fouitient,  &  qui  cmperche 
^u'il  ne  tombe  encre  les  mams  des  Eftrangers.. 


L  I  V  R  E     I  V.  45^ 

Mais  c'efl  que  ce  Docteur,  qui  eftoit  bon  Li-  i;pî. 
Joueur  5c  mauvais  Franc^ois,cilant  tout  dévoué 
aux  intereftsdu  Roy  Philippe  comme  les  Seize, 
dans  la  faction  delquels  il  s'eftoit engagé,  vou- 
loit  difpoler  les  eiprits  des  Députez  à  déférer 
la  Couronne  de  France  a  l'Infante  d'Efpagnc, 
félon  l'intention  des  Elpagnols^  qui  au  lieu  des 
veritez  de  l'Evangile  luy  faifoient  prefcher  une 
fî  faufle  6c  méchante  maxime. 

Le  Duc  de  Mayenne ,  qui  tout  Chef  de  la 
Ligue  qu'il  efloit,  avoit  pourtant  l'ame  Fran- 
çoife,  &c  aimoit  fa  Patrie,  comme  le  Roy  mef 
me  l'avoua,  avoit  des  veûes  bien  différentes  ; 
&fans  s'étonner  de  ce  vain dilcours,  parce  qu'il 
fçavoit  les  moyens  d'en  détourner  l'efFet,  il  fit 
l'ouverture  de  l'Aûcmblée  des  Eilats  Généraux 
le  vingt-fixiéme  de  Janvier  dans  la  Salle  haute 
du  Louvre.  On  y  obferva  toutes  les  cérémonies 
que  l'on  garde  toujours  dans  les  Eilats  légiti- 
mement convcquez  ;  &  tout  ce  que  dit  d'agréa- 
blement burlelque  fur  ce  fujet  l'Auteur  de  fin-  z<  ji,y  au- 
genieufe  Satyre,  intitulée /e  C^f/;o//fo«  d'Eifagne,  l'^l^thn!^' 
n'eft  qu'une  invention  d'un  bel  efprit,  qui  fous  '^^"""■J-  ""■ 

■1,    rr  :       ^  ~       ■  -  1  K<i:ts  fur  It 

d  aflez  plailantes  hdions  ne  laifle  pas  d'cnve-  c^tkeix. 
loper  beaucoup  de  veritez  qui  décrient  tres- 
juflement  le  parti  de  la  Ligue. 

Il  n'y  eût  point  d'autre  Procelîîon  que  celle 
que  firent  tous  les  Députez ,  quand  ils  allèrent 
faire  leurs  dévotions  à  Noitre-Damej  ik  cette 
autre  des  Mornes  armez  iur  les  dilfcrens  habits 

M  M  xn  ij 


.  4êo  Histoire  de  la  Ligue. 
I  j^  3.  de  leurs  Ordres,  laquelle  eft  décrite  fi  plaifam- 
ment  au  commencement  du  Catholicon,  3c 
qu'on  voit  encore  aujourd'huy  dans  plufieurs 
cll:ampes ,  n  eft  autre  chofe  que  la  montre  des 
Eccle/îaftiqucs  ôc  des  Religieux,  que  l'Auteur 
de  cette  Satyre  a  tranlportée  du  fiege  de  Paris 
à  ces  Eftats,  en  la  déguifant  enProcelTion  pour 
rendre  Ton  Ouvracre  plus  divertiHIint. 

Tout  s'y  fit  fclon  la  coufi:ume,  excepté  que 
le  Duc  de  Mayenne,  comme  Lieutenant  Gé- 
néral de  l'Eftat  &c  de  la  Couronne  de  France, 
ce  qui  ne  s'efi'oit  jamais  veû,  eftoit  afTis  fous 
un  dais  de  drap  d'or.  Les  trois  Ordres  y  prirent 
leur  léance  à  l'ordinaire,  Celuy  du  Clergé  y 
fut  fort  nombreux.  Il  y  eût  fort  peu  de  Sei- 
gneurs &  de  Gentilshom.mes  dans  celuy  de  la 
Noblefle:  mais  pour  luy  donner  plus  d'éclat, 
M.  de  Mayenne ,  comme  s'il  euft  eu  la  puif- 
fance  &  l'autorité  fouvcraine,  prit  la  liberté, 
ce  qui  n'appartient  qu'au  Roy  feul ,  de  créer 
un  Admirai,  qui  fut  le  Marquis  de  Villars,  & 
quatre  Marefchaux  de  France,  les  fieurs  de  la 
Chaftre  &  de  Bois-Dauphin,  dont  l'ancienne 
Noblefle  eft  aflez  connue,  Rolne  Gentilhom- 
me Lorrain ,  cadet  de  la  Maiion  de  Savigny 
Seicrncur  de  Rofne  au  Duché  de  Bar,  8c  Saint 
Paul  foldat  de  fortune,  qui  par  fa  valeur  &.par 
fa  conduite  au  meftier  cics  armes  avoit  aquis 
fon  titre  de  Noblefle. 

M.  de  Mayenne,  après  la  more  du  Duc  de 


Livre     IV.  4<?i 

Guifc,  dont  ce  Capitaine  cftoit  la  créature,  l'a-    15;?  3. 
voit  commis   au  Gouvernement  de  Champa- 
gne, où  après  s'eftre  rendu  maiftrc  de  Reims, 
de  Mezicres  6i  de  Vitry,  il  eût  l'audace  de  s'em- 
parer par  force  du  Duché  dcRctelois,  &  d'en 
prendre  poifellion  en  qualité  de  Duc,  en  vertu 
du  don  qu'il  diloit  en  avoir  eu  du  Pape,  com- 
me le  Roy  l'écrivit  du  Camp  devant  Chartres  ^^"^  ''«  R<ir 
au  Duc  de  Nevers  •,  &c  enfin  Ton  orgueil  infup-  ^ers  an  c«mp 
portable,  joint  à  la  tyrannie  qu'il exerc^oit  dans  f',^'7,^^7' 
la  Province,  luy  fît  perdre  la  vie  par  la  main  'Jf'*^  \!^'- 
du  jeune  Duc  de  Guile  qui  le  fit  tomber  mort  Tr^àé  de  u 

\     r  ■       1         J>  J>  '       '  '11  J  frife  des  Arm, 

a  les  pieds  dun  coup  d  epee  qu  li  luy  donna  x^^otajuru 
droit  dans  le  cœur,  parce  que  ce  Prince  l'ayant  ^'*'^"'"' 
prié  fort  civilement  de  retirer  de  Reims  les  gens 
de  guerre  qu'il  y  avoir  mis  pour  s'en  aileûrer, 
ce  prétendu  Mareichal,  qui  vouloir,  malgré 
qu'il  en  euft,  y  eflre  le  maiftre  ablolu,  luy  avoir 
dit  fièrement,  en  mettant  la  main  fur  la  garde 
de  fon  épée,  qu'il  n'en  feroit  rien. 

Au  relie  le  Duc ,  en  créant  comme  Lieute- 
nant Général  de  l'Eftat  un  Admirai  &c  quatre 
Mareichaux  de  France,  crut  avoir  fait  un  coup 
d'importance  pour  faire  valoir  (es  prétendus  Et- 
tats  de  Pans,  6c  pour  affermir  fon  autorité  & 
fortifier  fon  parti.  Mais  le  Seigneur  de  Chan- 
vallon,  qui  avoir  autant  d'efprit  que  de  cœur, 
&  qui  prévit  les  (uites  de  cette  action,  luy  dit 
librement  &c  fort  galamment  :  Prene^  bien  garde 
à  ions ,  Monfieun  car  en  cette  nouvelle  création  'vous 

M  Mm  iij 


'— 4Ct     Histoire    de   la    Ligue. 

I  j^  3.  a've:(^faU  aujourd'iniy  des  hajlards  cjui  f  front  un  jour 
légitimera  'vos  dépens.  C'ell:  ce  qui  le  venfii  bien- 
toil  après  en  la  perfonne  de  ViUars,  de  laChaf^ 
tre,  &  de  Bois-Dauphin  qui  l'abandonnèrent, 
ôc  firent  leur  Traité  avec  le  Roy ,  pour  eftrc 
maintenus  par  une  autorité  légitime  dans  ces 
hautes  dignitez  que  le  Roy  feul,  à  l'exclufion 
de  tout  autre ,  peut  donner.  Et  fi  le  Baron  de 
Rofne ,  qui  avoir  affcz  de  naiflance  &  de  mé- 
rite, euft  encore  eu  comme  les  autres  quelques 
places  à  rendre  au  Roy  pour  fe  faire  légitimer 
auffi-bien  queux,  on  n'euft  pas  perdu  celles 
^ue  les  Efpagnols,  aufquels,  fe  voyant  rebuté, 
il  fe  donna,  prirent  fous  fa  conduite  ôc  par  fa 
valeur  en  Picardie. 

Voilà  donc  quel  fut  l'ordre  de  la  Nobleffe, 
Pour  le  tiers  Eil:at,  il  eftoit  compoié  de  peu  de 
perfonnes  coniiderables,  êc  de  beaucoup  de 
gens  ramaflez,  qui  ne  fervoient  qu'à  groffir 
l'AfTemblée,  Les  Harangues  qu'on  voit  dans  le 
Catholicon,  prcfque  toutes  de  la  façon  de  Ra- 

sjousfuru  pin,  de  M.  Gillot  Confeiller  de  la  Cour,  de 
Florent  Chreltien,&  de  M.  Pierre  Pithou,lont 
faites  à  plaifir  pour  réjouir  leLe6leur.  Il  ne  s'en 
fit  que  quatre  à  l'ordinaire  des  autres  Ellats. 
M  de  Mayenne  fit  l'ouverture  de  ceux-cy  par 
la  fienne,où  pour  fatisfaire  à  l'attente  des  Dé- 
putez, il  déclara  qu'on  n'elloit  aflemblé  que 
pour  procéder  à  l'eledion  d'un  Roy  qui  fuft 
Catholique  ;  ce  que  pourtant  il  u'ayoït  nulle- 


Cêthelit. 


L  I  V  n  E    I  V.  ^^j 


ment  envie  qui  le  fill,  comme  cffedlvcment  il  155)5. 
l'empefcha.  Le  Cardinal  de  Pellevc  qui  com- 
mençoic  fort  à  bailler,  ne  fit  rien  qui  vaille  en 
parlant  pour  le  Clergé  :  le  Baron  de  Senecey 
pour  la  NoblefTe,  &  le  iieur  de  Laurens  Avo- 
cat Général  au  Parlement  de  Provence,  pour 
le  tiers  Eftat,  firent  incomparablement  mieux 
chacun  en  la  manière,  celuy-cy  de  grand  Ora- 
teur, Ôc  celuy-là  de  fage  Cavalier. 

Cependant  le  Roy  qui  ne  fc^avoit  pas  tout  le  ^"y^'  '*  ^ 
fecret  du  Duc  de  Mayenne,  appréhendoit  bien 
fort  qu'on  n'éleuft  dans  cette  Alîemblée  un 
Roy,  qui  eftant  reconnu  du  Pape,  du  Roy  d'Ef- 
pagne,  de  la  plulpart  des  Potentats  de  laChref- 
tienté,  de  tous  les  Catholiques  de  la  Ligue,  Sc 
peut-eftre  aulïi  de  tous  ceux  du  Tiers  parti  dont 
il  fc  défioit  toujours,  euft  du  moins  rendu  la 
guerre  éternelle,  s'il  ne  fuft  enfin  demeuré  le 
maiflre.  Pour  prévenir  un  fi  grand  mal,  il  trou- 
va bon  que  les  Catholiques  de  fiDn  parti  en- 
voyalTent  par  un  Trompette  à  l'AfTemblée  un 
Acte  authentique,  par  lequel  ils  luy  fignifioient, 
que  puis  que  le  Duc  de  Mayenne  leur  avoit  fait 
entendre  par  la  Déclaration,  qu'il  avoit  con- 
voqué cette  AlTemblée  pour  chercher  les  moyens  ll'if/s'^iZ 
d'aifeûrer   la   Religion  &  l'Ellat ,  ils    eftoient  '"'■  "fi"*"' 

o  ^  '  de  la  CcurtTt- 

tout  prefts  d'envoyer  leurs  Députez  pour  con-  n>.&princf- 
ferer  avec  les  leurs  en  quelque  lieu  prés  de  Pa-  ^'1  «*.  c»tho^ 
ris  duquel  on  conviendroit,  afin  de  pouvoir  ^X'i/fri. 
parvenir  a  un  fi  grand  bien  qui  eiloit  le  com-  ^^f»'  ^-  ^* 


4<54       Histoire  de  la  Ligue. 


i;5  3.  ble  de  leurs  defirs,  proteftant  que  s'ils  rejet- 
toient  une  propofition  fi  raiionnable ,  ils  fe- 
roient  coupables  de  tous  les  maux  que  la  con- 
tinuarion  d'une  fi  funefte  guerre  produiroit. 

Ceft  un  étrange  aveuglement  que  celuy  que 
caufe  une  forte  pafTion  dans  un  efprit  qui  s'en 
ell  tellement  laiflé  préoccuper,  que  quelque  lu- 
mière qu'il  ait  d'ailleurs ,  il  ne  voit  pas  ce  que 
les  moins  éclairez  découvrent  d'abord,  fans  fc 
donner  la  peine  d'en  faire  une  exade  recherche. 
On  propolc  icy  nettement,  en  termes  tres-clairs, 
fans  aucune  ambiguïté,  une  Conférence  entre 
les  Catholiques  des  deux  partis,  pour  chercher 
tous  eniemble  les  voyes  les  plus  feûrcs  de  iau- 
ver  la  Religion  &  l'Elf  at.  Et  néanmoins  le  Car- 
dinal Légat,  ne  conlultant  que  cette  ardente 
pafiîon  qu'il  a  de  maintenir  la  faction  des  Seize 
contre  le  Roy,  pour  l'exclure  de  la  Couronne, 
s'écrie  que  cette  propofition  des  Catholiques 
Royaliltes  efi:  contre  la  Loy  de  Dieu,  qui  dé- 
Kivtn.  t.  2.  fen(^  d'avoir  commerce  avec  les  Hérétiques  s  & 
ces  Docteurs  dévoûifz  à  la  Ligue,  aufquels  il 
l'envoyé  pour  l'examiner,  la  déclarent  fchifma- 
rique  &  hérétique.  Mais  le  Dac  de  Mayenne 
qui  avoit  dés  vcûës  bien  différentes  de  celles 
*  du  Légat  &   des  Efpagnols ,   &   qui  vouloir 

cmpefcher  qu'on  n'éleuR  un  Roy,  fit  fi  bien 
vlTleM^en  S^^  ^'^^  conclut  dans  les  Eftats  qu'on  accepte- 
Lnuur.ATit  j-oit  la  Conférence  entre  les  feuls  Catholiques 
Mim't' i.  ''  des  deux  partis,  de  la  manière  qu'on  la  propo- 

ioit. 


L   I  V  R   E      I  V.  4^5 


fbit.  Elle  ne  fe  tint  toutefois  que  plus  de  deux  i  J5  3' 
mois  après,  à  la  fin  d'Avril,  au  bourg  de  Surel- 
ne,  parce  que  le  Duc  de  Mayenne,  qui  ne  vou- 
loir que  gagner  du  temps  pour  venir  à  fcs  fins, 
eftoit  allé,  avant  que  de  faire  réponfe,  au- 
devant  de  l'armée  Éfpagnole  conduite  par  le 
Comte  Charles  de  Mansfeld.  Ce  Duc  croyoit 
pouvoir  prendre  avec  elle  toutes  les  places  au 
deffous  &  au  deflus  de  la  Seine  qui  incommo- 
doient  Paris.  Mais  comme  elle  elloit  fi  foible, 
qu'avec  les  troupes  qu'il  y  avoit  jointes  elle  ne 
faifoit  pas  dix  mille  nommes,  tout  ce  qu'elle  put 
faire  fut  de  prendre  Noyon  qui  l'arrella  j  après 
quoy,  comme  elle  eftoit  extrêmement  dimi- 
nuée par  la  longueur  d'un  fiege  ou  il  y  eût 
bien  du  fang  répandu  ,  le  Comte  fut  con- 
traint de  s'en  retourner  en  Flandre, 
Pour  la  Conférence,  quoy- qu'elle  fe  fift  avec  ^^"  ^*  ^* 

bi  I,  1  1./     I  Confertnci  tt 

eaucoup  plus  d  appareil  ai,  d  éclat  que  toutes  sur,fn,. 

les  autres, elle  eût  pourtant  la  mefme  deftinée,  ^'^"'  ^'^' 
parce  que  les  deux  Chefs  de  la  Dépuration  de 
part  àc  d'autre,  Renaud  de  Beaune  Archevef- 
que  de  Bourges  pour  les  Royaliftes,  &  Pierre 
d'Efpinac  Archevefque  de  Lyon  pour  la  Ligue, 
deux  des  plus  adroits  ô«:  des  plus  éloquens  bornâ- 
mes de  leur  fiecle ,  eftoient  un  peu  trop  habi- 
les, àc  fouftenoient  avec  trop  d'efprit  &  de 
force  leur  fentiment,  pour  pouvoir  s'accorder, 
en  dilputant  l'un  contre  l'autre.  L'Archevefque 
de  Bourges,  dans  les  trois  harangues  qu'il  fie 

NNn 


46(i  Histoire  de  la  Ligue. 
jj?3.  pour  établir  fa  propofition,  &  pour  la  confir- 
mer en  réfutant  ce  qu'on  luy  avoir  répondu, 
n'omit  rien  de  tout  ce  qu'on  pouvoir  dire  de 
plus  fort  pour  pertuader  à  ceux  de  la  Lieuc 
ces  trois  points  qu  il  loultint  toujours  coni- 
tammcnt  juiqu'à  la  fin,  comme  autant  deveri- 
tcz  inconteltables. 

Le  premier,  que  l'on  eft  obliçré  de  reconnoif. 
tre  &  d'honorer  comme  Ion  Roy  celuy  auquel 
le  Royaume  appartient  par  le  droit  inviolable 
d'une  fuccellion  légitime,  fans  avoir  égard  ni 
à  la  Religion  qu'il  protefTc,  ni  à  fes  mœurs. 
C'cft  ce  qu'il  prouva,  premièrement  par  les  té- 
moignages de  Jefus-Chriit  &c  de  les  Apoftres, 
qui  nous  ordonnent  d'honorer  les  Rois  &  les 
autres  Souverains,  &c  de  leur  rendre  l'obéïfian- 
ce  qui  leur  eft  deûë ,  quoy-qu'ils  foient  infi- 
delles  ôc  médians ,  déclarant  que  tout  homme 
doit  eftre  foumis  aux  puilfances  ordonnées  de 
Dieu,  &c  que  d'en  ufcr  autrement  c'eft  réfifter 
à  fa  volonté,  &  troubler  l'ordre  &c  la  tranquil- 
lité publique.  Secondement,  par  les  exemples 
de  l'Ancien  Teftament,  où  l'on  voit  que  Se- 
decias  avoit  efté  tres-aigrement  repris,  &  puni 
de  Dieu  pour  s'eftre  révolté  contre  le  Roy  des 
Caldéensi  que  le  peuple  d'Ifraëlluy  avoit  obéi" 
dans  la  captivité  de  Babylone  par  l'ordre  de 
Dieu  i  &:  que  les  Prophètes ,  comme  Ahias  &c 
Elie,  s'cftoient  contentez  de  reprendre  les  Rois 
infidcUcs  à  Dieu  comme  Jéroboam  ôc  Achab, 


Livre     IV.  ^Cj 

fans  fc  révolter  contre  eux.  Troifiémcmcnr,  i;p3. 
par  l'exemple  des  Chrcfliens  de  tous  les  ficelés, 
des  Evefques,  &  des  Papes  meimcs,  qui  avoient 
IbufFert  paifiblement  la  domination  des  Empe- 
reurs Idolâtres,  Tyrans  &:  perfccuteurs  de  l'E- 
glife,  &:qui  n' avoient  pas  refulé  de  reconnoif- 
tre  pour  leurs  Souverains  les  Empereurs  qui  s'ef- 
toient  faits  Hérétiques,  comme  Conftantius, 
Valens,  Zenon,  Anaftaie,  Heraclius,  Conftan- 
tin  I V.  &  V.  Léon  1 1 1.  &  1 V.  Théophile,  &c 
les  Rois  Gots  en  Italie,  les  Vandales  en  Afri- 
que, &  lesVifigots  enEfpagne  &  dans  les  Gau- 
les, quoy- qu'ils  fuflent  tous  Ariens. 

Il  ajouita,  pallant  au  iecond  point,  qu'à 
plus  forte  raUon  l'on  eftoit  obligé  d'obéir  au 
Roy,  qui  n'eftoit,  par  la  grâce  de  Dieu,  ni  Payen, 
ni  Arien,  ni  perfecuteur  de  l'Eglife  ^  des  Ca- 
tholiques qu'il  protegeoit  &  maintenoit  dans 
tous  leurs  droits  ;  qui  croyoit  avec  eux  un  mei- 
me  Dieu,  un  mefme  Jeius-Chriil:,  un  mefmc 
Symbole.  Et  quoy -qu'il  fuit  ieparé  d'eux  par 
quelques  erreurs  qu'il  avoit  fucées,  pour  ainft 
dire, avec  le  lait,  &  aulquelles  il  n'avoit renon- 
cé que  par  une  converfion  forcée,  le  poignard 
fur  la  gorge,  qu'on  ne  pouvoir  pas  dire  néan- 
moins qu'il  y  fuit  attaché  avec  l'opiniaftreté 
qui  cft  propre  de  l'Hérelie  ,  puis  qu'il  eftoit 
tout  réloiu  de  les  abandonner  auflitoft  qu'on 
l'auroit  inilruit  de  la  venté,  ce  qui  luy  faiibit 
fouftenir  modeftement  qu'on  ne  devoir  pas  le 

NNn  ij 


4CS      Histoire  de  la  LiGUEy 

ï/53.  faire  paffer  pour  Hérétique.  Qu^au  reftc  il  y 
avoir  grand  fujec  d'efperer  qu'il  fe  convertiroic 
bientofti  qu'il  y  efloit  déjà  tout  difpofé,  com. 
me  il  paroilToit  par  la  permifïion  qu'il  avoir  don- 
née aux  Princes  &  Seigneurs  Catholiques  d'en- 
voyer à  Ces  dépens  le  Marquis  de  Pifani  à  NoC 
tre  Saint  Père ,  S>c  de  faire  avec  eux  cette  Con- 
férence; qu'il  s'eftoit  mefme  tenu  découvert 
'  avec  grand  refped ,  en  voyant  pafTer  une  Pro- 
ceiHon  à  Mante  devant  fes  feneftres  :  qu'il 
avoir  renouvelle  folennellement  depuis  peu  de 
jours  la  promelTe  qu'il  avoir  faite  de  fe  faire 
inftruire,  &c  qu'il  l'accompliroit  infailliblement 
au  plûcort. 

Et  fur  cela,  pour  s'aquirer  de  ce  quils'efloit 
propofé  en  troifiéme  lieu,  il  fe  mit  à  les  con- 
jurer avec  les  paroles  du  monde  les  plus  fortes 
ôc  les  plus  tendres,  de  fc  joindre  avec  eux  pour 
accomplir  une  fi  bonne  œuvre ,  &  pour  avoir 
part  à  rin{lru6lion,&  en  fuite  à  la  converfion 
d'un  fi  grand  Roy,  qui  recevant  d'eux  le  de- 
voir auquel  ils  eiloient  obligez,  leur  donnc- 
roit  affeûrémenr  la  fatisfaôtion  qu'ils  fouhai- 
toient ,  &c  qu'il  n'avoit  pii  donner  en  un  temps 
où,  comme  on  la  luy  demandoit  les  armes  à  la 
main,  il  euft  femblé  qu'il  n'agilToit  encore  que 
par  force. 

D'autre  part  l'Archevefque  de  Lyon  qui  n'a- 
voit  pas  moins  d'éloquence,  d'efprit  &  de  l(^a- 
voir  que  rArchevefque  de  Bourges,  en  répon- 


Livre    IV.  4<;<, 

dant  par  ordre  aux  trois  points  prapofez  par  ij^j. 
ce  Prélat,  dit  au  nom  de  tous  fcs  Coliceucs. 
qu'ils  avoûoient  qu'on  doit  rcconnoiltre  pour 
Roy,  pour  Maiftrc  Souverain,  ôc  pour  Chef  de 
la  Monarchie  Françoife  celuy  auquel  le  Royau- 
me appartient  par  une  légitime  fucceflion.  Mais 
comme  la  Religion  doit  l'emporter  pardefTus 
la  chair  &c  le  fang,  qu'il  falloir  neceflairement 
que  ce  Monarque  fuft  un  Roy  Tres-Chreflien  de 
nom  &  d'effet ,  &c  que  félon  toutes  les  Loix  di- 
vines ôc  humaines  il  ne  leur  eftoit  pas  permis 
d'obéir  à  un  Roy  Hérétique,  dans  un  Royau- 
me qui  s'eftoit  foumis  à  Jefus-Chrift ,  en  rece- 
vant ôc  profeffant  la  Religion  Catholique.  Que  . 
Dieu  dans  l'Ancien  Teftament  avoit  défendu 
d'établir  un  Roy  qui  ne  fuft  pas  du  nombre 
des  frères,  c'eft  à  dire,  de  la  mcfme  Reli- 
gion qui  fait  la  vraye  fraternité  ;  que  fuivant 
cet  ordre  lesPreftres&:  les  Sacrificateurs  d'ifraél 
s'cftoicnt  fouftraits  de  robéïlTancc  du  Roy  Jé- 
roboam, auflitoft  qu'il  eiit  renoncé  au  culte 
du  vray  Dieu  5  que  les  villes  d'Edon  &c  de  Labna, 
qui  cftoient  du  domaine  des  Lévites  les  mieux 
inftruits  en  laLoy  de  Dieu,  avoient  abandon- 
né Joram  Roy  de  Juda  pour  la  mefmc  raifonj 
qu'Araazias  &c  la  Reine  Athalia  ayant  quitté  la 
Religion  de  leurs  pères,  a  voient  efté  renverfez 
de  leur  Trône  du  confentement  général  de  tous 
les  Ordres  du  Royaume  ^  &  que  lesMachabées 
cftoient  eftimez  ôc  louez  de  toute  la  terre,  com« 

N  N  n   lij  N 


47©       Histoire  de  la   Ligue. 


ij;?3.  me  les  derniers  héros  de  l'ancienne  Loy,  parce 
qu'ils  avoient  pris  les  armes  contre  Antiochus 
leur  Prmce  Souverain,  pour  la  défenfe  de  leur 
Religion. 

Que  fî  le  peuple  Juif  avoir  obcï  au  Roy  des 
Caldéens,  c'eft  qu'il  s'y  eftoit  obligé  par  fer- 
ment, félon  l'exprès  commandement  que  Dieu 
luy  en  avoit  fait  par  fes  Prophètes,  pour  le  punir 
de  fes  abominations,  en  le  ioumcttant  à  la  do- 
mination d'un  Prince  infidelle.  Mais  que  pour 
eux,  bien  loin  d'avoir  fait  un  pareil  ferment, 
ils  en  avoient  fait,  par  l'autorité  des  Souverains 
Pontifes,  un  tout  contraire  de  ne  reconnoif- 
tre  jamais  un  Hérétique  pour  leur  Roy.  Et  quant 
aux  Catholiques,  qui  ne  lailloient  pas  de  ren- 
dre obéïffance  aux  Empereurs  &  aux  Rois  Hé- 
rétiques, il  eft  certain  que  ce  n'cl^oit  que  par 
pure  contrainte  pour  leur  impuiflance ,  ôc  que 
leur  cœur  n'y  avoit  nulle  part,  témoin  l'étran- 
ge manière  dont  les  Saints  Pères  les  ont  traitez 
dans  leurs  écrits,  où  ils  les  appellent  loups, 
chiens,  ferpens,  tygres,  dragons,  lions  &  An- 
techrills,  conformément  à  l'Evangile,  qui  veut 
que  celuy  qui  s'eil:  révolté  contre  l'Eglife  foit 
tenu  &  traite  comme  un  Payen ,  bien  loin  qu'on 
le  reconnoiffe  pour  Roy,  &  pour  Roy  Tres- 
Chreifien.  Qifau  reltc,  outre  les  Conciles  re- 
ccûs  en  France ,  &c  les  Loix  Impériales  qui  dé- 
clarent les  Hérétiques  indignes  de  toute  forte 
d'honneurs ,  de  dignitez  ôc  de  charges  publi- 


L    I   V    R   E      T  V.  471  

<:jucs,  beaucoup  plus  de  la  Royauté,  la  Loy  1553. 
fondamentale  de  la  Monarchie  Frani^oife  y  ell 
toute  exprcflc,  par  le  ferment  que  les  Rois 
Tres-Chrertiens  font  à  leur  Sacre  de  maintenir 
,1a  Religion  Catholique,  ôc  d'exterminer  tou- 
tes les  Hérefies^que  c'eft  pour  cela  qu'Us  reçoi- 
vent le  ferment  de  fidélité  de  leurs  Sujets,  &  que 
les  derniers  Eilats  avoient  aireitc,  avec  l'ap- 
plaudiflement  général  de  tous  les  bons  Fran- 
<^ois,  qu'on  ne  fe  départiroit  jamais  de  cette 
Loy,  qui  fut  receûë,  &  folennellement  jurée 
comme  fondamentale  de  l'ElHt. 

Enfin ,  pour  achever  ce  qu'il  avoir  à  dire  fur 
ce  premier  point,  il  ajoufta  que  (ans  cela  on 
ne  conferveioit  jamais  en  France  la  Religion, 
parce  qu'un  Prince  Hérétique  ne  manqueroic 
pas  d'établir  l'Hérefie  dans  les  Eftats,  tant  par 
Ion  exemple  que  les  Sujets  fuivroient  aifémenr, 
que  par  fon  autorité  à  laquelle  on  ne  réfifte  pas 
long -temps  :  comme  il  n'avoit  que  trop  paru 
dans  le  Royaume  d'Ilrael  que  Jéroboam  ren- 
dit idolâtre  j  ôc  comme  il  paroilfoit  encore  en 
Dannemark,  en  Suéde,  dans  les  Eftats  Protef- 
tans  d'Allemagne,  &  dans  l'Angleterre ,  où  les 
peuples ,  iuivanc  l'exemple  de  leur  Prince  ,  ôc 
phant  lous  leur  autorité, fe  (ont  laiffé  malheu- 
rcufemenc  entraiincr  dans  cet  horrible  abif- 
me  d'Hérefies  ou  ils  font  encore  aujourd'huy 
plongez. 

Et  là-dellus  paffant  aux  autres  points  de  la 


47^  HisTOirvE  "DE  LA  Ligue. 
ij-p3.  harangue  de  M.  de  Bourges,  il  dit  en  peu  de 
mots,  qu'on  ne  pouvoir  douter  que  le  Roy  de 
Navarre  ne  fuft  Hérétique  obftiné,  &  nulle- 
ment difpofé  à  le  convertir,  puis  qu'il  fouf- 
tenoit  depuis  fi  long-temps  d':s  erreurs  condam' 
nées  d'iîérefîes  par  des  Conciles  Oecuméniques, 
ôi  qu'il  flworifoit  plus  que  jamais  les  Hugue- 
nots, &  fur  tout  fes  Miniftresi  qu'on  l'avoic 
invité  cent  fois ,  mais  en  vain ,  à  fe  convertir; 
qu'en  fuite  il  feroit  inutile  qu'ils  entreprilfent 
de  l'y  exhorter;  qu'ils  ne  le  feroient  jamais,  par- 
ticuherement,  après  qu'on  l'auroit  reconnu  com- 
me il  le  prétendoit  ;  &  qu'ils  avoient  tous  fait 
-  •  ferment  non  feulement  de  ne  le  pas  recon- 
noiftrc,  mais  mefme  de  n'avoir  nul  commerce 
avec  luy  tandis  qu'il  feroit  Hérétique. 

Or  comme  l'Archcvefque  de  Bourges,  qui 
"fçavoit  le  fecret  du  Roy,  vit  qu'après  la  forte 
réplique  qu'il  fit  à  tout  ce  grand  difcours,  ils 
eftoient  arreftcz  fur  ce  point  duquel  ils  ef- 
toient  réfolus  de  ne  rien  relafcher,il  crut  qu'en 
le  leur  accordant,  l'affaire  feroit  bicntofl  termi- 
née. C'efl  pourquoy  ayant  demandé  du  temps 
pour  confulter  la-deflus  les  Princes  de  les  Sei- 
gneurs defquels  ils  eftoient  députez,  auflitoft 
qu'il  en  eût  receû  laréponfe,  qu'il  içavoit  bien 
qu'on  luy  feroit,  il  dît  en  la  feptiéme  féance 
le  dix-leptiéme  de  May  aux  Députez  de  l'U- 
nion ,  Que  Dieu  auoit  enfin  exaucé  leurs  vaux , 
O*  ^«''/ï   auwient  tmt  ce  qu'ils  avoient  demandé 

^oHr 


Livre  IV.*'  473  — -— 
pour  fawver  U  Religion  çir  l'Ejiatpar  la  conver/ton  15^3. 
du  Roj  qu'on  leur  wvoit  fait  efjierer,  ç^  de  laquelle 
on  ùowvoit  maintenant  les  ajjcùrer,  puis  que  le  Roy, 
réfolu  d'abjurer  fon  Hérefîe ,  U'voit  déjà  con'voqué  les 
Prélats  ft)  les  IJocleurs  dcjquels  il  louloit  recevoir 
l'injlruÛion  ,  qui  detoit  précéder  cette  grande  aclion 
Cjue  tous  les  bons  Catholiques  des  deux  partit  fou- 
haitoient  avec  tant  d'ardeur,  pour  fe  réiinir  tout  en- 
femblc  par  une  bonne  paix.  Et  afin  qu'elle  Je  fjl  à  la 
fatisfailion  d'un  chacun ,  qu'ils  pouvaient  traiter  avcc 
eux  des  Jeûfete:^  f0  des  autres  conditions  qu'ils  pou- 
vaient demander  pour  leurs  interejls  :  les  ajjeûrant,  afin 
de  leur  ofier  tout  fu jet  de  je  défier,  que  rien  ne  s'exécu- 
terait de  leur  cofié  que  le  Roy  ne  fe  fiufi  déclaré  ejfecîi- 
vement  Catholique. 

Cette  propofition  que  MefTieurs  les  Députez 
de  l'Union  n'attcndoient  pas,  &  qui  ruinoic 
toutes  les  prétentions  de  leurs  Chefs,  les  décon- 
certa tellement,  qu'après  avoir  délibéré  entre 
eux  pour  y  répondre,  n'ayant  pu  rien  conclu- 
re, ils  fc  crurent  obligez  delà  porter  à  l'Ai- 
femblée  des  Eftats  à  Pans.  Et  ce  fut  alors  qu'on 
vit  clairement  que  les  Chefs  du  parti,  qui  ne 
fongeoient  qu'à  fatisfaire  leur  ambition ,  fous 
le  beau  prétexte  d'un  fort  grand  zèle  de  laFoy 
Catholique,  craignoicnt  bien  plus  la  conver- 
fîon  du  Roy,  qu'ils  ne  la  iouhaitoient.  Quoy- 
qu'on  leur  euil  fait  voir  par  de  très  -  puilîantes 
raifons,  appuyées  de  l'autorité  des  plus  fçavans 
Dûdeurs ,  qu'on  pouvoit  donner  en  France 

OOo 


474     Histoire    de   la   Ligue. 

Ï553.  rabfolution  au  Roy,  fans  recourir  à  Rome, 
vcû  principaicment  qu'on  ne  la  donncroit  que 
4d  caurelam ,  &  que  l'on  envoyeroit  après  en 
demander  la  confirmation  au  Pape:  ils  firent 
répondre  par  l'Archeverque  de  Lyon,  qu'on 
fouhaitoit  ardemment  la  converfion  du  Roy  de 
Navarre ,  mais  qu'on  ne  la  pouvoir  tenir  pour 
véritable,  que  le  Saint  Père,  au  jugement  du- 
quel ils  la  foumettoient,  &  qui  a  fcul  le  pou- 
voir Se  l'autorité  de  l'abfoudre,  ne  l'euft  recon- 
cilié à  l'Eglifci  &  qu'avant  cela  il  ne  leur  cl^ 
toit  pas  permis  d'entrer  en  aucun  Traité  de  paix 
ôc  de  feûretc ,  puis  que  ce  feroit  prévenir  le  ju- 
gement du  Pape,  &:  traiter  du  moins  indirede- 
ment  avec  celuy  qui  efloit  encore  hors  de  l'E- 
glife,  ce  qui  feroit  directement  contre  le  fer- 
ment qu'ils  avoient  fait.  Et  fur  cela  le  Duc  de 
Mayenne ,  qui  ne  cherchoit  que  les  moyens  de 
retenir  le  plus  long-temps  qu'il  luy  feroit  pof- 
fible  cette  autorité  prefque  fouveraine  qu'il 
avoir  ufurpée ,  &  la  plufpart  des  Princes  &  des 
Seigneurs  de  fon  parti  firent  un  nouveau  fer- 
ment, entre  les  mains  du  Légat,  de  ne  recon- 
noiftre  jamais  le  Roy  de  Navarre,  quand  mef- 
me  il  fe  feroit  Catholique ,  fi  ce  n'eftoit  par  le 
commandement  du  Pape.  Ainfi  demeurant  tou- 
jours fermes  dans  cette  réfolution,  qui  empef- 
choit  abfolument  qu'on  ne  paffaft  plus  outre 
dans  la  Conférence ,  après  fept  ou  huit  féances 
tenues  à  Surefne,&:  deux  autres  à  la  Roquette, 


Livre     IV.  *      47; 


maifon  du  Chanccl'cr  de  Chiverny  hors  de  la  155?  5. 
porte  Saint  Antoine,  &  à  la  Villette  entre  Pa- 
ris &c  Saint  Denis,  on  ne  put  jamais  s'accorder, 
&  l'on  ne  conclut  rien  du  tout  qui  tcndift  à  la 
paix,  pendant  que  les  Elpac^nols  cmployoïent 
tous  leurs  artifices  &  tous  leurs  partilans  dans 
les  Eftats,  pour  rendre  la  guerre  éternelle  par 
réle(fiion  d'un  Roy. 

Car  avant  mefme  que  l'on  commencjafl:  la  Af'«  «^^  /* 
Conférence  de  Surefne,  le  Duc  de  Feria  Am-  cl^'«," N*f »», 
bafladeur  extraordinaire  du  Roy  d'Efpagnc  vers 
les  Eilats  Généraux  de  Pans,  accompagné  de 
Dom  Bernardin  de  Mendoze  AmbafTadeur  or- 
dinaire, de  Dom  Diego  d'Ibarra,  ôc  de  Jean 
Baptifte  Taflis,  preienta  en  pleine  Aflemblée,  tettreàusoy 
OU  il  rut  receu  avec  de  grands  honneurs,  les  R,vcrendtf. 
Lettres  de  TonMaiftre,  par  lefquellesil  rexhor-'"^"^''"'*^^' 
toit  à  procéder  au  plùtolt  a  l'éledtion  d'un  Roy  f's h>en-^,m,^ 
Catholique.   C'eftoit  ce  que  ce  Prince  fouhai-  tftl'tsCenL 
toit  pallionnément,  tant  pour  rendre  les  deux  ^^"^ '''^^  ^'■''*" 
partis  irréconciliables,  comme  ils  l'eulTent  efté  ^""  '•  ^ 
fans  doute,  fi  Ton  cuft  fait  un  nouveau  Roy, 
que  pour  faire  tomber  la  Couronne  à  l'Infante 
fa  fille,  comme  il  s'en  cftoit  déjà  expliqué  plus 
d'une  fois.  En  effet,  ces  Elpagnols  ne  manquè- 
rent pas  quelque  temps  après  de  propofcr  Ion 
droit  prétendu  de  proximité,  citant  fortie  de 
la  fille  du  Roy  Henry  1 1.   Puis  voyant  qu'on» 
vouloir  ablolument  unRoy,ils  propoferent  de 
nouveau  de  la  marier  avec  i'Archiduc  Erncit 

OOoij 


47^       HrsTÔÎRE    DE    LA    LiGtJS. 


15^3.  frerc  de  l'Empereur  Rodolphe.  Mais  comme 
ils  virent  que  ces  deux  propoiinons  eftoienc 
très -mal  reccûes  de  leurs  parnfans  mefme  les 
plus  zelez,  qui  vouloient,  comme  tous  les  au- 
tres, qu'on  elcuft  un  François  auquel  le  Roy 
d'Efpagne  pourroïc  donner  la  fille  en  mariage: 
ils  firent  enfin  une  nouvelle  ouverture ,  après 
avoir  pris  du  temps  pour  délibérer  fur  une  af- 
faire de  cette  importance,  &:  dirent  que  le  Roy 
leur  mailtre,  pour  les  latisfairc,  eftoitpreft  d'ac- 
corder le  mariaee  de  l'Infante  avec  un  Prince 
François  qu'il  nommeroit,  y  compris  ceux  de 
la  Mailon  de  Lorraine,  puis  qu'il  cftoit  juflc 
que  ce  fuft  luy  qui  le  choifill  un  gendre  j  mais 
qu'il  falloit  aulTi  que  les  Ellats  les  éleufTent,  dc 
les  déclaraient  tous  deux  Roy  &  Reine  de  Fran- 
ce folidairement,  ôc  qu'il  employeroit  pour  les 
maintenir  toutes  les  forces  de  les  Royaumes. 

Comme  prefque  tous  les  Députez  ne  vou- 
loient autre  chofe  qu'un  nouveau  Roy  qui  fuft 
François,  cette  propofition  qui  leur  paroiflbit 
extrêmement  avantageule  fut  receûe  avec  tant 
d'applaudifl'ement,  que  le  Duc  de  Mayenne, 
qui  clloit  retourne  depuis  peu  aux  Eltats  pour 
rompre  les  deflcins  desEfpagnolsjn'ola  s'y  op- 
pofcr  diredbement ,  quoy- qu'il  euil:  fortement 
réfolu  d'empclcher  par  toutes  les  voyes  qui  luy 
feroicnt  poilibles,  qu'on  ne  filf  cette  éleétion 
qui  ne  pouvoit  tomber  fur  luy.  Or  comme  il 
en  cherchoit  les  moyens,  cette  partie  du  Parlç^ 


il  o 


Livre    IV.  477 • 

ment  Jcs  Pairs  qui  crtoit  à  Pans  pour  la  Ligue,  i  ;  ^  3^ 
ayant  confervé,  nonobftant  cette  diviiion  des 
membres  de  cet  augufte  Corps,  les  généreux 
fcntimens,  &c  les  maximes  mviolables. qu'il  a 
toujours  fait  valoir  en  toutes  les  occaiions.  Se 
en  quelque  eftat  qu'il  le  loit  trouvé,  pour  main- 
tenir les  Loix  fondamentales  &C  les  Libertez  de 
la  Monarchie  Franqoile,  luy  en  fournit  un  ex- 
cellent. Car  la  Cour  ayant  appris  qu'on  fem- 
bloit  approuver  dans  les  Ellats  la  propoiition 
des  Efpagnols,  rendit  le  vingt -huitième  de 
Juin  ce  célèbre  Arreft,  qui  porte:  Que^nayAnt,  jrrejf  j,nni 
comme  elle  n'a  j^mau  eu,  autre  intention  que  de  main-  '^J'u^r^ènt  t« 
tenir  la  E^eligion  Catholique,  ^^ofîolique  ^  Romaï-  ^""^  '*  '^• 
ne  en  France ,  Joui  la  proteÛion  d'un  Roy  Tres-Chrcf-  it.i, 
tien,  Catholique  ^  Françoa ,  elle  a  ordonné  ^  or- 
donne qu'on  fera  des  remontrances  ce  jour -là  mefme 
a  Ad.  de  Aiayenne,  Lieutenant  Général  de  l'Eflat  & 
Couronne  de  France ,  en  U  prefence  des  Princes  çjr 
Ojjîciers  de  U  Couronne  ejlant  de  prcjent  à  Parti ,  x 
ce  qu'aucun  Traité  ne  Je  jajje  pour  transférer  la  Cou- 
ronne en  la  main  de  Princes  ou  Prince  fjes  Ejîrano-ers  . . , 
^  qu'il  ait  A  employer  l'autorité  qui  luy  eji  commifc 
pour  empejcber  que  fous  le  prétexte  de  la  Religion  U 
Couronne  ne Joit  transférée  en  main  eflrangere  contre 
les  Loix  du  Royaume  . . . .  çir  que  dés  à  prejent  elle 
A  déclaré  (^  déclare  tous  les  Traite:^^  faits ,  ^  qui  fè 
feront  cy- après  pour  l'établijpment  d'un  Prince  ou  Prtn' 
cejje  ejirangere,  nuls  ç^r  de  nul  effet  &  'valeur,  com- 
me faits  au  préjudice  de  U  Loy  Salique ,  (^  autres 

OOoiij 


47^       Histoire  de  la  Ligue. 

I JP5.  Loix  fondamentales  du  Royaume  de  France.  Le  Duc 
de  Mayenne  fit  femblant  d'eftre  fore  irrité  de 
ce  qu'on  avoir  rendu  cet  Arreft  fans  luy,  &  en 
fit  de  grands  reproches  au  Premier  Préiîdenc 
Jean  le  Maiflre ,  qu'il  avoit  établi  dans  cette 
charge ,  &  qui  ne  r(^achant  pas  fon  fecret  luy 
répondit  avec  toute  la  force  que  doit  avoir  le 
Chef  d'une  fî  célèbre  Compagnie  quand  il  fait 
fon  devoir.  Mais  dans  la  vérité  ce  Prmce  adroit 
en  fut  fort  aifè,  parce  qu'il  efpera  que  cet  Ar- 
reft  affoibliroit  du  moins  les  pourfuites  des  Ef- 
pagnols.  Il  trouva  néanmoms  tout  le  contrai- 
re. Car  comme  ils  virent  par  cet  Arreil: ,  &  par 
la  prife  de  Dreux  que  le  Roy  avoir  afTiegé  Se 
emporté  de  vive  force  fur  ces  entrefaites,  que 
pour  peu  qu'on  retardaft  l'élection  d'un  Roy, 
il  y  avoit  grande  apparence  qu'elle  ne  fe  feroic 
jamais  :  ils  fe  mirent  à  la  prefl'er  plus  fortement 
qu'auparavant  de  la  manière  qu'ils  l'avoient 
propofée.  Pour  détourner  ce  coup  ,  M.  de 
Mayenne  qui  crut  qu'ils  n'avoient  qu'un  pou- 
voir général  de  nommer  celuy  qu'ils  jugcroient 
le  plus  à  propos  pour  leur  interell,  leur  dk  qu'il 
falloir  neceÛairement  attendre  qu'ils  en  eufïènt 
receû  un  particulier,  où  le  Roy  leur  mairtre 
nommait  celuy  qu'il  voudroit  choiiir  pour  fon 
gendre. 

Mais  il  fut  bien  furpris,  lors  que,  comme  ils 
avaient  apparemment  pluficurs  blancs -lignez 
pour  s'en  Icrvir  dans  les  occalions.  Us  luy  mon- 


Livre     IV.        "  ^       47P 

trTent,  en  prcfencc  du  Cardinal  Lcgat  &  des    ij^j. 

f)rincipaux  membres  des  Ertats  aflcmblcz  chez 
uy ,  le  pouvoir  qu'ils  avoient  en  bonne  forme  <,  . 
de  nommer  le  Duc  de  Guife.  Il  cacha  néan- 
moins le  mieux  qu'il  put  l'extrcmc  chagrin  qu'il 
avoir  de  cetcc  nommation  que  la  Duchefle  fa 
femme  ne  pouvoir  fouffrir,  îuy  confcillanc  de 
faire  pliitolt  la  paix  avec  le  Roy,  que  d'cftre  fi 
lafche  que  de  reconnoilhe  pour  Ton  Maiftrc 
ÔC  pour  Ton  Roy  ce  petit  garçon  ;  c'cft  ainfi  qu'el- 
le appelloir  par  mépris  fon  neveu.  Mais  le  Duc 
de  Mayenne ,  qui  ne  vouloir  pomt  encore  alors 
avoir  de  Maiftre,  prit  un  autre  biais,  &  deman- 
da huit  jours  de  temps  pour  donner  par  écrit 
ce  qu'il  demanderoit  pour  fon  dédommage- 
ment que  les  Efpagnols  Iuy  accordoient  tel 
qu'il  le  pourroit  fouhaiter.  Et  cependant  il  fceiic 
il  bien  ménager  les  efprits,  ôc  faire  compren- 
dre à  la  plufpart  des  Députez ,  aux  Seigneurs 
&  aux  Princes,  &:  au  Duc  de  Guife  mefme, 
que  c'efloit  un  horrible  contre -temps  que  de 
créer  un  Roy  avant  qu'on  euft  des  forces  fuf- 
fifantes  pour  le  maintenir  contre  un  Roy  tres- 
puifTant  &  vi(l^orieux  :  que  malgré  tous  les  par- 
tilans  d'Efpagne  on  répondit  aux  Miniilres  Ef- 
pagnols, qu'on  eftoit  réfolu  d'attendre  à  pro- 
céder à  cette  élection  qu'on  euft  receû  le  grand 
fecours  que  le  Roy  d'Efpagne  promettoit.  Ainfî 
l'éledion  fut  différée  par  l'adrcile  du  Duc  de 
Mayenne  i  ce  que  le  Do(^eur  Mauclerc,  grand 


4S0      Histoire   de   la    Ligue. 


i^^3.     Ligueur,  déplore  amèrement  dans  une  Lettre 
vu^.d-Aïuji  qu'il  écrivit  de  Paris  au  Dodteur  de  Creil ,  autre 
Mnn,t.  t.     t>on  Ligueur  qui  cftoit  à  Rome  pour  les  inte- 
refts  du  Parti,  &:  auquel  il  découvre  tout  ce 
mylterc,  qui  en  effet  rcnverfa  toutes  les  ma- 
chines des  Efpagnols  &  de  la  Ligue,  &  détrui- 
fît  tout  leur  ouvrage.  Car  en  fuite  il  arriva  bien 
des  chofes  qui  firent  qu'on  ne  parla  plus  défai- 
re cette  éledîion,  &  dont  la  première  &  la  prin- 
cipale fut  la  converfion  du  Roy,  de  laquelle  il 
faut  maintenant  que  je  parle, 
c*jtt.îi»vi».       Il  y  avoir  déjà  plus  de  neuf  ans,  qu'encore 
'"*■  qu'il  fuft  Chef  Ôc  Protcdeur  des  Huguenots, 

il  avoit  cherché  les  voycs  de  le  réunir  avec  tout 
fon  parti  à  l'Eghfe  Catholique,  Car  en  l'année 
mil  cinq  cens  quatre- vingts -quatre,  un  peu 
avant  que  les  Princes  liguez  cullent  pris  les  ar- 
mes, le  feu  Roy  luy  ayant  envoyé  M.  de  Bel- 
liévre  à  Pamiers,  pour  luy  déclarer  qu'il  vou- 
loir que  la  Mefle  fuft  rétablie  dans  le  Comte 
de  Foix  6c  dans  tous  les  autres  pais  qu'il  te- 
noit  fous  la  Souveraineté  de  la  Couronne  de 
France  :  il  fie  fonder  par  un  des  Miniftrcs  de 
fa  Maifon,  qui  eitoit  d'alfcz  bonne  compo- 
sition, la  volonté  des  autres  Minières  de  ces 
païs-là,  pour  f(çavoir  s'il  y  auroit  lieu  d'cfpe- 
rcr  qu'ils  vouluifcnt  s'employer  de  bonne  foy 
à.  chercher  les  moyens  de  faire  une  réiinion  gé- 
nérale avec  l'Eglile  Catholique.  Ils  fe  relafche- 
icnt  fans  beaucoup  de  peine ,  fur  tous  les  points 

de 


Livre     IV.''      481 

de  Controverfe,  excepté  fur  un  feul  qui  leur    159$. 

tenoic  le  plus  au  cœurj  fçavoir,  leur  intereft, 

en  demandant   de  grands   appointemens   que 

l'on  n'eftoit  pas  en  cftat  de  leur  donner,  &  di-  ■     • 

fant  fort  naïvement,  voicy  leurs  propres  ter-      > 

mes  ,  Qu'ils  ne  'voulaient pds  ejlre  ^Jfigne':^  Jur  la  rente 

des  Ecoliers t  qui  n'ejl  autre  que  le  Peto. 

Plufieurs  de  fon  Confeil,  &  entre  autres  le 
(leur  de  Segur,  l'un  de  ceux  aufquels  il  fe  fioit 
le  plus,  eftoient  néanmoins  d'avis  qu'il  n'a- 
bandonnaft  pas  cette  entreprife,  &  qu'il  taf- 
chaft  d'en  venir  à  bout  doucement  &  fans  bruit, 
en  gagnant  les  principaux  de  fon  parti.    Et  il 
y  eftoit  tellement  porté,  qu'il  ne  put  s'empef- 
cher  de  protefter  alTez  fouvent,  lors  qu'il  fut 
parvenu  à  la  Couronne,  &:  fîngulierement  après  cayit.Ktvin. 
la  bataille  d'Ivry ,  qu'il  fouhaitoit  de  tout  fon  '•  '•/•^^*- 
cœur  qu'on  fe  réiinilt  à  l'Eglife,  de  laquelle  on 
s'eftoit  feparé ,  &  qu'il  croiroit  avoir  fait  plus 
que  pas  un  de  fes  Prédecefleurs,  fî  Dieu  luy  fai-  ^  , 
foit  la  grâce  de  pouvoir  faire  un  jour  cette  réu- 
nion fi  neceflaire,  &  devoir  que  tous  les  Fran-  .    "1 
çois,  qui  ne  peuvent  avoir  qu'un  Roy,n'ayent  ^ 
aufli  qu'une  mcfme  Foy.    Mais  il  y  a  g-r^nde 
apparence  que  Dieu  avoir  relerve  cette  gloire       ■■  '■■ 
au  Roy  Loûïs  le  Grand  fon  petit  fils,  dont  les 
vidtoircs  non  fanglantes,  qu'il  remporte  tous 
les  jours  en  pleuie  paix  fur  l'Fiérefîe  par  fa  fa-             -   ' 
ge  conduite  ôc  par  fon  zèle,  qui  ont  trouvé 
l'art  de  ramener  iebPxoteftans  en  foule,  de  fans  • , 

PPp 


48i.       HiSTOÎRE     DE     LA     LiGUE. 
ij5>3.     violence  à.  l'Eglifc,  nous  font  efpercr  que  c'efl 
Tous  Ion  Règne  qu'on  verra  l'accompliiTemenc 
du  fouhaic  de  fon  ayeul. 
j^.  Kcve».         On  a  mefme  Cccù.  que  ce  Prince,  lors  qu'il 
t»f-i4  '    j-^'gf^QJj-  encore  que  Roy  de  Navarre,  en  ce 
temps  dont  je  parle ,  dit  un  jour  en  confiden- 
ce à  l'un  de  lesMiniftres,  qu'il  ne  voyoit  nul- 
le dévotion  dans  ia  Religion  ^  que  tout  con- 
fill:oit  à  ouïr  un  Prefche  en  beau  François,  & 
qu'il  avoit  toujours  dans  l'efprit    qu'on  doit 
croire  que  le  Corps  de  Noftre  Seigneur  eft  au 
Saint  Sacrement ,  car  autrement  la  Cène  ne  fc- 
roit  qu'une  iimple  cérémonie  extérieure,  lans 
avoir  rien  de  iolide&d'eflentiel.  C'eft  icy  qu'il 
me  femble  que  je  ne  puis  me  difpenfer  de  ren- 
,.  dre  la  juftice  qu'on  doit  au  mérite  d'un  des 

plus  grands  hommes  que  nos  Rois  ayent  ja- 
mais employez  dans  les  plus  importantes  nego- 
tiations,  &  qui  contribua  le  plus  à  mettre  ces 
^  bonnes  difpofitions  dans  l'ame  du  Roy  de  Na- 
Ticr.^.m^J.  varre.  C'eft  le  célèbre  François  de  NoaillesEvcf- 

Z.  de  jintich.  ,,   .  ■      ,    n  •'  1     •         • 

,.  ^+.  que  d  Acqs ,  qui  s  elt  aquis  une  gloire  immor- 

3aud,er.H<ft.  [elle  oat  ks  crrands  ferviccs  qu'il  a  rendus  plus 

de  trente -cinq  ans  a  la  France,  tous  quatre  de 

Jrunc.  Lut-  H  11 

t,,M  de  'i!"fi.  nos  Rois,  en  quinze  voyages  hors  du  Royau- 
jiq!„t.vtus.  o^  çj^  quatre  Ambaffades  folennelles ,  en 

l.etrr.  de  M.  ^   ~^  \  r        \  r  ^ 

fnreduKoyk  Angleterre,  a  Vernie,  a  Rome,  &  lur  tout  a, 
fjcou^ll  Conftantinople.  Car  il  fit  de  fi  belles  chofes 
TévrUr.s^c.  ^^  ^z^.  c^ploy ,  Dout  l'inteteft  de  I^  Religion 

Roberii    G.ili.  /        ,       ■'.^  \      i^     •  ni-  t  t      o  ; 

chnft.  auprès  du  Grand  Seigneur  Selim  1 1.  &  en  vi- 


Litre     IV.  4S5 

firent  luy-mcfmc  la  Syrie,  la  Palellinc,  &  l'E-    i;5>3. 
gyptc ,  pour  y  procurer  le  foulagcmcnt  &  l'a-  ^J"'',!'  '^' 
vanta gc  des  Chreftiens,  cjue  les  plus  grands  Prin-  f'^"»'-  i«'i. 
ces  de  la  Chrefticnté  fe  crurent  oblieez  d'en  5'T  '^'^^■ 

on  Acc^s   e.  M. 

taire  des  remercHTiens  au  Roy.  Le  Pape  Gre-  '',  cardinal 
goire  XIII.  voulut  mefme  que  Ton  Nonce  en  ^ursiIVi'. 
témoio;naft  de  fa  partlareconnoifTance  à  l'Am-  ^""'-  ^'  *^- 
balladeur,  lors  quil  païkroit  par  Venue  pour  -^^  np.  de 
s'en  retourner  en  France,  &  qu'il  le  fuppliaft  féStr'j^'j 
de  faire  en  forte  que  Ion  frère  l'Abbé  de  rifle,, 
qui  luy  avoir  luccedé  en  plufîeurs  de  fesNego- 
liations  6c  en  cette  Ambaflade,  comme  il  luy 
fucceda  depuis    en  l'Eveiché  d'Acqs  ,  fuivift 
de  fi  beaux  exemples  qu'il  luy  avoit  donnez.  •  " 

Il  eft  vray  que  le  Pape  Pie  V.   Prédeceil'cur 
de  Grégoire  avoit  d'abord  trouvé  fort  étran^ 
ge  qu'un  Evefque  fuft  AmbafTadeur  du  Roy 
Tres-Chreftien  à  la  Porte  Ottomane.    Mais 
outre  que  l'Evefque  d'Agria,  tres-fage  &c  très-         '.    ■ 
vertueux  Prélat,  le  fut  bien  cinq  ans  pourl'Em-  ^'C-  ''' ^^^ 
pereur  Maximiiien  1 1.  lans  qu  on  y  trouvait  a  ur.ot^ne  </. 
redire  ;  il  changea  bien  de  fentiment,  quand  après  3  o".'jl'iiiu 
que  l'Evelque  d'Acqs  eût  obtenu  par  Ion  cre-  ''^'^      , 
dit  que  le  Grand  Seigneur  fift  défenle  à  Piali 
BafTa  Général  de  Ion  armée  Navale,  de  faire         -: 
deicente  fur  les  Terres  de  l'Eglife ,  ce  faint  Pon-     ,\';; 
tife  luy  promit,  en  reconnoiflance  d'un  li  grand 
bienfait,  de  l'élever  au  comble  des  plus  grands- 
honneurs  dont  les  Papes  puiflent  récompenier 
un  grand  iervice  rendu  à  l'Eglilc. 


4^4       Histoire  de    là   Ligue. 

^5P3-  C'cftoient-là  les  emplois  de  cet  Evefquc, 

donc  le  mérite  ne  fut  pas  moins  éclatant  que 
celuy  de  Ton  Aidé  Antoine  de  Noailles  Chef 
de  cette  illultre  Mnfon,  l'une  des  plus  ancien- 
nes &  des  plus  dillinguées  du  Limoiin,  qui  fut 
Luritm.       AmbafTadcur  en  Ansleccrre,  Gouverneur  de 
Bordeaux,  &  Lieutenant  de  Roy  en  Guyenne, 
où  il  fervit  l'Ellat  ôc  la  Religion  avec  ce  met- 
me  zèle  qu'on  voit  éclater  aujourd'huy  avec 
tant  de  fuccés  &  de  gloire  dans  la  pofterité. 
Leur,  it  M.       Qr  cc  fut  Dat  ce  mefme  zèle  de  la  Religion 
de  chivernj.  quc  tTafK^ois  de  Noailles,  après  avoir  réduit  au 
//  30' lÂTy"  nombre  de  douze  les  cent  familles  de  Huguenots 
'^*^'  qu'il  avoit  trouvées  dans  Acqs,  quand  on  luy 

eût  donné  cet  Evefché,  ne  manqua  pas  de  fc 
prévaloir  d'une  belle  occafîon  qu'il  eût  de  faire 
au  Roy  de  Navarre  une  forte  remontrance,  qui 
produifit  en  fon  temps  l'effet  qu'il  en  efperoit. 
ttitr.  dt  M.    Car  ayant  conféré  par  ordre  du  Roy  à  Nerac 
dt  np  fon    deux  ou  trois  rois  avec  ce  Prince,  pour  le  prcl- 
{TosUr  fer  de  rétablir  l'exercice  de  la  Religion  Catho- 
ISS3.         lique  en  Bearnj  comme  il  vit  qu'on  luy  oppo- 
^"iitZ'f'  foit  toujours  de  nouvelles  difficultez,  il  ne  s'ar- 
se£»r  SNTin.  j-^fj-^  pjyg  ^  ^ç  Doint  particuUcr,  &c  venant  au 

te„d.duRoy  •         ^  j  *  1  a         J'  J      "  1    1 

desav^rrr.  principe  dont  tout  le  reite  dependoit,  il  luy 
iuf"sV3.  <^ic  en  prefence  de  Segur,  avec  toute  la  force 
ôc  la  finccrité  que  doit  avoir  un  fidelle  Minis- 
tre ,  ^«'î/  ne  falloit  pM  que  Sa  Majefié  pretendiji 
s'appuyer  Jur  un  parti,  qui,  quelque  put jjant  qu'il pa- 
ruj},jemt  toujours  trop  fbihle, pour  le  porter ,  mal- 


Livre     IV.  48^ 


iré  les  Catholiques  infiniment  ^Im  forts,  jujques  où  ij<?3. 
Jk  naiffànceçy  la  fortune  le  pourroicnt  un  jour  élever. 
Que  quelque  miracle  qu'il  fifi:,  il  n  avancerait  jamais 
rien  qu'il  ne  Je  fujl  réconcilié  de  bonne  fiy  avec  l'E^ 
^lije  Catholique;  ^  qu'il Jeroit  impojjihlt',  ce  furent 
là  les  propres  termes,  qu'il  pufi  jamais  rien  édfier 
de  Jolide  pour  l'avancement  de  fu  fortune  dedans  (^ 
dehors  ce  Royaume ,  s'il  ne  hajiijjoit  fur  ce  fonde- 
ment. 

Ccft  ce  qu'il  dit  en  prenant  congé  du  Roy  i*'''. 
de  Navarre,  Se  peu  de  jours  après  écrivant  d'A- 
gen  au  fîeur  de  Segur  Surintendant  de  ce  Prin- 
ce, il  luy  protefle  que  Ton  Maiftre  ne  parvien- 
dra jamais  à  ce  qu'il  peut  prétendre  légitime- 
ment, s'il  n'entre  par  cette  porte,  &  le  prie  de 
fe  fouvenir,  que  fi  l'on  ne  fuit  Ion  confeil,  il 
luy  dira  quelque  jour  ce  que  dit  Pétrarque  : 

Error  d'avanti ,  e  peniten:(a  adietro. 

Ce  difcours  ébranla  Segur  qui  avoir  beaucoup 
de  pouvoir  fur  refprit  de  fon  Maiftre  ;  ôc  ce 
fut  principalement  ce  qui  l'obligea  de  luy  don- 
ner le  confeil  que  nous  avons  dit,  &  qui  en 
fuite  fit  fonger  fcrieufement  le  Roy  de  Navar- 
re à  fe  réiinir  avec  les  Catholiques. 

Mais  comme  fur  ces  entrefaites  la  Ligue  com- 
mencja  tout  ouvertement  fa  révolte,  ôc  obtint 
en  fuite  les  armes  à  la  main  un  Edit,  par  lequel 
on  s'obligeoit  à  faire  puifTamment  la  guerre 
aux  Huguenots,  Segur  qu'il  avoir  envoyé  de- 

PPp  iij 


4^^      Histoire    de    la    Ligue. 

f/5>5-  puis  peu  demander  du  fecours  en  Allemagne, 
îuy  écrivit  après  qu'il  l'eût  obtenu  ,  qu'il  ncC- 
toit  plus  temps  de  parler  de  le  faire  Catholi- 
que, quoy-que  luy-mcfme  le  Iuy  euftconfeillé 
auparavant  ;  ôc  que  puis  que  fes  ennemis  le  vou- 
ioient  contraindre  par  force  à  changer  de  Re- 
ligion, à  peu  prés  comme  on  avoit  fait  à  la 
Saint  Barthélémy,  qu'il  devoit  fe  roidir  contre 
eux,  &c  défendre  fa  liberté  par  les  armes,  afin 
qu'on  ne  pufl:  pas  dire  qu'il  plioit  lafchement 
fous  leur  volonté,  &  qu'il  pull  faire  en  un  au- 
tre temps  librement  &  avec  honneur  ce  qu'il 
ne  feroit  maintenant  qu'avec  honte  ôc  par  con- 
trainte. 

Il  fuivit  cet  avis,  qui  fut  aulïi  celuy  de  fon 
Confeil.  Il  fit  la  guerre,  &c  parut  toujours  à  la 
tefte  des  Huguenots  avec  le  fuccés  que  nous 
avons  veû  :  mais  il  ne  laiifoit  pas  cependant, 
comme  il  avoit  i'efprit  vif  &  fort  pénétrant, 
de  s'inftruire  d'une  manière  aflez  adroite,  tan- 
toft  en  propofant  à  (es  Miniftres  Tes  diflicul- 
rez,  ou  plûroft  fes  doutes  lur  les  points  de  fa 
Rehgion,  pour  fcavoir  d'eux  fur  quoy  ils  fe 
fondoient ,  tantoft  en  conférant  avec  de  fça- 
vans  Catholiques ,  de  fouftenant  le  plus  forte- 
ment qu'il  pouvoit  contre  eux  ce  qu'il  avoit 
appris  des  Miniftres,  afin  de  pouvoir  découvrir 
par  leur  réponfe,  en  la  conférant  avec  celle  de 
ces  Miniftrcs,  de  quel  coftc  eftoit  le  foUde  ôc 
la  veiité.  Et  il  contmua  toujours  cette  forme 


Livre    IV.  487 

d'infl:ruâ:ion  en  s'éclaircifTint  ainfi  des  princi-  ijP3- 
paux  points  de  Controverie ,  &c  le  fliiiant  mef- 
mc  donner  par  cent  ce  qu'on  avoir  à  dire  pour 
ou  contre  :  ce  qui  fie  que  les  Huguenots  ne  le 
crurent  jamais  trop  ferme  en  la  Religion,  & 
qu'ils  fe  fioient  bien  plus  au  feu  Prince  de  Con- 
dé,  qui  cftoit  en  effet  bien  meilleur  Proteftanc 
que  luy. 

Et  certes  il  y  a  grande  apparence  que  quand 
à  fon  avènement  à  la  Couronne  il  promit  aux 
Princes  Se  aux  Seigneurs  Catholiques  de  fe  faire 
inftruire  dans  fix  mois,  il  avoir  déjà  réfolu  de 
fc  convertir,  ne  luy  reftant  que  fort  peu  de  cho- 
fcs  fur  lefquelles  il  vouloir  encore  demander 
quelque  éclairciffement.  Mais,  comme  ill'avoûa 
depuis,  il  crut  eftre  obligé  de  différer  cette  bon- 
ne action  jufqu'à  un  autre  temps,  parce  que  les 
Huguenots  n'euffent  pas  manqué  de  fe  canton- 
ner, &c  de  fe  choifir  quelque  puiffant  Protecteur 
chez  les  Eftrangers;  ce  qui  euil  caufé  de  nou- 
veaux troubles  en  France.  Outre  que  les  Chefs 
de  la  Ligue  avoient  alors  trop  de  forces  pour 
fe  foumettre  a  luy,  quand  mefme  il  fe  fuft  dé- 
claré Catholique,  &c  que  les  peuples  n'ayant 
pas  encore  fenti  les  maux  extrêmes  de  la  guer- 
re, la  vouloient  à  toute  force  contre  luy;  ôc 
qu'en  fuite  il  n'euft  pu  encore  parvenir  à  la, 
chofe  du  monde  qu'il  fouhaitoit  le  plus  ar- 
demment ,  fqavoir  de  rétablir  la  paix  dans  fou 
Royaume  en  embraffant  la  Religion  de  fcs  Pères» 


Histoire  de  là  Ligue. 
ïi5>3>  Mais  un  peu  avant  que  l'on  commençift  la 
Conférence  de  Surefnc,  il  vit,  après  avoir  fait 
une  lolidc  réflexion  fur  l'eftat  prefent  de  fes  af- 
faires, que  toutes  chofes  concouroient  alors  à  l'o- 
bliger de  ne  différer  pas  plus  long-temps  facon- 
verfion.  Car  d'une  part  il  eftoit  allciirc  des 
principaux  Chefs  Huguenots  qui  pourroient  re- 
muer, &c  dont  melme  plufieurs  des  plus  puif- 
fans  ne  firent  nulle  difficulté  de  luy  dire  qu'en 
bonne  politique  il  devoir  aller  à  la  Meflc,  ÔC 
que  la  paiiible  poffefTion  d'un  grand  Royau- 
me en  valoir  bien  la  peine.  De  plus,  les  Chefs 
de  l'Union  eftoient  fi  foibles  ôc  fi  peu  unis  en- 
tre eux,  qu'ils  n'eftoient  plus  du  tout  en  eftat 
de  luy  réiifter  long- temps,  quand  ils  ne  vou- 
droient  pas  lereconnoiftre.  Et  pour  les  peuples 
de  la  Ligue ,  ils  cftoient  fi  faouls  de  la  guerre 
qui  les  confumoit ,  qu'ils  ne  demandoient  que 
la  paix. 

D'autre  part,  il  voyoit  que  IcsEfpagnolsfai- 
foient  tous  les  efforts  imaginables  pour  obliger 
les  Eftats  à  créer  un  Roy  Catholique  ■■,  qu'il  y 
avoit  grand  danger  que  le  Tiers  parti,  qui  peu 
auparavant  avoit  fait  complot  de  l'enlever  dans 
Mante,  fc  joignant  a  ces  Catholiques  Ligueurs 
qui  ne  vouloient  point  des  Efpagnols,  ne  fift 
auffi  un  Roy  de  fon  cofté ,  ce  qui  feroit  jettcr 
la  France  dans  une  effroyable  confufion  5  & 
qu'enfin  ceux  mefmes  qui  n'eftoient  pas  de  ce 
parti,  Ôc  qui  l'avoient  toujours  fcrvi  avec  une 

inviolable 


Livre    IV^'-''      '485 

inviolable  fidclitc,  le  conjuroient  de  ne  plus     ijp3. 
dilïcrcr  à  fe  convertir,  &  le  faifoicnc  d'une  ma- 
nière à  luy  faire  entendre  fans  dcguiicmcnt , 
qu'ils  eil:oient  réfolus  de  l'abandonner  s'il  n'a- 
Bandonnoit  fa  faufl'e  Religion. 

Tout  cela  mis  enfemblc  acheva,  par  la  grâ- 
ce de  Dieu  qui  fe  fcrc  des  caufes  fécondes,  de 
le  déterminer  à  accomplir  enfin  ce  qu'il  avoir 
projeté  depuis  ii  long-temps,  &  à  faire  publi- 
quement profeflion  de  la  Foy  Catholique.  De 
forte  que  quand  le  lieur  François  d'O,  ccluy  de 
tous  les  Seigneurs  de  la  Cour  qui  parloit  le  plus 
librement,  le  vint  prefl'er  d'une  manière  aifez 
forte  ,  de  la  part  de  tous  les  Catholiques  de 
fon  parti,  d'accomplir  la  promefle  qu'il  leur 
avoit  faite,  il  luy  fit  entendre  fort  paifiblement 
les  trois  raifons  que  je  viens  de  dire  qu'il  avoit 
eues  de  différer  la  convcrfion  jufqu'alorsj  &c 
puis  il  luy  donna  pofitivement  la  parole,  que 
dans  trois  mois  pour  le  plus  tard,  après  avoir 
veû  ce  que  produiroit  la  Conférence  de  Suref- 
ne,ilferoit  abjuration  de  l'Hérciie,  après  avoir 
reccû  l'inftrudtion  des  Evefques  &:  des  Dodteurs, 
laquelle  devoir  précéder,  félon  les  formes  de 
l'Eglife,  une  fi  célèbre  action,  luy  ordonnant 
au  rcfte  d'en  affeûrer  l'Archevefque  de  Bourges 
qui  alloit  partir  pour  la  Conférence.  Et  c'clt 
fur  cela  mefme  que  ce  Prélat,  après  avoir  reccû 
la  réponfe  qu'il  Ic^avoit  bien  qu'on  luy  feroïc 
de  Mante  où  la  Cour  elloit ,  parla  comme  il 


45>o      Histoire   de  la  Ligue. 

ij5>3.  fie  à  Surefnei  &  croyant  avoir  terminé  l'affai- 
re, donna  en  la  feptiéme  féance,  le  dix-feptié- 
mc  de  May ,  aux  Députez  de  la  Ligue  pleine 
afleûrance  de  la  converfion  du  Roy. 

Aufïï  ce  Prince,  qui  eîloit  fortement  réfolu 
à  une  fi  iainte  action,  ne  manqua  pas  d'écrire 
le  feiziéme  du  melme  mois  à  plufieurs  Prélats 
&  aux  Codeurs,  tant  de  ion  parti  que  de  ce- 
luy  de  la  Ligue,  une  fort  belle  lettre,  par  la- 
quelle il  les  invite  à  fe  rendre  auprès  de  luy 
dans  le  quinzième  de  Juillet,  afin  qu'il  puiffe 
recevoir  les  bons  enfeignemens  qu'il  attend 
d'eux,  les  affeiirant,  voicy  les  termes  de  fa  Let- 
tre, Qu'ils  le  trouveront  très -difjjosé  t0  docile  à 
tout  ce  que  doit  un  Roy  Tres-Chrcjlien  j  qui  n'a  rien 
plus  'vi'vement  gTAvé  dans  le  cœur  que  le  :^ele  du  fer- 
lice  de  Dieu,  cy  la,  manutention  de  fa  njraje  Evlife, 

Cependant  les  Miniitres  &  les  vieux  Hugue- 
nots rigides  &  fauffement  zelez  pour  leur  Sedle, 
craignant  ce  coup  fatal  à  leur  prétendue  Reli- 
gion, faifoient  fouvent  des  Ailemblées  iecretes 
pour  chercher  les  voyes  de  le  détourner  d'une 
îî  fainte  rélolution.  Il  y  en  eût  mefme  qui  ofe- 
rent  prendre  la  liberté  d'en  parler  dans  leurs 
Prelches,  &:  de  le  menacer  publiquement  des 
jugemens  de  Dieu  s'il  abandonnoit  l'Evangile, 
car  c'efl:  de  ce  beau  nom  qu'il  leur  a  plû  d'hono- 
rer leurs  erreurs.  Cela  l'obligea  d'aflcmbler  avec 
les  principaux  Seigneurs  de  cette  nouvelle  Re- 
ligion, tous  ces  Prédicans,  qui  efiioient  alors 


L    I   V   R   E      I  V.  4^1 

en  grand  nombre  à  la  Cour,  &  qui  au  grand  i;^5. 
regret  des  Catholiques  l'obfedoient  éternelle- 
ment, &  de  leur  dire  nettement,  pour  fe  déli- 
vrer une  bonne  fois  de  la  fafcheufc  pcrfécution 
qu'il  en  loufFroit,  qu'après  avoir  fait  devant 
Dieu  toutes  les  réflexions  neceffaires  fur  une  af- 
faire de  cette  importance ,  il  avoit  enfin  réfolu 
de  rentrer  dans  l'Eglife  Catholique  dont  on 
n'avoit  pas  deû  fe  léparer.  Et  comme  le  Minif- 
tre  la  Paye  l'eût  conjuré  au  nom  de  fes  Con- 
frères de  ne  pas  permettre,  ce  font- là  fes  pa- 
roles ,  Quun  fi  grand  Jcandale  leur  avint.  Si  je  fui^ 
lois  loflre  avh ,  leur  dît -il,  il  n'y  auroit  ni  Roy^ 
ni  Rojaume  dans  peu  de  temps  en  France.  Je  dejire 
donner  la  paix  a  tous  mes  Sujets,  &  le  repos  à.  mon 
ame,  ç^r  'vou^  aure-;^  aujji  de  moy  toutes  les  feûfete-;^ 
que  'VOUS  pouve:^^  raijonnablement  Jouhaiter.  Ainfi, 
comme  il  elloit  fans  comparailon  le  plus  fort, 
ôc  au  meilleur  eltat  où  il  le  l"uft  encore  trouvé, 
immédiatement  après  qu'il  eût  emporté  la  ville 
de  Dreux,  que  la  Ligue,  à  laquelle  cette  place 
importoit  extrêmement ,  n'ofa  jamais  entrepren- 
dre de  lecourir,  il  affigna  le  lieu  où  il  vou- 
loir recevoir  l'inllruôtion,  qui  devoir  précéder 
l'adte  de  l'abjuration,  à  Saint  Denis  pour  le 
vingt -deuxième  de  Juillet, 

Le  Cardinal  de  Plaifance  fit  publier  une  Dé- 
claration, par  laquelle,  afleûrant comme  Legac 
du  Saint  Siège  que  tout  ce  qui  le  feroit  au  lu- 
jet  tle  cette  convcrliou  feroit  nul ,  il  exhorte 


4^i       Histoire  de  la  Ligue. 

j^*)3,  les  Catholiques  de  l'un  &  de  l'autre  parti  à  ne 
fe  pas  lailTer  tromper  en  une  chofe  de  cette  im- 
portance :  défendant  à  tous,  ôc  fur  tout  aux  Ec- 
clefiaftiques ,  fur  peine  d'excommunication  & 
de  privation  de  leurs  Bénéfices,  de  fe  trouver 
à  Saint  Denis  pour  y  aflifter  à  cette  adtion. 
Mais  nonobftant  toutes  ces  défenfes,  qu'on 
crut  eftre  faites  à  la  foUicitation  des  Efpagnols, 
les  Princes,  les  Officiers  de  la  Couronne,  les 
principaux  Membres  des  Parlemens,  les  Sei- 
gneurs de  la  Cour,  les  Evefques,  &  plufieurs 
Do6teurs,non  feulement  du  parti  Royal,  mais 
aufTi  de  celuyde  la  Ligue,  s'y  rendirent, &  en- 
tre autres  trois  célèbres  Curez  de  Paris,  René 
Benoift  de  Saint  Euftache,  Chavignac  de  Saint 
Sulpice,&  Morennes  de  Saint  Merry,  qui  bien 
éloignez  de  l'efprit  feditieux  de  leurs  confrères 
les  Curez  de  Saint  Benoift,  de  Saint  Se  vérin, 
de  Saint  Cofme,  de  Saint  Jacques,  de  Saint 
Gervais,  de  Saint  Nicolas  des  Champs  &  de 
Saint  André  qui  s'eftoient  le  plus  furieufement 
déchaifnez  dans  leurs  (candaleuies  Satyres  plû- 
toft  que  Prédications  contre  le  Roy,  eurent  la 
gloire  d'avoir  eu  part  à  la  converiion  de  ce  grand 
Prince, 

Or  eflant  arrivé  de  Mante  à  Saint  Denis  le 
Jeudy  vingt -deuxième  de  Juillet,  il  entra  dés 
le  lendemain  en  Conférence ,  &c  y  fut  depuis 
les  fix  heures  du  matin  juiqu'à  une  heure  après 
midy  avec  i'Archevelque  de  Bourges  &:  lept 


Livre     IV.  4^)3 

ou  huit  Evefqucs,  entre  Icfcjiicls  cftoit  M.  du  i  J^3. 
Perron  nommé  à  l'Evelché  d'Evrcux.  Plulicurs 
Docteurs  célèbres  le  trouvèrent  à  cette  Aflèm- 
blée  avec  ces  trois  Curez  de  Paris,  &c  le  Perc 
Olivier  Bcrancrer,  fçavant  Jacobin,  Prédicateur 
ordinaire  du  feu  Roy.  L'inl1:rutl:ion  le  fit  par- 
uculicrement  touchant  ces  trois  points  fur  lef- 
quels  le  Roy  propola  quelques  difficultez. 

Le  premier,  iur  l'invocation  des  Saints ,  pour 
fcjavoir  s'il  elloit  abiolument  neceflaire  qu'on 
les  priait.  Sur  quoy  on  le  iatisfit  aifément,  en. 
luy  faifant  entendre  ce  que  l'Eglife  enfeigne  là-, 
dellus:  l^avoir,  que  comme  il  ell  utile  de  fe  re- 
commander aux  prières  de  nos  frères  vivans, 
fans  que  cela  falTe  aucun  tort  à  la  qualité  de 
Jefus-Chrill  nollre  médiateur  ;  il  eft  aulfi  trcs- 
profitable  de  recourir  aux  Saints  pour  les  prier 
d'intercéder  pour  nous,  afin  de  nous  obtenir 
de  Dieu  des  bienfaits  &c  des  grâces  par  Jefus- 
Chrift,  Dieu  leur  faifant  connnoiftre  &  nos  be- 
foins  &  nos  prières  de  la  manière  qu'il  luy 
plaift,  comme  il  apprend  aux  Anges,  félon  l'E- 
criture, ce  quife  palfe  parmi  nous,  ôcaux  Pro- 
phètes les  chofes  tutures ,  quoy-qu'elles  loienc 
plus  particulièrement  réfervées  à  la  connoiflan- 
ce  de  Dieu. 

Le  fécond,  fut  fur  la  Confelfion  auriculaire  ; 
ÔC  on  luy  fit  voir  clairement  que  Jefus-Chrift 
ayant  donné  commillion  à  fes  Minillres,  en 
termes  généraux,  de  remettre  ou  de  retenir  les 


4^4  Histoire  de  la  Ligue. 
i^^3.  péchez  par  fon  autorité,  on  ne  pouvoit  reftrain- 
dre  ce  pouvoir  aux  feuls  péchez  pubHcs ,  &c 
qu'il  falloit  en  fuite  neceflaircment  que  les  pe- 
nitens  donnafTent  aux  Preftres  une  connoifTan- 
Ce  parfaite  de  tous  les  crimes  qu'ils  auroient 
commis,  afin  qu'on  puft  faire  un  julle  difcer- 
ncment  de  ceux  qu'il  faut  remettre,  &  de  ceux 
qu'on  doit  retenir. 

Le  troifiéme,  fur  lequel  il  voulut  eftre  bien 
inftruit,  fut  fur  l'autorité  du  Pape,  à  laquelle 
il  fe  fournit  fans  peine,  quand  on  l'afl'eûra,  que 
félon  l'Evangile,  les  Conciles ,  &  les  Saints  Pè- 
res, elle  ne  s'étendoit  que  fur  les  chofes  pure- 
ment fpirituellcs  de  entièrement  détachées  du 
temporel ,  ôc  nullement  fur  les  Droits  &  les  Li- 
bertez  des  Rois  ôc  des  Royaumes.  Comme  en 
fuite  on  voulut  venir  au  point  de  la  prefence 
réelle  du  Corps  de  Jefus-Chrift  au  Saint  Sacre- 
ment de  1  Autel,  celuy  de  tous  les  Articles  con- 
tellez  entre  les  Catholiques  &  les  Huguenots 
'  en  quoy  ils  peuvent  le  moins  s'accorder:  il  ar- 
rella  les  Eveiques ,  en  leur  difant  qu'il  eftoit 
tout  pcrfuadé  de  cette  vérité,  qu'il  n'en  dou- 
toit  point  du  tout,  &c  l'avoit  toujours  crue. 

On  dit  aulTi  qu'ayant  fait  faire  une  Confé- 
rence entre  les  Docteurs  ôc  les  Minillres,  com- 
me un  de  ceux-cy  fut  tombé  d'accord  qu'on 
fe  pouvoit  fauver  dans  l'Eglilc  Romaine,  car 
ils  en  convenoient  alors,  il  dit  de  tort  bonfens; 
//  nj  a  donc  plus  à  délibérer;  il  faut  que  je  Jots  Ca- 


Livre     IV.  "    45; 

tholique y  four  f fendre  le  plus  feur ,  en  homme  fage ,     i  j p  3. 
d^ns  une  affaire  aujji  importante  que  celle  du  falut, 
puis  que  fclon  lés   Catholiques  ^  les  H^umenots  je 
puis  me  Jauver  eflant  Catholique,  (^  que  ft  je  demeu^ 
rois  Huguenot  je  fer  ois  damné  au  fmtiment  des  Catho^ 
tiques.  Quoy  qu'il  en  loïc,  eftant  parfaitemenc 
inllruit,  &c  bien  perluadé  de  tous  les  points  de 
la  créance  de  l'Eglife  Romaine  dont  on  drefla 
une  formule  de  Profeffion  de  Foy  qu'il  figna, 
il  ne    rertoit   plus   qu'a    faire   lolennellement 
cette  ProfclTion  félon  Tufase  de  l'Eglife,  &  x 
recevoir  l'abfolution  de  fon  Hércfie  &  de  la        ■'  ' 
Sentence  d'excommunication  qu'on  avoit  por- 
tée contre  luy.  "    •'     i-    '  • 
Mais  il  falloir  auparavant  examiner  de  nou- 
veau dans  une  Conférence  réglée,  pour  rendre 
la  décifion  plus  authentique,  Ç\  les   Eveiques 
le  pouvoient  abfoudre  en  France  de  l'excom- 
munication qu'il  avoit  encourue  pour  un  cas 
réiervé   par   les    Papes   au   Saint    Siège,   Car 
non -feulement  le  Légat  &  les  Docleurs  dé- 
vouez à  la  Ligue,  &  fur  tout  l'Archevefque  de      '';' 
Lyon,  comme  il  le  fit  bien  voir  en  la  Confé- 
rence de  Surefne  ,  mais  auiîi  le  Cardinal  de      .    ' 
Bourbon,  qui  avoir  peine  à  fe  défaire  de  fon 
entêtement  du  tiers-parti,  foulfenoient  haute-       "  ^^■ 
ment  qu'il  n'y  avoit  que  le  Pape  ieul  qui  euft  le 
pouvoir  de  l'abloudie,  &  que  toute  autre  ab- 
iolution  leroit  nulle,  parce  que  le  Pape  avoit 
uniquement  &:  pofitivement  réfervé  ce  pouvoir 


4î"^     Histoire    de   la    Ligue. 

I  /;?  3.  au  Saint  Siège.  Toutefois,  dans  une  grande  AC- 
femblée  d'Evefques  &  de  célèbres  Dodteurs  qui 
fe  tint  pour  refondre  ce  cas,  l'opinion  contrai- 
re pafla  tout  d'une  voix ,  malgré  toutes  les  re- 
montrances de  ce  Cardinal  qui  n'eftoit  pas  fort 
habile  homme.  Le  Curé  mefme  de  Saint  Eufta- 
che  René  Benoiil,  qui  fut  depuis  Evefque  de 
Troyes  ;  le  iieur  de  Morennes  Curé  de  Saint 
Merry,  qui  elf  mort  Evefque  de  Scez:  eux,  dis- 
je,  qui  avoient  elle  de  la  Ligue  juiques  alors, 
ôc  quelques  autres  fçavans  Dodleurs  rendirent 

D^  jufia  compte  au  public  par  des  écrits  imprimez,  des 
A^j"«r-  r       r     fr      11      -i  •        1        r      ■ 

ienr.iv.      laiions  iur  kiqueiles  ils  appuyoïent  leur  ienti- 

ment,  &c  qui  fe  réduifcnt  à  ce  raifonnement, 

qu'on  fera  peut-eftre  bien-aife  que  je  rapporte 

icy  en  peu  de  mots  comme  je  l'ay  tiré  de  leurs 

écrits,  fans  interpofer  là-deffus  mon  jugement, 

puis  que  je  n'écris  pas  en  Théologien  qui  ex- 

poie  èc  foui-ticnt  une  Doctrine,  mais  en  Hifto- 

rien  qui  raconte  fidellement  les  faits  comme 

il  les  trouve  dans  de  bons  mémoires. 

c.  ^4amvii.       Il  ef^  indubitable,  difent  ces  Docteurs,  fe- 

C.    Uc  ci'.tro.   I  1  1  / 1     I  \^  ■  n  1 

c.Kofatur,  Ion  les  plus  célèbres  Canoniltes,  que  celuy  qui 
^luT^ê ftnt.  ^^  excommunié  pour  un  cas  réfervé  au  Saint 
t:<comm.  Sicgc,  s'il  a  qucIquc  empeichement  canonique, 
TMn.in-D  c.  c'ell  à  dire,  exprimé  &  approuvé  par  les  Ca- 

Vecittr.  .        '  r  f  ^   .    II  ^     r 

syi.  nous,  qui  ne  permette  pas  de  s  aller  preienter  au 

v.Ahfoi.  4  n  Pape,  peut  eltre  abfous  par  un  autre,  fans  qu'il 
M^n^c^'"  ^^^^  obligé  d'envoyer  à  Rome  demander  ion 
""■y.&sç.   abfolution  :  à  condition  toutefois  que  quand 

Tempe  f- 


Livre    IV.  45>7 . 

i'empcfchemcnr,  s'il  ne  dure  pas  toujours,  cef-    i  y^j. 
fera,  il  s'ira  prefentcr  au  Saint  Pcre,  pour  fe  yhn.^rc.  di 

fl  ■  1  ■     /     N  1  r  ^ffic.  Sucer. 

oumettre  en  toute  humilité  a  ce  qui  luy  fera  i  3.  c.  zz.  ^ 

raifonnablement  ordonné.  Or  il  ell  tout  clair,  'J/"\  ","" 

ajouftcnt-ils,  qu'il  y  a  trois  fortes  d'empcfche-  cyx-,,,».  ,„ 

^  •  JT       r        ir»j.i    ^""fl-  ^""^  s- 

mens  Canoniques  qui  dilpenlent  le  Roy  d  al-  Atm»  Mat. 

1er,  àc  en  fuite  d'envoyer  à  Rome  demander  ^l„i"„il  %_ 

Tabfolution  au  Pape.  f"^-  "'"''■  '  ^'■ 

ni1  /t  \-in'^  extmflari 

Le  premier  eit  le  danger  évident  ou  il  cft  »"  ^'-^t"*  tx- 
continuellemcnt  de  perdre  la  vie  en  tant  de  com-  'lumi'u'vL 
bats,  de  batailles  &  de  fiegesoù  il  eft  contraint  '/""■  ^/f »-'' 
de  s'expofer  tous  les  jours  pour  conierver  la 
Couronne  qui  luy  eft  aquife  par  le  droit  invio- 
lable de  fuccefTion ,  félon  la  Loy  fondamenta- 
le du  Royaume,  &  qu'une  partie  de  fes  Sujets 
révoltez  contre  luy  ont  entrepris  de  luy  ravir. 
Un  danger  de  cette  nature,  &  mefme  beaucoup 
d'autres  moindres,  comme  celuy  des  confpira- 
tions,  des  inimitiez,  des  voleurs,  d'une  lon- 
gue navigation,  font  cenfez  par  le  droit  &  par 
les    Docteurs  eftre  de  ceux  qui  font  compris  î^^var.  in 
dans  ce  qu'on  appelle  l'article  de  la  mort,  qui  n']]'' 
ne  s'entend  pas  feulement  du  moment  fatal  au-  f^l'^f'g^/^^' 
quel  on  eft  preft  de  rendre  l'efprit,  mais  auftî  ^^>'^"^r.i.!. 
de  tout  autre  temps  auquel  on  elt  vuiblement  «^«^/a». 
expofé  à  la  mort.   Et  c'eft  en  ces  occafîons, 
comme  en  l'article  de  la  mort,  que  non  feu- 
lement les  Evefques,  mais  auiîi  tous  les  Pref- 
tres  peuvent  abfoudre   de   tous  péchez   &  de 
toutes  Cenfures  Ecclelîaftiques,  avec  obligation 

RRr 


45)8        Histoire  de  la  Ligue. 


I  55)  3.  néanmoins  de  fe  reprefenter,  s'il  n'y  a  quelque 
autre  emperçhement  qui  s'y  oppofe,  comme  ce- 
luy  qui  luit. 
TîZZt  Et  c'eft  la  grandeur  &c  la  dignité  des  per- 
"•/''•,^'-,,  Tonnes  excommuniées,  &  fino-ulierement  des 
4-n.s.  Souverains,  qui  ne  pourroient  lailier  les  peu- 
»  ss.é-  90.  pies  qu  lis  gouvernent  pour  alier  a  Rome  tans 
finhar.1.3.   ^^  notable  préjudice  de  leur  Couronne.  Car  fi 


C.    22. 


un  père  de  famille,  &c  mefme  un  fîmple  fervi- 
leur  feroit  diCpcnfé  d'y  aller,  fi  Ion  ablencc 
devoir  apporter  trop  d'incommodité  à  la  mai- 
Ion  :  que  rq  doit-on  pas  conclure  d'un  grand 
Roy,  dont  la  prefence  eft  toii)Ours  neceîTaire, 
ou  du  moins  très-utile  à  Ton  Royaume  ?  Ainlî 
l'on  doit  toujours  préiumer  que  ces  perfonnes 
d'une  éminente  dignité  ont  un  perpétuel  em- 
perçhement de  s'éloigner. 

Enfin  le  troifiéme  empefchement,qui  eft  ce- 
c.sAcrc,  «.  iuy  que  les  Docteurs  appellent  periculum  in  morâ, 
feTrT.'coL.  eft  le  grand  danger  qu'il  y  auroit,  qu'en  diffe- 
é-siof.in  C.   rant  fi  long- temps  cette  abfolution ,  iufqu'à  ce 

uU.  in-vcr.pe.  .  I         P  A    ^    r.  J  ■  n. 

ruuium  im-  qu  OU  la  dounalt  a  Rome ,  on  ne  perdiit  par 
'tœn.é''ui"ijr-  ^ille  fafcheux  accidens  quipouvoient  fijrvenir, 
la  belle  occafion  que  l'on  avoir  de  conferver 
en  France  la  Religion,  l'Eftat,  &  les  Loix  fon- 
damentales de  la  Monarchie ,  par  la  converfion 
du  Roy.  Pour  toutes  ces  raifons  on  conclut  en 
cette  Allemblée  qu'on  pouvoit,  &  mefme  qu'on 
devoit  l'abloudre,  à  la  charge  d'envoyer  à  Rome 
une  iolennelle  Ambaffade,  pour  demander  au 


Livre     î  V.  4i>^  < 

Pape  fa  Bencdiâiion  paternelle,  &:  l'approba-    155)3. 
tion  de  ce  qu'on  avoit  fait  fi  juftemcnt  en 
France  au  fujct  de  fa  converfion. 

Cela  rélolu  de  la  forte,  l'Adre  public  Se  Co- 
lennel  d'une   converfion  fouliaitée  avec  tant 
d'ardeur  de  tous  les  sens  de  bien ,  fe  fit  le  Di- 
manche  fuivant  vingt- cinquième  de  Juillet, 
avec  une  maenificence  diene  d'une  fi  grande 
a6bion,  6c  de  l'auguilie  Majefté  de  celuy  qui  la 
faifoir.    Le  Roy  tout  veftu  de  blanc ,  excepté 
le  manteau  de  le  chapeau  noir,  fortit  lur  les 
huit  à  neuf  heures  de  fon  logis,  précédé  des 
Gardes  Suifl'es,  Franc^oiies,  &  Efcoffoifcs,  des 
Officiers  de  la  Prevollé  de  l'Hoftel ,  tambour 
bâtant,  accompagné  des  Princes,  des  Officiers 
de  la  Couronne,  &  des  Cours  Souveraines,  des 
Evefques  &  des  Prélats,  &  de  tous  ceux  qui 
avoient  aflifté  à  ion  inllruition,  douze  trom- 
pettes marchant  devant  luy,  de  fuivi  de  cinq 
a  fix  cens  Gentilshommes  tous  magnifiquement 
vertus.  Les  ruifs  eftoient  tapiffées  &  jonchées 
de  verdure  3c  de  fleurs ,  &  remplies  d'une  mul- 
titude infinie  de  peuple  ,  de  principalement  de 
Parifiens,  qui,  malgré  toutes  les  défenfes  du 
Légat  6e  du  Duc  de  Mayenne,  eftoient  venus 
fondre  dans  Saint  Denis,  6c  crioient  de  toute 
leur  force,  comme  tous  les  autres,  yive  le  I{oy. 
Celt   ainli  qu'il  marcha  jufques  à  l'entrée  de 
l'Eglile  de  Saint  Denis. 

Là  il  trouva  allis  fur  un  fauteuil,  en  habits 

KRrij 


ur        ■  ■  j-oo      Histoire  de  la  Ligue. 

j  j  (j  3.    Pontificaux ,  l'Archevefquc  de  Bourges  qui  fie 
la  cérémonie.  Il  demanda  d'abord  au  Roy,  fé- 
lon la  Formule  marquée  dans  le  Pontifical,  qui 
il  eftoit,ô<:  ce  qu'il  demandoit.  Aquoyce  grand 
Prince  ayant  répondu ,  Je  fuis  le  lioy  ^  qui  de^ 
mande  d'eflre  receu  an  giron  de  l'EgliJe  Catholique, 
Aj^oflolique  çy  Rfimaine ,  il  fe  mit  a  genoux  i  & 
après  avoir  dit,  en  prefentant  à  l'Archevefque 
fa  Profelfion  de  Foy  fignée  de  fa  main ,  Je  jure 
Cir  protejle  deojant  la  face  de  Diea  tout  - ^uifj'ant  ^  de 
fuivre  ^  mourir  en  l'Elfe  Catholique ,  y^pojlolique 
^  Romaine ,  de  la  protéger  ^  défendre  au  perd  de 
mon  fang  O*  de  ma  -vie  ^  renonçant  à  toutes  les  Hè- 
reftes  qui  luy  font  contraires  y  il  receût  de  ce  Prélat 
l'abfolution  des  Cenfures  qu'il  avoir  encourues. 
Puis  toute  l'Eglife  retentiffant  des  cris  redou- 
blez de  Vi've  le  Roy ,  il  fut  mené  par  les  Evef- 
ques  devant  le  grand  Autel ,  où  il  réitéra  fon 
ferment  fur  les  Saints  Evangiles  ;  &  après  s'eftre 
confelTé  derrière  l'Autel  à  l'Archevelque,  tan- 
dis que  l'on  chantoit  en  Mufique  le  Te  Deum, 
il  ouït  la  grand'  Méfie,  qui  fut  célébrée  par  l'E- 
vefque  de  Nantes ,  après  laquelle  la  Mufique 
chanta  à  plufieurs  repnfes  Vive  le  Roy,  les  Pa- 
rifiens  qui  eftoient  accourus  à  cette  auguft.e  cé- 
rémonie fondant  tous  en  larmes,  &  criant  plus 
haut  que  les  Muficiens  Vi've  le  Roj ,  ce  qui  fit 
'  bien  voir  que  le  peuple  de  Paris,  excepté  cette 

canaille  de  la  faction  des  Seize,  n'eftoit  Ligueur 
que  par  cette  invincible  averfion  qu'il  a  toû- 


L    I   V  R    E       I  V.  ;0I  

jours  eue  duHugucnotifme.  Car  auflitofl:  qu'il  ijpj. 
vit  que  le  Roy  s'eftoit  fait  Catholique,  ce  ne 
fut  plus  pour  luy  le  Biamois  y  ni  le  I{oy  de  Na- 
'vxtre,  mais  fimplcment  le  ]{oy ,  qu'il  euft  déjà 
voulu  voir  dans  Paris,  comme  il  parut  bicntofl 
après  par  la  réduction  paiiiblc  de  cette  Capi- 
tale du  Royaume. 

En  effet,  après  que  ce  jour  -là,  qu'on  peut 
appeller,  pour  les  fuites  qu'il  a  eues,  le  dernier 
de  la  Ligue ,  on  eût  veû  la  pieté  avec  laquelle 
le  Roy,  dont  on  connoiffoit  la  fincerité  &  la 
grandeur  d'ame  incapable  d'hypocrilie  ,  avoir 
aiïifté  à  la  MelTe,  à  Velpres,  au  Sermon  de 
r Archevefque,  &  vifité  en  luite  le  tombeau  des 
Martyrs  à  Montmartre  :  on  fe  moqua  de  tout 
ce  que  les  Efpagnols ,  le  refte  des  Seize ,  leurs 
Prédicateurs ,  &c  fur  tout  le  furieux  Docteur 
Boucher  publièrent  dans  leurs  Libelles  &  dans 
leurs  Sermons  contre  cette  converfion,  qu'ils 
tafcherent  inutilement  de  décrier  par  mille  im- 
poftures  très -impudentes.  On  travailla  deflors 
fecretement  à  fe  rendre  au  Roy ,  fans  tumulte, 
particulièrement  depuis  qu'on  eût  commencé 
à  goufter  les  douceurs  de  la  paix,  par  la  trêve 
que  les  grandes  villes  defiroient  pailionnément, 
&qui  fut  conclue  pour  trois  mois  quatre  jours 
après  la  converfion  du  Roy. 

Il  eft  vray  que  le  Duc  de  Mayenne  crai- 
gnant qu'elle  ne  luy  ravift  bientoiî  fon  auto- 
rité de  Lieutenant  de  la  Couronne ,  fit  renou- 

RRr  iij 


joi        Histoire    de    la    Ligue. 


1/5' 3-  veller  dans  fes  prétendus  Ertats  le  ferment  de 
perfîfter  dans  l'Union,  &  d'obéïr  aux  Ordon- 
nances du  Saint  Père.  Il  fit  plus:  car  pour  l'o- 
bliger à  fouftenir  toujours  puiflamment  Ton 
parti ,  il  fit  approuver  par  les  mefi-nes  Eftats  la 
Déclaration  qu'il  avoit  faite  pour  la  publica- 

^■'J^'/f.  ^r'  tion  du  Concile  de  Trente,  quoy-qu'ils  euffent 

s,fi.  deiAf-  -a  '  1  r  ■ 

fcmb.  ttxue  a  auparavant  enregutre  les  oppolitions  qu  on  y 

Parii  .  fous  le         *■        r   ■  T  ■  Al  '  J  •  T    ■ 

d'Ejiats.  avoit  faites  lur  vingt-trois  Articles,  qu  on  diloit 


nom 


flvHfVçs.  ^ft'^^  a^  préjudice  de  la  Juftice  Royale  &  des 
Libertez  de  l'Eglife  Gallicane.  Mais  enfin,  ni 
cette  publication  qu'on  n' avoit  nulle  envie  de 
faire  valoir  n'eût  aucun  effet,  ni  ce  ferment 
n'empefcha  pas  qu'on  ne  traitaft  toujours  fe- 
cretement  des  moyens  que  l'on  pouvoit  pren- 
dre pour  recevoir,  malgré  le  Duc  de  Mayenne, 
le  Roy  dans  Paris. 

Et  ce  qui  acheva  de  mettre  tout  le  droit  de 
Fon  cofté ,  &c  de  luy  ramener  prefque  tous  fes 
Sujets,  fut  que,  comme  il  l'avoit  promis, il  en- 
voya le  Duc  de  Nevers  à  Rome,  pour  rendre 
au  Pape  l'obéiflance  filiale  que  les  Rois  Tres- 
Chreftiens  luy  doivent,  &  pour  luy  demander 
encore  l'abfalution  qu'on  croyoit  à  Rome  que 
le  Pape  feul  pouvoit  donner.  On  forma  fur  ce- 
la de  très -grandes  difficultez;  &  le  Pape  Clé- 
ment, lequel  eftoit  encore  obfedé  des  Efpa- 
gnols ,  qui  faifoient  tous  leurs  efforts  pour  em- 
pefcher  qu'on  ne  la  luy  donnaft,  la  refuia  long- 
temps d'une  manière  affez  rebutante  pour  un 


Livre     IV. 


J03 


fi  grand  Roy.  Mais  comme  ce  Pontife  vit  que  i^p^. 
l'on  commcn(joit  à  ne  fe  plus  tant  emprefler  à 
la  luy  demander,  &  qu'on  croyoït  en  France 
qu'après  ce  que  l'on  avoit  fait ,  &  le  devoir  où 
le  Roy  s'cftoit  mis,  elle  n'eftoit  pas  neccflaire: 
il  fit  luy-mefme  des  avances  pour  renouer  cet- 
te négotiation ,  laquelle  avoit  efté  abandon- 
née par  le  Duc  de  Nevcrs  qu'il  n'avoir  pas 
voulu  recevoir  comme  AmbafTadeur  du  Roy, 
6c  qui  eftoit  forti  de  Rome  trcs-mal  facis- 
fait. 

Le  Roy  donc  qui  ne  voulut  rien  omettre  en 
cette  occafion  de  tout  ce  qu'on  pouvoir  atten- 
dre du  plus  religieux  de  tous  les  Princes ,  nom- 
ma de  nouveaux  Députez ,  qui  furent  ces  deux 
grands  hommes  Jacques  David  du  Perron  &c 
Arnaud  d'OlTat,  ceux-là  mefme  dont  le  mérite 
extraordinaire  fut  peu  de  temps  après  récom- 
penfé  de  la  Pourpre  Romaine;  Se  ils  agirent 
tous  deux  avec  tant  d'adrefle,  qu'après  de  lon- 
gues conteftations  caufées  par  les  Elpagnols  fur 
le  fond   de  l'affaire    &  fur  les  formalitez,  il 
réfolut  enfin  de  donner  une  féconde  abiolu-  tmr  rf«c*r- 
tion,  &  de  demeurer  précifément  dans  les  ter-  j"^!,// 
mes  de  fon  pouvoir  fpirituel ,  fans  parler  de  ré- 
habilitation  comme  il  le  prétendoit,    car  on 
ne  voulut  nullement  fouffrir  qu'd  parufl  par 
ce  terme ,  que  la  Couronne  de  France ,  qui  ne 
dépend  que  de  Dieu  feul,  fuft  ni  dire  élément 
ni  indirej^ement  foumilc  au  Pape.  Auafi  cette 


p4      Histoire  de  la  Ligue. 

I  j  p  3.  Abfolution  qu'il  y  avoir  prés  de  deux  ans  qu'on 
avoit  demandée,  fut  donnée  à  Rome  le  feizié- 
me  de  Septembre  de  l'année  mil  cinq  cens  qua- 
tre-vingts-quinze. En  quoy  il  eft  aifé  de  voir 
que  ce  ne  fut  point  là  ce  qui  abbatit  la  Ligue  ; 
&  qu'au  contraire,  ce  qui  fit  que  le  Pape  ne  fc 
rendit  plus  Ci  difficile ,  fut  qu'il  vit  que  la  Li- 
gue s'en  alloit  tout-à-fait  rumée. 

En  effet,  comme  auffitoft  que  les  deux  grart- 
des  colonnes  qui  fouftenoient  la  voûte  du 
grand  Palais  des  Philiftins  furent  renverfées  par 
la  force  prodigieufe  de  Samfon,  tout  cet  édi- 
fice profane  s'en  alla  par  terre  :  aufïi,  dés  que 
ces  deux  beaux  prétextes  du  bien  de  l'Eftat  & 
de  la  confervation  de  l'ancienne  Religion,  que 
les  Chefs  de  la  Ligue  avoient  pris  pour  la  baf- 
tir  &  pour  la  maintenir,  s'évanouirent  par  la 
converfion  du  Roy,  laquelle  on  crut  véritable, 
malgré  tous  les  artifices  des  Efpagnols  qui  la 
vouloient  rendre  fufpedte  ^  tout  ce  malheureux 
baftiment ,  déjà  plus  qu'à  demi-ruiné ,  n'ayant 
plus  d'appuy,  tomba  de  luy-mefme.  De-torte 

—  que  dans  toute  l'année  fuivante  prefque  tous 

^nn.     les  Chefs  &  toutes  les  villes  de  la  Ligue  firent 

ij5>4.  leur  traité  particulier  avec  le  Roy,  qui  aima 
mieux  les  rappeller  doucement  par  Ton  admi- 
rable clémence,  &  par  une  bonté  de  Père,  com- 
me fes  enfans ,  en  leur  accordant  des  condi- 
tions avantageufes ,  ôc  des  grâces  qui  luy  fai- 
foient  d'autant  plus   d'honneur  ,   qu'ils    s'en 

eftoienc 


Livre     IV.         '  '        ;oj 

cftoicnt  rendus  moins  dignes,  que  de  les  con-     i  JP4. 
craindre,  comme  il  le  pouvoir,  par  la  force  de 
fes  armes  vidlorieufes ,  à  rentrer,  malgré  qu'ils 
en  enflent,  dans  leur  devoir. 

Comme  le  Marquis  de  Vitry  avoir  efté  le  '^""•Pl^^  •t^ 
premier  a  quitter  le  parti  du  Roy ,  après  la  mort  u  Nobujfc. 
de  Henry  III.  pour  entrer  dans  ccluy  de  la 
Ligue,  qu'il  croyoït  alors  le  plus  julle,  il  fut 
aulli  le  premier,  qui  eflant  dciabulé  de  cette 
faufl'e  opinion  le  remit  dans  l'obéïflance,  avec  la 
ville  deMeaux  de  laquelle  il  eftoit  Gouverneur, 
Le  fîeur  de  laChaftre  iuivit  bientofl  cet  exem- 
ple, &  ramena  avec  luy  Orléans  &  Bourges. 
Les  Lionnois ,  après  avoir  fecoûé  le  joug  du 
Duc  de  Nemours  qu'ils  mirent  prifonnier  dans 
Pierre-Encife,  &  de  Ion  frère  utérin  le  Duc  de 
Mayenne,  qui  les  avoir  portez  fous  main  àTar- 
rcfter,  afin  de  pouvoir  joindre  Ion  Gouverne- 
ment de  Bourgogne  auLyonnois,&:de  s'y  can- 
tonner, chafTerent  de  leur  ville  les  Ligueurs, & 
crièrent  V^e  Le  Roy. 

La  Provence  fut  la  première  de  toutes  les  ^'^-  'l'^f»^- 
Provmces  qui  commenc^a  de  fe  déclarer  haute-  t-w?.». k 
ment  contre  le  parti  de  la  Ligue,  en  prenant        >'•' 
les  armes  en  mefme  temps  pour  faire  la  guerre 
aux  Savoyards,  &  au  Duc  d'Efpcrnon  qui  s'ef- 
toit  emparé  du  Gouvernement  de  cette  Provin- 
ce contre  la  volonté  du  Roy.   Cette  réduction 
volontaire  &c  ligénéreufe  le  fit  par  le  zèle,  par 
le  courage,  &  par  radreffe  de  quatre   braves 

SSf 


50(J  Histoire  de  la  Lïgue. 
I  jP  4.  Gentilshommes  de  la  Maifon  de  Fourbin,  l'une 
des  plus  illuftres  &  des  plus  fignalées  de  la  Pro- 
vence. Ceux-cy  furent  Palamedes  de  Fourbin 
Seigneur  de  Soliers,  de  fes  deux  fils  Gafpard  de 
Solicrs  &  de  Saint  Canat,  &c  Nicolas  de  Four- 
bin Chevalier  de  Malte,  aufquels  fe  joignit  leur 
coufm  Melchior  de  Fourbin  fieur  de  Janfon, 
Baron  de  Ville-Laure  5c  de  Mane. 

Comme  ils  eftoient  parens  &c  alliez  de  Jean 
de  Pontevez  Comte  de  Carces,  Gouverneur  & 
Grand  Sénéchal  de  Provence,  dont  les  fieurs 
de  Janfon  &  de  Saint  Canat  avoient  époufé  les 
deux  foeurs  :  ils  agirent  fi  fortement  fur  fon 
efprit,  qu'ils  luy  firent  abandonner  la  Ligue,  de 
laquelle  il  s'eftoit  déclaré  Chef  après  la  mort 
de  fon  neveu  le  Seigneur  de  Vins,  qui  fut  tué 
d'une  moulquetade  en  afTiegeant  GrafTe.  Puis 
ayant  fait  entrer  dans  leur  Confédération  la 
meilleure  partie  de  laNoblefle,  le  Comte  rame- 
na fans  peine  la  ville  d'Aix  &  le  Parlement,  qui 
fe  réunit  en  mcime  temps,  avec  cette  partie 
de  fes  Officiers  qui  tenoient  leur  féancc  à  Ma- 
nofque  fous  l'autorité  du  Roy.  En  fuite  la  pluf- 
part  des  Proven(^aux  eftant  réiinis ,  &  fortifiez 
du  fecours  qu'ils  receûrent  de  M.  de  Lefdiguie- 
res,  condmlirent  leur  entrepnfe  avec  tant  de 
fageife,  de  courage  &c  de  bonheur,  qu'ils  con- 
traignirent enfin  &  les  Savoyards  &c  le  Duc 
d'Elpernon  de  fortir  de  la  Province,  &  d'en  laif- 
fer  le  Gouvernement  libre  au  Duc  de  Guife. 


Livre     IV. 


;o7 


Et  ce  Prince  acheva  hcurcufemcnt,  par  la  dcU-  i  ;p  4» 
vrancc  de  Markille,  ce  grand  ouvrage  que  les 
quatre  Seigneurs  de  Fourbin  avoient  i\  eéné- 
reulemcnt  commence  de  h  bien  conduit  auiîi- 
toll  après  la  converfion  du  Roy,  &  après  qu'il 
eût  fait  ion  entrée  dans  Paris,  laquelle  en  fore 
peu  de  temps  fut  iuivie  de  la  réduction  de  tout 
le  refte  de  la  France. 

Il  y  avoit  dtja  plufîeurs  mois  que  le  Parle-  ^'UtionUeU 
ment,  &  les  Magiftrats  de  la  Ville,  par  \ç.s  uriL'''* 
foins  du  Preiident  le  Maiibe,  des  Confeillers 
du  V